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Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge/5

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DEUXIÈME PARTIE.
de la dévotion la plus excellente à la sainte-vierge,
ou parfaite consécration à jésus par marie



Il y a plusieurs pratiques intérieures de la vraie dévotion à la très-sainte Vierge, dont voici les principales en abrégé :

1o L’honorer comme la digne Mère de Dieu, du culte d’hyperdulie, c’est-à-dire l’estimer et l’honorer par-dessus tous les autres Saints, comme le chef-d’œuvre de la grâce, et la première après Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme ; 2o méditer ses vertus, ses priviléges et ses actions ; 3o contempler ses grandeurs ; 4o lui faire des actes d’amour, de louanges et reconnaissance ; 5o l’invoquer cordialement ; 6o s’offrir et s’unir à elle ; 7o faire ses actions en vue de lui plaire ; 8o commencer, continuer et finir toutes ses actions par elle, en elle et avec elle, afin de les faire par Jésus-Christ, en Jésus-Christ, avec Jésus-Christ et pour Jésus-Christ notre dernière fin. Nous expliquerons cette dernière pratique.

La vraie dévotion à la Sainte-Vierge a aussi plusieurs pratiques extérieures dont voici les principales : 1o S’enrôler dans ses confréries et entrer dans ses congrégations ; 2o entrer dans les religions instituées en son honneur ; 3o publier ses louanges ; 4o faire des aumônes, jeûnes et mortifications d’esprit ou de corps, en son honneur ; 5o porter sur soi ses livrées, comme le saint rosaire ou le chapelet, le scapulaire ou la chaînette ; 6o réciter avec attention, dévotion ou modestie, ou le saint rosaire, composé de quinze dizaines d’Ave Maria en l’honneur des quinze principaux mystères de Jésus-Christ, ou de cinq dizaines, qui est le tiers du rosaire, ou en l’honneur des cinq mystères joyeux, qui sont : l’Annonciation, la Visitation, la Nativité de Jésus-Christ, la Purification et le Recouvrement de Jésus-Christ au temple ; ou en l’honneur des cinq mystères douloureux, qui sont : l’Agonie de Jésus-Christ au Jardin des Olives, sa Flagellation, son Couronnement d’épines, son Portement de Croix et son Crucifiement ; ou en l’honneur des cinq mystères glorieux, qui sont : la Résurrection de Jésus-Christ, son Ascension, la Descente du Saint-Esprit ou la Pentecôte, l’Assomption de la Sainte-Vierge en corps et en âme dans le Ciel, et son couronnement par les trois personnes de la très-sainte Trinité. On peut dire aussi un chapelet de six ou sept dizaines, en l’honneur des années qu’on croit que la Sainte-Vierge a vécu sur la terre ; ou la petite couronne de la Sainte-Vierge, composée de trois Pater et douze Ave, en l’honneur de sa couronne de douze étoiles ou priviléges ; ou l’office de la Sainte-Vierge, si universellement reçu et récité dans l’Église ; ou le petit Psautier de la Sainte-Vierge, que saint Bonaventure a fait en son honneur, et qui est si tendre et si dévot qu’on ne peut le réciter sans en être attendri ; ou quatorze Pater et Ave, en l’honneur de ses quatorze allégresses ; ou quelques autres prières, hymnes et cantiques de l’Église, comme le Salve Regina, l’Alma, l’Ave Regina cælorum, ou le Regina cæli, selon les différents temps ; ou l’Ave maris Stella !… O gloriosa Domina ! ou le Magnificat, ou quelques autres pratiques de dévotion, dont les livres sont pleins ; 7o chanter et faire chanter en son honneur des cantiques spirituels ; 8o lui faire un nombre de génuflexions ou révérences, en lui disant, par exemple, tous les matins, soixante ou cent fois, Ave, Maria, Virgo fidelis, pour obtenir de Dieu la grâce, par elle, d’être fidèle aux grâces de Dieu pendant la journée, et le soir : Ave, Maria, Mater misericordiæ, pour demander pardon à Dieu, par elle, des péchés que l’on a commis pendant la journée ; 9o avoir soin de ses confréries, orner ses autels, couronner et embellir ses images ; 10o porter ou faire porter ses images en procession, et en porter une sur soi, comme une arme puissante contre le malin ; 11o faire faire ses images ou son nom, et les placer ou dans les églises, ou dans les maisons, ou sur les portes et entrées des villes, des églises et des maisons ; 12o se consacrer à elle d’une manière spéciale et solennelle.

Il y a une quantité d’autres pratiques de la vraie dévotion envers la très-sainte Vierge que le Saint-Esprit a inspirées aux saintes âmes, qui sont très-sanctifiantes ; on les pourra lire plus au long dans Le Paradis ouvert à Philagie, composé par le Révérend Père Paul Barry, de la Compagnie de Jésus, où il a recueilli un grand nombre de dévotions que les Saints ont pratiquées en l’honneur de la très-sainte Vierge, lesquelles dévotions servent merveilleusement à sanctifier les âmes, pourvu qu’elles soient faites comme il faut ; c’est-à-dire, 1o avec une bonne et droite intention de plaire à Dieu seul, de s’unir à Jésus-Christ, comme à sa fin dernière, et d’édifier le prochain ; 2o avec attention, sans distraction volontaire ; 3o avec dévotion, sans empressement ni négligence ; 4o avec modestie et composition de corps respectueuse et édifiante.

Après tout, je proteste hautement qu’ayant lu presque tous les livres qui traitent de la dévotion à la très-sainte Vierge, et ayant conversé familièrement avec les plus saints et savants personnages de ces derniers temps, je n’ai point connu ni appris de pratique de dévotion envers la Sainte-Vierge semblable à celle que je veux dire, qui exige d’une âme plus de sacrifices pour Dieu, qui la vide plus d’elle-même et de son amour-propre, qui la conserve plus fidèlement dans la grâce, et la grâce en elle, qui l’unisse plus parfaitement et plus facilement à Jésus-Christ, et enfin qui soit plus glorieuse à Dieu, sanctifiante pour l’âme et utile au prochain.

Comme l’essentiel de cette dévotion consiste dans l’intérieur qu’elle doit former, elle ne sera pas également comprise de tout le monde : quelques-uns s’arrêteront à ce qu’elle a d’extérieur, et ne passeront pas outre, et ce sera le plus grand nombre ; quelques-uns, en petit nombre, entreront dans son intérieur, mais ils n’y monteront qu’un degré. Qui est-ce qui montera au second ? qui parviendra jusqu’au troisième ? enfin, qui est celui qui y sera par état ? celui-là seul à qui l’Esprit de Jésus-Christ révélera ce secret ; l’âme bien fidèle qu’il y conduira lui-même, pour avancer de vertus en vertus, de grâces en grâces, de lumières en lumières, pour arriver jusqu’à la transformation de soi-même en Jésus-Christ, et à la plénitude de son âge sur la terre et de sa gloire dans le Ciel.

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I. En quoi consiste la parfaite consécration à Jésus-Christ.

Toute notre perfection consistant à être conformes, unis et consacrés à Jésus-Christ, la plus parfaite de toutes les dévotions est sans difficulté celle qui nous conforme, unit et consacre le plus parfaitement à Jésus-Christ : or, Marie étant la plus conforme à Jésus-Christ de toutes les créatures, il s’ensuit que, de toutes les dévotions, celle qui consacre et conforme le plus une âme à Notre-Seigneur est la dévotion à la très-sainte Vierge sa sainte Mère, et que plus une âme sera consacrée à Marie, plus elle le sera à Jésus-Christ ; c’est pourquoi la plus parfaite consécration à Jésus-Christ n’est autre chose qu’une parfaite et entière consécration de soi-même à la très-sainte Vierge, qui est la dévotion que j’enseigne ; ou autrement une parfaite rénovation des vœux et promesses du saint Baptême.

Cette dévotion consiste donc à se donner tout entier à la très-sainte Vierge, pour être tout entier à Jésus-Christ par elle. Il faut lui donner, 1o notre corps avec tous ses sens et ses membres ; 2o notre âme avec toutes ses puissances ; 3o nos biens extérieurs, qu’on appelle de fortune, présents et à venir ; 4o nos biens intérieurs et spirituels, qui sont nos mérites, et nos vertus, et nos bonnes œuvres passées, présentes et futures : en deux mots, tout ce que nous avons dans l’ordre de la nature et dans l’ordre de la grâce, et tout ce que nous pourrons avoir à l’avenir dans l’ordre de la nature, de la grâce ou de la gloire, et cela, sans aucune réserve, pas même d’un denier, d’un cheveu et de la moindre bonne action, et cela pour toute l’éternité, et cela, sans prétendre ni espérer aucune autre récompense, de son offrande et de son service, que l’honneur d’appartenir à Jésus-Christ par elle et en elle, quand cette aimable maîtresse ne serait pas, comme elle l’est toujours, la plus libérale et la plus reconnaissante des créatures.

Ici, il faut remarquer qu’il y a deux choses dans les bonnes œuvres que nous faisons ; savoir : la satisfaction et le mérite, autrement, la valeur satisfactoire ou impétratoire, et la valeur méritoire. La valeur satisfactoire ou impétratoire d’une bonne œuvre, c’est une bonne action en tant qu’elle satisfait à la peine due au péché ou qu’elle obtient quelque nouvelle grâce ; la valeur méritoire, ou le mérite, est une bonne action en tant qu’elle mérite la grâce et la gloire éternelle. Or, dans cette consécration de nous-mêmes à la très-sainte Vierge, nous lui donnons toute la valeur satisfactoire, impétratoire et méritoire, autrement, les satisfactions et les mérites de toutes nos bonnes œuvres ; nous lui donnons nos mérites, nos grâces et nos vertus, non pas pour les communiquer à d’autres (car nos mérites, grâces et vertus sont, à proprement parler, incommunicables ; et il n’y a eu que Jésus-Christ qui, en se faisant notre caution auprès de son Père, nous ait pu communiquer ses mérites) ; mais pour nous les conserver, augmenter et embellir, comme nous dirons encore, nous lui donnons nos satisfactions pour les communiquer à qui bon lui semblera, et pour la plus grande gloire de Dieu.

Il suit de là que 1o par cette dévotion, on donne à Jésus-Christ, de la manière la plus parfaite, puisque c’est par les mains de Marie, tout ce qu’on peut lui donner, et beaucoup plus que par les autres dévotions, où on lui donne ou une partie de son temps, ou une partie de ses bonnes œuvres, ou une partie de ses satisfactions et mortifications : ici tout est donné et consacré, jusqu’au droit de disposer de ses biens intérieurs, et les satisfactions qu’on gagne par ses bonnes œuvres, de jour en jour ; ce qu’on ne fait même dans aucune religion : on donne à Dieu, dans les religions, les biens de fortune par le vœu de pauvreté, les biens du corps par le vœu de chasteté, la propre volonté par le vœu d’obéissance, et quelquefois la liberté du corps par le vœu de clôture ; mais on ne lui donne pas la liberté ou le droit qu’on a de disposer de la valeur de ses bonnes œuvres, et on ne se dépouille pas autant qu’on peut de ce que l’homme chrétien a de plus précieux et de plus cher, qui sont ses mérites et ses satisfactions.

2o Une personne qui s’est ainsi volontairement consacrée et sacrifiée à Jésus-Christ par Marie, ne peut plus disposer de la valeur d’aucune de ses bonnes actions : tout ce qu’elle souffre, tout ce qu’elle pense, dit et fait de bien, appartient à Marie, afin qu’elle en dispose selon la volonté de son Fils, et à sa plus grande gloire, sans cependant que cette dépendance préjudicie en aucune manière aux obligations de l’état où l’on est pour le présent, et où on pourra être pour l’avenir ; par exemple, aux obligations d’un prêtre, qui, par office ou autrement, doit appliquer la valeur satisfactoire et impétratoire de la sainte messe à un particulier ; car on ne fait cette offrande que selon l’ordre de Dieu et les devoirs de son état.

3o On se consacre tout ensemble à la très-sainte Vierge et à Jésus-Christ : à la très-sainte Vierge comme au moyen parfait que Jésus-Christ a choisi pour s’unir à nous et nous unir à lui ; et à Notre-Seigneur comme à notre dernière fin, auquel nous devons tout ce que nous sommes, comme à notre Rédempteur et à notre Dieu.

J’ai dit que cette dévotion pouvait fort bien Texte en italiqueêtre appelée une parfaite rénovation des vœux ou promesses du saint Baptême ; car tout Chrétien, avant son Baptême, était l’esclave du démon, parce qu’il lui appartenait ; il a dans son Baptême, par sa bouche propre, ou par celle de son parrain de et sa marraine, renoncé solennellement à Satan, à ses pompes et à ses œuvres, et a pris Jésus-Christ pour son Maître et souverain Seigneur, pour dépendre de lui en qualité d’esclave d’amour ; c’est ce qu’on fait par cette présente dévotion : on renonce (comme il est marqué dans la formule de consécration) au démon, au monde, au péché et à soi-même, et on se donne tout entier à Jésus-Christ par les mains de Marie, et même on fait quelque chose de plus ; car, dans le Baptême, on parle ordinairement par la bouche d’autrui, savoir, par le parrain et la marraine, et on ne se donne à Jésus-Christ que par procureur ; mais, dans cette dévotion, c’est par soi-même, c’est volontairement, c’est avec connaissance de cause. Dans le saint Baptême, on ne se donne pas à Jésus-Christ par les mains de Marie, du moins d’une manière expresse, et on ne donne pas à Jésus-Christ la valeur de ses bonnes actions ; on reste après le Baptême entièrement libre de l’appliquer à qui on voudra ou de la conserver pour soi ; mais, par cette dévotion, on se donne expressément à Notre-Seigneur par les mains de Marie, et on lui consacre la valeur de toutes ses actions.

Les hommes, dit saint Thomas, font vœu, au saint Baptême, de renoncer au démon et à ses pompes. In baptismo vovent homines abrenuntiare diabolo et pompis ejus. Et ce vœu, dit saint-Augustin, est le plus grand et le plus indispensable : Votum maximum nostrum quo vovimus nos in Christo esse mansuros. C’est aussi ce que disent les canonistes : Præcipuum votum est quod in baptismate facimus. Cependant, qui est-ce qui garde ce grand vœu ? Qui est-ce qui tient fidèlement les promesses du saint Baptême ? Presque tous les chrétiens ne faussent-ils pas la fidélité qu’ils ont promise à Jésus-Christ dans leur Baptême ? D’où peut venir ce déréglement universel, sinon de l’oubli où l’on vit des promesses et engagements du saint Baptême, et de ce que presque personne ne ratifie par soi-même le contrat d’alliance qu’il a fait avec Dieu par ses parrains et marraines ? Cela est si vrai que le concile de Sens, convoqué par l’ordre de Louis le Débonnaire, pour remédier aux désordres des Chrétiens qui étaient grands, jugea que la principale cause de cette corruption dans les mœurs venait de l’oubli et de l’ignorance où l’on vivait des engagements du saint Baptême ; et il ne trouva point de meilleur moyen de remédier à un si grand mal que de porter les chrétiens à renouveler les vœux et promesses du saint Baptême.

Le catéchisme du Concile de Trente, fidèle interprète de ce saint Concile, exhorte les curés à faire la même chose, et à porter les peuples à se ressouvenir et croire qu’ils sont liés et consacrés à Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme des esclaves à leur Rédempteur et Seigneur : voici ses paroles : Parochus defilem ad eam rationem cohortabitur ut sciat æquissimum esse… nos ipsos, non secùs ac mancipio Redemptori nostro et Domino in perpetuum addicere et consecrare. (Cat. Conc. Trid., part. I, c. 3, §4.)

Or, si les Conciles, les Pères et l’expérience même nous montrent que le meilleur moyen pour remédier aux déréglements des chrétiens est de les faire ressouvenir des obligations de leur Baptême et de leur faire renouveler les vœux qu’ils y ont faits, n’est-il pas raisonnable qu’on le fasse présentement d’une manière parfaite, par cette dévotion et consécration à Notre-Seigneur par sa sainte Mère ? Je dis d’une manière parfaite, parce qu’on se sert, pour se consacrer à Jésus-Christ, du plus parfait de tous les moyens, qui est la très-sainte Vierge.

On ne peut pas objecter que cette dévotion soit nouvelle ou indifférente : elle n’est pas nouvelle, puisque les Conciles, les Pères et plusieurs auteurs anciens et nouveaux parlent de cette consécration à Notre-Seigneur, en renouvelant les vœux et promesses du saint Baptême, comme d’une chose anciennement pratiquée, et qu’ils conseillent à tous les Chrétiens ; elle n’est pas indifférente, puisque la principale source de tous les désordres, et par conséquent de la damnation des Chrétiens, vient de l’oubli et de l’indifférence pour cette pratique.

Quelqu’un pourrait dire que cette dévotion nous faisant donner à Notre-Seigneur, par les mains de la très-sainte Vierge, la valeur de toutes nos bonnes œuvres, prières, mortifications et aumônes, elle nous met dans l’impuissance de secourir les âmes de nos parents, amis et bienfaiteurs.

Je leur réponds : 1o qu’il n’est pas croyable que nos parents, amis et bienfaiteurs souffrent du dommage de ce que nous sommes dévoués et consacrés sans retour au service de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère ; ce serait faire injure à la bonté et à la puissance de Jésus et de Marie, qui sauront bien assister nos parents, amis et bienfaiteurs, de notre petit revenu spirituel, ou par d’autres voies ; 2o cette pratique n’empêche point qu’on prie pour les autres, soit morts, soit vivants, quoique l’application de nos bonnes œuvres dépende de la volonté de la très-sainte Vierge ; c’est au contraire ce qui nous portera à prier avec plus de confiance, tout ainsi qu’une personne riche qui aurait donné tout son bien à un grand prince, afin de l’honorer davantage, prierait avec plus de confiance ce prince de faire l’aumône à quelqu’un de ses amis qui la lui demanderait ; ce serait même faire plaisir à ce prince que de lui donner occasion de témoigner sa reconnaisance envers une personne qui s’est dépouillée pour le revêtir, qui s’est appauvrie pour l’honorer ; il faut dire la même chose de Notre-Seigneur et de la sainte Vierge ; ils ne se laisseront jamais vaincre en reconnaissance. Quelqu’un dira peut-être : Si je donne à la très-sainte Vierge toute la valeur de mes actions pour l’appliquer à qui elle voudra, il faudra peut-être que je souffre longtemps en purgatoire. Cette objection, qui vient de l’amour-propre et de l’ignorance de la libéralité de Dieu et de sa sainte Mère, se détruit d’elle-même : une âme fervente et généreuse, qui prise plus les intérêts de Dieu que les siens, qui donne à Dieu tout ce qu’elle a sans réserve, en sorte qu’elle ne peut rien de plus ; qui ne respire que la gloire et le règne de Jésus-Christ par sa sainte Mère, et qui se sacrifie tout entière pour le gagner ; cette âme généreuse, dis-je, et libérale sera-t-elle plus punie en l’autre monde, pour avoir été plus libérale et plus désintéressée que les autres ? Tant s’en faut : c’est envers cette âme, comme nous le verrons dans la suite, que Notre-Seigneur et sa sainte Mère sont très-libéraux en ce monde et dans l’autre, dans l’ordre de la nature, de la grâce et de la gloire.

Il faut maintenant que nous voyions, le plus brièvement que nous pourrons, les motifs qui nous doivent rendre cette dévotion recommandable, les merveilleux effets qu’elle produit dans les âmes fidèles, et les pratiques de cette dévotion.


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II. Motifs de cette parfaite consécration.


Premier motif, qui nous montre l’excellence de cette consécration de soi-même à Jésus-Christ par les mains de Marie.

Si on ne peut concevoir sur la terre d’emploi plus relevé que le service de Dieu ; si le moindre serviteur de Dieu est plus riche, plus puissant et plus noble que tous les rois et les empereurs de la terre, s’ils ne sont pas serviteurs de Dieu, quelles sont les richesses, la puissance et la dignité du fidèle et parfait serviteur de Dieu, qui sera dévoué à son service, entièrement et sans réserve, autant qu’il le peut être ! Tel est un fidèle et amoureux esclave de Jésus en Marie, qui s’est donné tout entier au service de ce Roi des rois, par les mains de sa sainte Mère, qui n’a rien réservé pour soi-même : tout l’or de la terre et les beautés des cieux ne peuvent pas le payer.

