Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge/4
PREMIÈRE PARTIE. de la dévotion a la sainte-vierge en général.
I. Excellence et nécessité de la dévotion à la Sainte-Vierge.
J’avoue avec toute l’Église que Marie n’étant qu’une pure créature sortie des mains du Très-Haut, comparée à sa majesté infinie, est moindre qu’un atome, ou plutôt n’est rien du tout, puisqu’il est seul celui qui est, et que par conséquent ce grand Seigneur, toujours indépendant et se suffisant à lui-même, n’a point eu ni n’a point encore absolument besoin de la Sainte-Vierge pour l’accomplissement de ses volontés et pour la manifestation de sa gloire : il n’a qu’à vouloir pour tout faire.
Je dis cependant que, les choses supposées comme elles sont, Dieu ayant voulu commencer et achever ses plus grands ouvrages par la très-sainte Vierge, depuis qu’il l’a formée, il est à croire qu’il ne changera point de conduite dans les siècles des siècles ; car il est Dieu, et ne change point en ses sentiments ni en sa conduite.
Dieu le Père n’a donné son Unique au monde que par Marie ; quelques soupirs qu’aient poussés les Patriarches, quelques demandes qu’aient faites les Prophètes et les Saints de l’ancienne loi pendant quatre mille ans pour avoir ce trésor, il n’y a eu que Marie qui l’ait mérité, et trouvé grâce devant Dieu par la force de ses prières et la hauteur de ses vertus. Le monde était indigne, dit saint Augustin, de recevoir le Fils de Dieu immédiatement des mains du Père ; il l’a donné à Marie afin que le monde le reçût par elle. Le Fils de Dieu s’est fait homme pour notre salut, mais en Marie et par Marie. Dieu le Saint-Esprit a formé Jésus-Christ en Marie, mais après lui avoir demandé son consentement par un des premiers ministres de sa cour.
Dieu le Père a communiqué à Marie sa fécondité autant qu’une pure créature en était capable, pour lui donner le pouvoir de produire son Fils et tous les membres de son corps mystique. Dieu le Fils est descendu dans son sein virginal, comme le nouvel Adam dans le paradis terrestre, pour y prendre ses complaisances, et pour y opérer en cachette des merveilles de grâce.
Dieu fait homme a trouvé sa liberté à se voir emprisonner dans son sein ; il a fait éclater sa force à se laisser porter par cette vierge bénie ; il a trouvé sa gloire et celle de son Père à cacher ses splendeurs à toutes les créatures d’ici-bas, pour ne les révéler qu’à Marie ; il a glorifié son indépendance et sa majesté à dépendre de cette aimable Vierge dans sa conception, en sa naissance, en sa présentation au temple, en sa vie cachée de trente ans, jusqu’à sa mort, où elle devait assister pour ne faire avec elle qu’un même sacrifice, et pour être immolé par son consentement au Père éternel, comme autrefois Isaac par le consentement d’Abraham à la volonté de Dieu ; c’est elle qui l’a allaité, nourri, entretenu, élevé et sacrifié pour nous.
Ô admirable et incompréhensible dépendance d’un Dieu, que le Saint-Esprit n’a pu passer sous silence dans l’Évangile, quoiqu’il nous ait caché presque toutes les choses admirables que cette Sagesse incarnée a faites dans sa vie cachée, pour nous en montrer le prix ! Jésus-Christ a plus donné de gloire à Dieu son Père par la soumission qu’il a eue à sa Mère pendant trente années, qu’il ne lui en eût donné en convertissant toute la terre par l’opération des plus grandes merveilles. Oh ! qu’on glorifie hautement Dieu, quand on se soumet, pour lui plaire, à Marie, à l’exemple de Jésus-Christ, notre unique modèle !
Si nous examinons de près le reste de la vie de Jésus-Christ, nous verrons qu’il a voulu commencer ses miracles par Marie ; il a sanctifié saint Jean dans le sein de sa mère sainte Élisabeth, par la parole de Marie ; aussitôt qu’elle eut parlé, Jean fut sanctifié, et c’est son premier et plus grand miracle de grâce. Il changea, aux noces de Cana, l’eau en vin, à son humble prière, et c’est son premier miracle de nature. Il a commencé et continué ses miracles par Marie, et il les continuera jusqu’à la fin des siècles par Marie.
