Droit philippin
Le droit philippin est l'ensemble des normes constitutionnelles et législatives s'appliquant aux Philippines. Son histoire est faite de l'interaction entre les pratiques autochtones et l'administration coloniale espagnole puis américaine.
Histoire
[modifier | modifier le code]Avant la colonisation
[modifier | modifier le code]Règne hispanique
[modifier | modifier le code]C’est sous le derecho indiano de l’empire espagnol que les premières peines de mort sont attestées aux Philippines[1].
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L’ancienne casa tribunal de Tuguegarao.
XVIe siècle
[modifier | modifier le code]L’histoire de l’esclavage dans les Philippines espagnoles (en) débute avec l’introduction du système de l’encomienda. Par ailleurs, en vertu de la corvée de polo y servicio (en), les colons obligent tous les hommes autochtones adultes à 40 jours de travail forcé par an[3].
Dans les années 1580, le synode de Manille rassemble des ecclésiastiques, qui reprochent aux autres colons espagnols d’être injustes et cruels envers les autochtones. Notamment, ils accusent les encomenderos de ne pas respecter les lois en vigueur, et ils se plaignent des libertés prises par le gouverneur quant à l’administration de la justice. Les actes de ce synode reprennent l’idée commune à l’époque selon laquelle les lois du roi espagnol sont forcément justes, et que les affres de la colonisation sont la faute de la corruption des administrateurs de chaque localité[4].
L’audience royale de Manille est créée en mai 1584. De nombreux conflits éclatent entre les juges et le gouverneur, ainsi qu’avec l’Église catholique, principalement des querelles de pouvoir personnelles. Le gouverneur fait dissoudre l’audiencia en 1590. Les élites de Manille protestent, et obtiennent du roi le rétablissement du tribunal en 1596. Rapidement, les mêmes tensions resurgissent[5].
En 1594, un décret royal, réclamé par Juan de Plasencia (en) et Domingo de Salazar, décide que les litiges entre autochtones seront désormais jugés par les principales, c’est-à-dire des chefs locaux. Cette reconnaissance façonne le développement de la justice de barangay[6].
XVIIe siècle et XVIIIe siècle
[modifier | modifier le code]Au sein du système judiciaire colonial, une attention particulière est portée au contrôle des Chinois, parce qu’ils sont perçus comme des étrangers dangereux pour l’ordre espagnol. Ainsi, par exemple, un décret royal tente de faire expulser les Chinois de Manille en 1782. Toutefois, sous l’influence des marchands chinois, la gouverneur finit par contourner le décret en permettant de rester à tous ceux envers lesquels la Couronne a des dettes[7]. Le tribunal principal en charge des Chinois est le tribunal de Sangleyes (en). Cette cour de justice spéciale apparaît au XVIIe siècle, lorsque la Couronne espagnole accorde des privilèges de juridiction (appelés fueros de extranjeros) aux nobles chinois du quartier de Parián (en) à Manille. De manière ambigüe, le tribunal de Sangleyes est considéré comme servant directement le pouvoir royal impérial, mais il est aussi censé être une institution obéissant à la culture chinoise. Les membres du jury sont appelés bilangos. Cette institution perdure jusqu'à la fin de la période espagnole, au XIXe siècle[8].
Au XVIIe siècle et XVIIIe siècle, l’Église catholique tente d’interdire les pratiques autochtones qui s’apparentent à la dot, en vain[9]. Deux théologiens de l’université de Santo Tomas s’intéressent particulièrement aux stratégies afin de faire changer les pratiques filipino du droit matrimonial, en s’inspirant de l’école de Salamanque[10].
Au cours du XVIIIe siècle, les vols de carabao deviennent très fréquents. En 1782, le gouverneur édicte le Bando de Carabaos, une loi qui instaure le traitement des carabaos comme des objets de propriété privée à travers un système d’enregistrement et de marquage au fer[11].
XIXe siècle
[modifier | modifier le code]Au long du XIXe siècle, les jeux d’argent, auparavant considérés comme un crime grave, sont peu à peu légalisés[12].
Les juges sont très corrompus au XIXe siècle dans les Philippines[13].
Vers la fin du XIXe siècle, à Manille, les archives judiciaires montrent que les femmes déposaient des plaintes au tribunal pour des vols ou des kidnappings, étaient accusées de vol, d’escroquerie ou d’atteintes à l’intégrité corporelle, et ne servaient que rarement de témoins dans les affaires de viol[14].
Période des États-Unis
[modifier | modifier le code]Lors de la prise de pouvoir des États-Unis dans l’archipel, l’administration américaine tient un discours selon lequel le nouveau régime va permettre de moderniser le système judiciaire et surtout de garantir l’application régulière de la loi. Selon le chercheur Alexis Ian Dela Cruz, cette prétention correspond en réalité surtout à une intensification du système policier colonial aux Philippines, et à un passage à une idée plus paternaliste de l’autorité métropolitaine[15]. Selon l’historien Timothy Foley, les promesses des USA de créer un pouvoir judiciaire impartial servent expressément à masquer et justifier l’arbitraire de la domination coloniale[16]. Le juriste Owen J. Lynch Jr. décrit un « plan secret » de la part de l’administration américaine. Pour lui, lorsque la commission Taft (en) a lancé des réformes du droit foncier en annonçant vouloir favoriser l’accession à la propriété privée, elle aurait en fait prévu les dysfonctionnements qui sont survenus lors de la mise en œuvre. La véritable intention aurait été de donner une bonne image des États-Unis tout en garantissant que les terres restent aussi disponibles que possible pour des concessions à de grandes entreprises[17].
Dès les années 1900, les USA font construire la colonie pénale d’Iwahig (en) par des forçats filipinos[18]. Ils construisent aussi la nouvelle prison Bilibid, censée servir de principal exemple du durcissement pénal offert à l’archipel[19].