Les autres congrégations, associations et confréries érigées en l’honneur de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère, qui font de si grands biens dans le Christianisme, ne font pas donner tout sans réserve ; elles ne prescrivent à leurs associés que de certaines pratiques et actions pour satisfaire à leurs obligations ; elles les laissent libres pour toutes leurs autres actions et les autres temps de leur vie ; mais cette dévotion ici fait donner sans réserve à Jésus et à Marie toutes ses pensées, paroles, actions et souffrances de tous les temps de sa vie ; en sorte que soit qu’il veille ou qu’il dorme, soit qu’il boive ou qu’il mange, soit qu’il fasse les actions les plus grandes, soit qu’il fasse les plus petites, il est toujours vrai de dire que ce qu’il fait, quoiqu’il n’y pense, est à Jésus et à Marie en vertu de son offrande, à moins qu’il ne l’ait expressément rétractée. Quelle consolation !

De plus, comme je l’ai déjà dit, il n’y a aucune autre pratique que celle-ci, par laquelle on se défasse facilement d’une certaine propriété qui se glisse imperceptiblement dans les meilleures actions ; et notre bon Jésus donne cette grande grâce en récompense de l’action héroïque et désintéressée qu’on a faite en lui faisant, par les mains de sa sainte Mère, une cession de toute la valeur de ses bonnes œuvres. S’il donne un centuple, même en ce monde, à ceux qui, pour son amour, quittent les biens extérieurs, temporels et périssables, quel sera le centupe qu’il donnera à celui qui lui sacrifiera même ces biens intérieurs et spirituels.

ésus, notre grand ami, s’est donné à nous sans réserve, corps et âme, vertus, grâces et mérites : Se toto totum me comparavit, dit saint Bernard : Il m’a gagné tout entier en se donnant tout entier à moi ; n’est-il pas de la justice et de la reconnaissance que nous lui donnions tout ce que nous pourrons lui donner ? Il a été libéral envers nous le premier ; soyons le les seconds, et nous l’éprouverons, pendant notre vie, à notre mort et dans toute l’éternité, encore plus libéral : Cum liberali liberalis erit.

Second motif, qui nous montre qu’il est juste en soi-même et avantageux aux Chrétiens de se consacrer tout entiers à la très-sainte Vierge par cette pratique, afin de l’être plus parfaitement à Jésus-Christ.

Ce bon maître n’a pas dédaigné de se renfermer dans le sein de la Sainte-Vierge, comme un captif, un esclave amoureux, et de lui être soumis et obéissant pendant trente années. C’est ici, je le répète, que l’esprit humain se perd, lorsqu’il fait une sérieuse réflexion à cette conduite de la sagesse incarnée, qui n’a pas voulu, quoi qu’elle pût faire, se donner directement aux hommes, mais par la très-sainte Vierge ; qui n’a pas voulu venir au monde à l’âge d’un homme parfait, indépendant d’autrui, mais comme un pauvre et petit enfant, dépendant des soins et de l’entretien de sa sainte Mère : cette sagesse infinie, qui avait un désir immense de glorifier Dieu son père et de sauver les hommes, n’a point trouvé de moyen plus parfait et plus court pour le faire que de se soumettre en toutes choses à la très-sainte Vierge, non-seulement pendant les huit, dix ou quinze années premières de sa vie, comme les autres enfants, mais pendant trente ans ; et elle a donné plus de gloire à Dieu son Père, pendant tout ce temps de soumission ou de dépendance de la très-sainte Vierge, qu’elle ne lui en eût donné en employant ces trente ans à faire des prodiges, à prêcher par toute la terre, à convertir tous les hommes, si autrement elle l’avait fait, le Père céleste l’ayant ainsi réglé : Quæ placita sunt ei facio semper. Oh ! oh ! qu’on glorifie hautement Dieu en se soumettant à Marie, à l’exemple de Jésus !

Ayant devant nos yeux un exemple si visible et si connu de tout le monde, sommes-nous assez insensés pour croire trouver un moyen plus parfait et plus court pour glorifier Dieu que celui de se soumettre à Marie, à l’exemple de son Fils ? Qu’on rappelle ici, pour preuve de la dépendance que nous devons avoir de la très-sainte Vierge, ce que j’ai dit ci-dessus, en rapportant l’exemple que nous donnent de cette dépendance le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; le Père n’a donné et ne donne son fils que par elle, ne se fait des enfants que par elle, et ne communique ses grâces que par elle : Dieu le Fils n’a été formé pour tout le monde en général que par elle, n’est formé tous les jours et engendré que par elle dans l’union au Saint-Esprit, et ne communique ses mérites et ses vertus que par elle ; le Saint-Esprit n’a formé Jésus-Christ que par elle, ne forme les membres de son corps mystique que par elle, et ne dispense ses dons et ses faveurs que par elle. Après tant et de si pressants exemples de la très-sainte Trinité, pourrons-nous sans un extrême aveuglement nous passer de Marie, et ne pas nous consacrer à elle, et dépendre d’elle pour aller à Dieu et pour nous sacrifier à Dieu ?

Voici quelques passages latins des Pères, que j’ai choisis pour prouver ce que je viens de dire :

« Duo filii Mariæ sunt, homo Deus et homo purus, unius corporaliter, et alterius spiritualiter Mater est Maria. » (Saint Bonav. et Origène.)

«  Hæc est voluntas Dei, qui totum nos voluit habere per Mariam, ac proinde si quid spei, si quid gratiæ, si quid salutis, ab ea noverimus redundare. » (Saint Bernard.)

« Omniadona, virtutes gratiæ ipsius Spiritus sancti, quibus vult, et quando vult, quomodo vult, et quantum vult, per ipsius manus administrantur. » (Saint Bernardin.)

« Qui indignus eras cui daretur, datum est Mariæ, ut per eam acciperes quidquid haberes. » (Saint Bern.)

Dieu, voyant que nous sommes indignes de recevoir ses grâces immédiatement de sa main dit saint Bernard, les donne à Marie, afin que nous ayons par elle tout ce qu’il veut nous donner ; et il trouve aussi sa gloire à recevoir par les mains de Marie la reconnaissance, le respect et l’amour que nous lui devons pour ses bienfaits. Il est donc très-juste que nous imitions cette conduite de Dieu, afin, dit le même saint Bernard, que la grâce retourne à son auteur par le même canal qu’elle est venue : Ut eodem alveo largitorem gratia redeat quo fluxit.

C’est ce qu’on fait par notre dévotion : on offre et on consacre tout ce qu’on est et tout ce qu’on possède à la très-sainte Vierge, afin que Notre-Seigneur reçoive par son entremise la gloire et la reconnaissance qu’on lui doit. On se reconnaît indigne et incapable d’approcher de sa majesté infinie par soi même ; c’est pourquoi on se sert de l’intercession de la très-sainte Vierge.

De plus, c’est une pratique d’une grande humilité que Dieu aime par-dessus les autres vertus. Une âme qui s’élève abaisse Dieu, une âme qui s’humilie élève Dieu ; Dieu résiste aux superbes, et donne sa grâces aux humbles ; si vous vous abaissez, vous croyant indigne de paraître devant lui et de vous approcher de lui, il descend, il s’abaisse pour venir à vous, pour se plaire en vous, et pour vous élever malgré vous.

Tout le contraire, quand on s’approche hardiment de Dieu sans médiateur, Dieu s’enfuit, on ne peut l’atteindre. Oh ! qu’il aime l’humilité du cœur ! C’est à cette humilité qu’engage cette pratique de dévotion, puisqu’elle apprend à n’approcher jamais par soi-même de Notre Seigneur, quelque doux et miséricordieux qu’il soit, mais à se servir toujours de l’intercession de la Sainte-Vierge, soit pour paraître devant Dieu, soit pour lui parler, soit pour l’approcher, soit pour lui offrir quelque chose, soit pour s’unir et consacrer à lui.

Troisième motif. 1o La très-sainte Vierge qui est une mère de douceur et de miséricorde, et qui ne se laisse jamais vaincre en amour et en libéralité, voyant qu’on se donne tout entier à elle pour l’honorer et la servir, en se dépouillant de ce qu’on a de plus cher pour l’en orner, se donne aussi tout entière et d’une manière ineffable à celui qui lui donne tout ; elle le fait s’engloutir dans l’abîme de ses grâces, elle l’orne de ses mérites, elle l’appuie de sa puissance, elle l’éclaire de sa lumière, elle l’embrase de son amour, elle lui communique ses vertus, son humilité, sa foi, sa pureté, etc., elle se rend sa caution, son supplément, et son cher tout envers Jésus. Enfin, comme cette personne consacrée est toute à Marie, Marie aussi est toute à elle ; en sorte qu’on peut dire de ce parfait serviteur et enfant de Marie, ce que saint Jean l’Évangéliste dit de lui-même, qu’il a pris la Sainte-Vierge pour tous ses biens : Accepit eam discipulus in sua.

C’est ce qui produit dans son âme, s’il est fidèle, une grande défiance, mépris et haine de soi-même, et une grande confiance et un grand abandon à la Sainte-Vierge, sa bonne maîtresse ; il ne met plus, comme auparavant, son appui en ses dispositions, intentions, mérites et bonnes œuvres, parce qu’en ayant fait un entier sacrifice à Jésus-Christ par cette bonne Mère, il n’a plus qu’un trésor où sont tous ses biens, et qui n’est plus chez lui, et ce trésor est Marie. C’est ce qui le fait approcher de Notre Seigneur sans crainte servile ni scrupuleuse, et le prier avec beaucoup de confiance ; c’est ce qui le fait entrer dans les sentiments du dévot et savant abbé Rupert, qui, faisant allusion à la victoire que Jacob remporta sur un Ange, dit à la Sainte-Vierge ces belles paroles : Ô Marie, ma princesse, et Mère immaculée d’un Dieu-Homme, Jésus-Christ, je désire lutter avec cet homme, savoir, le Verbe divin, armé non pas de mes propres mérites, mais des vôtres : O Domina, Dei Genitrix Maria, et incorrupta Mater Dei et hominis, non meis, sed tuis armatus meritis, cum isto viro, seu Verbo Dei, luctari cupio. (Rup. prolog. in Cantic.)

Oh ! qu’on est puissant et fort auprès de Jésus-Christ quand on est armé des mérites et de l’intercession d’une digne Mère de Dieu, qui, comme dit saint Augustin, a amoureusement vaincu le Tout-Puissant.

2o Comme par cette pratique on donne au Seigneur par les mains de sa sainte Mère, toutes ses bonnes œuvres, cette bonne maîtresse les purifie, les embellit et les fait accepter de son Fils.

1. Elle les purifie de toute la souillure de l’amour-propre, et de l’attache imperceptible à la créature, qui se glisse insensiblement dans les meilleures actions. Dès lors qu’elles sont entre ses mains très-pures et fécondes, ces mêmes mains, qui n’ont jamais été souillées ni oiseuses et qui purifient ce qu’elles touchent, ôtent du présent qu’on lui fait tout ce qu’il peut y avoir de gâté ou d’imparfait.

2. Elle les embellit, en les ornant de ses mérites et vertus : c’est comme si un paysan voulant gagner l’amitié et la bienveillance du roi, allait à la reine, et lui présentait une pomme, qui est tout son revenu, afin qu’elle la présentat au roi. La reine, ayant accepté le pauvre petit présent du paysan, mettrait cette pomme au milieu d’un grand et beau plat d’or, et la présenterait ainsi au roi, de la part du paysan ; pour lors la pomme, quoique indigne en elle-même d’être présentée au roi, deviendrait un présent digne de Sa Majesté, eu égard au plat d’or où elle est, et à la personne qui la présente.

3. Elle présente ces bonnes œuvres à Jésus-Christ, car elle ne garde rien de ce qu’on lui présente pour soi, en dernière fin ; elle renvoie tout à Jésus fidèlement : si on lui donne, on donne nécessairement à Jésus ; si on la loue, si on la glorifie, aussitôt elle loue et glorifie Jésus : maintenant, comme autrefois lorsque sainte Élisabeth la loua, elle chante quand on la loue et la bénit : Magnificat anima mea Dominum.

4. Elle fait accepter de Jésus ces bonnes œuvres, quelque petit et pauvre que soit le présent pour ce Saint des saints et ce Roi des rois. Quand on présente quelque chose à Jésus, par soi-même et appuyé sur sa propre industrie et disposition, Jésus examine le présent, et souvent il le rejette à cause de la souillure qu’il contracte par l’amour-propre, comme autrefois il rejeta les sacrifices des Juifs, tout pleins de leur propre volonté ; mais quand on lui présente quelque chose par les mains pures et virginales de sa Bien-Aimée, on le prend par son faible, s’il m’est permis d’user de ce terme ; il ne considère pas tant la chose qu’on lui donne que sa bonne Mère qui la présente ; il ne regarde pas tant d’où vient le présent que celle par qui il vient. Ainsi Marie, qui n’est jamais rebutée et toujours bien reçue de son Fils, fait recevoir agréablement de sa majesté tout ce qu’elle lui présente, petit ou grand : il suffit que Marie le présente, pour que Jésus le reçoive et l’agrée. C’est le grand conseil que donnait saint Bernard à ceux et celles qu’il conduisait à la perfection : Quand vous voudrez offrir quelque chose à Dieu, ayez soin de l’offrir par les mains très-agréables et très-dignes de Marie, à moins que vous ne vouliez être rejeté : Modicum quod offerre desideras manibus Mariæ offerendum tradere cura, si non vis sustinere repulsam.

N’est-ce pas ce que la nature même inspire aux petits à l’égard des grands, comme nous avons vu ? Pourquoi la grâce ne nous porterait-elle pas à faire la même chose à l’égard de Dieu, qui est infiniment élevé au-dessus de nous, et devant lequel nous sommes moins que des atomes ; ayant d’ailleurs une Avocate si puissante, qu’elle n’est jamais refusée ; si industrieuse, qu’elle sait tous les secrets de gagner le cœur de Dieu ; si bonne et charitable, qu’elle ne rebute personne, quelque petit et méchant qu’il soit.

Je rapporterai ci-après la figure véritable des vérités que je dis, dans l’histoire de Jacob et de Rébecca.

Quatrième motif. Cette dévotion fidèlement pratiquée est un excellent moyen pour faire en sorte que la valeur de toutes nos bonnes œuvres soit employée à la plus grande gloire de Dieu. Presque personne n’agit pour cette noble fin, quoiqu’on y soit obligé ; soit parce qu’on ne connaît pas où est la plus grande gloire de Dieu, soit parce qu’on ne la veut pas ; mais la Sainte-Vierge, à qui on a cédé la valeur et le mérite des bonnes œuvres qu’on pourra faire, connaissant très-parfaitement où est la plus grande gloire de Dieu, et ne faisant rien que pour la plus grande gloire de Dieu, un parfait serviteur de cette bonne maîtresse, qui s’est tout consacré à elle, peut dire hardiment que la valeur de toutes ses actions, pensées et paroles, est employée à la plus grande gloire de Dieu ; à moins qu’il ne révoque expressément son offrande. Peut-on trouver rien de plus consolant pour une âme qui aime Dieu d’un amour pur et sans intérêt, et qui prise plus la gloire de Dieu et ses intérêts que les siens ?

Cinquième motif. Cette dévotion est un chemin aisé, court, parfait et assuré pour arriver à l’union avec Notre Seigneur, où consiste la perfection du Chrétien.

1o C’est un chemin aisé, c’est un chemin que Jésus-Christ a frayé en venant à nous, et où il n’y a aucun obstacle pour arriver à lui : on peut à la vérité arriver à l’union divine par d’autres chemins ; mais ce sera par beaucoup plus de croix et de morts étranges, et avec beaucoup plus de difficultés, que nous ne vaincrons que difficilement : il faudra passer par des nuits obscures, par des combats, des agonies étranges, par-dessus des montagnes escarpées, par-dessus des épines très-piquantes et par des déserts affreux ; mais par le chemin de Marie, on passe plus doucement et plus tranquillement : on y trouve à la vérité de grands combats à donner et de grandes difficultés à vaincre ; mais cette bonne Mère et maîtresse se rend si proche et si présente à ses fidèles serviteurs, pour les éclairer dans leurs ténèbres et dans leurs doutes, pour les affermir dans leurs craintes, pour les soutenir dans leurs combats et leurs difficultés, qu’en vérité ce chemin virginal pour trouver Jésus-Christ est un chemin de rose et de miel, comparé aux autres chemins. Il y a eu quelques saints, mais en petit nombre, comme un saint Éphrem, saint Jean Damascène, saint Bernard, saint Bernardin, saint Bonaventure, saint François de Sales, etc., qui ont passé par ce chemin doux pour aller à Jésus-Christ, parce que le Saint-Esprit, époux fidèle de Marie, le leur a montré par une grâce singulière ; mais les autres saints qui sont en plus grand nombre, quoiqu’ils aient tous eu de la dévotion à la Sainte-Vierge, n’ont pas pourtant, ou très-peu entré dans cette voie. C’est pourquoi ils ont passé par des épreuves plus rudes et plus dangereuses.

D’où vient donc, me diront quelques fidèles serviteurs de Marie, que les serviteurs fidèles de cette bonne Mère ont tant d’occasions de souffrir, et plus que les autres, qui ne lui sont pas si dévots. On les contredit, on les persécute, on les calomnie, on ne les peut souffrir : ou bien, ils marchent dans les ténèbres intérieures et dans des déserts où il n’y a pas la moindre goutte de rosée du Ciel ; si cette dévotion à la Sainte-Vierge rend le chemin pour trouver Jésus-Christ plus aisé, d’où vient qu’ils sont les plus méprisés ? Je leur réponds, qu’il est bien vrai que les plus fidèles serviteurs de la Sainte-Vierge étant ses plus grands favoris, ils reçoivent d’elle les plus grandes grâces et faveurs du Ciel, qui sont les croix ; mais je soutiens que ce sont aussi les serviteurs de Marie qui portent ces croix avec plus de facilité, de mérite et de gloire ; et que ce qui arrêterait mille fois un autre ou le ferait tomber, ne les arrête pas une fois et les fait avancer ; parce que cette bonne Mère, toute pleine de grâces et de l’onction du Saint-Esprit, confit toutes ces croix qu’elle leur taille, dans le sucre de sa douceur maternelle et dans l’onction du pur amour ; en sorte qu’ils les avalent joyeusement comme des noix confites, quoiqu’elles soient d’elles-mêmes très-amères, et je crois qu’une personne qui veut être dévote et vivre pieusement en Jésus-Christ, et par conséquent souffrir persécution et porter tous les jours sa croix, ne portera jamais de grandes croix ou ne les portera pas joyeusement ni jusqu’à la fin, sans une tendre dévotion à la Sainte-Vierge, qui est la confiture des croix : tout de même qu’une personne ne pourra pas manger, sans une grande violence qui ne sera pas durable, des noix vertes sans être confites dans le sucre.

2o Cette dévotion à la Sainte-Vierge est un chemin court pour trouver Jésus-Christ, soit parce qu’on ne s’y égare point, soit parce que, comme je viens de dire, on y marche avec plus de joie et de facilité, et par conséquent avec plus de promptitude : on avance plus en peu de temps de soumission et de dépendance de Marie que dans des années entières de propre volonté et d’appui sur soi-même ; car un homme obéissant et soumis à la divine Marie chantera des victoires signalées sur tous ses ennemis ; ils voudront l’empêcher de marcher, ou le faire reculer, ou le faire tomber, il est vrai ; mais avec l’appui, l’aide et la conduite de Marie, sans tomber, sans reculer, et même sans se retarder, il avancera à pas de géant vers Jésus-Christ, par le même chemin par lequel il sait que Jésus-Christ est venu à nous à pas de géant et en peu de temps. Pourquoi pensez-vous que Jésus-Christ a si peu vécu sur la terre, et qu’en le peu d’années qu’il y a vécu, il a passé presque toute sa vie dans la soumission et l’obéissance à sa Mère ? Ah ! c’est qu’ayant été consommé en peu, il a vécu longtemps et plus longtemps qu’Adam, dont il était venu réparer les pertes, quoiqu’il ait vécu plus de neuf cents ans. Jésus-Christ a vécu longtemps, parce qu’il a vécu bien soumis à sa sainte Mère et bien uni avec elle, pour obéir à Dieu son Père ; car celui qui honore sa Mère ressemble à un homme qui thésaurise, dit le Saint-Esprit, c’est-à-dire que celui qui honore Marie sa Mère jusqu’à se soumettre à elle, à lui obéir en toutes choses, deviendra bientôt bien riche, 1o parce qu’il amasse tous les jours des trésors, par le secret de cette pierre philosophale : Qui honorat matrem quasi qui thesaurizat ; 2o parce que c’est dans le sein de Marie qui a entouré et engendré un homme parfait, et qui a eu la capacité de contenir celui que tout l’univers ne comprend ni ne contient pas ; c’est dans le sein de Marie, dis-je, que les jeunes gens deviennent des vieillards en lumière, en sainteté, en expérience et en sagesse ; et qu’on parvient en peu d’années jusqu’à la plénitude de l’âge de Jésus-Christ.

