CGé se positionne radicalement pour une réforme profonde de notre système scolaire avec l’objectif de plus d’égalité scolaire et sociale. Même si le Pacte est loin d’être suffisant et ne couvre que partiellement les changements que nous souhaitons, il est aujourd’hui la seule voie visible dans la direction que nous réclamons. Dès lors, nous craignons que la fin ou l’affaiblissement du Pacte ne représente la fin de toute velléité de réforme pendant les prochaines années.
L’ensemble de nos revendications se situe donc dans le prolongement du Pacte : affirmer sans ambiguïtés ses objectifs (le changement de paradigme) et renforcer ses moyens partout où ils peuvent faire progresser l’égalité en faveur des élèves issus des familles défavorisées (gouvernance, Tronc Commun, formation des enseignants, référentiels…).
Nous vous invitons à parcourir nos revendications et nous faire part de vos éventuelles réflexions et réactions, mais, surtout, nous souhaitons que vous vous engagiez résolument vers une école plus équitable et réellement émancipatrice pour toutes et tous lors de la prochaine législature.
Pierre Waaub (Président de CGé) et Moritz Lennert (Secrétaire général de CGé)
Également disponible en PDF : VOIR OU TÉLÉCHARGER
Contacter Moritz Lennert pour toute question ou information supplémentaire…
Malgré de multiples interpellations et tentatives de réformes dans le passé (dont par exemple les décrets sur l’école de la réussite de 1995 et sur les missions de l’école de 1997), jusqu’à présent, l’école a été pensée comme un outil de sélection, comme une série de filets aux mailles de plus en plus fines, permettant de ne garder que les « meilleurs » dans l’enseignement général, orientant les autres vers des filières techniques et professionnelles, voire vers le spécialisé, où l’apprentissage des matières générales a une moindre priorité. Cette logique a mené à un des systèmes scolaires les plus inégalitaires dans l’OCDE, avec une corrélation très forte entre origine sociale, carrière scolaire et niveau des compétences. Tout le système est organisé en fonction de cette sélection, avec des référentiels mettant l’accent sur les savoirs mesurables et orientés vers les études supérieures, avec les examens, les cotes, le redoublement, etc. C’est ce modèle que le Pacte a l’ambition de remettre en cause. Pourquoi le Gouvernement ne l’affirme-t-il pas plus clairement ?
Même si les acteurs de l’école sont globalement en accord avec les objectifs du Pacte, il est peu connu et souvent mal compris, en particulier certaines mesures phares comme le tronc commun. La peur pour l’avenir de nos enfants est forte et l’école, dans son fonctionnement sélectif, est vue comme la voie principale mais ardue pour assurer un avenir réussi à celles et ceux qui s’en sortent. Il s’agit donc de se positionner dans la course pour maximiser ses chances de réussite.
Le Pacte vient perturber ces certitudes et demande à tous d’accepter de renoncer à cette course sans savoir ce que représente ce changement concrètement, ni de quelle promesse ce changement est porteur.
Jusqu’à présent, les tentatives de communication du Gouvernement et de l’administration ont surtout été techniques, orientées vers les acteurs de l’école en tant que tels, et donc souvent focalisées sur des aspects de la pratique et de l’organisation dans l’institution. Comme si le seul enjeu était que les acteurs comprennent ce qu’ils devaient faire pour respecter les procédures et les règles nouvelles.
CGé appelle les partis politiques à affirmer plus clairement les fondements du grand changement que le Pacte annonce pour le système scolaire en Fédération Wallonie-Bruxelles et les deux piliers qui doivent lui servir de repères :
Réaffirmer ces fondements implique aussi la nécessité de s’assurer que les mesures déjà prises ne s’en écartent pas et au besoin, les corriger, les compléter ou les renforcer.
Dans l’introduction aux référentiels du Pacte, les finalités du tronc commun sont définies comme suit:
Nous souscrivons à ces objectifs, mais sommes convaincus que les réformes entreprises à ce stade ne seront pas suffisantes pour que tous les atteignent et pas seulement une partie restreinte. Le Pacte n’est pas assez clair dans ses intentions, n’affirme pas assez que l’amélioration du système scolaire ne peut résulter que d’une lutte implacable contre la transformation des inégalités sociales en inégalités de chances et de résultats scolaires, et les mesures qu’il prend en ce sens sont donc insuffisantes.