Dieu le Saint-Esprit étant stérile en Dieu, c’est-à-dire ne produisant point d’autre personne divine, est devenu fécond par Marie, qu’il a épousée ; c’est avec elle, en elle et d’elle qu’il a produit son chef-d’œuvre, qui est un Dieu fait homme, et qu’il produit tous les jours jusqu’à la fin du monde. Les prédestinés sont les membres du corps de ce chef adorable ; c’est pourquoi plus il trouve Marie, sa chère et indissoluble épouse, dans une âme, et plus il devient opérant et puissant pour produire Jésus-Christ en cette âme, et cette âme en Jésus-Christ.
Ce n’est pas qu’on veuille dire que la Sainte-Vierge donne au Saint-Esprit la fécondité, comme s’il ne l’avait pas ! puisque étant Dieu, il a la fécondité ou la capacité de produire, comme le Père et le Fils, quoiqu’il ne la réduise pas à l’acte, ne produisant point d’autre personne divine ; mais on veut dire que le Saint-Esprit, par l’entremise de la Sainte-Vierge, dont il veut bien se servir, quoiqu’il n’en ait pas absolument besoin, réduit à l’acte sa fécondité, en produisant en elle et par elle Jésus-Christ et ses membres ; mystère de grâce inconnu même aux plus savants et spirituels d’entre les chrétiens.
La conduite que les trois Personnes de la très-sainte Trinité ont tenue dans l’incarnation et le premier avénement de Jésus-Christ, elles la gardent tous les jours d’une manière invisible dans la sainte Église, et la garderont jusqu’à la consommation des siècles dans le dernier avénement de Jésus-Christ.
Dieu le Père a fait un assemblage de toutes les eaux, qu’il a nommé la Mer ; il a fait un assemblage de toutes ses grâces, qu’il a appelé Marie. Ce grand Dieu a un trésor ou un magasin très-riche, où il a renfermé tout ce qu’il a de beau, d’éclatant, de rare et de précieux, jusqu’à son propre Fils ; et ce trésor immense n’est autre que Marie, que les Saints appellent le trésor du Seigneur, de la plénitude duquel les hommes sont enrichis.
Dieu le Fils a communiqué à sa Mère tout ce qu’il a acquis par sa vie et sa mort, ses mérites infinis et ses vertus admirables, et il l’a faite la trésorière de tout ce que son Père lui a donné en héritage ; c’est par elle qu’il applique ses mérites à ses membres, qu’il communique ses vertus et distribue ses grâces ; c’est son canal mystérieux ; c’est son aqueduc, par où il fait passer doucement et abondamment ses miséricordes.
Dieu le Saint-Esprit a communiqué à Marie, sa fidèle épouse, ses dons ineffables, et il l’a choisie pour la dispensatrice de tout ce qu’il possède, en sorte qu’elle distribue à qui elle veut, autant qu’elle veut, comme elle veut et quand elle veut, tous ses dons et ses grâces, et il ne se donne aucun don céleste aux hommes qu’il ne passe par ses mains virginales ; car telle a été la volonté de Dieu, qui a voulu que nous ayons tout en Marie ; ainsi sera enrichie, élevée et honorée du Très-Haut celle qui s’est appauvrie, humiliée et cachée jusqu’au fond du néant par sa profonde humilité, pendant toute sa vie : voilà les sentiments de l’Église et des saints Pères.
