[Toutes les références dans le texte sont en portugais, sauf indication contraire.]
Le 31 octobre, six ans, sept mois et 17 jours après l'assassinat de la conseillère municipale de Rio de Janeiro Marielle Franco et de son chauffeur Anderson Gomes, un jury populaire a condamné deux hommes pour ce crime. Ronnie Lessa et Élcio Queiroz ont été condamnés à des peines de 78 ans et neuf mois et 59 ans et huit mois de prison. Le ministère public, qui avait requis 84 ans de prison, a annoncé qu'il ferait appel.
Ce verdict semble être la première étape d'un long chemin vers la justice pour l'un des crimes les plus marquants de l'histoire politique du Brésil. Depuis la nuit du 14 mars 2018, lorsque la voiture de Franco a été prise dans une embuscade et qu'elle a été assassinée aux côtés d'Anderson, son nom et son visage sont devenus un symbole de la force et des risques que courent les femmes noires en politique dans le monde entier.
Lors de sa sentence, la juge Lúcia Glioche a parlé de la signification de la justice dans cette affaire, affirmant que le jury lui-même est d'essence démocratique et que la démocratie était quelque chose que Marielle a toujours défendu. Elle poursuit :
A Justiça por vezes é lenta, é cega, é burra, é injusta, é errada, é torta, mas ela chega.
A Justiça chega mesmo para aqueles que, como os acusados, acham que jamais vão ser atingidos pela Justiça. Com toda dificuldade de ser interpretada e vivida pelas vítimas, a Justiça chega aos culpados e tira deles o bem mais importante depois da vida, que é a liberdade.
La Justice est parfois lente, aveugle, stupide, injuste, erronée, tortueuse, mais elle est finalement rendue.
La Justice punit même ceux qui, comme les accusés, se croient intouchables. Malgré les toutes les difficultés rencontrées par les victimes dans l'interprétation et l'exercice de la Justice, les coupables sont enfin jugés et doivent renoncer au bien le plus important après la vie elle-même, la liberté.
Dans une interview au journal Folha de S. Paulo, la sœur de Franco, Anielle Franco, qui est actuellement ministre de l'Égalité raciale sous le gouvernement de Luiz Inácio Lula da Silva, a parlé de la signification de la sentence pour sa famille :
A gente preferia mil vezes a Mari aqui. Mas olhar para trás e ver tudo que a gente fez foi um sentimento de que a justiça começou a ser feita, de que a nossa luta tem valido a pena. Mas a nossa dor e a falta da Mari vão continuar.
A justiça chegou para a minha família. Infelizmente, não chega para muitas das famílias do nosso país, mas ali não era só pela Mari, pelo Anderson, era por todos aqueles familiares de vítimas de violência.
Nous aurions mille fois préféré que Mari soit là. Mais en regardant en arrière et en voyant tout ce que nous avons fait, nous avons le sentiment que la justice a commencé à être rendue, que notre combat en valait la peine. Mais notre douleur liée à l'absence de Mari ne disparaîtra jamais.
Ma famille a obtenu justice. Malheureusement, ce n'est pas le cas pour beaucoup de familles dans notre pays, mais cette affaire ne concernait pas seulement Mari, ni Anderson, mais toutes les familles de victimes de violence.
Pendant des années, Lessa et Queiroz, arrêtés en mars 2019, à l’approche du premier anniversaire du meurtre, ont nié être responsables du crime. Leur version des faits a changé en 2023 après avoir signé des accords avec l'accusation, ce qui a permis d'établir qui avait ordonné le meurtre de Marielle. L’accord pourrait également réduire leurs peines de prison.
Lessa et Queiroz sont tous les deux d'anciens policiers militaires. Lessa, qui était un mercenaire, comme l'a rapporté le journal O Globo, avait commandité l'assassinat de Franco le soir du Nouvel An, quelques mois avant son meurtre. Il vivait dans le même complexe résidentiel que l'ancien président Jair Bolsonaro, à Rio, un endroit appelé Vivendas da Barra, où la police a trouvé un arsenal contenant des pièces de 117 fusils.
Selon l'enquête et leurs propres aveux, Lessa, qui a été condamné à une peine plus longue, était la personne qui a appuyé sur la gâchette et tiré sur la voiture de politicienne, tandis que Queiroz était le conducteur chargé d'aligner les véhicules pour l'exécution.