Peu de communications ont visé la société dans son ensemble, explicitant les fondements du grand changement que le Pacte annonce pour le système scolaire en Fédération Wallonie-Bruxelles et les exemples d’autres pays qui indiquent que ce changement ne nuira à personne. Pourtant, l’école fait partie et est un enjeu important de la société. CGé voudrait donc qu’une campagne beaucoup plus large soit menée pour expliciter la vision sociétale portée par le Pacte, en particulier la conviction que tous peuvent apprendre, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune fatalité dans une moindre réussite scolaire des milieux populaires.
Les ressources mises en œuvre pour soutenir ce changement doivent pouvoir soutenir concrètement les écoles et les équipes pédagogiques qui s’engagent dans cette voie.
« Que faire avec le Pacte ? – Comment l’investir pour réduire les inégalités ? »
Changer de paradigme
Ne pas louper la marche…
Pactoupapacte, faudra y aller !
Pour des luttes de désexcellence
C’est todi les ptits k’on spotch
Rempactez, S.V.P. !
L’ambiguïté du Pacte réside dans le fait d’avoir fait de la lutte contre les inégalités, un des axes parmi d’autres de l’Avis n°3 alors qu’il devrait être le fondement qui légitime la transformation des autres axes stratégiques. C’est en s’assurant des apprentissages de tous qu’on améliorera l’efficacité et l’efficience du système scolaire.
C’est PARCE QUE le système se donne comme visée « d’améliorer le rôle de l’enseignement comme source d’émancipation sociale tout en misant sur l’excellence pour tous, favoriser la mixité et l’école inclusive dans l’ensemble du système éducatif tout en développant des stratégies de lutte contre l’échec scolaire, le décrochage et le redoublement » (Axe 4 du Pacte) qu’il est légitime et nécessaire d’agir pour :
Le système scolaire en FWB est un système qui reproduit, voire renforce, les inégalités sociales, créant non seulement d’énormes dégâts sociaux, mais également des coûts importants à long terme dans le système scolaire et pour la société. CGé estime donc que l’objectif d’un enseignement plus émancipateur n’est pas un axe parmi d’autres, mais bien l’objectif principal, la faîtière de tous les autres axes. La pertinence des réformes, les changements demandés dans les postures et les pratiques des acteurs institutionnels ainsi que les transformations attendues dans les pratiques des équipes éducatives doivent donc être pensés et évalués à l’aune de leur capacité à avoir un impact sur les inégalités scolaires.
CGé exige une vraie gratuité et soutient les revendications détaillées avancées sur ce point par la Ligue des Familles.
CGé est fier d’être membre de la Coalition, et soutient l’ensemble des revendications inscrites dans le manifeste de cette coalition. Ce manifeste porte des revendications qui doivent servir de point d’appui pour redonner un sens au Pacte.
Ce point implique surtout un changement de fonctionnement dans la communication entre écoles et parents, notamment parents de milieu populaire, avec l’objectif d’instaurer une vraie démocratie et un dialogue bienveillant, en tenant compte des limites de compréhension de la langue, de l’écrit et des codes de l’école parmi certains de ces parents. Ceci inclut également le fait de redonner aux enseignants du temps pour rencontrer les parents et pour se concerter entre eux sur les outils à mettre en place pour prendre en compte les besoins d’apprentissage des enfants mis en difficulté.
Vu la non-mixité de nos écoles (qu’il est nécessaire de combattre par ailleurs, voir ci-dessous), et donc la concentration dans certaines écoles à classe d’ISE bas d’élèves avec des difficultés particulières en termes de niveau, de rapport aux savoirs et de non-maîtrise de la langue de scolarisation, il nous semble indiscutable qu’il doit y avoir, tant que c’est le cas, une concentration accrue de moyens pour ces écoles-là. Toute une série de dispositifs, comme le FLA, une éventuelle diminution de la taille des classes, des moyens supplémentaires pour un meilleur encadrement par des éducateurs, la présence de logopèdes, d’assistants sociaux et de psychologues, l’organisation d’une aide aux devoirs dans l’école, etc., devrait être prévue prioritairement pour les écoles à classe d’ISE bas. Cela ne nie pas le fait qu’il y ait des élèves en difficulté dans d’autres écoles, mais que la moindre concentration de ceux-ci permettrait souvent de pallier autrement.