3o Cette pratique de dévotion à la Sainte-Vierge est un chemin parfait pour aller et s’unir à Jésus-Christ, puisque la divine Marie est la plus parfaite et la plus sainte des pures créatures, et que Jésus-Christ, qui est parfaitement venu à nous, n’a point pris d’autre route de son grand et admirable voyage ; le Très-Haut, l’Incompréhensible, l’Inaccessible, Celui qui est, a voulu venir à nous, petits vers de terre, qui ne sommes rien : comment cela s’est-il fait ? Le Très-Haut est descendu parfaitement et divinement, par l’humble Marie, jusqu’à nous, sans rien perdre de sa divinité et sainteté ; et c’est par Marie que les très-petits doivent monter parfaitement et divinement au Très-Haut sans rien appréhender. L’Incompréhensible s’est laissé comprendre et contenir parfaitement par la petite Marie, sans rien perdre de son immensité ; c’est aussi par la petite Marie que nous devons nous laisser contenir et conduire parfaitement sans aucune réserve. L’Inaccessible s’est approché, s’est uni étroitement, parfaitement et même personnellement à notre humanité par Marie, sans rien perdre de sa majesté ; c’est aussi par Marie que nous devons approcher de Dieu et nous unir à sa majesté parfaitement et étroitement, sans crainte d’être rebutés. Enfin, Celui qui est a voulu venir à ce qui n’est pas, et faire que ce qui n’est pas devienne Dieu en Celui qui est ; et il l’a fait parfaitement en se donnant et se soumettant entièrement à la jeune Vierge Marie, sans cesser d’être dans le temps Celui qui est de toute éternité. De même, c’est par Marie que, quoique nous ne soyons rien, nous pouvons devenir semblables à Dieu par la grâce et la gloire, en nous donnant à elle si parfaitement et entièrement, que nous ne soyons rien en nous-mêmes et tout en elle, sans crainte de nous tromper.

Qu’on me fasse un chemin nouveau pour aller à Jésus-Christ, et que ce chemin soit pavé de tous les mérites des Bienheureux, orné de toutes leurs vertus héroïques, éclairé et embelli de toutes les lumières et beautés des Anges, et que tous les Anges et les Saints y soient pour y conduire, défendre et soutenir ceux et celles qui y voudront marcher, en vérité, en vérité, je dis hardiment, et je dis la vérité, que je prendrais préférablement à ce chemin qui serait si parfait, la voie immaculée de Marie : Posui immaculatam viam meam ; voie ou chemin sans aucune tache ni souillure, sans péché originel ni actuel, sans ombres ni ténèbres ; et si mon aimable Jésus, dans sa gloire, vient une seconde fois sur la terre (comme il est certain) pour y régner, il ne choisira point d’autre voie de son voyage que la divine Marie, par laquelle il est si sûrement et parfaitement venu la première fois : la différence qu’il y aura entre la première et la dernière venue, c’est que la première a été secrète et cachée, et que la seconde sera glorieuse et éclatante ; mais toutes deux parfaites, parce que toutes deux seront par Marie. Hélas ! voici un mystère qu’on ne comprend pas. Hic taceat omnis lingua.

4o Cette dévotion à la Sainte-Vierge est un chemin assuré pour aller à Jésus-Christ et acquérir la perfection en nous unissant à lui.

1o Parce que cette pratique que j’enseigne n’est pas nouvelle : elle est si ancienne, qu’on ne peut, comme dit M. Boudon (mort depuis peu en odeur de sainteté), dans un livre qu’il a fait de cette dévotion, en marquer précisément les commencements ; il est cependant certain que, depuis plus de 700 ans, on en trouve des marques dans l’Église. Saint Odilon, abbé de Cluny, qui vivait environ l’an 1040, a été un des premiers qui l’a pratiquée publiquement en France, comme il est marqué dans sa vie. Le cardinal Pierre Damien rapporte que, l’an 1036, le Bienheureux Marin, son frère, se fit esclave de la Sainte-Vierge, en présence de son directeur, d’une manière bien édifiante ; car il se mit la corde au cou, prit la discipline, et mit sur l’autel une somme d’argent pour marquer son dévouement et sa consécration à la Sainte-Vierge ; ce qu’il continua si fidèlement toute sa vie, qu’il mérita à sa mort d’être visité et consolé par sa bonne maîtresse, et de recevoir de sa bouche les promesses du Paradis pour récompense de ses services.

Césarius Bollandus fait mention d’un illustre chevalier, Vautier de Birbac, qui, environ l’an 1500, fit cette consécration de soi-même à la Sainte-Vierge. Cette dévotion a été pratiquée par plusieurs particuliers jusqu’au XVIIe siècle, où elle est devenue publique.

Le Père Simon de Roras, de l’ordre de la Trinité, dit de la Rédemption des Captifs, prédicateur du roi Philippe III, mit en vogue cette dévotion par toute l’Espagne et l’Allemagne, et obtint, à l’instance de Philippe III, de Grégoire XV, de grandes indulgences à ceux qui la pratiqueraient. Le R. Père de Los-Rios, de l’ordre de Saint-Augustin, s’appliqua avec son intime ami, le Père Roras, à étendre cette dévotion par ses paroles et ses écrits dans l’Espagne et l’Allemagne ; il composa un gros volume intitulé : Hierarchia Mariana, dans lequel il traite avec autant de piété que d’érudition de l’antiquité, de l’excellence et de la solidité de cette dévotion. Les RR. Pères Théatins, au siècle dernier, établirent cette dévotion dans l’Italie, la Sicile et la Savoie. Le R. Père Stanislas Phalacius, de la Compagnie de Jésus, avança merveilleusement cette dévotion dans la Pologne. Le Père de Los-Rios, dans son livre cité ci-dessus, rapporte les noms des Princes, Princesses, Ducs et Cardinaux de différents royaumes, qui ont embrassé cette dévotion.

Le R. Père Cornelius à Lapide, aussi recommandable pour sa piété que pour sa science profonde, ayant reçu commission de plusieurs théologiens d’examiner cette dévotion, après l’avoir examinée mûrement, lui donna des louanges dignes de sa piété, et plusieurs autres grands personnages suivirent son exemple.

Les RR. Pères Jésuites, toujours zélés au service de la très-sainte Vierge, présentèrent, au nom des Congréganistes de Cologne, un petit traité de cette dévotion au duc Ferdinand de Bavière, pour lors archevêque de Cologne, qui lui donna son approbation et la permission de le faire imprimer, exhortant tous les curés et religieux de son diocèse d’avancer autant qu’ils le pourraient cette dévotion. Le cardinal de Bérulle, dont la mémoire est en bénédiction par toute la France, fut un des plus zélés à étendre en France cette dévotion, malgré toutes les calomnies et persécutions que lui firent les critiques et les libertins : ils l’accusèrent de nouveauté et de superstition ; ils écrivirent et publièrent contre lui un écrit diffamatoire, et ils se servirent, ou plutôt le démon par leur ministère, de mille ruses pour l’empêcher d’étendre cette dévotion en France ; mais ce grand et saint homme ne répondit à leurs calomnies que par sa patience, et à leurs objections, contenues dans leur libelle, que par un petit écrit où il les réfute puissamment en leur montrant que cette dévotion est fondée sur l’exemple de Jésus-Christ, sur les obligations que nous lui avons, et sur les vœux que nous avons faits au saint Baptême ; et c’est particulièrement par cette dernière raison qu’il ferme la bouche à ses adversaires, leur faisant voir que cette consécration à la Sainte-Vierge et à Jésus-Christ par ses mains n’est autre chose qu’une parfaite rénovation des vœux et promesses du Baptême : il dit plusieurs belles choses sur cette pratique qu’on peut lire en ses ouvrages.

On peut lire dans le livre de M. Boudon les différents Papes qui ont approuvé cette dévotion, les théologiens qui l’ont examinée, les persécutions qu’elle a eues et vaincues, et les milliers de personnes qui l’ont embrassée, sans que jamais aucun Pape l’ait condamnée ; et on ne le pourrait pas faire sans renverser les fondements du Christianisme. Il reste donc constant que cette dévotion n’est point nouvelle, et que si elle n’est pas commune, c’est qu’elle est trop précieuse pour être goûtée et pratiquée de tout le monde.

2o Cette dévotion est un moyen assuré pour aller à Jésus-Christ, parce que le propre de la Sainte-Vierge est de nous conduire sûrement à Jésus-Christ comme le propre de Jésus-Christ, est de nous conduire sûrement au Père éternel. Et que les spirituels ne croient pas faussement que Marie leur soit un empêchement pour arriver à l’union divine ; car serait-il possible que celle qui a trouvé grâce devant Dieu pour tout le monde en général, et pour chacun en particulier, fût un empêchement à une âme pour trouver la grande grâce de l’union avec lui ? Serait-il possible que celle qui a été toute pleine et surabondante de grâces, si unie et transformée en Dieu, qu’il a fallu qu’il se soit incarné en elle, empêchât qu’une âme ne fût parfaitememt unie à Dieu ? Il est bien vrai que la vue des autres créatures, quoique saintes, pourrait peut-être, en de certains temps, retarder l’union divine ; mais non pas Marie, comme j’ai dit et dirai toujours sans me lasser. Une raison pourquoi si peu d’âmes arrivent à la plénitude de l’âge de Jésus-Christ, c’est que Marie, qui est autant que jamais la Mère du Fils et l’épouse féconde du Saint-Esprit, n’est pas assez formée dans leurs cœurs. Qui veut avoir le fruit bien mûr et bien formé doit avoir l’arbre qui le produit ; qui veut avoir le fruit de vie, Jésus-Christ, doit avoir l’arbre de vie, qui est Marie ; qui veut avoir en soi l’opération du Saint-Esprit doit avoir son Épouse fidèle et indissoluble, la divine Marie, qui le rend fertile et fécond, comme nous l’avons dit ailleurs.

Soyez donc persuadé que plus vous regarderez Marie en vos oraisons, contemplations, actions et souffrances, sinon d’une vue distincte et aperçue, du moins d’une vue générale et imperceptible, et plus parfaitement vous trouverez Jésus-Christ, qui est toujours avec Marie, grand, puissant, opérant et incompréhensible.

Ainsi, bien loin que la divine Marie, toute perdue en Dieu, devienne un obstacle aux parfaits pour arriver à l’union avec Dieu, il n’y a point eu jusqu’ici et il n’y aura jamais de créature qui nous aide plus efficacement à ce grand ouvrage, soit par les grâces qu’elle nous communiquera à cet effet, personne n’étant rempli de la pensée de Dieu que par elle, dit un Saint : Nemo cogitatione Dei repletur nisi per te ; soit par les illusions et tromperies du malin esprit dont elle nous garantira.

Là où est Marie, là l’esprit malin n’est point ; et une des plus infaillibles marques qu’on est conduit par le bon esprit, c’est quand on est bien dévot à Marie, qu’on pense souvent à elle, et qu’on en parle souvent.

C’est la pensée d’un Saint, qui ajoute que, comme la respiration est une marque certaine que le corps n’est pas mort, la fréquente pensée et invocation amoureuse de Marie est une marque certaine que l’âme n’est pas morte par le péché.

Comme c’est Marie seule, dit l’Église et le Saint-Esprit, qui la conduit, qui a seule fait périr toutes les hérésies : Sola cunctas hæreses interemisti in universo mundo ; quoique les critiques en grondent, jamais un fidèle dévot de Marie ne tombera dans l’hérésie ou l’illusion du moins formelle ; il pourra bien errer matériellement, prendre le mensonge pour la vérité, et le malin esprit pour le bon, quoique plus difficilement qu’un autre ; mais il connaîtra tôt ou tard sa faute et son erreur matérielle ; et quand il la connaîtra, il ne s’opiniâtrera en aucune manière à croire et à soutenir ce qu’il avait cru véritable. Quiconque donc, sans crainte d’illusion, qui est ordinaire aux personnes d’oraison, veut avancer dans la voie de la perfection et trouver sûrement et parfaitement Jésus-Christ, qu’il embrasse avec un grand cœur, Corde magno et animo volenti, cette dévotion à la Sainte-Vierge, qu’il n’avait peut-être pas encore connue ; qu’il entre dans ce chemin excellent qui lui était inconnu, et que je lui montre : Excellentiorem viam vobis demonstro.

C’est un chemin frayé par Jésus-Christ, la Sagesse Incarnée, notre unique chef ; le membre, en y passant, ne peut se tromper. C’est un chemin aisé, à cause de la plénitude de la grâce et de l’onction du Saint-Esprit qui le remplit ; on ne se lasse point, ni on ne recule point en y marchant. C’est un chemin court, qui en peu de temps nous mène à Jésus-Christ. C’est un chemin parfait, où il n’y a aucune boue, aucune poussière, ni la moindre ordure du péché. C’est enfin un chemin assuré, qui nous conduit à Jésus-Christ et à la vie éternelle, d’une manière droite et assurée, sans détourner ni à droite ni à gauche. Entrons donc dans ce chemin, et marchons-y jour et nuit, jusqu’à la plénitude de l’âge de Jésus-Christ.

Sixième motif. Cette pratique de dévotion donne une grande liberté intérieure, qui est la liberté des enfants de Dieu, aux personnes qui la pratiquent fidèlement ; car, comme par cette dévotion on se rend esclave de Jésus-Christ, on se consacre tout à lui en cette qualité ; ce bon maître, pour récompense de la captivité amoureuse où on se met : 1o ôte tout scrupule et crainte servile de l’âme, qui n’est capable que de l’étrécir, captiver et embrouiller ; 2o il élargit le cœur par une ferme confiance en Dieu, le lui faisant regarder comme son Père ; 3o il lui inspire un amour tendre et filial.

Sans m’arrêter à prouver cette vérité par des raisons, je me contente de rapporter un trait d’histoire que j’ai lu dans la vie de la Mère Agnès de Jésus, religieuse jacobine du couvent de Langeac en Auvergne, et qui mourut en odeur de sainteté au même lieu, l’an 1634. N’ayant encore que sept ans, et souffrant de grandes peines d’esprit, elle entendit une voix qui lui dit que si elle voulait être délivrée de toutes ses peines et être protégée contre tous ses ennemis, elle se fit au plus tôt l’esclave de Jésus et de sa sainte Mère ; elle ne fut pas plus tôt de retour à la maison, qu’elle se donna tout entière à Jésus et à sa sainte Mère en cette qualité, quoiqu’elle ne sût pas auparavant ce que c’était que cette dévotion ; et ayant trouvé une chaîne de fer, elle se la mit sur les reins, et la porta jusqu’à la mort. Après cette action, toutes ses peines et ses scrupules cessèrent, et elle se trouva dans une grande paix et dilatation de cœur ; ce qui l’engagea à enseigner cette dévotion à plusieurs autres qui y ont fait de grands progrès, entre autres à M. Olier, instituteur du séminaire de Saint-Sulpice, et à plusieurs prêtres et ecclésiastiques du même séminaire. Un jour la Sainte-Vierge lui apparut, et lui mit au cou une chaîne d’or, pour lui témoigner la joie qu’elle avait qu’elle se fût faite l’esclave de son Fils et la sienne : et sainte Cécile, qui accompagnait la Sainte-Vierge, lui dit : Heureux sont les fidèles esclaves de la Reine du Ciel, car ils jouiront de la véritable liberté : Tibi servire libertas.

Septième motif. Ce qui peut encore nous engager à embrasser cette pratique, ce sont les grands biens qu’en recevra notre prochain ; car, par cette pratique, on exerce envers lui la charité d’une manière éminente ; puisqu’on lui donne, par les mains de Marie, tout ce qu’on a de plus-cher, qui est la valeur satisfactoire et impétratoire de toutes ses bonnes œuvres, sans excepter la moindre bonne pensée et la moindre petite souffrance ; on consent que tout ce qu’on a acquis et ce qu’on acquerra jusqu’à la mort de satisfactions soit, selon la volonté de la Sainte-Vierge, employé ou à la conversion des pécheurs, ou à la délivrance des âmes du Purgatoire.

N’est-ce pas là aimer son prochain parfaitement ? N’est-ce pas là être le véritable disciple de Jésus-Christ, qu’on reconnaît par la charité ? N’est-ce pas là le moyen de convertir les pécheurs sans crainte de la vanité, et de délivrer les âmes du Purgatoire, sans presque faire rien autre chose que ce que chacun est obligé de faire dans son état ?

Pour connaître l’excellence de ce motif, il faudrait connaître quel bien c’est que de convertir un pécheur ou de délivrer une âme du Purgatoire ; bien infini, qui est plus grand que de créer le ciel et la terre, puisqu’on donne à une âme la possession de Dieu. Quand, par cette pratique, on ne délivrerait qu’une âme du Purgatoire en toute sa vie, ou qu’on ne convertirait qu’un pécheur, n’en serait-ce pas assez pour engager tout homme vraiment charitable à l’embrasser ? Mais il faut remarquer que nos bonnes œuvres passant par les mains de Marie, reçoivent une augmentation de pureté, et par conséquent de mérite et de valeur satisfactoire et impétratoire ; c’est pourquoi elles deviennent beaucoup plus capables de soulager les âmes du Purgatoire et de convertir les pécheurs, que si elles ne passaient pas par les mains virginales et libérales de Marie ; le peu qu’on donne par la Sainte-Vierge, sans propre volonté, et par une charité très-désintéressée, en vérité, devient bien puissant pour fléchir la colère de Dieu, et pour attirer sa miséricorde ; et il se trouvera peut-être à la mort qu’une personne bien fidèle à cette pratique aura par ce moyen délivré plusieurs âmes du Purgatoire, et converti plusieurs pécheurs, quoiqu’elle n’ait fait que des actions de son état assez ordinaires. Quelle joie à son jugement ! quelle gloire dans l’éternité !

Huitième motif. Enfin, ce qui nous engage plus puissamment, en quelque manière, à cette dévotion à la très-sainte Vierge, c’est que c’est un moyen admirable pour persévérer dans la vertu et être fidèle : car d’où vient que la plupart des conversions des pécheurs ne sont pas durables ? d’où vient qu’on retombe si aisément dans le péché ? d’où vient que la plupart des justes, au lieu d’avancer de vertu en vertu et acquérir de nouvelles grâces, perdent souvent le peu de vertus et de grâces qu’ils ont ? Ce malheur vient, comme j’ai montré ci-devant, de ce que l’homme, étant si corrompu, si faible et si inconstant, se fie à lui-même, s’appuie sur ses propres forces, et se croit capable de garder le trésor de ses grâces, de ses vertus et mérites. Par cette dévotion, on confie à la Sainte-Vierge, qui est fidèle, tout ce qu’on possède ; on la prend pour la dépositaire universelle de tous ses biens de nature et de grâce : c’est à sa fidélité que l’on se fie, c’est sur sa puissance que l’on s’appuie, c’est sur sa miséricorde et sa charité que l’on se fonde, afin qu’elle conserve et augmente nos vertus et mérites, malgré le diable, le monde et la chair, qui font leurs efforts pour nous les enlever. On lui dit, comme un bon enfant à sa mère, et un fidèle serviteur à sa maîtresse : Depositum custodi : Ma bonne mère et maîtresse, je reconnais que j’ai jusqu’ici plus reçu de grâce de Dieu par votre intercession que je n’en mérite, et ma funeste expérience m’apprend que je porte ce trésor en un vaisseau très-fragile, et que je suis trop faible et trop misérable pour les conserver en moi-même ; de grâce, recevez en dépôt tout ce que je possède, et me le conservez par votre fidélité et votre puissance : si vous me gardez, je ne perdrai rien ; si vous me soutenez, je ne tomberai point ; si vous me protégez, je suis à couvert de mes ennemis. C’est ce que dit saint Bernard en termes formels, pour nous inspirer cette pratique : Lorsqu’elle vous soutient, vous ne tombez point ; lorsqu’elle vous protége, vous ne craignez point ; lorsqu’elle vous conduit, vous ne vous fatiguez point ; lorsqu’elle vous est favorable, vous arrivez jusqu’au port du salut : Ipsa tenente, non corruis ; ipsa propitia, pervenis. Saint Bonaventure semble encore dire la même chose en des termes plus formels : « La Sainte-Vierge, dit-il, n’est pas seulement retenue dans la plénitude des Saints : mais elle retient encore et garde les Saints dans leur plénitude, afin qu’elle ne diminue point ; elle empêche que leurs vertus ne se dissipent ; que leurs mérites ne périssent ; que leurs grâces ne se perdent ; que les démons ne leur nuisent ; enfin elle empêche que Notre Seigneur ne les châtie quand ils pèchent. » Virgo non solum in plenitudine sanctorum detinetur, sed etiam in plenitudine sanctos detinet, ne plenitudo minuatur ; detinet virtutes ne fugiant ; detinet merita ne pereant ; detinet gratias ne effluant ; detinet dæmones ne noceant ; detinet Filium ne peccatores percutiat. (S. Bonav. in Specul. B. V.)

