Editorial 

Le RN, maître des horloges

Cécile Prieur

Directrice de la Rédaction

Cécile Prieur

Publié le , mis à jour le

Près de trois mois après la dissolution de l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron a placé entre les mains de la formation d’extrême droite, rejetée dans les urnes par une majorité des votants, le sort du futur gouvernement Barnier et son avenir politique.

Pour aller plus loin

En 2017, Emmanuel Macron se targuait de pouvoir faire reculer le Rassemblement national, s’érigeant comme son meilleur rempart et son pire ennemi. Sept ans après, une réélection bancale et une dissolution catastrophique plus tard, il en est devenu à la fois le meilleur promoteur et l’otage. Le président, qui a tout fait pour éviter que le nouveau gouvernement ne soit issu de la gauche, n’a trouvé qu’une issue au piège qu’il s’est lui-même tendu : placer son destin dans les mains de l’extrême droite.

Toute honte bue, il a clairement tourné le dos au front républicain, en choisissant un représentant d’un parti (LR) qui n’y a pas participé et a fait le plus petit score, adoubé par une formation (RN) rejetée par une majorité des votants. Les trois mois de confusion que nous avons vécus aboutissent donc à cette situation paradoxale, ubuesque, qui en dit long sur l’état de délabrement moral du macronisme : au terme d’un des plus piteux tours de passe-passe que la Ve République ait connus, c’est désormais le RN qui détient la clé de l’avenir politique du président.

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Certes, Emmanuel Macron a procédé au choix habile de Michel Barnier, un homme d’expérience, européen convaincu, qui a su mener les négociations du Brexit au nom de l’Union européenne. Mais ce profil en apparence rassurant ne doit pas masquer qu’il a été nommé pour ne rien remettre fondamentalement en question de la politique du chef de l’Etat, notamment la réforme des retraites, le totem macroniste. Libéral sur le plan économique, Michel Barnier est aussi un conservateur sur le plan des valeurs, à l’instar du chef de l’Etat.

Les deux hommes pourront bien jouer la comédie de la vraie-fausse cohabitation, cela n’aura des incidences que sur la forme, pas sur le fond. Michel Barnier ne devrait proposer que la prolongation du jeu macronien, tout en étant sommé de donner des gages au RN, qui les réclame déjà ouvertement sur l’immigration. Nous assistons donc, si ce n’est à une fusion du macronisme avec la droite et l’extrême droite, du moins à un évident continuum. D’Emmanuel Macron à Marine Le Pen en passant dorénavant par Michel Barnier, ces gens se parlent, se respectent et décident même ensemble de « l’avenir du pays ».

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C’est donc un pacte faustien qu’Emmanuel Macron a conclu avec la formation d’extrême droite, un pas de deux mortifère pour notre démocratie. Déjà, en prononçant la dissolution, il était prêt à installer Jordan Bardella au pouvoir ; trois mois après, tout a été bon pour conserver la main, quitte à se mettre dans celle de Marine Le Pen. Car ce n’est pas seulement Michel Barnier qui est suspendu au fil du RN, mais bien Emmanuel Macron lui-même. S’il y a une censure du gouvernement Barnier, possible par l’addition des voix du NFP et du RN, il n’y aura sans doute pas de seconde chance pour le chef de l’Etat, qui pourrait être acculé à la démission.

Alors qu’une majorité de Français ont exprimé leur rejet de l’extrême droite au pouvoir, le RN est le nouveau maître des horloges, qui décidera du moment où ce théâtre d’ombres devra s’écrouler. Marine Le Pen, qui se paie le luxe d’apparaître comme la gardienne de la stabilité institutionnelle, calcule déjà le moment où elle sifflera la fin de la partie.

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Que faire face à ce paysage politique désolé, où le résultat des urnes a été largement détourné ? D’abord, ne pas céder au dégoût démo­cratique, qui pourtant guette tout électeur qui s’est mobilisé pour faire barrage à l’extrême droite. La situation est si instable que la crise de régime pourrait s’installer rapidement : d’autres scrutins sont à venir, où il faudra combattre à nouveau frontalement le RN, qui a rassemblé 10 millions de voix aux législatives.

La gauche, notamment, doit garder cet impératif en tête, pour ne pas se tromper de bataille. Forte de la dynamique qu’elle a su créer pendant les légis­latives, elle devra s’employer à clarifier son positionnement, notamment vis-à-vis de LFI, pour permettre à une force sociale-écologiste, progressiste et réformiste de se constituer en véritable offre politique. Ce n’est qu’à cette condition qu’elle pourra répondre à l’urgence démocratique : proposer une alternative crédible au mariage cynique du macronisme et de l’extrême droite.

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