Les chiffres sont sans appel : il y a une surconcentration d’élèves de milieux populaires dans les écoles de l’enseignement spécialisé, sans qu’il y ait de raisons objectives à cela. L’enseignement spécialisé est donc utilisé comme un outil de relégation pour des enfants qui, d’une part, n’ont simplement pas les prérequis implicites sur lesquels l’école compte et que les familles favorisées transmettent et, d’autre part, manquent de ressources pour pallier les apprentissages non acquis en classe. Nous demandons donc avec la coalition une suppression de toutes les orientations abusives. Cela implique que des mesures soient prises pour garantir une meilleure information des parents sur le diagnostic, leurs droits et les mesures prises par l’école pour pallier les difficultés. De plus, en cas d’orientation vers le spécialisé, un plan d’action clair doit être mis en place et communiqué aux parents, mentionnant les objectifs poursuivis pour et avec l’enfant ainsi que le parcours d’un retour vers l’ordinaire.
Les stratégies portées par les écoles sont déterminantes, à la fois pour un changement de configuration du système scolaire qui favorise l’hétérogénéité sociale des écoles et pour une amélioration des conditions d’apprentissage de tous les élèves. Afin d’encourager et soutenir les écoles qui cherchent à mettre en place concrètement des alternatives au système sélectif de relégation, CGé a initié, porte et soutient la Charte du Réseau des écoles solidaires et faisant dignité (RÉSÔD).
CGé demande que soient particulièrement soutenues par des ressources adaptées les écoles qui :
« Gare aux malentendus ! Déjouer les pièges pour faire apprendre » (2022)
Enseigner plus explicitement pour faire reculer les inégalités ?
Vigilance didactique, mais surtout sociale
Construire du commun pour apprendre
Au cœur du Pacte, la tache aveugle
Diriger une école : un acte politique ?
Une mesure phare du Pacte est l’établissement d’un tronc commun jusqu’à y compris la troisième année du secondaire. En théorie, cette mesure représente un énorme potentiel capable d’améliorer les apprentissages d’un plus grand nombre d’élèves et donc de réduire les inégalités scolaires. L’objectif doit clairement être que tous les élèves sortent du tronc commun avec la même base d’acquis, qu’ils s’orientent par la suite vers le qualifiant, ou vers l’enseignement de transition.
Mais ce tronc commun représente aussi un très grand défi. On passe d’un système sélectif à un système qui soumet l’ensemble des élèves aux mêmes apprentissages, sans trier ces élèves selon leurs capacités à un moment donné.
Cela implique donc tout d’abord une plus grande hétérogénéité des écoles et des classes, avec également une mixité sociale potentiellement plus grande. Cela veut donc dire gérer cette hétérogénéité, et tenir compte des multiples rapports au savoir.
Il est indispensable de revisiter les référentiels pour encourager les pratiques d’apprentissage transversales qui prennent au sérieux les questions que se posent les élèves et leur donnent des savoirs et compétences qui leur permettent d’y répondre. Les référentiels actuels ont manqué d’ambitions face aux pressions des représentants des différentes disciplines et ne se sont pas assez libérés des approches purement disciplinaires qui considèrent les apprentissages comme des successions d’empilements de savoirs désincarnés. Cette conception des apprentissages est non seulement incapable de permettre aux élèves de renouer avec le plaisir d’apprendre, de redonner du sens à leurs apprentissages, mais favorise les familles favorisées en déléguant aux familles le soin de reconstruire le sens en questionnant les apprentissages à l’aune des préoccupations des élèves.
Cgé est intervenu dans l’élaboration des référentiels de tronc commun qui représentaient une grande opportunité pour repenser les apprentissages et les orienter vers l’angle du potentiel d’émancipation et des savoirs transversaux et pour rompre avec une conception élitiste des apprentissages qui considère que la qualité de l’enseignement se mesure en quantité de tranches de savoirs additionnés. Malheureusement, nos efforts ont été vains et nous nous trouvons devant des référentiels à transversalité très limitée, voire absente, et conçus comme une addition d’attendus certes mesurables mais dont on peine à saisir la pertinence globale. On retrouve donc dans les référentiels cette conception d’un parcours scolaire constitué de filets dont les mailles sont de plus en plus étroites, dont la justification est fondée sur un pseudo « niveau à maintenir, voire remonter » mais qui implicitement veut surtout s’assurer de conserver la mission latente de l’école : sélectionner et trier, hiérarchiser les parcours, distribuer des places inégales.
CGé demande donc une révision des référentiels pour augmenter leur potentiel émancipateur et le niveau de compétences critiques de tous les élèves.
CGé demande que l’ensemble du corps enseignant soit formé à ces enjeux d’hétérogénéité, de la diversité des rapports au savoir et de langue de scolarisation (FLSco) afin que les dispositifs appliqués dans tous les cours prennent en compte ces enjeux.