Après l'accord, ils ont affirmé que le crime avait été commandité par les frères Chiquinho et Domingos Brazão, avec l'aide d'un enquêteur de police, Rivaldo Barbosa, identifié comme le cerveau derrière le meurtre. Les trois hommes ont été arrêtés en mars 2024 et ont nié les accusations.
Les deux frères Brazão ont une carrière politique : Chiquinho a été député fédéral, tandis que Domingos est un ancien conseiller municipal et député d'État. Domingos est considéré comme suspect depuis 2019. Les frères et trois autres suspects seront jugés par la Cour suprême (STF) alors que Chiquinho, en sa qualité de député, sera jugé séparément.
Selon le Bureau du Procureur général (PGR), Franco a été tué pour protéger les intérêts financiers d'une milice locale (groupes paramilitaires formés de policiers retraités et en activité à Rio) et pour décourager d'autres actions de l'opposition politique, a rapporté Agência Brasil. Franco était affilié au PSOL (Parti Socialisme et Liberté) [fr], un parti de gauche.
Le père de Franco, Antônio Silva, tel que rapporté par le média Metropoles, a déclaré :
Hoje tivemos uma resposta com a condenação dos réus confessos. Para nós, era de suma importância a condenação deles. Se a Justiça não tivesse condenado esses assassinos cruéis, não teríamos um minuto de sossego. Agora a pergunta que vamos fazer é: quando serão condenados os mandantes?
Aujourd'hui, nous avons obtenu une réponse avec la condamnation des meurtriers. Pour nous, il était extrêmement important qu'ils soient condamnés. Si la justice n'avait pas condamné ces meurtriers cruels, nous n'aurions pas eu une minute de répit. Maintenant, la question que nous nous posons est la suivante : quand les commanditaires du crime seront-ils condamnés ?
Marielle Franco, une femme noire queer, est née et a grandi dans la favela de Maré, l'un des plus grands de la ville de Rio de Janeiro, et a été élue conseillère municipale pour la première fois en 2016. Elle a reçu 46 502 voix, se classant ainsi au cinquième rang des conseillers municipaux ayant obtenu le plus de voix lors de cette élection.
Dans la nuit du 14 mars 2018, elle participait à une table ronde sur les femmes noires dans le centre-ville de Rio lorsque les tueurs se sont approchés de sa voiture en mouvement et l'ont tuée de quatre balles au visage.
Après le crime, la question « Qui a tué et qui a ordonné le meurtre de Marielle et Anderson ? » a fait écho dans les manifestations du monde entier. Un panneau bleu marine, utilisé pour identifier les rues au Brésil et portant son nom, est également devenu un symbole dans les manifestations. Le premier a été installé dans le quartier de la mairie, Cinelândia, mais après sa destruction par un candidat au Congrès, plus de 30 000 panneaux ont été créés et distribués.
Pour perpétuer son héritage et les questions traitées par son cabinet, un institut portant le nom de Marielle a été créé par sa famille, et depuis, plusieurs candidats inspirés par la politicienne se sont présentés aux élections nationales et municipales.
Sa veuve, Monica Benício, est actuellement conseillère municipale réélue depuis 2020, et sa sœur, Anielle, est devenue ministre de l'Égalité raciale dans le gouvernement du président Lula en 2023. La fille de Marielle, Luyara, a déclaré à O Globo :
A minha mãe me ensinou a fazer política de várias formas, não só de forma partidária. Hoje temos o Instituto Marielle Franco e eu estou como diretora de legado, onde nós preservamos a memória dela. A minha forma de fazer política e de estar com os movimentos é essa.
Acho que a dor e o vazio nunca vão embora, eles vão estar aqui eternamente. (…) Só espero que eu continue amadurecendo mais, levando o legado e fortalecendo a história dela, da mesma forma que ela sempre me fortaleceu e faz isso até hoje.
Ma mère m'a appris qu'il y a plusieurs façons de faire de la politique, pas seulement à travers les partis. Aujourd'hui, nous avons l'Institut Marielle Franco dont je suis la directrice, et où nous préservons sa mémoire. C'est ma façon de faire de la politique et d'être avec les mouvements.
Je pense que la douleur et le vide ne disparaîtront jamais, ils seront là pour toujours. (…) J'espère seulement continuer à mûrir, à transmettre son héritage et à renforcer son histoire, tout comme elle m'a rendu plus forte et le fait encore.