La très-sainte Vierge est la Vierge fidèle, qui, par sa fidélité à Dieu, répare les pertes qu’a faites Ève l’infidèle par son infidélité ; et qui obtient la fidélité à Dieu et la persévérance à ceux et celles qui s’attachent à elle : c’est pourquoi un Saint la compare à une ancre ferme qui les retient et les empêche de faire naufrage dans la mer agitée de ce monde, où tant de personnes périssent faute de s’attacher à cette ancre ferme. « Nous attachons, dit-il, les âmes à votre espérance, comme à une ancre ferme. » Animas ad spem tuam sicut ad firman anchoram alligamus. C’est à elle que les Saints qui se sont sauvés se sont le plus attachés, et ont attaché les autres, afin de persévérer dans la vertu. Heureux donc et mille fois heureux les Chrétiens qui maintenant s’attachent fidèlement et entièrement à elle, comme à une ancre ferme ! les efforts de l’orage de ce monde ne les font point submerger, ni perdre leurs trésors célestes. Heureux ceux et celles qui entrent dans elle comme dans l’arche de Noé ! les eaux du déluge de péchés qui noient tant de monde ne leur nuiront point : car, Qui operantur in me non peccabunt, « Ceux qui sont en moi pour travailler à leur salut ne pécheront point, » dit-elle, avec la Sagesse. Heureux les enfants infidèles de la malheureuse Ève qui s’attachent à la Mère et Vierge fidèle, qui demeure toujours fidèle, et ne se dément jamais : Fidelis permanet, se ipsam negare non potest ; et qui aime toujours ceux qui l’aiment, Ego diligentes me diligo, non-seulement d’un amour affectif, mais d’un amour effectif et efficace, en les empêchant, par une grande abondance de grâces, de reculer dans la vertu, de tomber dans le chemin, en perdant la grâce de son Fils. Cette bonne mère reçoit toujours, par pure charité, tout ce qu’on lui donne en dépôt, et quand elle l’a une fois reçu en qualité de dépositaire, elle est obligée par justice, en vertu du contrat de dépôt, de nous le garder ; tout comme une personne à qui j’aurais confié mille écus en dépôt serait obligée de me les garder ; en sorte que si, par sa négligence, mes mille écus venaient à être perdus, elle en serait responsable en bonne justice. Mais non, la fidèle Marie ne laissera pas perdre par sa négligence ce qu’on lui aurait confié : le ciel et la terre passeraient plutôt qu’elle fût négligente et infidèle envers ceux qui se fient en elle.

Pauvres enfants de Marie, votre faiblesse est extrême, votre inconstance est grande, votre fonds est bien gâté, je l’avoue, vous êtes tirés de la même masse corrompue des enfants d’Adam et Ève ; ne vous découragez pas pour cela, mais consolez-vous, mais réjouissez-vous d’avoir le secret que je vous apprends, secret inconnu de presque tous les Chrétiens même les plus dévots ; ne laissez pas votre or et votre argent dans vos coffres, qui ont déjà été enfoncés par l’esprit malin, qui vous a volé, et qui sont trop petits, trop faibles et trop vieux pour contenir un trésor si grand et si précieux : ne mettez pas l’eau pure et claire de la fontaine dans vos vaisseaux tout gâtés et infectés par le péché ; si le péché n’y est plus, son odeur y est encore, l’eau en sera gâtée : ne mettez pas vos vins exquis dans vos anciens tonneaux, qui ont été remplis de mauvais vins, ils en seraient gâtés et en danger d’être répandus.

Quoique vous m’entendiez, âmes prédestinées, il faut ici parler plus ouvertement. Ne confiez pas l’or de votre charité, l’argent de votre pureté, les eaux des grâces célestes, ni les vins de vos mérites et vertus à un sac percé, à un coffre vieux et brisé, à un vaisseau gâté et corrompu comme vous êtes, autrement vous serez pillées par les voleurs, c’est-à-dire les démons qui cherchent, qui épient nuit et jour le temps propre pour le faire ; autrement vous gâterez par votre mauvaise odeur d’amour de vous-même, de confiance en vous-même et de propre volonté, tout ce que Dieu vous donne de plus pur : mettez, versez dans le sein et le cœur de Marie tous vos trésors, toutes vos grâces et vertus ; c’est un vaisseau d’esprit, c’est un vaisseau d’honneur, c’est un vaisseau insigne de dévotion : Vas spirituale, vas honorabile, vas insigne devotionis.

Depuis que Dieu même en personne s’est enfermé avec toutes ses perfections dans ce vaisseau, il est devenu tout spirituel, et la demeure spirituelle des âmes les plus spirituelles ; il est devenu honorable, et le trône d’honneur des plus grands princes de l’éternité ; il est devenu insigne en dévotion, et le séjour le plus illustre en douceurs, en grâces et en vertus ; il est enfin devenu riche comme une maison d’or, fort comme une tour de David, et pur comme une tour d’ivoire. Oh ! qu’un homme qui a tout donné à Marie, qui se confie en tout et pour tout en Marie, est heureux ! Il est tout à Marie, et Marie est tout à lui ; il peut dire hardiment avec David : Hæc facta est mihi : « Marie est faite pour moi ; » ou avec le disciple bien-aimé : Accepi eam in mea : « Je l’ai prise pour tout mon bien ; » ou avec Jésus-Christ : Omnia mea tua sunt, et omnia tua measunt : « Tout ce que j’ai est à vous, et tout ce que vous avez est à moi. »

Si quelque critique qui lira ceci s’imagine que je parle ici par exagération et par une dévotion outrée, hélas ! il ne m’entend pas, soit parce qu’il est un homme charnel, qui ne goûte pas les choses de l’esprit, soit parce qu’il est du monde, qui ne peut recevoir le Saint-Esprit, soit parce qu’il est orgueilleux et critique, qui condamne ou méprise tout ce qu’il n’entend pas. Mais les âmes qui ne sont pas nées du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu et de Marie, me comprennent et me goûtent : et c’est pour elles aussi que j’écris ceci : cependant je dis pour les uns et les autres, en reprenant ma matière interrompue, que la divine Marie, étant la plus honnête et la plus libérale de toutes les pures créatures, elle ne se laisse jamais vaincre en amour et en libéralité ; et pour un œuf, dit un saint homme, elle donnera un bœuf, c’est-à-dire, pour peu qu’on lui donne, elle donne beaucoup de ce qu’elle a reçu de Dieu ; et, par conséquent, si une âme se donne à elle sans réserve, elle se donne à cette âme sans réserve, si on met sa confiance en elle sans présomption, travaillant de son côté à acquérir les vertus, à dompter ses passions.

Que les fidèles serviteurs de la Sainte-Vierge disent donc hardiment avec saint Jean Damascène : « Ayant confiance en vous, ô Mère de Dieu, je serai sauvé ; ayant votre protection, je ne craindrai rien ; avec votre secours, je combattrai et mettrai en fuite mes ennemis, car votre dévotion est une arme de salut que Dieu donne à ceux qu’il veut sauver. » Spem tuam habens, o Deipara, servabor ; defensionem tuam possidens, non timebo ; persequar inimicos meos et in fugam vertam, habens protectionem et auxilium tuum ; nam tibi devotum esse est arma quædam salutis quæ Deus his dat quos vult salvos fieri. (Joan. Damasc.)

De toutes les vérités que je viens de décrire par rapport à la très-sainte Vierge et à ses enfants et serviteurs, le Saint-Esprit nous donne dans l’Écriture sainte une figure admirable, dans l’histoire de Jacob, qui reçut la bénédiction de son père Isaac par les soins et l’industrie de Rébecca sa mère : la voici comme le Saint-Esprit la rapporte ; ensuite j’y ajouterai son explication.

« Ésaü ayant vendu à Jacob son droit d’aînesse, Rébecca, mère des deux frères, qui aimait tendrement Jacob, lui assura cet avantage, plusieurs années après, par une adresse toute sainte et toute pleine de mystère : car Isaac, se sentant fort vieux et voulant bénir ses enfants avant que de mourir, appela son fils Ésaü, qu’il aimait, lui commanda d’aller à la chasse pour avoir de quoi manger, afin qu’il le bénît ensuite. Rébecca avertit promptement Jacob de ce qui se passait et lui commanda d’aller prendre deux chevreaux dans le troupeau. Lorsqu’il les eut donnés à sa mère, elle en prépara à Isaac ce qu’elle savait qu’il aimait ; elle revêtit Jacob des habits d’Ésaü, qu’elle gardait, et couvrit ses mains et son cou de la peau des chevreaux, afin que son père, qui ne voyait plus, pût, en entendant la parole de Jacob, croire au moins par le poil de ses mains que c’était Ésaü son frère. Isaac, ayant été surpris de sa voix qu’il croyait être la voix de Jacob, le fit approcher de lui ; ayant touché le poil des peaux dont il s’était couvert les mains, il dit que la voix, à la vérité, était la voix de Jacob, mais que les mains étaient les mains d’Ésaü. Après qu’il eut mangé et qu’il eut senti, en baisant Jacob, l’odeur de ses habits parfumés, il le bénit et lui souhaita la rosée du ciel et la fécondité de la terre ; il l’établit le maître de tous ses frères, et finit sa bénédiction par ces paroles : « Que celui qui vous maudira soit maudit lui-même, et que celui qui vous bénira soit comblé de bénédictions. » À peine Isaac avait achevé ces paroles, qu’Ésaü entre et apporte à manger ce qu’il avait pris à la chasse ; afin que son père le bénît ensuite. Ce saint Patriarche fut surpris d’un étonnement incroyable, lorsqu’il reconnut ce qui venait de se passer ; mais, bien loin de rétracter ce qu’il avait fait, il le confirma au contraire parce qu’il voyait trop sensiblement le doigt de Dieu dans cette conduite. Ésaü alors jeta des rugissements, comme marque l’Écriture sainte, et accusant hautement la tromperie de son frère, il demanda à son père s’il n’aurait qu’une bénédiction ; étant en ce point, comme remarquent les saints Pères, l’image de ceux qui, étant bien aises d’allier Dieu avec le monde, veulent jouir tout ensemble des consolations du Ciel et de celles de la terre. Isaac, touché des cris d’Ésaü, le bénit enfin, mais d’une bénédiction de la terre, en l’assujettissant à son frère ; ce qui lui fit concevoir une haine si envenimée contre Jacob, qu’il n’attendait plus que la mort de son père pour le tuer ; et Jacob n’aurait pu éviter la mort, si sa chère mère Rébecca ne l’en eût garanti par ses industries et les bons conseils qu’elle lui donna et qu’il suivit. »

Avant d’expliquer cette histoire, qui est si belle, il faut remarquer que, selon les saints Pères et les interprètes de l’Écriture sainte, Jacob est la figure de Jésus-Christ et des prédestinés, et Ésaü celle des réprouvés ; il ne faut qu’examiner les actions et la conduite de l’un et de l’autre pour en juger.

1o Ésaü, l’aîné, était fort et robuste de corps, adroit et industrieux à tirer de l’arc et à prendre beaucoup de gibier à la chasse ; 2o il ne restait quasi point à la maison, et, ne mettant sa confiance qu’en sa force et son adresse, il ne travaillait que dehors ; 3o il ne se mettait pas beaucoup en peine de plaire à sa mère Rébecca, et il ne faisait rien pour cela ; 4o il était si gourmand et aimait tant sa bouche qu’il vendit son droit d’aînesse pour un plat de lentilles ; 5o il était, comme Caïn, plein d’envie contre son frère Jacob, et il le persécutait à toute outrance.

Voilà la conduite que gardent les réprouvés tous les jours. 1o Ils se fient en leur force et leur industrie pour les affaires temporelles ; ils sont très-forts, très-habiles et très-éclairés pour les choses de la terre, mais très-faibles et très-ignorants dans les choses du Ciel : In terrenis fortes, in cœlestibus debiles ; c’est pourquoi 2o. ils ne demeurent point ou que très-peu chez eux, dans leur maison propre, c’est-à-dire dans leur intérieur, qui est la maison intérieure et essentielle que Dieu a donnée à chaque homme, pour y demeurer à son exemple ; car Dieu demeure toujours chez soi : les réprouvés n’aiment point la retraite ni la spiritualité, ni la dévotion intérieure, et ils traitent de petits, de bigots et de sauvages, ceux qui sont intérieurs et retirés du monde, et qui travaillent plus au dedans qu’au dehors. 3o Les réprouvés ne se soucient guère de la dévotion à la Sainte-Vierge, la Mère des prédestinés ; il est vrai qu’ils ne la haïssent pas formellement ; ils lui donnent quelquefois des louanges ; ils disent qu’ils l’aiment ; ils pratiquent même quelque dévotion en son honneur ; mais, au reste, ils ne peuvent souffrir qu’on l’aime tendrement, parce qu’ils n’ont point pour elle les tendresses de Jacob ; ils trouvent à redire aux pratiques de dévotion auxquelles ses bons enfants et serviteurs se rendent fidèles pour gagner son affection, parce qu’ils ne croient pas que cette dévotion soit nécessaire au salut, et que, pourvu qu’ils ne haïssent pas formellement la Sainte-Vierge, ou qu’ils ne méprisent pas ouvertement sa dévotion, c’en est assez ; et ils ont gagné les bonnes grâces de la Sainte-Vierge ; qu’enfin ils sont ses serviteurs, en récitant et marmottant quelques oraisons en son honneur, sans tendresse pour elle ni amendement pour eux-mêmes. 4o Les réprouvés vendent leur droit d’aînesse, c’est-à-dire les plaisirs du paradis ; pour un plat de lentilles, c’est-à-dire pour les plaisirs de la terre ; ils rient, ils boivent, ils mangent, ils se divertissent, ils jouent, ils dansent, sans se mettre en peine, comme Ésaü, de se rendre dignes de la bénédiction du Père céleste ; en trois mots, ils ne pensent qu’à la terre et n’aiment que la terre : ils ne parlent et n’agissent que pour la terre et les plaisirs, vendant pour un moment de plaisirs, pour une vaine fumée d’honneur, et pour un morceau de terre dure, jaune ou blanche, la grâce baptismale, leur robe d’innocence, leur héritage céleste. 5o Enfin, les réprouvés haïssent et persécutent tous les jours les prédestinés, ouvertement ou secrètement ; ils leur sont à charge, ils les méprisent, ils les critiquent, ils les contrefont, ils les injurient, ils les volent, ils les trompent, ils les appauvrissent, ils les chassent, ils les réduisent dans la poussière ; tandis qu’ils font fortune, qu’ils prennent leurs plaisirs ; qu’ils sont en belle passe, qu’ils s’enrichissent, qu’ils s’agrandissent et vivent à leur aise.

Quant à Jacob, le cadet, 1o il était d’une faible complexion, doux et paisible, et demeurait ordinairement à la maison, pour gagner les bonnes grâces de sa mère Rébecca, qu’il aimait tendrement ; s’il sortait dehors, ce n’était pas par sa propre volonté, ni par la confiance qu’il eût en son industrie, mais pour obéir à sa mère.

2o Il aimait et honorait sa mère ; c’est pourquoi il se tenait à la maison, il évitait tout ce qui pouvait lui déplaire, et il faisait tout ce qu’il croyait lui plaire ; ce qui augmentait en Rébecca l’amour qu’elle lui portait.

3o Il était soumis en toutes choses à sa chère mère ; il lui obéissait entièrement en toutes choses, promptement sans tarder, et amoureusement sans se plaindre ; au moindre signe de sa volonté, le petit Jacob courait et travaillait : il croyait tout ce qu’elle lui disait : par exemple, quand elle lui dit qu’il allât chercher deux chevreaux, et qu’il les lui apportât pour apprêter à manger à son père Isaac, Jacob ne lui répliqua point qu’il y en avait assez d’un pour apprêter une fois à manger à un seul homme ; mais, sans raisonner, il fit ce qu’elle lui avait dit.

4o Il avait une grande confiance en sa chère mère ; comme il ne s’appuyait point du tout sur son savoir-faire, il s’appuyait uniquement sur les soins et la protection de sa mère, il la réclamait en tous ses besoins et la consultait en tous ses doutes ; par exemple, quand il lui demanda si, au lieu de sa bénédiction, il ne recevrait point la malédiction de son père, il la crut et se confia en elle, quand elle lui eut dit qu’elle prenait sur elle cette malédiction.

5o Enfin il imitait, selon sa portée, les vertus qu’il voyait en sa mère ; et il semble qu’une des raisons pourquoi il demeurait sédentaire à la maison, c’était pour imiter sa chère mère, qui était vertueuse, et s’éloignait des mauvaises compagnies, qui corrompent les mœurs ; par ce moyen, il se rendit digne de recevoir la double bénédiction de son cher père.

Voilà aussi la conduite que gardent tous les jours les prédestinés :

1o Ils sont sédentaires à la maison, avec leur mère ; c’est-à-dire, ils aiment la retraite, ils sont intérieurs ; ils s’appliquent à l’oraison, mais à l’exemple et dans la compagnie de leur Mère, la Sainte-Vierge, dont toute la gloire est au dedans, et qui, pendant toute sa vie, a tant aimé la retraite et l’oraison : il est vrai qu’ils paraissent quelquefois au dehors dans le monde ; mais c’est par obéissance à la volonté de Dieu et à celle de leur chère mère, pour remplir les devoirs de leur état ; quelques grandes choses en apparence qu’ils fassent au dehors, ils estiment encore beaucoup plus celles qu’ils font au dedans d’eux-mêmes, dans leur intérieur, en la compagnie de la très-sainte Vierge ; parce qu’ils y font le grand ouvrage de leur perfection, auprès duquel tous les autres ouvrages ne sont que des jeux d’enfants ; c’est pourquoi, tandis quelquefois que leurs frères et sœurs travaillent pour le dehors avec beaucoup de force, d’industrie et de succès, dans la louange et approbation du monde, ils connaissent, par la lumière du Saint-Esprit, qu’il y a beaucoup plus de gloire, de bien et de plaisir à demeurer caché dans la retraite avec Jésus-Christ, leur modèle, dans une entière et parfaite soumission à leur Mère, que de faire par soi-même des merveilles de nature et de grâce dans le monde, comme tant d’Ésaü et de réprouvés : Gloria et divitiæ in domo ejus : la gloire pour Dieu et les richesses pour l’homme se trouvent dans la maison de Marie.