De plus, en ce qui concerne le dispositif FLA, CGé demande que les moyens qu’il génère soient concentrés dans les écoles à classe ISE bas pour soutenir le travail des équipes éducatives qui en ont le plus besoin. En effet, la langue de scolarisation est souvent plus difficilement accessible pour les enfants de milieu populaire ce qui réduit leurs chances d’acquérir les savoirs nécessaires.
Plus spécifiquement, si le dispositif « Français Langue d’Apprentissage (FLA) » permet de pallier partiellement ce problème, CGé estime que le besoin n’est pas tant de prévoir des cours et enseignants dédiés, que de s’assurer d’une attention de tous les enseignants et de toute l’école aux apprentissages spécifiques de la langue de scolarisation, dans toutes les disciplines scolaires, ainsi qu’aux malentendus qu’elle génère. L’enjeu est de permettre à tous les élèves dans tous les cours de partager une langue commune comprise et maîtrisée par tous et toutes. CGé demande que des moyens importants soient mis en œuvre pour s’assurer que tous les enseignants soient sensibilisés et formés à cette problématique essentielle.
Là où les difficultés liées soit aux rapports aux savoirs et au FLSco, soit à la grande hétérogénéité scolaire et sociale, sont particulièrement grandes, il est important d’améliorer le ratio entre le nombre d’enseignants effectivement devant une classe et le nombre d’élèves. De nouveau, les écoles à classe d’ISE basse doivent avoir priorité pour de telles mesures.
Vu le faible niveau d’information disponible sur la réalité de terrain de la taille effective des classes, CGé demande également un travail de récolte de données sur les tailles de classes effectives selon les niveaux, filières et matières. Il semble en effet important de se préoccuper des conditions de travail qui rendront possibles les changements de postures et de pratiques voulues par le Pacte.
De même, le Pacte a été pensé comme un tout, avec une multitude de réformes qui se suivent à un rythme élevé. Il est important à tout moment de mesurer la charge de travail supplémentaire que représente l’appropriation individuelle et collective de ces réformes pour les équipes éducatives et d’en tenir compte afin d’éviter une réaction de rejet. Si une meilleure communication sur les fondements des changements attendus telle que mentionnée plus haut contribuera aussi à une acceptabilité plus grande, il ne faut pas pour autant négliger le fait que la qualité de l’implémentation des mesures du Pacte est fortement dépendante de l’anticipation des conditions objectives dans lesquelles elles sont réalisables.
Amener un système scolaire organisé en filières différentes à partir du début du secondaire vers un système de tronc commun oblige aussi à repenser fondamentalement l’organisation des établissements scolaires. Pour assurer une vraie équité scolaire, il est souhaitable de créer une continuité du parcours de tronc commun au sein d’une même école. De même, il est impensable d’organiser ce tronc commun dans des écoles qui, après, développent l’une ou l’autre des filières post-tronc commun. Il est donc indispensable de planifier une réorganisation des établissements de façon à séparer les écoles de tronc commun des écoles post-tronc commun.
Le Pacte a mis en œuvre toute une série de réformes dans la gouvernance du système scolaire. Le système belge francophone est très complexe avec une multitude d’acteurs qui ne représentent pas les mêmes intérêts, rendant les réformes plus difficiles. CGé regrette que le Pacte n’aille pas plus loin dans la refonte de ce système, et qu’il maintienne voire renforce la mainmise des réseaux.
Les Plans de Pilotage ont un grand potentiel pour induire du changement dans la durée dans les postures et les pratiques des acteurs.
Cependant, CGé constate une série d’angles morts dans ces plans de pilotage :
CGé demande donc que les dispositifs d’élaboration des plans de pilotage puissent évoluer pour faire plus de place à ces aspects (mettre au travail une amélioration décisive de la relation Ecole-famille, prendre en compte les causes qui renvoient à des responsabilités exogènes, ouvrir un débat constructif sur les méthodes pédagogiques au sein des équipes pédagogiques).
Par ailleurs, le contenu et l’audace des plans de pilotage dépendent très fortement des DCO en charge de leur suivi. CGé demande donc une formation accrue des DCO pour leur mettre en main les clés de lecture et des outils nécessaires pour tenir compte de ces aspects.
La concurrence entre les écoles induit des stratégies de positionnement des écoles qui sont responsables d’une offre scolaire très inégale et défavorables aux enfants des familles de milieu populaire. Le Pacte ne fait actuellement rien pour s’attaquer à ce qui est probablement une des causes structurelles les plus importantes des inégalités qu’il prétend combattre.
Dans ce contexte, CGé demande que le pilotage zonal soit pris comme opportunité pour limiter le marché scolaire et coordonner entre écoles un mouvement vers la mixité sociale. Les instances locales d’inscription ne semblent pas suffisantes pour assurer ce mouvement.
