Cet article de Nimaya Dahanayake a été publié à l’origine sur Groundviews, un site de journalisme citoyen primé au Sri Lanka. Une version modifiée est publiée ci-dessous dans le cadre d’un accord de partage de contenu avec Global Voices.
Seetha est une femme âgée qui s’occupe de ses trois petits-enfants, tous âgés de moins de 15 ans. Elle vit dans une partie de la maison de sa fille décédée, où l’électricité est coupée depuis trois mois en raison de factures impayées. Elle gagne sa vie en vendant des chips de manioc et reçoit environ 700 à 800 LKR (2,4 à 2,7 USD) par jour, dont 500 LKR (1,7 USD) sont dépensés en nourriture.
Comme il n’y a pas d’électricité, elle utilise chaque jour trois à quatre bougies qu'elle achète au prix de 30 LKR (0,10 USD) chacune. Au moins trois jours par semaine, Seetha ne peut se permettre qu’un seul repas. Ses petits-enfants vont à l’école quand ils le peuvent, et y restent souvent lorsqu'ils n’ont pas les moyens de payer le transport et la nourriture. Malgré sa situation financière difficile, la seule aide gouvernementale dont elle bénéficie est une allocation aux personnes âgées, qui s'élève à seulement 1 000 LKR (3,4 USD) par mois. Elle ne reçoit aucune autre aide financière du gouvernement.
L’éradication de la pauvreté a été l’un des axes majeurs de la campagne présidentielle des principaux candidats à l’approche de l’élection présidentielle de septembre dernier. Les promesses de « faire de la pauvreté une chose du passé » et fournir un « système de protection sociale universel » visaient à exprimer une certaine sensibilité des candidats à la présidence à l’égard de la situation critique de nombreux Sri Lankais, dont 25,9 % vivent sous le seuil de pauvreté depuis 2023, suite à la pire crise économique depuis l’indépendance.
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En août 2024, le seuil de pauvreté officiel, qui correspond aux dépenses minimales par personne et par mois pour satisfaire ses besoins élémentaires au niveau national, était de 16 152 LKR (54,9 USD, taux de change 1 USD = 294,27 LKR), contre 6 966 LKR (38,35 USD) en 2019 (taux de change 1 USD = 181,63 LKR). Une étude, publiée par LIRNEasia en 2023, a révélé que quatre millions de Sri Lankais sont tombés dans la pauvreté depuis 2019. Le rapport de la Banque mondiale intitulé Sri Lanka Development Update (« Mise à jour sur le développement du Sri Lanka ») pour octobre 2024 souligne que malgré une croissance économique, les niveaux de pauvreté et de vulnérabilité sont élevés, l'insécurité alimentaire est généralisée et les résultats en matière de santé se sont détériorés. Si un semblant de stabilité a été obtenu grâce à des réformes clés, les statistiques officielles démentent la réalité de nombreux ménages.
La crise économique et les mesures à court terme prises à la hâte pour y faire face, notamment les hausses d’impôts, les coupes budgétaires et l’ajustement des prix de l’énergie et des services publics aux coûts, ont aggravé la pauvreté. La crise a peut-être aussi remis en cause certains stéréotypes associés à la pauvreté avec l’émergence d’une « pauvreté cachée » ou d’une « pauvreté de la classe moyenne », montrant que « l'ampleur de la pauvreté au Sri Lanka est plus importante que ce que prétendent les statistiques officielles ».
Au plus fort de la crise économique en 2022, avec des niveaux élevés d’inflation alimentaire, des pertes de moyens de subsistance et une baisse des revenus des ménages, ces derniers avaient du mal à s’offrir des repas nutritifs. Une étude menée par le Colombo Urban Lab auprès des communautés à faible revenu de Colombo a révélé que les effets combinés de la pandémie de COVID-19 et de la crise économique ont entraîné une réduction de la quantité et de la qualité des aliments consommés. Les familles réduisent leur consommation de fruits et légumes frais en raison d'autres dépenses courantes.