Seigneur Jésus, que vos tabernacles sont aimables ! Le passereau a trouvé une maison pour se loger, et la tourterelle un nid pour mettre ses petits. Oh ! qu’heureux est l’homme qui demeure dans la maison de Marie, où vous avez le premier fait votre demeure ; c’est en cette maison des prédestinés qu’il reçoit son secours de vous seul, et qu’il a disposé des montées et des degrés de toutes les vertus pour s’élever dans son cœur à la perfection dans cette vallée de larmes. Quam dilecta tabernacula ! etc…

2o Ils aiment tendrement et honorent véritablement la très-sainte Vierge, comme leur bonne Mère et maîtresse ; ils l’aiment, non-seulement de bouche, mais en vérité ; ils l’honorent, non-seulement à l’extérieur, mais dans le fond du cœur ; ils évitent, comme Jacob, tout ce qui peut lui déplaire, et pratiquent avec ferveur tout ce qu’ils croient pouvoir leur acquérir sa bienveillance : ils lui apportent et lui donnent, non deux chevreaux, comme Jacob à Rébecca, mais leur corps et leur âme, avec tout ce qui en dépend, figurés par les deux chevreaux de Jacob ; afin 1o qu’elle les reçoive comme une chose qui lui appartient ; 2o afin qu’elle les tue et les fasse mourir au péché et à eux-mêmes, en les écorchant et les dépouillant de leur propre peau, et de leur amour-propre ; et, par ce moyen, pour plaire à Jésus son Fils, qui ne veut, pour ses disciples et amis que des morts à eux-mêmes ; 3o afin qu’elle les apprête au goût du Père céleste, et à sa plus grande gloire, qu’elle connaît mieux qu’aucune créature ; 4o afin que par ses soins et ses intercessions, ce corps et cette âme, bien purifiés de toute tache, bien morts, bien dépouillés et bien apprêtés, soient un mets délicat, digne de la bouche et de la bénédiction du Père céleste. N’est-ce pas ce que feront les personnes prédestinées, qui goûteront et pratiqueront la consécration parfaite à Jésus-Christ par les mains de Marie, que nous leur enseignons, par témoigner à Jésus et Marie un amour effectif et courageux ?

Les réprouvés disent assez qu’ils aiment Jésus, qu’ils aiment et qu’ils honorent Marie, mais non pas de leur substance, mais non pas jusqu’à leur sacrifier leur corps avec ses sens, leur âme avec ses passions, comme les prédestinés. Ceux-ci sont soumis et obéissants à la Sainte-Vierge, comme à leur bonne Mère, à l’exemple de Jésus-Christ, qui, de trente-trois ans qu’il a vécu sur la terre, en a employé trente à glorifier Dieu son Père par une parfaite et entière soumission à sa sainte Mère.

3o Ils lui obéissent en suivant exactement ses conseils, comme le petit Jacob ceux de Rébecca, qui lui dit : Acquiesce consiliis meis : « Mon Fils, suivez mes conseils ; » ou comme les conviés des noces de Cana, auxquels la Sainte-Vierge dit : Quodcumque dixerit vobis facite : « Faites tout ce que mon Fils vous dira. » Jacob, pour avoir obéi à sa Mère, reçut la bénédiction comme par miracle, quoique naturellement il ne dût pas l’avoir ; les conviés aux noces de Cana, pour avoir suivi le conseil de la Sainte-Vierge, furent honorés du premier miracle de Jésus-Christ, qui y convertit l’eau en vin, à la prière de sa sainte Mère : de même, tous ceux qui, jusqu’à la fin des siècles, recevront la bénédiction du Père céleste, et seront honorés des merveilles de Dieu, ne recevront ses grâces qu’en conséquence de leur parfaite obéissance à Marie ; les Ésaü, au contraire, perdent leur bénédiction, faute de soumission à la Sainte-Vierge.

4o Ils ont une grande confiance dans la bonté et la puissance de la très-sainte Vierge leur bonne Mère ; ils réclament sans cesse son secours ; ils la regardent comme leur étoile polaire, pour arriver à bon port ; ils lui découvrent leurs peines et leurs besoins avec beaucoup d’ouverture de cœur ; ils s’attachent à sa miséricorde et à sa douceur, pour avoir le pardon de leurs péchés par son intercession, ou pour goûter ses douceurs maternelles dans leurs peines et leurs ennuis.

Ils se jettent même, se cachent et se perdent d’une manière admirable dans son sein amoureux et virginal, pour y être embrasés du pur amour, pour y être purifiés des moindres taches, et pour y trouver pleinement Jésus, qui y réside comme dans son plus glorieux trône. Oh ! quel bonheur ! Ne croyez pas, dit l’abbé Guerric, qu’il y ait plus de bonheur d’habiter dans le sein d’Abraham que dans le sein de Marie, puisque le Seigneur y a placé son trône : Ne credideris majoris esse felicitatis habitare in sinu Abrahæ quam in sinu Mariæ, cum in eo Dominus posuerit thronum suum.

Les réprouvés, au contraire, mettant toute leur confiance en eux-mêmes, ne mangent avec l’enfant prodigue que ce que mangent les cochons ; ne se nourrissant avec les crapauds que de la terre, et n’aimant que les choses visibles et extérieures avec les mondains, ils ne goûtent point les douceurs du sein de Marie, ils ne sentent point un certain appui et une certaine confiance que les prédestinés sentent pour la Sainte-Vierge, leur bonne Mère ; ils aiment misérablement leur faim au dehors, comme dit saint Grégoire, parce qu’ils ne veulent pas goûter la douceur qui est toute préparée au dedans d’eux-mêmes et au dedans de Jésus et de Marie.

5o Enfin, les prédestinés gardent les voies de la Sainte-Vierge, leur bonne Mère, c’est-à-dire ils l’imitent ; et c’est en cela qu’ils sont vraiment heureux et dévots, et qu’ils portent la marque de leur prédestination, comme leur dit cette bonne Mère : Beati qui custodiunt vias meas ; c’est-à-dire bienheureux ceux qui pratiquent mes vertus, et qui marchent sur les traces de ma vie, avec le secours de la divine grâce ; ils sont heureux dans ce monde, pendant leur vie, par l’abondance des grâces et des douceurs que je leur communique de ma plénitude, et plus abondamment qu’aux autres qui ne m’imitent pas de si près ; ils sont heureux dans leur mort, qui est douce et tranquille, et à laquelle j’assiste ordinairement, pour les conduire moi-même dans les joies de l’Éternité ; enfin, ils seront heureux dans l’Éternité, parce que jamais aucun de mes bons serviteurs, qui a imité mes vertus pendant sa vie, n’a été perdu.

Les réprouvés, au contraire, sont malheureux pendant leur vie, à leur mort, et pendant l’Éternité, parce qu’ils n’imitent point la très-sainte Vierge dans ses vertus, se contentant de se mettre quelquefois de ses confréries, de réciter quelques prières en son honneur ou de faire quelqu’autre dévotion extérieure. Ô Sainte-Vierge, ma bonne Mère, qu’heureux sont ceux, je le répète avec les transports de mon cœur, qu’heureux sont ceux et celles qui, ne se laissant point séduire par une fausse dévotion envers vous, gardent fidèlement vos voies, vos conseils et vos ordres ! Mais que malheureux et maudits sont ceux qui abusent de votre dévotion, ne gardent pas les commandements de votre Fils : Maledicti omnes qui declinant a mandatis tuis !

Voici présentement les devoirs charitables que la Sainte-Vierge, comme la meilleure de toutes les mères, rend à ses fidèles serviteurs, qui se sont donnés à elle de la manière que j’ai dite, et selon la figure de Jacob.

1o Elle les aime : Ego diligentes me diligo : J’aime ceux qui m’aiment. Elle les aime : 1o parce qu’elle est leur Mère véritable : or, une mère aime toujours son enfant, le fruit de ses entrailles ; 2o elle les aime par reconnaissance, parce qu’effectivement ils l’aiment comme leur bonne Mère ; 3o elle les aime, parce qu’étant prédestinés, Dieu les aime : Jacob dilexi, Esau autem odio habui ; 4o elle les aime, parce qu’ils se sont tous consacrés à elle, et qu’ils sont sa possession et son héritage : In Israel hæreditare.

Elle les aime tendrement, et plus tendrement que toute les mères ensemble. Mettez, si vous pouvez, tout l’amour naturel que les mères de tout le monde ont pour leurs enfants, dans un même cœur d’une mère pour un enfant unique ; certainement cette mère aimera beaucoup cet enfant : cependant il est vrai que Marie aime encore plus tendrement ses enfants que cette mère n’aimerait le sien.

Elle ne les aime pas seulement avec affection, mais avec efficace ; son amour pour eux est actif et effectif ; comme celui et plus que celui de Rébecca pour Jacob.

Voici ce que cette bonne mère, dont Rébecca n’était que la figure, fait pour obtenir à ses enfants la bénédiction du Père céleste.

1o Elle épie, comme Rébecca, les occasions favorables de leur faire du bien, de les agrandir et enrichir ; comme elle voit clairement en Dieu tous les biens et les maux, les bonnes et mauvaises fortunes, les bénédictions et les malédictions de Dieu, elle dispose de loin les choses pour exempter de toutes sortes de maux ses serviteurs et les combler de toutes sortes de biens ; en sorte que, s’il y a une bonne fortune à faire en Dieu, par la fidélité d’une créature à quelque haut emploi, il est sûr que Marie procurera cette bonne fortune à quelqu’un de ses bons enfants et serviteurs, et lui donnera la grâce pour en venir à bout avec fidélité. Ipsa procurat negotia nostra, dit un Saint.

2o Elle leur donne de bons conseils comme Rébecca à Jacob. Fili mi, acquiesce consiliis meis ! « Mon fils, suis mes conseils ! » et entre autres conseils, elle leur inspire de lui apporter deux chevreaux ; c’est-à-dire leur corps et leur âme, de les lui consacrer pour en faire un ragoût qui soit agréable à Dieu, et de faire tout ce que Jésus-Christ son Fils a enseigné par ses paroles et ses exemples : si ce n’est pas par elle-même qu’elle leur donne ces conseils, c’est par le ministère des Anges, qui n’ont pas de plus grand honneur et plaisir que d’obéir à quelqu’un de ses commandements pour descendre sur terre et secourir quelqu’un de ses serviteurs.

3o Quand on lui a apporté et consacré son corps et son âme et tout ce qui en dépend sans rien excepter, que fait cette bonne mère ? Ce que fit autrefois Rébecca aux deux chevreaux que lui apporta Jacob : 1o elle les tue et fait mourir à la vie du vieil Adam ; 2o elle les écorche et dépouille de leur peau naturelle, de leurs inclinations naturelles, de leur amour-propre et propre volonté, et de toute attache à la créature ; 3o elle les purifie de leurs taches, ordures et péchés ; 4o elle les apprête au goût de Dieu et à sa plus grande gloire ; et comme il n’y a qu’elle qui sait parfaitement ce goût divin et cette plus grande gloire du Très-Haut, il n’y a qu’elle qui, sans se tromper, peut accommoder et apprêter notre corps et notre âme à ce goût infiniment relevé, et à cette gloire infiniment cachée.

4o Cette bonne mère, ayant reçu l’offrande parfaite que nous lui avons faite de nous-mêmes et de nos propres mérites et satisfactions, par la dévotion dont j’ai parlé, et nous étant dépouillés de nos vieux habits, elle nous approprie et nous rend dignes de paraître devant notre Père céleste. 1o Elle nous revêt des habits propres, neufs, précieux et parfumés d’Ésaü l’aîné, c’est-à-dire de Jésus-Christ son Fils, qu’elle garde dans sa maison, c’est-à-dire qu’elle a dans sa puissance, et comme la trésorière et la dispensatrice universelle et éternelle des mérites et des vertus de son Fils Jésus-Christ, qu’elle donne et communique à qui elle veut, quand elle veut, comme elle veut et autant qu’elle veut, comme nous avons vu ci-devant ; 2o elle entoure le cou et les mains de ses serviteurs des peaux des chevreaux tués et écorchés, c’est-à-dire elle les orne des mérites et de la valeur de leurs propres actions ; elle tue et mortifie à la vérité tout ce qu’il y a d’impur et d’imparfait dans leurs personnes, mais elle ne perd et ne dissipe pas tout le bien que la grâce y a fait, elle le garde et l’augmente pour en faire l’ornement et la force de leur cou et de leurs mains, c’est-à-dire pour les fortifier et leur aider à porter le joug du Seigneur, qui se porte sur le cou, et à opérer de grandes choses pour la gloire de Dieu et le salut de leurs pauvres frères ; 3o elle donne un nouveau parfum et une nouvelle grâce à leurs habits et ornements, en leur communiquant ses propres habits, ses mérites et ses vertus, qu’elle leur a légués en mourant, par son testament, comme dit une sainte Religieuse du siècle dernier, morte en odeur de sainteté, et qui l’a su par révélation ; en sorte que tous ses domestiques, ses fidèles serviteurs et esclaves sont doublement vêtus des habits de son Fils et des siens propres : Omnes domestici vestiti sunt duplicibus ; c’est pourquoi ils n’ont rien à craindre du froid de Jésus-Christ, blanc comme la neige, que les réprouvés tout nus et dépouillés des mérites de Jésus-Christ et de la Sainte-Vierge ne pourront pas soutenir.

4o Elle leur fait enfin obtenir la bénédiction du Père céleste, quoique n’étant que les puînés et les enfants adoptifs, ils ne dussent pas naturellement l’avoir. Avec ces habits tout neufs, très-précieux et de très-bonne odeur, et avec leur corps et leur âme bien préparés et apprêtés, ils s’approchent en confiance du lit de repos de leur Père céleste ; il entend et distingue leur voix, qui est celle du pécheur ; il touche leurs mains couvertes de peaux, il sent la bonne odeur de leurs habits, il mange avec joie de ce que Marie, leur Mère, lui a apprêté, reconnaissant en eux les mérites et la bonne odeur de son Fils et de sa sainte Mère. 1o Il leur donne sa double bénédiction, bénédiction de la rosée du ciel : De rore cœlesti ; c’est-à-dire, de la grâce divine, qui est la semence de la gloire ; Benedixit nos in omni benedictione spiritali in Christo Jesu ; Bénédiction de la graisse de la terre : De pinguedine terræ, c’est-à-dire que ce bon Père leur donne leur pain quotidien et une suffisante abondance des biens de ce monde. 2o Il les rend les maîtres de leurs autres frères, les réprouvés ; non pas que cette primauté paraisse toujours en ce monde, qui passe dans un instant où souvent les réprouvés dominent : Peccatores effabuntur et gloriabuntur : vidi impium superexaltatum et elevatum ; mais elle est pourtant véritable, et elle paraîtra manifestement dans l’autre monde, à toute éternité, où les justes, comme dit le Saint-Esprit, domineront et commanderont aux nations : Dominabuntur populis. 3o Sa Majesté, non contente de les bénir en leurs personnes et en leurs biens, bénit encore tous ceux qui les béniront, et maudit tous ceux qui les maudiront et persécuteront.

II. Le second devoir de charité que la Sainte-Vierge exerce envers ses fidèles serviteurs, c’est qu’elle les entretient de tout pour le corps et pour l’âme ; elle leur donne des habits doubles, comme nous venons de voir ; elle leur donne à manger les mets les plus exquis de la table de Dieu, elle leur donne à manger le pain de vie qu’elle a formé : A generationibus meis implemini : Mes chers enfants, leur dit-elle, sous le nom de la Sagesse, remplissez-vous de mes générations, c’est-à-dire de Jésus, le fruit de vie, que j’ai mis au monde pour vous : Venite, comedite panem meum et bibite vinum quod miscui vobis ; comedite, et bibite, et inebriamini, carissimi : « Venez, leur répète-t-elle en un autre endroit, mangez mon pain qui est Jésus, buvez le vin de son amour, que je vous ai mêlé. » Comme c’est elle qui est la trésorière et la dispensatrice des dons et des grâces du Très-Haut, elle en donne une bonne portion et la meilleure pour nourrir et entretenir ses enfants et serviteurs ; ils sont engraissés du pain vivant ; ils sont enivrés du vin qui germe les vierges, ils sont portés dans le sein de Marie, ad ubera portabimini ; ils ont tant de facilité à porter le joug de Jésus-Christ, qu’ils n’en sentent quasi pas la pesanteur, à cause de l’huile de la dévotion dont elle le fait pourrir : Jugum eorum putrescere faciet àfacie olei.

III. Le troisième bien que la Sainte-Vierge fait à ses serviteurs, c’est qu’elle les conduit et dirige selon la volonté de son Fils. Rébecca conduisait son petit Jacob, et lui donnait de temps en temps de bons avis, soit pour attirer sur lui la bénédiction de son père, soit pour lui faire éviter la haine et la persécution de son frère Ésaü. Marie, qui est l’étoile de la mer, conduit tous ses fidèles serviteurs à bon port ; elle leur montre les chemins de la vie éternelle ; elle leur fait éviter les pas dangereux ; elle les conduit par la main dans les sentiers de la justice ; elle les soutient quand ils sont près de tomber ; elle les relève quand ils sont tombés ; elle les reprend en mère charitable, quand ils manquent ; et quelquefois même elle les châtie amoureusement ; un enfant obéissant à Marie, sa mère nourrice et sa directrice éclairée, peut-il s’égarer dans les chemins de l’Éternité ? Ipsam sequens non devias ; « En la suivant, dit saint Bernard, vous ne vous égarerez point. » Ne craignez point qu’un véritable enfant de Marie soit trompé par le malin, et tombe en quelque hérésie formelle. Là où est la conduite de Marie, là, ni le malin esprit avec ses illusions, ni les hérétiques avec leurs finesses, ne se trouvent : Ipsa tenente, non corruis.

IV. Le quatrième bon office que la Sainte-Vierge rend à ses enfants et fidèles serviteurs, c’est qu’elle les défend et protége contre leurs ennemis. Rébecca, par ses soins et ses industries, délivra Jacob de tous les dangers où il se trouva, et particulièrement de la mort que son frère Ésaü lui aurait apparemment donnée, par la haine et l’envie qu’il lui portait, comme autrefois Caïn à son frère Abel. Marie, la bonne mère des prédestinés, les cache sous les ailes de sa protection, comme une poule ses poussins ; elle parle, elle s’abaisse, elle condescend à toutes leurs faiblesses pour les garantir de l’épervier et du vautour ; elle se met autour d’eux, elle les accompagne comme une armée rangée en bataille ; ut castrorum acies ordinata. Un homme entouré d’une armée bien rangée de cent mille hommes peut-il craindre ses ennemis ? Un fidèle serviteur de Marie, entouré de sa protection et de sa puissance impériale, a encore moins à craindre. Cette bonne Mère et princesse puissante des cieux dépêcherait plutôt des bataillons de millions d’anges pour secourir un de ses serviteurs, qu’il fût jamais dit qu’un fidèle serviteur de Marie, qui s’est confié en elle, succombât à la malice, au nombre et à la force de ses ennemis.

V. Enfin, le cinquième et le plus grand bien que l’aimable Marie procure à ses fidèles dévots, c’est qu’elle intercède pour eux auprès de son Fils, et l’apaise par ses prières ; elle les unit à lui d’un lien très-intime, et elle les y conserve.

Rébecca fit approcher Jacob du lit de son père ; et le bon homme le toucha, l’embrassa, et le baisa même avec joie, étant content et rassasié des viandes bien aprêtées qu’il lui avait apportées ; et, ayant senti avec beaucoup de contentement les parfums exquis de ses vêtements, il s’écria : Ecce odor filii mei sicut odor agri pleni, cui benedixit Dominus. « Voici l’odeur de mon fils qui est comme l’odeur d’un champ plein que le Seigneur a béni. » Ce champ plein dont l’odeur charme le cœur du père n’est autre que l’odeur des vertus et des mérites de Marie, qui est un champ plein de grâce, où Dieu le Père a semé, comme un grain de froment des élus, son Fils unique. Oh ! qu’un enfant parfumé de la bonne odeur de Marie est bienvenu auprès de Jésus Christ, qui est le père du siècle à venir ! Oh ! qu’il lui est promptement et parfaitement uni ! Nous l’avons montré plus au long ci-devant.

De plus, après qu’elle a comblé ses enfants et fidèles serviteurs de ses faveurs, qu’elle leur a obtenu la bénédiction du Père céleste et l’union avec Jésus-Christ, elle les conserve en Jésus-Christ, et Jésus-Christ en eux ; elle les garde et elle les veille toujours, de peur qu’ils ne perdent la grâce de Dieu et ne retombent dans les piéges de leurs ennemis : In plenitudine detinet ; « Elle retient les Saints dans leur plénitude, » et les y fait persévérer jusqu’à la fin, comme nous avons vu. Voilà l’explication de cette grande et ancienne figure de la prédestination et réprobation si inconnue et si pleine de mystères.

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III. Effets merveilleux que cette dévotion produit dans une âme qui y est fidèle.