L’instance de pilotage zonale devrait également permettre au Pouvoir Régulateur d’impulser une diminution de la concentration des classes DASPA dans les écoles à classe ISE faible. Il n’est pas acceptable que ce soient les écoles qui travaillent avec les publics les plus en difficultés qui doivent en plus accueillir la grosse majorité des classes DASPA.
Dans ce contexte, une grande question non résolue reste la question du lien entre la gestion des inscriptions, pour l’instant selon une logique primaire – secondaire, et le tronc commun à cheval sur ces composantes. CGé demande donc que la continuité du tronc commun ait priorité sur la logique des inscriptions en début du secondaire.
CGé soutient l’initiative citoyenne: « Une place pour chaque enfant dans une bonne école » qui permet d’inverser la logique des inscriptions sans contrevenir à la Constitution. CGé soutient la demande d’un décret inscription proposant à chaque enfant, dès l’école maternelle, une place garantie dans un établissement de proximité et socialement mixte.
« Faire face aux difficultés » (2021 – 2022)
Trois articles issus du supplément de notre revue TRACeS de ChanGements #244
Pour piloter, faut être instruit
Pouvoir
Engagé ou complice
La formation initiale des enseignants doit répondre aujourd’hui à deux enjeux nouveaux et primordiaux. Elle doit former des enseignants capables de réussir le Tronc Commun et donc d’exercer un métier qu’eux-mêmes n’ont jamais connu, dans une école dont la finalité n’est plus l’orientation par la sélection, mais l’égale réussite de tous. Elle doit aussi prévenir, et à tout le moins ne pas aggraver, la pénurie d’enseignants.
Voilà qui est nouveau et très exigeant pour la RFIE. En effet, l’écart est énorme entre, à l’entrée, le niveau de formation (compétences langagières notamment) et les représentations du métier et, à la sortie, le niveau de compétences et le projet professionnel. Et l’écart est grand également entre le niveau de ressentiments à l’école aujourd’hui et le plaisir et la dignité du métier nécessaires à un recrutement important en nombre et qualité.
Nous craignons que la RFIE telle qu’elle s’engage à la rentrée 2023 ne réussisse pas à combler ces deux écarts et ainsi mette en danger la réussite du Tronc Commun et aggrave encore la pénurie d’enseignants. Comme trop souvent, le décret de la RFIE se paie de mots : les objectifs, en termes de compétences professionnelles (article 5) sont excellents, ambitieux et généreux, et à même de combler les deux écarts cités. Nous ne pouvons qu’encourager le prochain gouvernement à confirmer ces objectifs mais en l’adjurant de trouver les moyens qui permettraient de les poursuivre.
La valse hésitation pour l’application de la réforme et sa modification au rabais, l’enveloppe toujours fermée, les concurrences entre instituts de formation, le marchandage des crédits entre universités et hautes écoles, tout cela fait qu’on aboutit aujourd’hui à une formation dont les étudiants peineront à trouver le sens et la cohérence.
Nos revendications visent à permettre aux formateurs d’enseignants de poursuivre les objectifs de la RFIE, de répondre aux objectifs du Pacte et de prévenir la pénurie en rendant plaisir et dignité au métier d’enseignant.
L’enseignement supérieur souffre d’une enveloppe fermée depuis trop longtemps. Si nous voulons une FIE digne des objectifs énoncés dans le Pacte, alors un refinancement de cette formation nous paraît indispensable.
En plus d’un refinancement structurel, la mise en place du Pacte exige un financement spécifique. Une réforme comme le Pacte est très ambitieuse. Penser pouvoir la mener sans un renforcement significatif de la formation initiale est un leurre. Même sans réforme de la FIE elle-même, des moyens supplémentaires auraient été nécessaires pour préparer les futurs enseignants à tous les nouveaux défis (co-enseignement, accompagnement personnalisé, FLA, gestion de l’hétérogénéité en classe, etc). Mener une réforme de la FIE en même temps exige les moyens pour assurer une transition qui ne détruit pas l’outil.
La réforme de la formation initiale était l’occasion de revoir fondamentalement la philosophie, mais aussi le déroulement de celle-ci. Le consensus était clair : il faut 5 ans pour une formation suffisante, notamment si on souhaite articuler expérimentation pratique et théorisations. La réduction à 4 ans a mené à une réforme réduite, qui morcèle plus l’apprentissage qu’il ne l’oriente vers un tout cohérent.
