Editorial 

Nos démocraties à l’heure américaine

Cécile Prieur

Directrice de la Rédaction

Cécile Prieur

Publié le

Le 5 novembre, plus de 200 millions d’Américains sont appelés à départager Donald Trump et Kamala Harris. A quelques jours du vote définitif, impossible de prévoir comment basculera le scrutin qui décidera des futurs équilibres du monde. Dans ce numéro, « le Nouvel Obs » a enquêté dans cette Amérique profondément divisée.

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Trois petites semaines nous séparent désormais d’une des échéances les plus déterminantes de notre histoire contemporaine. Trois petites semaines pendant lesquelles l’Amérique va retenir son souffle… et le monde entier avec elle. Le 5 novembre, plus de 200 millions d’Américains sont appelés à départager Donald Trump et Kamala Harris pour une élection présidentielle qui sera cruciale bien au-delà de leurs frontières.

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Rarement dans l’histoire des Etats-Unis, pourtant riche en conflits internes, le pays n’a paru à un tel tournant, fracturé qu’il est par des forces contraires, écartelé entre deux visions antagonistes de ce que doit devenir la démocratie américaine. La campagne, marquée par plusieurs coups de théâtre (tentative d’assassinat contre Donald Trump, retrait de Joe Biden, entrée en fanfare de Kamala Harris), et un degré de violence politique jamais atteint jusqu’ici, entre dans sa dernière ligne droite alors que son issue reste tout à fait incertaine. L’Amérique a peaufiné un scénario à suspense : à quelques jours du vote définitif, impossible de prévoir comment basculera le scrutin qui décidera des futurs équilibres du monde.

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Avec son casting à front renversé, cette présidentielle hors norme symbolise en tout point la sécession rampante du pays. D’un côté, une femme noire, à peine sexagénaire, fille d’immigrés et self-made-woman, pionnière aux convictions progressistes assumées. De l’autre, un homme blanc, bientôt octogénaire, fils à papa fortuné, showman populiste dont l’obsession narcissique n’a d’égale que son immaturité.

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Deux personnalités aux antipodes pour deux Amérique qui au mieux s’ignorent, au pire se détestent : celle des côtes est et ouest, urbaine, multiraciale, défenseuse des droits des minorités, pro-IVG, confiante en son avenir ; celle des Etats de l’intérieur, blanche, rurale, terre historique des républicains mais aussi des laissés-pour-compte, de ceux qui se sentent déclassés et méprisés. D’un côté, une Amérique tournée vers l’extérieur, préoccupée de son empreinte dans le monde. De l’autre, un pays replié sur lui-même, isolationniste, sensible aux sirènes de l’America first.

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Entre ces deux univers que tout oppose, rien n’est joué. Car l’élan d’abord suscité par la candidature de Kamala Harris connaît aujourd’hui un plafond. La candidate démocrate est au coude-à-coude avec son rival républicain, dont la répétition de fake news ad nauseam n’entame en rien le crédit auprès de ses électeurs. Mieux, ses partisans adhèrent à la promesse trumpienne d’un régime autoritaire, illibéral, qui renverserait les fondamentaux de la démocratie américaine. Ils sont d’autant plus galvanisés que Trump est bien mieux préparé et que son programme séditieux a été soigneusement pensé par ses faucons – qui peuvent être aussi ses bouffons, à l’image du puissant Elon Musk. En face, les démocrates agitent le danger mortel que serait un second mandat de Trump, tout en tentant de ne pas répéter les erreurs passées, comme avec Hillary Clinton, en 2016, qui ne parlait qu’aux classes aisées. Eux aussi cherchent à s’adresser à l’Amérique profonde, en faisant campagne sur la lutte contre les inégalités, à l’image du colistier de Kamala Harris, Tim Walz, dont le profil d’Américain moyen est bien perçu à ses côtés.

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Cela suffira-t-il à éviter le pire ? Rien n’est moins sûr, tant le système électoral américain, difficilement compréhensible pour nous, Français, habitués au suffrage universel direct, se joue sur le résultat de quelques petits Etats clés, les swing states dont l’importance électorale est inversement proportionnelle à leur poids démographique. La plus grande démocratie du monde est ainsi faite que son destin – et le nôtre indirectement –, est entre les mains d’une poignée d’électeurs, dont les priorités sont d’abord nationales. Il n’est que de penser aux conséquences catastrophiques d’une présidence Trump sur la guerre en Ukraine ou le conflit au Proche-Orient pour ressentir le vertige de cette situation ubuesque. Spectateurs largement impuissants de ce film impossible, nous ne pouvons plus qu’appeler l’Amérique à faire preuve d’égoïsme, mais dans le meilleur sens qui soit : protéger sa démocratie d’abord, pour protéger aussi toutes les autres.

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