Raconter des salades ?

 

Dans Le Monde diplomatique d’octobre, un article relève une évolution intéressante dans la manière de percevoir le rôle des acteurs durant la Deuxième Guerre mondiale. En 1945, quand on posait la question : « Qui avait le plus contribué à la défaite de l’Allemagne ? », 57 % des gens citaient l’Union soviétique et 20 % les États-Unis. En 2024, la même question donne des réponses inversées : 60 % citent les États-Unis et 25 % l’URSS[1]B. Bréville, « L’histoire face aux manipulateurs », Le Monde diplomatique, octobre 2024, page 1..

Cet exemple et le TRACeS [2]https://changement-egalite.be/traces/fictions/ « Fictions » nous rappellent à quel point le récit est un outil puissant pour former et déformer les opinions et aussi pour faire passer des idées et des mesures politiques.

« Le récit est un outil puissant pour former et déformer les opinions. »

Le Pacte a été construit autour du récit que l’école belge est une école très inégalitaire, que cette inégalité est inhérente au système et qu’il fallait donc le réformer pour diminuer ces inégalités. Toute en reconnaissant le côté systémique du problème, une partie des mesures du Pacte mettaient implicitement la faute sur les enseignant·es qui ne collaboraient pas assez, qui faisaient doubler des élèves sans avoir mis en place tout ce qui était possible pour remédier à leurs lacunes, qui ne se formaient pas comme il faut, etc.

Le nouveau gouvernement a réussi à imposer une autre histoire : l’école, les enseignants et les directions seraient les victimes d’une évolution sociétale néfaste cumulant trop de liberté donnée aux enfants, trop peu de respect dans le chef des élèves et de leur famille pour l’institution école ou pour ses acteurs, et d’un système sclérosé de fonctionnaires nommés empêchant les jeunes de se faire une place dans le métier.

La grande difficulté dans tout débat politique est que chaque récit contient des grains de vérité, et qu’il est souvent difficile de les dénoncer tout en reconnaissant ces vérités. Autant nous reconnaissons que les relations en classe sont devenues plus difficiles, autant nous pensons que ce sont justement les inégalités du système qui renforcent ces difficultés[3]https://miniurl.be/r-5reg. Autant nous dénonçons la surcharge administrative, autant nous pensons qu’il est important que le système soit soumis à un pilotage. Autant nous reconnaissons la difficulté du métier aujourd’hui, les dysfonctionnements du système, le cadre de travail souvent limitant, et les injonctions paradoxales auxquelles sont soumis les acteurs de l’école, autant nous maintenons que les enseignant·es ont une responsabilité individuelle dans la recherche et la mise en œuvre de solutions pour réduire les inégalités, qu’ils doivent accepter de se mettre en question et de changer leur pratique.

Oui, il faut assurer le bienêtre des enseignant·es dans la pratique de leur métier. Oui, quand les mesures de pilotage créent une charge de travail trop lourde à porter dans un horaire déjà bien serré, il faut en revoir certaines. Oui, les jeunes enseignant·es sont soumis·es à des conditions de travail ne les incitant pas à rester dans le métier, et il faut que cela change.

Mais, l’ensemble de ces problèmes ne doit pas servir à changer le récit sur l’école inégalitaire. L’inégalité du système scolaire est inacceptable, et cette inégalité n’est pas une fatalité, mais un choix politique. Ces deux affirmations sont le cœur de notre récit à CGé.

Diviser pour régner est une vieille stratégie. Les récits sont un vecteur important de division. Nous appelons notre nouveau gouvernement à nous présenter un récit cohérent sur la manière de lutter contre cette inégalité, au lieu de monter les nouveaux enseignants contre les anciens, les enseignants contre les familles, les directions contre les syndicats, etc.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 B. Bréville, « L’histoire face aux manipulateurs », Le Monde diplomatique, octobre 2024, page 1.
2 https://changement-egalite.be/traces/fictions/
3 https://miniurl.be/r-5reg