Au lieu d’envoyer les étudiants d’un lieu à l’autre, avec un passage entre les logiques universitaires et les logiques du supérieur de type court, il faudrait penser une formation cohérente et homogène, qui inclut les expertises respectives mais dans une vision d’ensemble réellement orientée vers les besoins de formation des enseignants.
Enseigner est un des métiers les plus importants pour la société et aussi un des plus difficiles. Passer une journée en classe à être le centre d’attention d’une bonne vingtaine d’enfants tout en veillant à ce que chaque élève apprenne le nécessaire est un défi au quotidien, quel que soit le niveau d’enseignement. Il faut donc arrêter cette différenciation injuste entre enseignants et, en lien avec une vraie réforme de la formation initiale, valoriser toutes les carrières dans le métier par le barème du master en 5 ans.
Tant à travers la répartition des crédits entre universités et hautes écoles qu’à travers la conception trop répandue de l’enseignement des savoirs, la formation initiale juxtapose des cours théoriques qui ne prennent que peu de sens pour les étudiants et des pratiques de classe qui ne sont que des tentatives de se conformer aux consignes souvent contradictoires des formateurs et des maîtres de stage. Cette incohérence risque d’être renforcé par un des grands défauts la réforme actuelle qui réduit encore les possibilités de valoriser les apprentissages par la pratique. Les stages sont mal répartis sur le cursus et l’accompagnement des stagiaires est dépourvu de moyens nouveaux. Résultat : il y aura un suivi de ces stages, mais avec un feedback qui risque de rester fort aléatoire et une possibilité de réflexivité insuffisante.
Il s’agirait au contraire, dès le début de la formation, de pousser les étudiants à théoriser leurs pratiques et à expérimenter les théories, ce qui est bien plus que la sempiternelle incantation du lien théories -pratiques. Les étudiants doivent pouvoir expérimenter réellement tel ou tel type d’enseignement, vivre aussi plus et mieux dans la durée avec des élèves, prendre conscience de leurs réalités sociales et culturelles et mieux comprendre leurs rapports au savoir. Pour cela, il faut donner les moyens à la FIE de conclure de vrais partenariats avec les écoles de l’enseignement obligatoire en valorisant dans le métier des enseignants l’accompagnement des stagiaires.
La FIE doit être pensée et organisée pour faire vivre pendant les études ce que l’on est censé appliquer ensuite, pour permettre aux étudiants de rentrer dans une approche socio-constructiviste des apprentissages. Pour former des enseignants capables de travailler en collaboration avec leurs collègues et d’ainsi participer à la transformation de l’école dans le sens du Pacte, la formation initiale doit comporter un ensemble de pratiques de travail en groupe et de mise en pratique pour soi-même, tout en assurant un ensemble cohérent d’apprentissages théoriques solides tant en didactique des disciplines et en pédagogie qu’en psychologie, en sociologie générale et de l’éducation, de pratiques dans les classes et de retours réflexifs en formation, de mises en projets collectifs du type recherches-actions sur les réalités scolaires et de projets personnels de réelles expérimentations comme praticien-chercheur.
La rediffusion de notre conférence-débat (Apéros de l’éducation) portant sur le thème de la RFIE
Le numéro #250 de notre revue TRACeS de ChanGements portant sur le thème : « Difficultés professionnelles »
Un des plus grands défis de la législature à venir et plus généralement pour la mise en œuvre des réformes du Pacte sera la pénurie d’enseignants. Cette pénurie représente un carcan qui limite fortement les marges de manœuvre tout en mettant à mal toute la logique du système de formation des enseignants. Les raisons à l’origine de cette pénurie sont clairement multiples, allant d’une dévalorisation du métier, d’une surcharge croissante des enseignants, limitant les moments d’échange et de solidarité, menant à une usure beaucoup trop rapide des jeunes enseignants et à l’isolement de l’ensemble des enseignants, mais aussi la déstructuration de la formation initiale déjà mentionnée.
CGé demande donc une attention particulière aux enseignants débutant sous forme d’accompagnement actif et d’aménagement des horaires. Comme déjà mentionné, CGé demande l’organisation effective de Communautés d’Apprentissage Professionnel pour sortir les enseignants de l’isolement.
Plus généralement, CGé demande d’introduire dans les horaires des enseignants des moments d’échanges et de travail collaboratif, ainsi que des moments de disponibilité pour les élèves et familles les plus fragilisés.
Dans la communication sur le nouveau paradigme porté par le Pacte, nous demandons également un travail de valorisation sociétale positive du métier d’enseignant.