Mon cher frère, soyez persuadé que si vous vous rendez fidèle aux pratiques intérieures et extérieures de cette dévotion que je vous marquerai ci-après :

1o Par la lumière que le Saint-Esprit vous donnera par Marie sa chère épouse, vous connaîtrez votre mauvais fond, votre corruption et votre incapacité à tout bien, si Dieu n’en est le principe comme auteur de la nature ou de la grâce ; et ensuite de cette connaissance vous vous mépriserez, vous ne penserez à vous qu’avec horreur ; vous vous regarderez comme un limaçon qui gâte tout de sa bave, ou comme un crapaud qui empoisonne tout de son venin, ou comme un serpent malicieux qui ne cherche qu’à tromper ; enfin, l’humble Marie vous fera part de sa profonde humilité qui fera que vous vous mépriserez, vous ne mépriserez personne, et vous aimerez le mépris.

2o La Sainte-Vierge vous donnera part à sa foi, qui a été plus grande sur la terre que la foi de tous les Patriarches, des Prophètes, des Apôtres et de tous les Saints. Présentement qu’elle est régnante dans les Cieux, elle n’a plus cette foi, parce qu’elle voit clairement toutes choses en Dieu, par la lumière de la gloire ; mais cependant, avec l’agrément du Très-Haut, elle ne l’a pas perdue en entrant dans la gloire ; elle l’a gardée pour la garder dans l’Église militante à ses plus fidèles serviteurs et servantes. Plus donc vous gagnerez la bienveillance de cette auguste Princesse et Vierge fidèle, plus vous aurez de pure foi dans toute votre conduite : une foi pure, qui fera que vous ne vous soucierez guère du sensible et de l’extraordinaire ; une foi vive et animée par la charité, qui fera que vous ne ferez vos actions que par le motif du pur amour ; une foi ferme et inébranlable comme un rocher, qui fera que vous demeurerez ferme et constant au milieu des orages et des tourments ; une foi agissante et perçante, qui, comme un mystérieux passepartout, vous donnera entrée dans tous les mystères de Jésus-Christ, dans les fins dernières de l’homme, et dans le cœur de Dieu même ; une foi courageuse, qui vous fera entreprendre et venir à bout des grandes choses pour Dieu et le salut des âmes, sans hésiter ; enfin, une foi qui sera votre flambeau enflammé, votre vie divine, votre trésor caché de la divine sagesse, et votre arme toute-puissante, dont vous vous servirez pour éclairer ceux qui sont dans les ténèbres à l’ombre de la mort, pour embraser ceux qui sont tièdes et qui ont besoin de l’or embrasé de la charité, pour donner la vie à ceux qui sont morts par le péché, pour toucher et renverser par vos paroles douces et puissantes les cœurs de marbre et les cèdres du Liban, et enfin pour résister au diable et à tous les ennemis du salut.

3o Cette Mère de la belle dilection ôtera de votre cœur tout scrupule et toute crainte servile, déréglée ; elle l’ouvrira et l’élargira pour courir dans les commandements de son Fils avec la sainte liberté des enfants de Dieu, et pour y introduire le pur amour, dont elle a le trésor ; en sorte que vous ne vous conduirez plus tant que vous aurez fait par crainte à l’égard du Dieu de charité, mais par le pur amour. Vous le regarderez comme votre bon Père, auquel vous tâcherez de plaire incessamment, en qui vous converserez confidemment comme un enfant en son bon père ; si vous venez par malheur à l’offenser, vous vous en humilierez aussitôt devant lui : vous lui en demanderez pardon humblement, mais vous lui tendrez la main simplement, et vous vous en relèverez amoureusement, sans trouble ni inquiétude, et continuerez à marcher vers lui sans découragement.

4o La Sainte-Vierge vous remplira d’une grande confiance en Dieu et en elle-même, 1o parce que vous n’approcherez plus de Jésus-Christ par vous-même, mais toujours par cette bonne mère ; 2o parce que, lui ayant donné tous vos mérites, grâces et satisfactions, pour en disposer à sa volonté, elle vous communiquera ses vertus, et elle vous revêtira de ses mérites, en sorte que vous pourrez dire à Dieu avec confiance : Voici Marie, votre servante, qu’il me soit fait selon votre parole : Ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum verbum tuum ; 3o parce que vous étant donné à elle tout entier, corps et âme, elle qui est libérale avec les libéraux, et plus libérale que les libéraux mêmes, se donnera à vous par retour, d’une manière merveilleuse, mais véritable, en sorte que vous pourrez lui dire hardiment : Tuus sum ego, salvum me fac ; « Je suis à vous, Sainte-Vierge, sauvez-moi ; » ou, comme je l’ai déjà dit, avec le Disciple bien-aimé : Accepi tein mea ; « Je vous ai prise, sainte Mère, pour tous mes biens ; vous pourrez encore dire avec saint Bonaventure : Ecce Domina, salvatrix mea, fiducialiter agam et non timebo, quia fortitudo mea, et laus mea in Domino es tu ; et en un autre endroit : Tuus totus ego sum ; et omnia mea tua sunt ; o Virgo gloriosa, super omnia benedicta, ponam te ut signuculum super cormeum, quia fortis est ut mors dilectio tua ! « Ma chère maîtresse et salvatrice, j’agirai avec confiance et ne craindrai point, parce que vous êtes ma force et ma louange dans le Seigneur… Je suis tout vôtre, et tout ce que j’ai vous appartient, ô glorieuse Vierge ! bénite par-dessus toutes choses créées, que je vous mette comme un cachet sur mon cœur, parce que votre dilection est forte comme la mort. »

Vous pourrez dire à Dieu, dans les sentiments du Prophète : Domine, non est exaltatum cor meum, neque elati sunt oculi mei ; neque ambulavi in magnis, neque in mirabilibus super me, si non humiliter sentiebam ; sed exaltavi animam meam : sicut ablactatus est super matre tua, ita retributio in anima mea. « Seigneur, mon cœur ni mes yeux n’ont aucun sujet de s’élever et de s’enorgueillir, ni de rechercher les choses grandes et merveilleuses ; et en cela je ne suis pas encore humble ; mais j’ai relevé et encouragé mon âme par la confiance ; je suis comme un enfant sevré des plaisirs de la terre et appuyé sur le sein de ma mère ; et c’est sur ce sein qu’on me comble de biens. » 4o Ce qui augmentera encore votre confiance en elle, c’est que, lui ayant donné en dépôt tout ce que vous avez de bon pour le donner ou le garder, vous aurez moins de confiance en vous et beaucoup en elle, qui est votre trésor. Oh ! quelle confiance et quelle consolation pour une âme qui peut dire que le trésor de Dieu, où il a mis tout ce qu’il a de plus précieux, est le sien aussi ! Ipsa est Thesaurus Domini. « Elle est, dit un saint, le trésor du Seigneur. »

5o L’âme de la Sainte-Vierge se communiquera à vous, pour glorifier le Seigneur ; son esprit entrera en la place du vôtre, pour se réjouir en Dieu, son salutaire, pourvu que vous vous rendiez fidèle aux pratiques de cette dévotion. Sit in singulis anima Mariæ, ut magnificet Dominum : sit in singulis spiritus Mariæ, ut exsultet in Deo. (Saint Ambroise.) « Que l’âme de Marie soit en chacun, pour glorifier le Seigneur : que l’esprit de Marie soit en chacun, pour s’y réjouir en Dieu. » Ah ! quand viendra cet heureux temps ! dit un saint homme de nos jours, qui était tout perdu en Marie ; ah ! quand viendra cet heureux temps où la divine Marie sera établie maîtresse et souveraine dans les cœurs, pour les soumettre pleinement à l’empire de son grand et unique Jésus ? Quand est-ce que les âmes respireront autant Marie que les corps respirent l’air ? Pour lors, des choses merveilleuses arriveront dans ces bas lieux, où le Saint Esprit, trouvant sa chère épouse comme reproduite dans les âmes, y surviendra abondamment, et les remplira de ses dons, et particulièrement du don de sa sagesse, pour opérer des merveilles de grâce. Mon cher frère, quand viendra ce temps heureux et ce siècle de Marie, où les âmes se perdant elles-mêmes dans l’abîme de son intérieur, deviendront des copies vivantes de Marie, pour aimer et glorifier Jésus-Christ ? Ce temps ne viendra que quand on connaîtra et pratiquera la dévotion que j’enseigne. Ut adveniat regnum tuum, adveniat regnum Mariæ.

6o Si Marie, qui est l’arbre de vie, est bien cultivée en notre âme par la fidélité aux pratiques de cette dévotion, elle portera son fruit en son temps, et son fruit n’est autre que Jésus-Christ. Je vois tant de dévots et de dévotes qui cherchent Jésus-Christ, les uns par une voie et une pratique, les autres par l’autre ; et après qu’ils ont beaucoup travaillé pendant la nuit ils peuvent dire : Per totam noctem laborantes nihil cepimus, « Quoique nous ayons travaillé pendant toute la nuit, nous n’avons rien pris ; » et on peut leur dire : Laborastis multum, et intulistis parum ; « Vous avez beaucoup travaillé, et vous avez « peu gagné : » Jésus-Christ est encore bien faible chez vous ; mais par la voie immaculée de Marie, et cette pratique divine que j’enseigne, on travaille pendant le jour, on travaille dans un lieu saint, on travaille peu ; il n’y a point de nuit en Marie, puisqu’il n’y a point eu de péché, ni même la moindre ombre ; Marie est un lieu saint, et le Saint des Saints où les Saints sont formés et moulés. Remarquez, s’il vous plaît, que je dis que les Saints sont moulés en Marie : il y a une grande différence entre faire une figure en relief à coups de marteau et de ciseau, et faire une figure en la jetant en moule : les sculpteurs et les statuaires travaillent beaucoup à faire les figures de la première manière, et il leur faut beaucoup de temps ; mais à les faire de la seconde manière, ils travaillent peu et les font en fort peu de temps.

Saint Augustin appelle la Sainte-Vierge forma Dei, « le moule de Dieu : » Si formam Dei te appellem, digna existis ; le moule propre à former et mouler des dieux : celui qui est jeté dans ce moule divin est bientôt formé et moulé en Jésus-Christ, et Jésus-Christ en lui. À peu de frais et en peu de temps, il deviendra Dieu, puisqu’il est jeté dans le même moule qui a formé un Dieu.

Il me semble que je puis fort bien comparer ces directeurs et personnes dévotes qui veulent former Jésus-Christ en soi ou dans les autres par d’autres pratiques que celle-ci, à des sculpteurs qui, mettant leur confiance dans leur savoir-faire, leur industrie et leur art, donnent une infinité de coups de marteau et de ciseau à une pierre dure, ou à une pièce de bois mal polie, pour en faire l’image de Jésus-Christ, et quelquefois ils ne réussissent pas à exprimer Jésus-Christ au naturel, soit faute de connaissance ou d’expérience de la personne de Jésus-Christ, soit à cause de quelque coup mal donné, qui a gâté l’ouvrage ; mais pour ceux qui embrassent le secret de la grâce que je leur présente, je les compare avec raison à des fondeurs et mouleurs qui, ayant trouvé le beau moule de Marie, où Jésus a été naturellement et divinement formé, sans se fier à leur propre industrie, mais uniquement à la bonté du modèle, se jettent et se perdent en Marie pour devenir le portrait au naturel de Jésus-Christ.

Oh ! la belle et véritable comparaison ! mais qui la comprendra ? Je désire que ce soit vous, mon cher frère ; mais souvenez-vous qu’on ne jette en moule que ce qui est fondu et liquide, c’est-à-dire, qu’il faut détruire et fondre en vous le vieil Adam, pour devenir le nouveau en Marie.

7o Par cette pratique, bien fidèlement observée, vous donnerez à Jésus-Christ plus de gloire en un mois de temps que par aucune autre, quoique plus difficile en plusieurs années : voici les raisons de ce que j’avance.

1o Parce que, faisant vos actions par la Sainte-Vierge, comme cette pratique enseigne, vous quittez vos propres intentions et opérations, quoique bonnes et connues, pour vous perdre pour ainsi dire dans celles de la Sainte-Vierge, quoiqu’elles vous soient inconnues ; et par là vous entrez en participation de la sublimité de ses intentions, qui ont été si pures, qu’elle a plus donné de gloire à Dieu par la moindre de ses actions, par exemple en filant sa quenouille, en faisant un point d’aiguille, qu’un saint Laurent sur son gril par son cruel martyre, et même que tous les Saints par leurs actions les plus héroïques ; ce qui fait que, pendant son séjour ici-bas, elle a acquis un comble si ineffable de grâces et de mérites, qu’on compterait plutôt les étoiles du firmament, les gouttes d’eau de la mer et les sables du rivage, que ses mérites et ses grâces ; et qu’elle a donné plus de gloire à Dieu que tous les Anges et les Saints ne lui en ont donné ni ne lui en donneront. Ô prodige de Marie ! vous n’êtes capable que de faire des prodiges de grâce dans les âmes qui veulent bien se perdre en vous.

2o Parce qu’une âme, par cette pratique ne comptant pour rien tout ce qu’elle pense ou fait d’elle-même, et ne mettant son appui et sa complaisance que dans les dispositions de Marie, pour approcher de Jésus, et même pour lui parler, elle pratique beaucoup plus l’humilité que les âmes qui agissent par elles-mêmes, et qui ont un appui et une complaisance imperceptibles dans leurs dispositions ; et par conséquent, elle glorifie plus hautement Dieu, qui n’est parfaitement glorifié que par les humbles et les petits de cœur.

3o Parce que la Sainte-Vierge, voulant bien, par une grande charité, recevoir en ses mains virginales le présent de nos actions, elle leur donne une beauté et un éclat admirables, elle les offre elle-même à Jésus-Christ, et sans difficulté, et Notre-Seigneur en est plus glorifié que si nous les offrions par nos mains criminelles.

4o Enfin, parce que vous ne pensez jamais à Marie, que Marie en votre place ne pense à Dieu ; vous ne louez ni n’honorez jamais Marie, que Marie ne loue et n’honore Dieu ; Marie est toute relative à Dieu, et je l’appellerai fort bien la relation de Dieu, qui n’est que par rapport à Dieu, ou l’écho de Dieu, qui ne dit et ne répète que Dieu : si vous dites Marie, elle dit Dieu. Sainte Élisabeth loua Marie et l’appela Bienheureuse de ce qu’elle avait cru ; Marie, l’écho fidèle de Dieu, entonna : Magnificat anima mea Dominum ; « Mon âme glorifie le Seigneur. » Ce que Marie a fait en cette occasion, elle le fait tous les jours ; quand on la loue, on l’aime, on l’honore ou on lui donne, Dieu est loué, Dieu est aimé, Dieu est glorifié ; on donne donc à Dieu par Marie et en Marie.

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IV. Pratiques particulières de cette dévotion.

1. Pratiques extérieures.


Quoique l’essentiel de cette dévotion consiste dans l’intérieur, elle ne laisse pas d’unir plusieurs pratiques extérieures qu’il ne faut pas négliger, Hæc oportet facere et illa non omittere, soit parce que les pratiques extérieures bien faites aident les intérieures, soit parce qu’elles font ressouvenir l’homme, qui se conduit toujours par ses sens, de ce qu’il a fait ou doit faire, soit parce qu’elles sont propres à édifier le prochain qui les voit, ce que ne font pas celles qui sont intérieures. Qu’aucun mondain donc, ni critique, ne mette ici le nez, pour dire que la vraie dévotion est dans le cœur, qu’il faut éviter ce qui est extérieur, qu’il peut y avoir de la vanité, qu’il faut cacher sa dévotion : je leur réponds avec mon Maître, que les hommes voient les bonnes œuvres, afin qu’ils glorifient notre Père qui est dans les Cieux : non pas, comme dit saint Grégoire, qu’on doive faire ses actions et dévotions extérieures pour plaire aux hommes et en tirer quelque louange, ce serait vanité ; mais on les fait quelquefois devant les hommes, dans la vue de plaire à Dieu et de le faire glorifier par là, sans se soucier des mépris ou des louanges des hommes.

Je ne rapporterai qu’en abrégé quelques pratiques extérieures, que je n’appelle pas extérieures parce qu’on les fait sans intérieur, mais parce qu’elles ont quelque chose d’extérieur, pour les distinguer de celles qui sont purement intérieures.

Première pratique. Ceux et celles qui voudront entrer dans cette dévotion particulière, qui n’est point érigée en confrérie, quoiqu’il le fût à souhaiter, après avoir, comme j’aidit dans la première partie de cette préparation au règne de Jésus-Christ, employé douze jours au moins à se vider de l’esprit du monde, contraire à celui de Jésus-Christ, emploieront trois semaines à se remplir de Jésus-Christ par la Sainte-Vierge ; voici l’ordre qu’ils pourront garder.

Pendant la première semaine, ils emploieront toutes leurs oraisons et actions de piété à demander la connaissance d’eux-mêmes et la contrition de leurs péchés ; et ils feront tout en esprit d’humilité : pour cela, ils pourront, s’ils veulent, méditer ce que j’ai dit de notre mauvais fond, et ne se regarder, les six jours de cette semaine, que comme des escargots, limaçons, crapauds, pourceaux, serpents et boucs ; ou bien ces trois paroles de saint Bernard : Cogita quid fueris, semen putridum ; quid sis, vas stercorum ; quid futurus sis, esca vermium. Ils prieront Notre-Seigneur et son Saint-Esprit de les éclairer par ces paroles : Domine, ut videam ; ou Noverim me ; ou Veni, Sancte Spiritus, et diront tous les jours l’Ave maris Stella, et ses litanies.

Pendant la seconde semaine, ils s’appliqueront, dans toutes leurs oraisons et œuvres de chaque journée, à connaître la très-sainte Vierge. Ils demanderont cette connaissance au Saint-Esprit ; ils pourront lire et méditer ce que nous en avons dit ; ils réciteront, comme la première semaine, les litanies du Saint-Esprit et l’Ave maris Stella, et de plus un rosaire tous les jours, ou du moins un chapelet à cette intention.

Ils emploieront la troisième semaine à connaître Jésus-Christ. Ils pourront dire et méditer tout ce que nous en avons dit, et dire l’oraison de saint Augustin qui se trouve dans la première partie de ce Traité ; ils pourront, avec le même saint, dire et répéter cent et cent fois par jour, Noverim te : « Seigneur, que je vous connaisse ! » ou bien, Domine, ut videam : « Seigneur, que je voie qui vous êtes ! » Ils réciteront, comme aux autres semaines précédentes, les litanies du Saint-Esprit et l’Ave maris Stella, et ajouteront tous les jours les litanies du saint Nom de Jésus. Au bout de trois semaines, ils se confesseront et communieront à l’intention de se donner à Jésus-Christ, en qualité d’esclaves d’amour, par les mains de Marie ; et après la communion, qu’ils tâcheront de faire selon la méthode qui est ci-après, ils réciteront la formule de leur consécration, qu’ils trouveront aussi ci-après ; il faudra qu’ils l’écrivent ou la fassent écrire, si elle n’est pas imprimée, et qu’ils la signent le même jour qu’ils l’auront faite. Il sera bon que ce jour ils payent quelque tribut à Jésus-Christ et à la Sainte-Vierge, soit pour pénitence de leur infidélité passée aux vœux de leur Baptême, soit pour protester leur dépendance du domaine de Jésus et de Marie : or, ce tribut sera, selon la dévotion et la capacité de chacun, comme un jeûne, une mortification, une aumône, un cierge ; quand ils ne donneraient qu’une épingle en hommage, avec un bon cœur, c’en est assez pour Jésus, qui ne regarde que la bonne volonté. Tous les ans du moins, le même jour, ils renouvelleront la même consécration, observant les mêmes pratiques pendant trois semaines : ils pourront même, tous les mois, tous les jours, renouveler tout ce qu’ils ont fait, par ce peu de paroles : Tuus totus ego sum, et omnia mea tua sunt : « Je suis tout à vous, et tout ce que j’ai vous appartient, » ô mon aimable Jésus, par Marie votre sainte Mère.