Si je parlais à des esprits forts de ce temps, je prouverais tout ce que je dis simplement, plus au long, par la sainte Écriture et les saints Pères, dont je rapporterais les passages latins, et par plusieurs solides raisons qu’on pourra voir au long déduites par le R. P. Poiré en sa Triple Couronne de la Sainte-Vierge ; mais comme je parle particulièrement aux pauvres et aux simples, qui, étant de bonne volonté et ayant plus de foi que le commun des savants, croient plus simplement et avec plus de mérite, je me contente de leur déclarer simplement la vérité, sans m’arrêter à leur citer tous les passages latins qu’ils n’entendent pas ; quoique je ne laisse pas d’en rapporter quelques-uns, sans les rechercher beaucoup. Continuons :
La grâce perfectionnant la nature, et la gloire perfectionnant la grâce, il est certain que Notre Seigneur est encore dans le Ciel aussi Fils de Marie qu’il l’était sur la terre, et que, par conséquent, il a conservé la soumission et l’obéissance du plus parfait de tous les enfants à l’égard de la meilleure de toutes les mères ; mais il faut prendre garde de concevoir en cette dépendance quelque abaissement ou imperfection en Jésus-Christ ; car Marie étant infiniment au-dessous de son Fils, qui est Dieu, ne lui commande pas, comme une mère d’ici-bas commanderait à son enfant, qui est au-dessous d’elle : Marie, étant toute transformée en Dieu par la grâce, et la gloire qui transforme tous les Saints en lui, ne demande, ne veut, ni ne fait rien qui soit contraire à l’éternelle et immuable volonté de Dieu. Quand on lit donc dans les écrits des saints Bernard, Bernardin, Bonaventure, etc., que dans le Ciel et sur la terre, tout, jusqu’à Dieu même, est soumis à la très-sainte Vierge, ils veulent dire que l’autorité que Dieu a bien voulu lui donner est si grande, qu’il semble qu’elle ait la même puissance que Dieu ; et que ses prières et demandes sont si puissantes auprès de Dieu, qu’elles passent toujours pour des commandements auprès de sa majesté, qui ne résitse jamais à la prière de sa chère Mère, parce qu’elle est toujours humble et conforme à sa volonté.
Si Moïse, par la force de sa prière, arrêta la colère de Dieu sur les Israélites, d’une manière si puissante que le Très-Haut et infiniment miséricordieux Seigneur, ne pouvant lui résister, lui dit qu’il le laissât se mettre en colère et punir ce peuple rebelle, que devons-nous penser, à plus forte raison, de la prière de l’humble Marie et digne Mère de Dieu, qui est plus puissante auprès de sa majesté que les prières et intercessions de tous les Anges et les Saints du ciel et de la terre ?
Marie commande dans les Cieux sur les Anges et les Bienheureux. Pour récompense de son humilité profonde, Dieu lui a donné le pouvoir et la commission de remplir de saints les trônes vides dont les anges apostats sont tombés par orgueil. Telle est la volonté du Très-Haut, qui exalte les humbles, que le ciel, la terre et les enfers plient bon gré, mal gré aux commandements de l’humble Marie, qu’il a faite Souveraine du ciel et de la terre, la générale de ses armées, la trésorière de ses trésors, la dispensatrice de ses grâces, l’ouvrière de ses grandes merveilles, la réparatrice du genre humain, la médiatrice des hommes, l’exterminatrice des ennemis de Dieu et la fidèle compagne de ses grandeurs et de ses triomphes.
Dieu le Père se veut faire des enfants par Marie jusqu’à la consommation du monde, et il lui dit ces paroles : In Jacob inhabita ! « Demeurez en Jacob, » c’est-à-dire faites votre demeure et résidence dans mes enfants et prédestinés, figurés par Jacob, et non point dans les enfants du diable et les réprouvés, figurés par Ésaü.
Comme dans la génération naturelle et corporelle il y a un père et une mère, de même dans la génération surnaturelle et spirituelle il ya un père qui est Dieu, et une mère qui est Marie. Tous les vrais enfants de Dieu et prédestinés ont Dieu pour père et Marie pour mère, et qui n’a pas Marie pour mère n’a pas Dieu pour père ; c’est pourquoi les réprouvés, comme les hérétiques, schismatiques, etc., qui haïssent ou regardent avec mépris ou indifférence la très-sainte Vierge, n’ont point Dieu pour père, quoiqu’ils s’en glorifient, parce qu’ils n’ont point Marie pour mère ; car s’ils l’avaient pour mère, ils l’aimeraient et l’honoreraient comme un vrai et bon enfant aime naturellement et honore sa mère, qui lui a donné la vie.
Le signe le plus infaillible et le plus indubitable pour distinguer un hérétique, un homme de mauvaise doctrine, un réprouvé, d’avec un prédestiné, c’est que l’hérétique et le réprouvé n’ont que du mépris ou de l’indifférence pour la très-sainte Vierge, tâchant, par leurs paroles et exemples, d’en diminuer le culte et l’amour ouvertement ou en cachette, quelquefois sous de beaux prétextes. Hélas ! Dieu le Père n’a point dit à Marie de faire sa demeure en eux, parce qu’ils sont des Ésaü.