Un aspect du Pacte qui crée beaucoup de polémique est l’évaluation des enseignants. CGé a pris position dans le débat sur l’évaluation des enseignants sous forme d’une carte blanche.* Pour CGé, on se trompe de priorités avec ce dispositif, et on individualise la réflexion sur ce qui fonctionne ou pas.
Nous demandons, au contraire, l’institutionnalisation d’un collectif d’apprenants entre enseignants, et une vraie démocratie à l’école qui constitue le levier indispensable pour commencer à se parler vraiment de ce qui va bien et de ce qui ne va pas entre tous les groupes d’acteurs concernés par ce lieu d’apprentissage et de vie qu’est une école.
Quand ça ne va pas pour une école, notamment pour les écoles en dispositif d’ajustement (EDA), une telle approche démocratique, intégrative de l’ensemble des acteurs (donc aussi parents, associations de quartier, etc.) et adaptée aux réalités locales est indispensable. C’est pour cela que CGé demande de ne pas imposer comme seule voie possible la « evidence-based education » et la pédagogie explicite qui, pour nous, limite trop fortement le champ des apprentissages.*
* Voir le numéro spécial de notre revue TRACeS de ChanGements #260
Dans la pratique, les enseignants et directions souffrent aussi d’une augmentation des exigences administratives de justification de leurs pratiques et de la perte considérable de temps et d’énergie que cela implique. CGé soutient fortement la notion de réflexivité des équipes pédagogiques, dans un objectif d’amélioration de leurs pratiques, mais demande que cette réflexivité soit construite par les équipes en tant que véritables communautés d’apprentissage, et que soient prévus dans l’horaire des enseignants les temps nécessaires à cette réflexivité.
Changer de posture en renonçant au jeu de la sélection basée sur l’appartenance sociale demande, pour beaucoup d’enseignants en cours de carrière, non seulement de changer de regard sur leurs élèves et sur leurs pratiques, mais aussi de croiser ces regards avec d’autres enseignants pour faire advenir une culture commune capable de réduire la reproduction par l’École des inégalités sociales. La formation continuée est l’espace-temps dévolu à cette mission. Il importe que toute formation donnée aux enseignants envisage d’emblée et comme un parcours de formation, tous les éléments qui augmenteront les chances de produire les changements attendus dans les pratiques, au sein des classes. Pour qu’elle soit efficace, la formation continue doit veiller à ouvrir toutes les portes du changement.
Le nouveau décret de la formation continuée et sa mise en œuvre devraient donner un nouveau souffle à la formation continuée. Mais les carcans institutionnels et organisationnels ont la vie dure. Les réseaux et l’IFPC se partagent la tâche. Au niveau formel, les offres doivent être complémentaires et non-concurrentielles. Dans la pratique, les enseignants doivent trouver le sens du parcours de formation prévu par les plans de formations des écoles.
Nous rappelons également que les Communautés d’apprentissages, sont des espaces-temps extrêmement puissants pour faire évoluer les regards et donc avancer vers le changement de paradigme.
Il est urgentissime que les conditions soient réunies pour que ces Communautés d’Apprentissage Professionnelles (CAP) puissent être organisés.
En attendant qu’un tel projet puisse voir le jour et pour contribuer à le faire advenir, il est indispensable que les formateurs des différents réseaux et de l’IFPC puissent se rencontrer, s’échanger difficultés et pratiques, réfléchir collectivement des parcours de formation qui fassent sens entre les différents acteurs. CGé insiste pour que ce soit bien des rencontres entre praticiens et que ceux-ci puissent partir de leurs différentes réalités pour élaborer des parcours réalistes.
Pour que les formateurs puissent être crédibles quand ils invitent les enseignants à prendre le temps et ajuster leurs pratiques, il est indispensable de penser des dispositifs de formation qui puissent s’organiser autrement qu’en deux jours pour une équipe ou un groupe de travail, avec un contenu prédéfini et un canevas établi avant même d’avoir rencontré les participants.
Toute l’attention a été portée jusqu’à maintenant sur l’organisation du tronc commun. Ce n’est que depuis peu qu’un groupe de travail a été lancé pour réfléchir à l’enseignement de transition après le tronc commun, et qu’un rapport a été publié sur l’évaluation du qualifiant. Rappelons ici que l’objectif est clairement que le tronc commun forme l’ensemble des élèves suffisamment pour qu’ensuite ils puissent choisir librement leur orientation. Si cette condition n’est pas respectée, et si l’orientation est donc le résultat d’une sélection, la notion développée dans le Pacte d’« approche éducative de l’orientation » perd son sens et il n’y aura pas de revalorisation de la filière qualifiante.