Deuxième pratique. Ils réciteront tous les jours de leur vie, sans pourtant aucune gêne, la petite couronne de la Sainte-Vierge, composée de trois Pater et douze Ave, en l’honneur des douze priviléges et grandeurs de la très-sainte Vierge. Cette pratique est fort ancienne, elle a son fondement dans l’Écriture sainte : saint Jean vit une femme couronnée de douze étoiles, revêtue du soleil, et tenant la lune sous ses pieds ; laquelle femme, selon les interprètes, est la très-sainte Vierge. Il y a plusieurs manières de la bien dire, qu’il serait trop long de rapporter. Le Saint-Esprit les apprendra à ceux et celles qui seront les plus fidèles à cette dévotion. Cependant, pour la dire tout simplement, il faut d’abord dire : Dignare me laudarete, Virgo sacrata, da mihi virtutem contra hostes tuos ; ensuite on dira le Credo, puis un Pater, puis quatre Ave et un Gloria Patri, encore un Pater, quatre Ave, un Gloria Patri. Ainsi du reste à la fin on dit : Sub tuum præsidium, etc.

Troisième pratique. Il est très-louable et très-glorieux et très-utile à ceux et celles qui se sont ainsi faits les esclaves de Jésus en Marie, qu’ils portent pour marque de leur esclavage amoureux de petites chaînes de fer bénites d’une bénédiction propre.

Ces marques extérieures, à la vérité, ne sont pas essentielles, et une personne peut fort bien s’en passer quoiqu’elle ait embrassé cette dévotion ; cependant je ne puis m’empêcher de louer beaucoup ceux et celles qui, après avoir secoué les chaînes honteuses de l’esclavage du diable, où le péché originel et peut-être les péchés actuels les avaient engagés, se sont volontairement engagés dans le glorieux esclavage de Jésus-Christ, et se glorifient avec saint Paul d’être dans les chaînes pour Jésus-Christ : chaînes mille fois plus glorieuses et précieuses, quoique de fer, que tous les colliers d’or des empereurs.

Qu’autrefois il n’y eût rien de plus infâme que la croix, à présent ce bois ne laisse pas d’être la chose la plus glorieuse du christianisme. Disons de même des fers de l’esclavage : il n’y avait rien de plus ignominieux parmi les anciens et même encore à présent parmi les païens ; mais parmi les chrétiens, il n’y a rien de plus illustre que ces chaînes de Jésus-Christ, parce qu’elles nous délient et nous préservent des liens infâmes du péché et du démon ; parce qu’elles nous mettent en liberté, et nous lient à Jésus et à Marie, non pas par contrainte et par force, comme des forçats, mais par charité et par amour, comme des enfants : Traham eos in vinculis caritatis, « et je les attirerai à moi, » dit Dieu par la bouche du Prophète, « par des chaînes de charité, » qui, par conséquent, sont fortes comme la mort, et en quelque manière plus fortes en ceux qui sont fidèles à porter jusqu’à la mort ces marques glorieuses : car, quoique la mort détruise leurs corps en les réduisant en pourriture, elle ne détruira point les liens de leur esclavage, qui, étant de fer, ne se corrompront pas aisément : et peut-être qu’au jour de la résurrection des corps, au grand jugement dernier, ces chaînes qui lieront encore leurs os feront une partie de leur gloire, et seront changées en des chaînes de lumière et de gloire. Heureux donc, mille fois heureux les esclaves illustres de Jésus en Marie, qui portèrent leurs chaînes jusqu’au tombeau.

Voici les raisons pourquoi on porte ces chaînettes : Premièrement, c’est pour faire ressouvenir le Chrétien des vœux et des engagements de son Baptême, de la rénovation parfaite qu’il en a faite par cette dévotion, et de l’étroite obligation où il est de s’y rendre fidèle : comme l’homme, qui se conduit souvent plus par les sens que par la pure foi, s’oublie facilement de ses obligations envers Dieu, s’il n’a quelque chose extérieure qui les lui remette en mémoire, ces petites chaînes servent merveilleusement au Chrétien pour le faire ressouvenir des chaînes du péché et de l’esclavage du démon, dont le saint Baptême l’a délivré, et de la dépendance de Jésus-Christ qu’il lui a vouée dans le saint Baptême, et de la ratification qu’il lui en a faite par la rénovation de ses vœux ; et une des raisons pourquoi si peu de Chrétiens pensent à leurs vœux du saint Baptême, et vivent avec autant de libertinage que s’ils n’avaient rien promis à Dieu, comme les païens, c’est qu’ils ne portent aucune marque extérieure qui les en fasse souvenir.

Secondement, c’est pour montrer qu’on ne rougit point de l’esclavage et servitude de Jésus-Christ, et qu’on renonce à l’esclavage du monde, du péché et du démon.

Troisièmement, c’est pour se garantir et prévenir des chaînes du péché et du démon ; car ou il faut que nous portions des chaînes d’iniquité, ou des chaînes de charité et de salut : Vincula peccatorum aut vincula caritatis. Ô mon cher frère, brisons les chaînes des péchés et des pécheurs, du monde et des mondains, du diable et de ses suppôts, et rejetons loin de ous leur joug funeste : Dirumpamus vincula eorum et projiciamus à nobis jugum ipsorum ; mettons nos pieds, pour me servir des termes du Saint-Esprit, dans ses fers glorieux, et notre cou dans ses colliers : Injice pedem tuum in compedes illius, et in torques illius collum tuum : subjice humerum tuum et porta illam, et ne acedieris vinculis ejus. Vous noterez que le Saint-Esprit, avant de dire ces paroles, y prépare l’âme, afin qu’elle ne rejette pas son conseil important. Voici ses paroles : Audi, fili, et accipe consilium intellectus, et ne abjicias consilium meum. « Écoute, mon fils, et reçois un conseil d’entendement, et ne rejette pas mon conseil. »

Vous voulez bien, mon très-cher ami, qu’ici je m’unisse au Saint-Esprit, pour vous donner le même conseil : Vincula illius alligatura salutis. Ses chaînes sont des chaînes de salut. Comme Jésus-Christ en croix doit attirer tout à lui, bon gré, mal gré, il attirera les réprouvés par les chaînes de leurs péchés, pour les enchaîner, comme des forçats et des diables, à son ire éternelle et à sa justice vengeresse ; mais il attirera, particulièrement en ces derniers temps, les prédestinés par des chaînes de charité : Omnia traham ad meipsum. Traham eos in vinculis caritatis. Ces esclaves amoureux de Jésus-Christ, ou enchaînés de Jésus-Christ, vincti Christi, peuvent porter leurs chaînes ou à leur cou ou à leurs pieds. Le père Vincent Caraffe, septième Général de la Compagnie de Jésus, qui mourut en odeur de sainteté l’an 1643, portait, pour marque de sa servitude, un cercle de fer aux pieds, et disait que sa douleur était qu’il ne pouvait pas traîner publiquement sa chaîne.

La mère Agnès de Jésus, dont nous avons parlé, portait une chaîne de fer autour de ses reins ; quelques autres l’ont portée au cou, pour pénitence des colliers de perles qu’elles avaient portés dans le monde ; quelques-uns l’ont portée à leurs bras, pour se faire souvenir dans les travaux de leurs mains qu’ils sont esclaves de Jésus-Christ.

Quatrième pratique. Ils auront une très-grande dévotion pour le grand mystère de l’Incarnation du Verbe, le 25 de mars, qui est le propre mystère de cette dévotion, parce que cette dévotion a été inspirée du Saint-Esprit : 1o pour honorer et imiter la dépendance ineffable que Dieu le Fils a voulu avoir de Marie, pour la gloire de Dieu son Père et pour notre salut, laquelle dépendance paraît particulièrement dans ce mystère, où Jésus est captif et esclave dans le sein de la divine Marie, et où il dépend d’elle pour toutes choses ; 2o pour remercier Dieu des grâces incomparables qu’il a faites à Marie, et particulièrement de l’avoir choisie pour sa très-digne Mère, lequel choix été fait dans ce mystère : cesont là les deux principales fins de l’esclavage de Jésus-Christ en Marie.

Remarquez, s’il vous plaît, que je dis ordinairement : L’esclave de Jésus en Marie, l’esclavage de Marie en Jésus ; on peut, à la vérité, comme plusieurs ont fait jusqu’ici, dire l’esclave de Marie, l’esclavage de la Sainte-Vierge ; mais je crois qu’il vaut mieux qu’on se dise l’esclave de Jésus en Marie, comme le conseille M. Tronson, supérieur général du séminaire de Saint-Sulpice, renommé pour sa rare prudence et sa piété consommée, à un ecclésiastique qui le consultait sur ce sujet. En voici les raisons :

1o Comme nous sommes dans un siècle orgueilleux, où il y a un grand nombre de savants enflés, d’esprits forts et critiques, qui trouvent à redire dans les pratiques de piété les mieux établies et les plus solides, pour ne leur pas donner une occasion de critique sans nécessité, il vaut mieux dire l’esclavage de Jésus en Marie, et se dire l’esclave de Jésus-Christ, l’esclave de Marie, prenant la dénomination de cette dévotion, plutôt de sa fin dernière qui est Jésus-Christ, que du chemin et du moyen pour arriver à cette fin, qui est Marie ; quoiqu’on puisse, dans la vérité, faire l’un et l’autre sans scrupule, ainsi que je fais : par exemple, un homme qui va d’Orléans à Tours, par le chemin d’Amboise, peut fort bien dire qu’il va à Amboise et qu’il va à Tours, qu’il est voyageur d’Amboise et voyageur de Tours, avec cette différence cependant qu’Amboise n’est que sa route droite pour aller à Tours, et que Tours seul est sa fin dernière et le terme de son voyage.

2o Comme le principal mystère qu’on célèbre et qu’on honore en cette dévotion est le mystère de l’Incarnation, où on ne peut voir Jésus-Christ qu’en Marie, et incarné dans son sein, il est plus à propos de dire l’esclavage de Jésus en Marie, de Jésus résidant et régnant en Marie, selon cette belle prière de tant de grands hommes : Ô Jésus, vivant en Marie, venez et vivez en nous, en votre esprit de sainteté, etc.

3o Cette manière de parler montre davantage l’union intime qu’il y a entre Jésus et Marie ils sont unis si intimement que l’un est tout dans l’autre : Jésus est tout en Marie et Marie tout en Jésus ; ou plutôt, elle n’est plus, mais Jésus est tout seul en elle, et on séparerait plutôt la lumière du soleil que Marie de Jésus. En sorte qu’on peut nommer Notre-Seigneur Jésus de Marie, et la Sainte-Vierge Marie de Jésus.

Le temps ne me permettant pas de m’arrêter ici pour expliquer les excellences et les grandeurs du mystère de Jésus vivant et régnant en Marie, ou de l’Incarnation du Verbe, je me contenterai de dire en trois mots, que c’est ici le premier mystère de Jésus-Christ, le plus caché, le plus relevé et le moins connu ; que c’est en ce mystère que Jésus, de concert avec Marie, dans son sein, qui est pour cela appelé par les Saints la salle des secrets de Dieu, a choisi tous les élus ; que c’est en ce mystère qu’il a opéré tous les mystères de sa vie qui ont suivi, par l’acceptation qu’il en fit : Jesus ingrediens mundum dicit : Ecce venio ut faciam voluntatem tuam, et par conséquent, que ce mystère est un abrégé de tous les mystères, qui renferme la volonté et la grâce de tous ; enfin, que ce mystère est le trône de la miséricorde, de la libéralité et de la gloire de Dieu, le trône de sa miséricorde pour nous, parce que, comme on ne peut approcher de Jésus que par Marie, on ne peut voir Jésus ni lui parler que par l’entremise de Marie ; Jésus, qui exauce toujours sa chère mère, accorde toujours sa grâce et sa miséricorde aux pauvres pécheurs. Adeamus ergo cum fiducia ad thronum gratiæ. C’est le trône de sa libéralité pour Marie ; parce que, tandis que ce nouvel Adam a demeuré dans ce vrai paradis terrestre, il y a opéré tant de merveilles en secret, que ni les Anges ni les hommes ne les comprennent point : c’est pour quoi les Saints appellent Marie, la magnificence de Dieu : magnificentia Dei, comme si Dieu n’était magnifique qu’en Marie : Solummodo ibi magnificus Dominus. C’est le trône de sa gloire pour son Père, parce que c’est en Marie que Jésus-Christ a parfaitement calmé son Père, irrité contre les hommes, qu’il a réparé la gloire que le péché lui avait ravie, et que, par le sacrifice qu’il y a fait de sa volonté et de lui-même, il lui a donné plus de gloire que jamais ne lui en auraient donné tous les sacrifices de l’ancienne loi, et enfin qu’il lui a donné une gloire infinie, que jamais il n’avait encore reçue de l’homme.

Cinquième pratique. Ils auront une grande dévotion à dire l’Ave Maria, ou la Salutation Angélique, dont peu de Chrétiens, quoique éclairés, connaissent le prix, le mérite, l’excellence et la nécessité. Il a fallu que la Sainte-Vierge ait apparu plusieurs fois à de grands Saints fort éclairés, pour leur en montrer le mérite, comme à saint Dominique, à saint Jean de Capistran, au bienheureux Alain de la Roche ; ils ont composé des livres entiers des merveilles et de l’efficace de cette prière pour convertir les âmes ; ils ont publié hautement, ils ont prêché publiquement que le salut ayant commencé par l’Ave Maria, le salut de chacun en particulier était attaché à cette prière ; que c’est cette prière qui a fait porter à la terre sèche et stérile le fruit de vie, et que c’est cette même prière bien dite, qui doit faire germer dans nos âmes la parole de Dieu, et porter le fruit de vie, Jésus-Christ ; que l’Ave Maria est une rosée céleste, qui arrose la terre, c’est-à-dire l’âme, pour lui faire porter son fruit en son temps, et qu’une âme qui n’est pas arrosée par cette prière ne porte point de fruit, et ne donne que des ronces et des épines, et est prête d’être maudite.

Voici ce que la très-sainte Vierge révéla au bienheureux Alain de la Roche, comme il est marqué dans son livre De dignitate Rosarii : « Sache, mon fils, et fais-le connaître à tous, qu’un signe probable et prochain de la damnation éternelle est d’avoir de l’aversion, de la tiédeur, de la négligence à dire la Salutation Angélique, qui a réparé tout le monde. » Scias enim et secure intelligas et inde late omnibus notum facias, quod videlicet signum probabile est et propinquum æternæ damnationis horrere et acediari ; ac negligere Salutationem Angelicam, totius mundi reparationem. Voilà des paroles bien consolantes et bien terribles qu’on aurait peine à croire, si nous n’en avions pour garant ce saint homme et saint Dominique devant lui, et, depuis plusieurs grands personnages, avec l’expérience de plusieurs siècles, car on a toujours remarqué que ceux qui portent la marque de la réprobation, comme tous les hérétiques impies, orgueilleux et mondains, haïssent ou méprisent l’Ave Maria et le Chapelet.

Les hérétiques apprennent et récitent encore le Pater, mais non pas l’Ave Maria ni le Chapelet ; c’est leur horreur : ils porteraient plutôt un serpent sur eux qu’un Chapelet.

Les orgueilleux aussi, quoique catholiques, comme ayant les même, inclinations que leur père Lucifer, n’ont que du mépris ou de l’indifférence pour l’Ave Maria, et regardent le Chapelet comme une dévotion qui n’est bonne que pour les ignorants et ceux qui ne savent pas lire. Au contraire, on a vu par expérience que ceux et celles qui ont d’ailleurs de grandes marques de prédestination aiment, goûtent et récitent avec plaisir l’Ave Maria ; et que plus ils sont à Dieu et plus ils aiment cette prière : c’est ce que la Sainte-Vierge dit aussi au bienheureux Alain, ensuite des paroles que je viens de citer : Je ne sais comment cela se fait ni pourquoi ; mais cela est pourtant vrai, et je n’ai pas un meilleur secret pour connaître si une personne est de Dieu, que d’examiner si elle aime à dire l’Ave Maria et le Chapelet. Je dis : Si elle aime, car il peut arriver qu’une personne soit dans l’impuissance naturelle ou même surnaturelle de le dire, mais elle l’aime toujours et elle l’inspire aux autres. Ames prédestinées, esclaves de Jésus en Marie, apprenez que l’Ave Maria est la plus belle de toutes les prières après le Pater, c’est le plus parfait compliment que vous puissiez faire à Marie, parce que c’est le compliment que le Très-Haut lui envoya faire par un Archange, pour gagner son cœur, et il fut si puissant sur son cœur, par les charmes secrets dont il est plein, que Marie donna son consentement à l’Incarnation du Verbe malgré sa profonde humilité ; c’est par ce compliment aussi que vous gagnerez infailliblement son cœur, si vous le dites comme il faut.

L’Ave Maria bien dit, c’est-à-dire avec attention, dévotion, modestie, est, selon les Saints, l’ennemi du diable qui le met en fuite, et le marteau qui l’écrase, la sanctification de l’âme, la joie des Anges, la mélodie des prédestinés, le cantique du Nouveau Testament, le plaisir de Marie et la gloire de la très-sainte Trinité ; l’Ave Maria est une rosée céleste qui rend l’âme féconde, c’est un baiser chaste et amoureux qu’on donne à Marie, c’est une rose vermeille qu’on lui présente, c’est une perle précieuse qu’on lui offre, c’est un coup d’ambroisie et de nectar divin qu’on lui donne. Toutes ces comparaisons sont des Saints.

Je vous prie donc instamment, par l’amour que je vous porte en Jésus et Marie, de ne vous pas contenter de réciter la petite Couronne de la Sainte-Vierge, mais encore votre Chapelet, et même, si vous en avez le temps, votre Rosaire tous les jours, et vous bénirez, à l’heure de votre mort, le jour et l’heure que vous m’avez cru ; et après avoir semé dans les bénédictions de Jésus et de Marie, vous recueillerez des bénédictions éternelles dans le Ciel : Qui seminat in benedictionibus, de benedictionibus et metet.

Sixième pratique. Pour remercier Dieu des grâces qu’il a faites à la très-sainte Vierge, ils diront souvent le Magnificat, à l’exemple de la bienheureuse Marie d’Oignies et de plusieurs autres Saints ; c’est la seule prière et le seul ouvrage que la Sainte-Vierge ait composé, ou plutôt que Jésus a fait en elle, car il parlait par sa bouche ; c’est le plus grand sacrifice de louange que Dieu ait reçu d’une pure créature dans la loi de grâce ; c’est, d’un côté, le plus humble et le plus reconnaissant, et de l’autre, le plus sublime et le plus relevé de tous les cantiques. Il y a dans ce cantique des mystères si grands et si cachés, que les Anges en ignorent. Gerson, qui a été un docteur si pieux et si savant, après avoir employé une grande partie de sa vie à composer des traités si pleins d’érudition et de piété sur les matières les plus difficiles, n’entreprit qu’en tremblant, sur la fin de sa vie, d’expliquer le Magnificat, afin de couronner tous ses ouvrages. Il nous rapporte, dans un volume in-folio qu’il en a composé, plusieurs choses admirables de ce beau et divin cantique ; entre autres choses il dit que la très-sainte Vierge le récitait souvent elle-même, et particulièrement après la sainte Communion, pour action de grâces. Le savant Benzonius, en expliquant le même Magnificat, rapporte plusieurs miracles opérés par sa vertu, et il dit que les diables tremblent et s’enfuient quand ils entendent ces paroles du Magnificat : Fecit potentiam in brachio suo, dispersit superbos mente cordis sui.

Septième pratique. Les fidèles serviteurs de Marie doivent beaucoup mépriser, haïr et fuir le monde corrompu, et se servir des pratiques du mépris du monde que nous avons données dans la première partie.

Pratiques particulières et intérieures
pour ceux qui veulent devenir parfaits.

Outre les pratiques extérieures de la dévotion qu’on vient de rapporter, lesquelles il ne faut pas omettre par négligence ni mépris, autant que l’état et condition de chacun le permet, voici des pratiques intérieures bien sanctifiantes pour ceux que l’Esprit saint appelle à une haute perfection.

C’est, en quatre mots, de faire toutes ses actions par Marie, avec Marie, en Marie et pour Marie, afin de les faire plus parfaitement par Jésus, avec Jésus, en Jésus et pour Jésus.