Dieu le Fils veut se former, et pour ainsi dire, s’incarner tous les jours par sa chère Mère dans ses membres, et il lui dit : in Israel hæreditare… « Ayez Israël pour héritage : » c’est comme s’il disait : Dieu mon Père m’a donné pour héritage toutes les nations de la terre, tous les hommes bons et mauvais, prédestinés et réprouvés ; je conduirai les uns par la verge d’or et les autres par la verge de fer ; je serai le père et l’avocat des uns, le juste vengeur des autres et le juge de tous ; mais pour vous, ma chère Mère, vous n’aurez pour votre héritage et possession que les prédestinés figurés par Israël ; et, comme leur bonne mère, vous les enfanterez, élèverez ; et comme leur souveraine, vous les conduirez, gouvernerez et défendrez.
Un homme et un homme est né en elle, dit le Saint-Esprit : Homo et homo natus est in ea. Selon l’explication de quelques Pères, le premier homme qui est né en Marie est l’Homme-Dieu, Jésus-Christ ; le second est un homme pur enfant de Dieu et de Marie par adoption. Si Jésus-Christ, le chef des hommes, est né en elle, les prédestinés, qui sont les membres de ce chef, doivent aussi naître en elle par une suite nécessaire : une même mère ne met pas au monde la tête ou le chef sans les membres, ni les membres sans la tête, autrement ce serait un monstre de nature ; de même, dans l’ordre de la grâce, le chef et les membres naissent d’une même mère ; et si un membre du corps mystique de Jésus-Christ, c’est-à-dire un prédestiné, naissait d’une autre mère que Marie, qui a produit le chef, ce ne serait pas un prédestiné, ni un membre de Jésus-Christ, mais un monstre dans l’ordre de la grâce.
De plus, Jésus étant à présent autant que jamais le fruit de Marie, comme le ciel et la terre le lui répètent mille et mille fois tous les jours : « Et Jésus le fruit de vos entrailles est béni ; » il est certain que Jésus-Christ est pour chaque homme en particulier qui le possède, aussi véritablement le fruit de l’œuvre de Marie, que pour tout le monde en général ; en sorte que, si quelque fidèle a Jésus-Christ formé dans son cœur, il peut dire hardiment : Grand merci à Marie ; ce que je possède est son effet et son fruit, et sans elle je ne l’aurais pas ; et on peut lui appliquer plus véritablement que saint Paul ne se les applique ces paroles : Quos iterum parturio donec formetur Christus in vobis… « J’enfante tous les jours les enfants de Dieu, jusqu’à ce que Jésus-Christ mon Fils soit formé en eux dans la plénitude de son âge. »
Saint Augustin se surpassant soi-même, et tout ce que je viens de dire affirme que tous les prédestinés, pour être conformes à l’image du Fils de Dieu, sont en ce monde cachés dans le sein de la très-sainte Vierge, où ils sont gardés, nourris, entretenus et agrandis par cette bonne Mère, jusqu’à ce qu’elle les enfante à la gloire, après la mort, qui est proprement le jour de leur naissance, comme l’Église appelle la mort des justes. Oh ! mystère de grâce inconnu aux réprouvés, et peu connu aux prédestinés !
Dieu le Saint-Esprit veut se former en elle et par elle des élus, et il lui dit : In electis meis mitte radices… Jetez, ma bien-aimée et mon épouse, les racines de toutes vos vertus dans mes élus, afin qu’ils croissent de vertu en vertu et de grâce en grâce. J’ai pris tant de complaisance en vous, lorsque vous viviez sur la terre dans la pratique des plus sublimes vertus, que je désire encore vous trouver sur la terre, sans cesser d’être dans le Ciel. Reproduisez-vous pour cet effet dans mes élus ; que jevoie en eux avec complaisance les racines de votre foi invincible, de votre humilité profonde, de votre mortification universelle, de votre oraison sublime, de votre charité ardente, de votre espérance ferme et de toutes vos vertus. Vous êtes toujours mon épouse aussi fidèle, aussi pure et aussi féconde que jamais : que votre foi me donne des fidèles, que votre pureté me donne des vierges, que votre fécondité me donne des élus et des temples.
Quand Marie a jeté ses racines dans une âme, elle y produit des merveilles de grâce qu’elle seule peut produire, parce qu’elle est seule la Vierge féconde qui n’a jamais eu ni n’aura jamais sa semblable en pureté et en fécondité.