Un deuxième principe important pour CGé est que chaque filière reste une forme d’enseignement la plus générale possible. L’enseignement qualifiant n’est pas de la formation professionnelle, il ne vise pas simplement une mise au travail, ni un apprentissage partiel de quelques savoirs, procédures ou techniques qui rendent l’élève apte à occuper un poste de travail, le rendant ensuite dépendant de niches particulières, et pas nécessairement durables, du marché du travail.
L’enseignement qualifiant vise à apprendre un métier. Pourtant les métiers évoluent sans cesse. Apprendre comment utiliser les outils d’aujourd’hui dans les processus d’aujourd’hui sans avoir une capacité de réflexion sur ces outils et processus limitera ces apprentissages à un usage très limité dans l’immédiat, en espérant qu’ils ne soient pas déjà dépassés au moment où l’élève sort de l’école. Il faut donc surtout former les jeunes à pouvoir s’adapter aux évolutions avec une capacité de méta-réflexion et de recul critique nécessaire pour pouvoir faire des choix raisonnés à l’avenir.
L’économie évolue sans cesse. Ce qui est le métier en pénurie d’aujourd’hui peut assez rapidement devenir redondant. Cela ne peut donc pas être le rôle de l’enseignement de s’adapter en permanence aux besoins des entreprises en supprimant et créant des options à haute fréquence.
Même s’il est évident qu’il n’est pas acceptable de former des jeunes pour des métiers sans aucun débouché sur le marché de l’emploi, la conception des options qualifiantes doit permettre un apprentissage des bases nécessaires pour s’adapter à de nouveaux métiers, en laissant aux entreprises le soin d’assurer l’adaptation des connaissances apprises à leurs besoins spécifiques.
L’enseignement a d’abord l’objectif de former des jeunes de façon à leur donner les capacités nécessaires de faire des choix propres quant à l’évolution de leur vie et de leur carrière. Cela inclut la nécessité d’un solide apprentissage des contenus des cours généraux et le développement d’un esprit critique permettant leur émancipation. Il ne faut donc en aucun cas réduire l’apprentissage général aux stricts besoins aujourd’hui dans un métier particulier, mais bien garder à l’esprit que l’enseignement obligatoire vise d’abord et surtout à former des êtres humains et des citoyens avant de former des travailleurs.
L’enseignement obligatoire a une mission claire pour les jeunes en âge de scolarité obligatoire mais aussi pour celles et ceux qui terminent cette scolarité au-delà de l’âge de l’obligation. Il incombe donc à cet enseignement obligatoire de fournir la formation de l’ensemble de ces jeunes, sans être soumis à la concurrence privée extérieure.
L’état de certains bâtiments scolaires est désastreux, que ce soit dans le qualifiant ou dans l’enseignement de transition. Mais dans le qualifiant s’y ajoute la question de l’adéquation de ces bâtiments aux travaux plus manuels, aux machines, etc, nécessaires pour l’apprentissage qualifiant. De même, trop d’ateliers ont des équipements vétustes ou dépassés, qui ne permettent pas une formation adéquate des jeunes aux besoins de notre temps. Au-delà de l’adéquation du matériel aux besoins, un environnement digne est aussi un signe indispensable de respect pour les jeunes et pour les enseignants.
Aujourd’hui, le qualifiant est souvent vu et vécu comme une voie de dernier recours, après échec dans d’autres filières. Dans cette optique, il est souvent considéré comme normal et acceptable que cet enseignement ne mène qu’à un diplôme professionnel, sans aucune possibilité d’évolution différente.
Nous trouvons cette vision inacceptable. Les enfants en âge scolaire connaissent souvent des évolutions significatives au cours de leur adolescences. Il ne faut donc jamais leur fermer des portes sous couvert d’une soi-disant faveur qu’on leur ferait à ne pas trop les embêter avec des cours qui ne les intéressent pas. L’enseignement qualifiant doit avoir l’ambition d’amener chaque jeune dans une position où elle ou il peut choisir de continuer dans le métier appris ou alors de rejoindre des filières d’étude supérieur, en passant par la possibilité d’obtenir le CESS.
Dans l’optique de possibles passerelles et pour éviter de créer deux voies complètement séparées et étanches l’une vers l’autre, il est important de penser les réformes respectives de l’enseignement de transition et de l’enseignement qualifiant comme un tout, avec un soucis permanent de garder ouverte les portes entre les deux.
Les équipes éducatives et les écoles ne peuvent se contenter de réformes aux objectifs généreux qui n’ont pas les moyens de leurs ambitions.