En 1912, George A. Malcolm (en) prend la tête de la première faculté de droit aux Philippines (University of the Philippines College of Law)[20]. Selon les universitaires Bryant Garth (Irvine School of Law [21]) et Yves Delazay (du CNRS [22]), Malcolm crée cette école de droit dans l'idée de former de nouvelles classes dirigeantes où les ilustrados s'allieraient à la bourgeoisie d'affaires américaine. Manuel Roxas et Ferdinand Marcos y obtiennent leur diplôme[23].
Régime militaire
[modifier | modifier le code]Sources du droit
[modifier | modifier le code]Constitution
[modifier | modifier le code]La Constitution est la norme suprême des Philippines, toutes les normes inférieures doivent s'y conformer[24].
Droit international
[modifier | modifier le code]Les Philippines considèrent que les principes généralement acceptés de droit international font partie de son droit interne[25].
Pour être appliqués en droit interne, les traités doivent être approuvés par deux tiers des membres du Sénat[26].
Législation
[modifier | modifier le code]Le pouvoir législatif est confié au Congrès des Philippines, composé du Sénat et de la Chambre des représentants des Philippines[27].
Sources
[modifier | modifier le code]Références
[modifier | modifier le code]- Johnson, David T., and Franklin E. Zimring, '4 A Lesson Learned? The Philippines', The Next Frontier: National Development, Political Change, and the Death Penalty in Asia (New York, 2009; online edn, Oxford Academic, 1 May 2009), https://doi.org/10.1093/acprof:oso/9780195337402.003.0004, accessed 17 Nov. 2024.
- « Department of Tourism - The Philippines Ultimate Travel Guide for Tourist », sur web.archive.org, (consulté le )
- James Loreto C. Piscos, « Human Rights and Justice Issues in the 16th Century Philippines », Scientia - The International Journal in Liberal Arts, (lire en ligne, consulté le )
- (en) Natalie Cobo, « Creating Authority and Promoting Normative Behaviour: Confession, Restitution, and Moral Theology in the Synod of Manila (1582–1586) », dans The School of Salamanca: A Case of Global Knowledge Production, Brill Nijhoff, , 210–244 p. (ISBN 978-90-04-44974-9, lire en ligne)
- Marta M. Manchado López, Manila y su Real Audencia: convivencia y conflicto (1584-1630), Editorial Universidad de Sevilla, coll. « Colección Americana (Seville, Spain) », (ISBN 978-84-472-2874-4, OCLC on1233305652, lire en ligne)
- (en) Abisai Perez Zamarripa, « The Principales of Philip II: Vassalage, Justice, and the Making of Indigenous Jurisdiction in the Early Colonial Philippines », dans Norms beyond Empire, Brill Nijhoff, , 72–101 p. (ISBN 978-90-04-47283-9, lire en ligne)
- Andrew J. Harding, « The Limits of Law in Colonial Settings: A Tsinoy Lessons from 17th Century Manila », Philippine Law Journal, vol. 85, 2010-2011, p. 299 (lire en ligne, consulté le )
- Galang, J. A. (2019). Prosecuting the “Criminals”:“Undesirable” Chinese and Court System in the Nineteenth-century Philippines. Philippine Social Sciences Review, 71(1), https://www.enterprise.upd.edu.ph/index.php/pssr/article/view/8404.
- (en) Marya Svetlana T. Camacho, « “Que los indios no puedan vender sus hijas para contraer matrimonio”: Understanding and Regulating Bridewealth and Brideservice in the Spanish Colonial Period of the Philippines », dans Norms beyond Empire, Brill Nijhoff, , 131–170 p. (ISBN 978-90-04-47283-9, lire en ligne)
- (en) Marya Camacho, « “Mirando las cosas de cerca”: Indigenous Marriage in the Philippines in the Light of Law and Legal Opinions (17th–18th Centuries) », dans The School of Salamanca: A Case of Global Knowledge Production, Brill Nijhoff, , 264–293 p. (ISBN 978-90-04-44974-9, lire en ligne)
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- (en) Greg Bankoff, « Redefining Criminality: Gambling and Financial Expediency in the Colonial Philippines, 1764–1898 », Journal of Southeast Asian Studies, vol. 22, no 2, , p. 267–281 (ISSN 0022-4634 et 1474-0680, DOI 10.1017/S002246340000388X, lire en ligne, consulté le )
- Luis Ángel Sánchez Gómez, « Corrupción y justicia colonial: procesos contra jefes de provincia en Filipinas durante el siglo XIX », 1898, España y el Pacífico: interpretación del pasado, realidad del presente, 1999, págs. 133-146, Asociación Española de Estudios del Pacífico, , p. 133–146 (lire en ligne, consulté le )
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- « Home | UC Irvine School of Law », sur www.law.uci.edu (consulté le )
- « Yves Dezalay », sur Le Monde diplomatique (consulté le )
- Yves Dezalay et Bryant Garth, « L'impérialisme moral: Les juristes et l'impérialisme américain (Philippines, Indonésie) », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. n° 171-172, no 1, , p. 40–55 (ISSN 0335-5322, DOI 10.3917/arss.171.0040, lire en ligne, consulté le )
- Article VIII, section 4(2) de la Constitution
- Article II, section 2 de la Constitution
- Article VII, section 21 de la Constitution
- Article VI, section 1 de la Constitution
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Constitution des Philippines, (lire en ligne)
- Greg Bankoff, Crime, society, and the state in the nineteenth-century Philippines, Ateneo de Manila University Press, (ISBN 978-971-550-203-0)
Compléments
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]Lien externe
[modifier | modifier le code]- Philippines, Globalex