I. Il faut faire ses actions par Marie, c’est-à-dire qu’il faut qu’ils obéissent en toutes choses à la très-sainte Vierge, et qu’ils se conduisent en toutes choses par son esprit, qui est le Saint-Esprit de Dieu ; ceux qui sont conduits de l’Esprit de Dieu sont enfants de Dieu : Qui spiritu Dei aguntur, ii sunt filii Dei. Ceux qui sont conduits par l’esprit de Marie sont enfants de Marie, et par conséquent enfants de Dieu, comme nous avons montré ; et parmi tant de dévots à la Sainte-Vierge, il n’y a de vrais et fidèles dévots que ceux qui se conduisent par son esprit. J’ai dit que l’esprit de Marie était l’esprit de Dieu, parce qu’elle ne s’est jamais conduite par son propre esprit, mais toujours par l’esprit de Dieu, qui s’en est tellement rendu le maître qu’il est devenu son propre esprit ; c’est pourquoi saint Ambroise dit : Sit in singulis Mariæ anima, ut magnificet Dominum ; sit in singulis spiritus Mariæ, ut exsultet in Deo : « Que l’âme de Marie soit en chacun pour glorifier le Seigneur ; que l’esprit de Marie soit en chacun pour se réjouir en Dieu. » Qu’une âme est heureuse quand, à l’exemple d’un bon frère jésuite, nommé Rodriguez, mort en odeur de sainteté, elle est toute possédée et gouvernée par l’esprit de Marie, qui est un esprit doux et fort, zélé et prudent, humble et courageux, pur et profond. Afin que l’âme se laisse conduire par cet esprit de Marie, il faut : 1o Renoncer à son propre esprit, à ses propres lumières et volontés avant de faire quelque chose ; par exemple, avant de faire son oraison, dire ou entendre la sainte messe, communier, parce que les ténèbres de notre propre esprit et la malice de notre propre volonté et opération si nous les suivions, quoiqu’elles nous paraissent bonnes, mettraient obstacle à l’esprit de Marie ; 2o il faut se livrer à l’esprit de Marie pour en être mus et conduits de la manière qu’elle voudra : il faut se mettre et se laisser entre ses mains virginales, comme un instrument entre les mains de l’ouvrier, comme un luth entre les mains d’un bon joueur ; il faut se perdre et s’abandonner à elle comme une pierre qu’on jette dans la mer, ce qui se fait simplement et en un instant, par une seule œillade de l’esprit, un petit mouvement de volonté, ou verbalement, en disant, par exemple : Je renonce à moi, je me donne à vous, ma chère Mère ; et quoiqu’on ne sente aucune douceur sensible dans cet acte d’union, il ne laisse pas d’être véritable ; tout comme si on disait, ce qu’à Dieu ne plaise, Je me donne au diable, avec autant de sincérité, quoiqu’on le dit sans aucun changement sensible, on n’en serait pas moins véritablement au diable ; 3o il faut, de temps en temps, pendant son action et après l’action, renouveler le même acte d’offrande et d’union, et plus on le fera et plus on se sanctifiera, et plus tôt on arrivera à l’union avec Jésus-Christ, qui suit toujours nécessairement l’union à Marie, puisque l’esprit de Marie est l’esprit de Jésus.

II. Il faut faire ses actions avec Marie ; c’est-à-dire qu’il faut, dans ses actions, regarder Marie comme un modèle accompli de toute vertu et perfection, que le Saint-Esprit a formé dans une pure créature, pour imiter selon notre petite portée ; il faut donc qu’en chaque action nous regardions comme Marie l’a faite ou la ferait, si elle était en notre place : nous devons pour cela examiner et méditer les grandes vertus qu’elle a pratiquées pendant sa vie, et particulièrement 1o sa foi vive, par laquelle elle a cru sans hésiter la parole de l’Ange, elle a cru fidèlement et constamment jusqu’au pied de la croix.

2o Son humilité profonde, qui l’a fait se cacher, se taire, se soumettre à tout et se mettre la dernière.

3o Sa pureté toute divine, qui n’a jamais eu ni n’aura jamais sa pareille sous le ciel, et enfin toutes ses autres vertus. Qu’on se souvienne, je le répète une deuxième fois, que Marie est le grand et l’unique moule de Dieu, propre à faire des images vivantes de Dieu, à peu de frais et en peu de temps, et qu’une âme qui a trouvé ce moule, et qui s’y perd, est bientôt changée en Jésus-Christ, que ce moule représente au naturel.

III. Il faut faire ses actions en Marie.

Pour bien comprendre cette pratique, il faut savoir : 1o que la très-sainte Vierge est le vrai paradis terrestre du nouvel Adam, et que l’ancien paradis terrestre n’en était que la figure ; il y a donc dans ce paradis terrestre des richesses, des beautés, des raretés et des douceurs inexplicables, que le nouvel Adam, Jésus-Christ, y a laissées ; c’est en ce paradis qu’il a pris ses complaisances pendant neuf mois, qu’il a opéré ses merveilles, et qu’il a étalé ses richesses avec la magnificence d’un Dieu.

Ce très-saint lieu n’est composé que d’une terre vierge et immaculée, dont a été formé et nourri le nouvel Adam, sans aucune tache ni souillure, par l’opération du Saint-Esprit, qui y habite ; c’est en ce paradis terrestre qu’est véritablement l’arbre de vie qui a porté Jésus-Christ, le fruit de vie, l’arbre de science du bien et du mal, qui a donné la lumière au monde. Il y a, en ce lieu divin, des arbres plantés de la main de Dieu, et arrosés de son onction divine, qui ont porté et portent tous les jours des fruits d’un goût divin ; il y a des parterres émaillés de belles et différentes fleurs, des vertus qui jettent une odeur qui embaume même les Anges. Il y a dans ce lieu des prairies vertes d’espérance, des tours imprenables de force, des maisons charmantes de confiance ; il n’y a que le Saint-Esprit qui puisse faire connaître la vérité cachée sous les figures des choses matérielles. Il y a en ce lieu un air d’une pureté parfaite, un beau soleil sans ombre de la Divinité, un beau jour sans nuit de l’humanité sainte, une fournaise ardente et continuelle de charité, où tout le fer qui est mis est embrasé et changé en or ; il y a un fleuve d’humilité qui sort de la terre, et qui, se divisant en quatre branches, arrose tout ce lieu enchanté : ce sont les quatre vertus cardinales.

Le Saint-Esprit, par la bouche des saints Pères, appelle aussi la Sainte-Vierge la Porte Orientale, par où le Grand-Prêtre Jésus-Christ entre et sort dans le monde ; il est entré la première fois par elle et il y viendra la seconde.

2o Le sanctuaire de la Divinité, le repos de la très-sainte Trinité, le trône de Dieu, la cité de Dieu, l’autel de Dieu, le temple de Dieu, le monde de Dieu ; toutes ces différentes épithètes et louanges sont très-véritables, par rapport aux différentes merveilles que le Très-Haut a faites en Marie. Oh ! quelles richesses ! oh ! quelle gloire ! oh ! quel plaisir ! quel bonheur de pouvoir entrer et demeurer en Marie, où le Très-Haut a mis le trône de sa gloire suprême ! Mais qu’il est difficile à des pécheurs comme nous d’avoir la permission, la capacité et la lumière pour entrer dans un lieu si haut et si saint, qui est gardé non par un Chérubin, comme l’ancien Paradis terrestre, mais par le Saint-Esprit même qui s’en est rendu le maître absolu ; de laquelle il dit : Hortus conclusus, soror mea sponsa, hortus conclusus, fons signatus : Marie est fermée, Marie est scellée ; les misérables enfants d’Adam et d’Ève, chassés du Paradis terrestre, ne peuvent entrer en celui-ci que par une grâce particulière du Saint-Esprit qu’ils doivent mériter.

Après que par sa fidélité on a obtenu cette insigne grâce, il faut demeurer dans le bel intérieur de Marie avec complaisance, s’y reposer en paix, s’y appuyer avec confiance, s’y cacher en assurance et s’y perdre sans réserve, afin que dans ce sein virginal, 1o l’âme y soit nourrie du lait de sa grâce et de sa miséricorde maternelle ; 2o y soit délivrée de ses troubles, craintes et scrupules ; 3o y soit en sûreté contre tous ses ennemis, le monde, le démon et le péché, qui n’y ont jamais eu entrée. C’est pourquoi elle dit que ceux qui opèrent en elle ne pèchent point : Qui operantur in me non peccabunt, c’est-à-dire ceux qui demeurent en la Sainte-Vierge en esprit ne font point de péché considérable ; 4o afin qu’elle soit formée en Jésus-Christ et Jésus-Christ en elle, parce que son sein est, comme disent les saints Pères, la salle des sacrements divins, où Jésus-Christ et tous les élus ont été formés : Homo et homo natus est in ea.

IV. Enfin il faut faire toutes ses actions pour Marie. Car, comme on s’est tout livré à son service, il est juste qu’on fasse tout pour elle, comme un valet, un serviteur et un esclave ; non pas qu’on la prenne pour la dernière fin de ses services, qui est Jésus-Christ seul, mais pour sa fin prochaine et son milieu mystérieux, et son moyen aisé pour aller à lui. Ainsi qu’un bon serviteur et esclave, il ne faut pas demeurer oisif ; mais il faut, appuyé de sa protection, entreprendre et faire de grandes choses pour cette auguste souveraine ; il faut défendre ses priviléges quand on les lui dispute ; il faut soutenir sa gloire quand on l’attaque ; il faut attirer tout le monde, si on peut, à son service et à cette vraie et solide dévotion ; il faut parler et crier contre ceux qui abusent de sa dévotion pour outrager son Fils, et en même temps établir cette véritable dévotion ; il ne faut prétendre d’elle, pour récompense de ces petits services, que l’honneur d’appartenir à une si aimable princesse, et le bonheur d’être, par elle, uni à Jésus son fils d’un lien indissoluble dans le temps et l’éternité.

Gloire à Jésus en Marie !
Gloire à Marie en Jésus !
Gloire à Dieu seul !


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Manière de pratiquer cette dévotion à la Sainte-Vierge quand on fait la sainte Communion.

1. I. Avant la Communion.


1o Vous vous humilierez profondément devant Dieu ; 2o vous renoncerez à votre fonds tout corrompu, et à vos dispositions, quelque bonnes que votre amour-propre vous les fasse voir ; 3o vous renouvellerez votre consécration en disant : Tuus totus ego sum, et omnia mea tua sunt : « Je suis tout à vous, ma chère Maîtresse, avec tout ce que j’ai. » 4o Vous supplierez cette bonne Mère de vous prêter son cœur, pour y recevoir son Fils dans les mêmes dispositions ; vous lui représenterez qu’il y va de la gloire de son Fils de n’être pas mis dans un cœur aussi souillé que le vôtre et aussi inconstant, qui ne manquerait pas de lui ôter de sa gloire ou de le perdre ; mais si elle veut venir habiter chez vous pour recevoir son Fils, elle le peut par le domaine qu’elle a sur les cœurs, et que son Fils sera par elle bien reçu sans souillures, et sans danger d’être outragé ni perdu : Deus in medio ejus, non commovebitur. Vous lui direz confidemment que tout ce que vous lui avez donné de votre bien est peu de chose pour l’honorer, mais que par la sainte Communion vous voulez lui faire le même présent que le Père éternel lui a fait, et qu’elle en sera plus honorée que si vous lui donniez tous les biens du monde, et qu’enfin Jésus, qui l’aime uniquement, désire encore prendre en elle ses complaisances et son repos, quoique dans votre âme plus sale et plus pauvre que l’étable où Jésus ne fit pas de difficulté de venir, parce qu’elle y était ; vous lui demanderez son cœur par ces tendres paroles : Accipio te in mea omnia, præbe mihi cor tuum, o Maria !

1. II. Dans la Communion.

Près de recevoir Jésus-Christ, après le Pater, vous direz trois fois Domine, non sum dignus, etc., comme si vous disiez la première fois au Père éternel que vous n’êtes pas digne, à cause de vos mauvaises pensées et ingratitudes à l’égard d’un si bon Père, de recevoir son Fils unique, mais que voici Marie sa servante, Ecce ancilla Domini, qui fait pour nous et qui nous donne une confiance et espérance singulière auprès de sa Majesté : Quoniam singulariter in spe constituisti me.

Vous direz au Fils : Domine, non sum dignus, etc., que vous n’êtes pas digne de le recevoir, à cause de vos paroles inutiles et mauvaises, et de votre infidélité en son service, mais cependant que vous le priez d’avoir pitié de vous, que vous l’introduirez dans la maison de sa propre Mère et de la vôtre, et que vous ne le laisserez point aller, qu’il ne soit venu loger chez elle : Tenui eum, nec dimittam donec introducam illum in domum matris meæ, et in cubiculum genitricis meæ : Cant. III, 4. Vous le prierez de se lever et de venir dans le lieu de son repos et dans l’arche de sa sanctification : Surge, Domine, in requiem tuam, tu et arca sanctificationis tuæ ; que vous ne mettez aucunement votre confiance dans vos mérites, votre force et vos préparations, comme Ésaü, mais dans celle de Marie, votre chère Mère, comme le petit Jacob dans les soins de Rébecca ; que, tout pécheur et Esaü que vous êtes, vous osez vous approcher de sa Sainteté, appuyé et orné des vertus de sa sainte Mère.

Vous direz au Saint-Esprit : Domine, non sum dignus, etc., que vous n’êtes pas digne de recevoir le chef-d’œuvre de sa charité, à cause de la tiédeur et iniquité de vos actions et de vos résistances à ces inspirations, mais que toute votre confiance est Marie, sa fidèle épouse ; et vous direz avec saint Bernard : Hæc mea maxima fiducia, hæc tota ratio spei meæ. Vous pourrez même le prier de survenir en Marie, son épouse indissoluble, que son sein est aussi pur et son cœur aussi embrasé que jamais, que sans sa descente dans votre âme, ni Jésus ni Marie ne seront point formés, ni dignement logés.

1. III. Après la sainte Communion.

Après la sainte Communion, étant intérieurement recueilli, et tenant les yeux fermés, vous introduirez Jésus-Christ dans le cœur de Marie, vous le donnerez à sa Mère, qui le recevra amoureusement, le placera honorablement, l’adorera profondément, l’aimera parfaitement, l’embrassera étroitement, et lui rendra, en esprit et en vérité, plusieurs devoirs qui nous sont inconnus dans nos ténèbres épaisses ; ou bien, vous vous tiendrez profondément humilié dans votre cœur, en la présence de Jésus, résidant en Marie ; ou vous vous tiendrez comme un esclave à la porte du palais du Roi, où il est à parler à la Reine ; et tandis qu’ils se parlent l’un à l’autre sans avoir besoin de vous, vous irez en esprit au Ciel et par toute la terre prier les créatures de remercier, adorer et aimer Jésus et Marie en votre place : Venite, adoremus, venite : ou bien, vous demanderez vous-même à Jésus, en union de Marie, l’avénement de son règne sur la terre par sa sainte Mère, ou la divine sagesse, ou l’amour divin, ou le pardon de vos péchés, ou quelque autre grâce, mais toujours par Marie et en Marie, disant, en vous regardant de travers : Ne respicias, Domine, peccata mea : « Seigneur, ne regardez pas mes péchés ; » Sed oculi tui videant æquitates Mariæ : « Mais que vos yeux ne regardent en moi que les vertus et mérites de Marie ; » et, en vous souvenant de vos péchés, vous ajouterez : Inimicus homo hoc fecit : « C’est moi qui ai fait ces péchés ; » ou bien : Ab homine iniquo et doloso erue me ; ou bien : Te oportet crescere, me autem minui : « Mon Jésus, il faut que vous croissiez dans mon âme et que je décroisse ; » Marie, il faut que vous croissiez chez moi et que je sois moins que je n’ai été : Crescite et multiplicamini : « Ô Jésus et Marie, croissez en moi, et multipliez-vous au dehors dans les autres. »

Il y a une infinité d’autres pensées que le Saint-Esprit fournit et vous fournira si vous êtes bien intérieur, mortifié et fidèle à cette grande et sublime dévotion que je viens de vous enseigner ; mais souvenez-vous toujours que plus vous laisserez agir Marie dans votre communion, et plus Jésus sera glorifié, et vous laisserez d’autant plus agir Marie pour Jésus, et Jésus en Marie, que vous vous humilierez plus profondément, et que vous les écouterez avec paix et silence, sans vous mettre en peine de voir, goûter, ni sentir ; car le juste vit par tout de la foi, et particulièrement dans la sainte Communion qui est une action de foi. Justus meus ex fide vivit.


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CONSÉCARTION DE SOI-MÊME
À JÉSUS-CHRIST, LA SAGESSE INCARNÉE,
Par les Mains de Marie.



Ô Sagesse éternelle et incarnée ! ô très-aimable et adorable Jésus, vrai Dieu et homme, Fils unique du Père éternel, et de Marie toujours vierge, je vous adore profondément dans le sein et les splendeurs de votre Père, pendant l’éternité et dans le sein virginal de Marie, votre très-digne mère, dans le temps de votre incarnation.

Je vous rends grâces de ce que vous vous êtes anéanti vous-même en prenant la forme d’un esclave, pour me tirer du cruel esclavage du démon ; je vous loue et glorifie de ce que vous avez bien voulu vous soumettre à Marie, votre sainte Mère, en toutes choses, afin de me rendre par elle votre fidèle esclave : mais hélas ! ingrat et infidèle que je suis, je ne vous ai pas gardé les promesses que je vous ai si solennel lement faites dans mon Baptême ; je n’ai point rempli mes obligations ; je ne mérite pas d’être appelé votre enfant, ni votre esclave : et comme il n’y a rien en moi qui ne mérite vos rebuts et votre colère, je n’ose plus par moi-même approcher de votre très-sainte et auguste Majesté ; c’est pourquoi j’ai recours à l’intercession de votre très-sainte Mère, que vous m’avez donnée pour médiatrice auprès de vous ; et c’est par son moyen que j’espère obtenir de vous la contrition et le pardon de mes péchés, l’acquisition et la conservation de la sagesse.

Je vous salue donc, ô Marie immaculée, tabernacle vivant de la divinité, où la Sagesse éternelle cachée veut être adorée des Anges et des hommes ; je vous salue, ô Reine du ciel et de la terre, à l’empire de qui est soumis tout ce qui est au-dessous de Dieu.

Je vous salue, ô refuge assuré des pécheurs, dont la miséricorde ne manque à personne ; exaucez les désirs que j’ai de la divine sagesse, et recevez pour cela les vœux et les offres que ma bassesse vous présente. Moi N…, pécheur infidèle, je renouvelle et ratifie aujourd’hui entre vos mains les vœux de mon Baptême ; je renonce pour jamais à Satan, à ses pompes et à ses œuvres, et je me donne tout entier à Jésus-Christ, la Sagesse incarnée, pour porter ma croix à sa suite tous les jours de ma vie et afin que je lui sois plus fidèle que je n’ai été jusqu’ici.

Je vous choisis aujourd’hui en présence de toute la Cour céleste pour ma Mère et Maîtresse ; je vous livre et consacre, en qualité d’esclave, mon corps et mon âme, mes biens intérieurs et extérieurs, et la valeur même de mes bonnes actions passées, présentes et futures, vous laissant un entier et plein droit de disposer de moi et de tout ce qui m’appartient, sans exception, selon votre bon plaisir, à la plus grande gloire de Dieu, dans le temps et l’éternité.

Recevez, ô Vierge bénigne, cette petite offrande de mon esclavage, en l’honneur et union de la soumission que la Sagesse éternelle a bien voulu avoir à votre maternité ; en hommage de la puissance que vous avez tous deux sur ce petit vermisseau et ce misérable pécheur ; en action de grâces des priviléges dont la Sainte-Trinité vous a favorisée. Je proteste que je veux désormais, comme votre véritable esclave, chercher votre honneur et vous obéir en toutes choses.

O Mère admirable, présentez-moi à votre cher Fils, en qualité d’esclave éternel, afin que m’ayant racheté par vous, il me reçoive par vous.


Ô Mère de miséricorde, faites-moi la grâce d’obtenir la vraie sagesse de Dieu, et de me mettre pour cela au nombre de ceux que vous aimez, que vous enseignez, que vous conduisez, que vous nourrissez et protégez comme vos enfants et vos esclaves.

Ô Vierge fidèle, rendez-moi en toutes choses un si parfait disciple, imitateur et esclave de la Sagesse incarnée, Jésus-Christ, votre Fils, que j’arrive, par votre intercession, à votre exemple, à la plénitude de son âge sur la terre, et de sa gloire dans les Cieux. Ainsi soit-il.

Qui potest capere capiat.
Quis sapiens, et intelliget hæc ?


DIEU SEUL.


FIN.