Avec une particularité tout de même. Il a fait le choix de renouer avec la tradition du roman-feuilleton, écrivant semaine après semaine un nouveau chapitre qui, depuis le 13 juillet, est publié dans Liberté Actus.
Un exercice difficile et besogneux, tant il faut être méthodique pour garder le rythme tout en tenant son récit et son histoire. Après 26 chapitres, il conclut cette aventure. Entretien.
Voilà 26 semaines que tu écris, jour après jour, ce nouveau roman. Un roman historique qui plus est. Cela exige de nombreuses sources. Peux-tu nous en dire un peu plus sur l’aspect « historique » de ton travail d’écrivain ?
Philippe Pivion : Oui, bien sûr. Dès lors que j’ai l’objectif d’écrire un roman historique, je commence la recherche de documentation. Ce qui est pratique avec ce genre de roman, c’est que je sais quand il s’arrêtera, en l’occurrence pour celui-ci, le 26 août 1939. Après, je recherche ce qu’il y a de plus pertinent pour le début. Avec La fête est finie !, je voulais donner à comprendre au lecteur que la fin de 1938, avec l’échec de la grève générale, avait porté un coup très sévère au mouvement ouvrier.
Tu parles des arrestations ?
P.P : Oui, la mémoire collective a gommé ce passage. Or, avec les arrestations, c’est le début d’un fichage des militants, c’est une répression jamais vue depuis très longtemps à ce niveau de condamnations, trois mille ! Pour cela, je lis la presse de l’époque. C’est très instructif. Puis, je me documente aux Archives nationales.
Mais je voulais aussi parler de la bataille de Khalkhin-Gol, évènement structurant, complètement mis de côté dans la narration qui conduit au pacte de non-agression Germano-soviétique. Les archives du quai d’Orsay m’ont été très précieuses. Puis, selon les besoins, je me dirige vers d’autres archives, celles de Bobigny pour le Parti communiste, celles du Musée d’Histoire vivante de Montreuil pour Renoult, Duclos. Bien évidemment, je complète avec la lecture d’une quantité impressionnante de livres historiques, mémoires, souvenirs, etc.
Quand j’ai tout cela, je tisse une histoire d’amour ou policière pour donner le fil conducteur et l’aspect romanesque.
Cela te demande beaucoup de temps ?
P.P : Rires. Oui, d’autant que tu m’as pris au dépourvu ! Lorsque nous nous sommes vus en mars 2024, je n’avais évidemment pas écrit une ligne, ni bouclé ma documentation. Cela faisait certes 2/3 ans que je pensais à ce livre, mais je n’étais pas prêt. D’ailleurs, j’avais envisagé lors de notre rencontre de pouvoir mettre dans la narration un personnage de votre région, comme Arthur Ramette. Je n’en ai pas eu le temps ! Il fallait passer tout de suite à l’écriture pour pouvoir publier les premières feuilles en juillet et coller au lancement de Liberté Actus !
Il y a des contraintes avec la forme de feuilleton ?
P.P : Oui et non. Pour ce cas, oui, car je n’avais rien écrit et je devais fournir toutes les semaines un chapitre d’environ 20 000 signes. Mais quand tu écris et que c’est publié, tu ne peux plus corriger. Tu es contraint à aller de l’avant même si tu as commis une erreur dans la narration. C’est le plus difficile ! S’assurer de ne pas conduire ton roman dans une impasse. Ensuite, il faut produire ! Une semaine, ça file vite ! Alors pas le temps de se reposer, de passer à autre chose. Tous les samedis matin, je devais t’envoyer mon travail. Pas question d’être souffrant, de flemmarder, le lecteur attend !
Permets-moi de dire un grand merci à tous ceux qui m’ont aidé dans cet exercice. D’abord les amis de la fédération PCF du Pas-de-Calais, de la rédaction de Liberté Actus, puis, mes amis qui me corrigeaient historiquement, grammaticalement (je suis nul en français !). Je ne peux les citer ici tous, mais ils ont été formidables !
Tu choisis de redonner vie à de nombreux personnages de premier plan, tels que Maurice Thorez, Jacques Duclos ou bien évidemment Daniel Renoult. On imagine aisément qu’il n’est pas si facile d’interpréter, dans une œuvre de fiction, ce qu’ils auraient pu dire à tel ou tel moment, ou bien même de décrire certains passages de leur vie privée. Là aussi, tu travailles à partir de sources ?
P.P : Alors là, tu touches à la partie la plus difficile de mon travail, faire parler des personnages connus parfois négativement dans le monde entier. Ainsi ce n’est pas simple de faire parler Staline, chaque mot doit être soupesé, la manière dont il s’adresse à une personne aussi, d’autant que nous n’avons pas de transcription, par exemple, des échanges avec Vorochilov. C’est la documentation qui permet d’écrire ses dires. Parmi ses contemporains, des généraux ont évoqué comment il était, comment il s’adressait à ses visiteurs. C’est un équilibre précaire…
L'intégralité du roman disponible ici :
La fête est finie !Pour d’autres personnages, comme Georges Bonnet, ou Joseph Barthélemy, je prends des lettres, des télégrammes, des bouts de leurs mémoires pour les mettre dans mon roman. À partir de cela, j’imagine ce qu’ils ont certainement dit. Enfin, pour la vie privée des personnages historiques, j’invente avec prudence. Par exemple, Daniel Renoult était marié avec Alice, une femme plus âgée que lui, souffrante. J’ai rencontré des contemporains de cet homme, passionnant au demeurant, et l’un m’a dit en me faisant un clin d’œil : « Eh, tu sais, Renoult, il regardait les femmes… ». Alors, je ne porte pas de jugement, mais cela me permet de mettre un peu de chair et de psychologie autour de personnages historiques. En un mot, de les rendre humains, crédibles, sans altérer le contenu de l’Histoire. Pour le lecteur, cela donne une fluidité à la narration et permet d’imaginer la vie des gens disparus.
Enfin, pour finir, un mot pour les lecteurs de Liberté qui ont suivi semaine après semaine La fête est finie ! ?
P.P : Tu vois, si ce roman en feuilleton a permis aux lecteurs de comprendre une époque, de trouver des mécanismes réels de faits historiques et non pas une histoire fabriquée pour satisfaire des visées politiques, une histoire révisionniste, alors je suis satisfait. Car, a-t-on souvent mis, comme j’ai tenté de le faire, en relief TOUS les mécanismes qui conduisent au pacte Germano-soviétique ? Non, et pourtant, dans ce livre, au sens historique, tout est vrai !
Alors, si ce roman, n’a pas une fin, il a une conclusion, car beaucoup de réalités sont oubliées de cette période somme toute pas très ancienne, et je compte y revenir. J’ai commencé mes recherches pour la suite, ce sera Les parias. Et comme j’ai choisi aussi de rendre hommages à ceux qui, avec leur tête et leurs tripes, s’engageront pour l’honneur de la France et pour leur volonté d’émancipation des peuples, le titre général de cette fresque en forme d’hommage sera « Les Camarades ».
La fête est finie ! sera disponible en librairie courant mai 2025 (éditions Le temps des cerises).