Un rapport récent d’une commission parlementaire, chargée d’examiner le problème de la malnutrition infantile, a révélé qu’au cours des six derniers mois de 2022, 74 % des ménages interrogés n’avaient pas les moyens d’acheter de la nourriture ou des produits de première nécessité. Quatre-vingt-dix-huit pour cent de la population ont été touchés par la hausse des prix des denrées alimentaires suite à la crise économique. En conséquence, seulement 53 % de la population était en mesure de s’offrir une alimentation nutritive. Le rapport considère la sécurité alimentaire au niveau des ménages comme un facteur déterminant ou contributif de la malnutrition. Le Programme alimentaire mondial (PAM) note que près d’un tiers des enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition.
Le rapport Household Food Security Overview for 2023 du PAM sur la sécurité alimentaire des ménages pour 2023, estime qu'à l'échelon national, 24 % des ménages étaient en situation d’insécurité alimentaire modérée en août et septembre 2023. Le rapport compare les niveaux d’insécurité alimentaire en mars (17 % des ménages) et en août (24 % des ménages) de l’année dernière et attribue son augmentation à une baisse de la consommation alimentaire des groupes vulnérables tels que les journaliers et ceux qui dépendent de l’aide sociale. Le rapport souligne également que les ménages consacrent plus de 62 % de leurs dépenses totales à l’alimentation. Cela signifie que le montant d’argent restant pour d’autres biens et services essentiels tels que la santé, l’éducation et les services publics diminue inévitablement, privant les ménages d’une bonne qualité de vie.
Dans un contexte inédit d'augmentation des dépenses, les ménages adoptent plusieurs stratégies d’adaptation, comme mettre en gage des bijoux, se déconnecter du réseau électrique et, parfois, vendre des compléments alimentaires fournis par le gouvernement pour gérer leurs dépenses. Dans certains cas, les ménages sont également à court de stratégies.
Ils ont également commencé à recourir à des stratégies d’adaptation négatives liées à l’alimentation, notamment en réduisant le nombre de repas et la diversité des aliments consommés. Malgré cela, les parents ou les adultes donnent généralement la priorité à la santé de leurs enfants au détriment de leur propre bien-être et essaient de leur proposer des aliments nutritifs qui coûtent souvent trop chers pour le reste de la famille.
Un rapport de synthèse de la Direction de la santé familiale du Ministère de la Santé en 2024 indique que plus de 10 000 enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition aiguë sévère. Beaucoup de ces enfants n’ont pas une alimentation adéquate en raison de la quantité insuffisante de nourriture consommée pour leur repas principal.
Une étude menée par le Colombo Urban Lab auprès de communautés à faible revenu a révélé que la plupart des enfants scolarisés ne reçoivent pas de repas de midi à l’école. La réglementation sur les types d’aliments autorisés (les petits pains et les biscuits sont déconseillés) oblige les familles à donner à leurs enfants du riz et du curry ou des légumineuses, lesquels coûtent plus chers, ce qui entraîne l’absentéisme de ces enfants qui ont peur d'être montrés du doigt à l'école.
La malnutrition maternelle est également une préoccupation majeure, en particulier au lendemain de la crise économique. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que la nutrition maternelle est essentielle à la croissance du fœtus et qu’une mauvaise alimentation entraîne souvent des conséquences à long terme, irréversibles et néfastes pour le fœtus. Au plus fort de la crise économique, en 2022, le gouvernement n’a pas été en mesure de soutenir le programme Thriposha, un complément nutritionnel fourni aux femmes enceintes et allaitantes jusqu’à ce que le nourrisson ait atteint l’âge de six mois. Selon une étude du PAM, Thriposha réduit le coût d’un régime alimentaire de 20 % car il est fourni gratuitement et répond aux besoins en micronutriments et en protéines des femmes enceintes et allaitantes.
Comprendre la nature nuancée et dynamique de la pauvreté à laquelle sont confrontés le Sri Lanka, ainsi que ses différents impacts, est une première étape nécessaire pour élaborer des politiques et optimiser les filets de sécurité sociale qui contribueront à améliorer le bien-être général des millions de Sri Lankais qui vivent aujourd’hui dans la pauvreté.