Marie a produit, avec le Saint-Esprit, la plus grande chose qui ait été et sera jamais, qui est un Dieu-Homme, et elle produira conséquemment les plus grandes choses qui seront dans les derniers temps : la formation et l’éducation des grands Saints, qui seront sur la fin du monde, lui est réservée ; car il n’y a que cette Vierge singulière et miraculeuse qui peut produire, en union du Saint-Esprit, les choses singulières et extraordinaires.
Quand le Saint-Esprit, son époux, l’a trouvée dans une âme, il y vole, il y entre pleinement, il se communique à cette âme abondamment, et autant qu’elle donne place à son épouse ; et une des grandes raisons pourquoi le Saint-Esprit ne fait pas maintenant des merveilles éclatantes dans nos âmes, c’est qu’il n’y trouve pas une assez grande union avec sa fidèle et indissoluble épouse. Je dis indissoluble épouse, car depuis que cet Amour substantiel du Père et du Fils a épousé Marie, pour produire Jésus-Christ, le chef des élus, et Jésus-Christ dans les élus, il ne l’a jamais répudiée, parce qu’elle a toujours été féconde et fidèle.
On doit conclure évidemment de ce que je viens de dire : 1o que Marie a reçu de Dieu une grande domination dans les âmes des élus ; car elle ne peut pas faire en eux sa résidence, comme Dieu le Père le lui a ordonné, les former en Jésus-Christ et Jésus-Christ en eux, jeter dans leurs cœurs les racines de ses vertus, et être la compagne indissoluble du Saint-Esprit pour tous ses ouvrages de grâce ; elle ne peut pas, dis-je, faire toutes ces choses, qu’elle n’ait droit et domination dans leurs âmes par une grâce singulière du Très-Haut, qui, lui ayant donné puissance sur son Fils unique et naturel, la lui a donnée aussi sur ses enfants adoptifs, non-seulement quant au corps, ce qui serait peu de chose, mais aussi quant à l’âme.
Marie est la Reine du ciel et de la terre par grâce, comme Jésus en est le Roi par nature et par conquête : or, comme le royaume de Jésus-Christ consiste principalement dans le cœur et l’intérieur de l’homme, selon cette parole : Le royaume de Dieu est au dedans de vous, de même le royaume de la très-sainte Vierge est principalement dans l’intérieur de l’homme, c’est-à-dire son âme, et c’est principalement dans les âmes qu’elle est plus glorifiée avec son Fils que dans toutes les créatures visibles, et nous pouvons l’appeler avec les Saints la Reine des cœurs.
2o Il faut conclure que la très-sainte Vierge étant nécessaire à Dieu, d’une nécessité qu’on appelle hypothétique, en conséquence de sa volonté, elle est bien plus nécessaire aux hommes pour arriver à leur dernière fin ; il ne faut donc pas mêler la dévotion à la très-sainte Vierge avec les dévotions aux autres Saints, comme si elle n’était pas plus nécesaire, et comme si elle n’était que de surérogation.
Le docte et pieux Suarez, de la compagnie de Jésus, le savant et dévot Juste Lipse, docteur de Louvain, et plusieurs autres, ont prouvé invinciblement, en conséquence des sentiments des Pères, entre autres de saint Augustin, de saint Éphrem, diacre d’Édesse, de saint Cyrille de Jérusalem, de saint Germain de Constantinople, de saint Jean de Damas, de saint Anselme, saint Bernard, saint Bernardin, saint Thomas et saint Bonaventure, que la dévotion à la très-sainte Vierge est nécessaire au salut, et que c’est une marque infaillible de réprobation, au sentiment même d’Æcolampade et de quelques autres hérétiques, de n’avoir pas de l’estime et de l’amour pour la Sainte-Vierge, et qu’au contraire c’est une marque infaillible de prédestination de lui être entièrement et véritablement dévoué ou dévot.
Les figures et les paroles de l’Ancien et du Nouveau Testament le prouvent, les sentiments et les exemples des Saints le confirment, la raison et l’expérience l’apprennent et le démon trent ; le diable même et ses suppôts, pressés par la force de la vérité, ont été souvent obligés de l’avouer malgré eux. De tous les passages des saints Pères et des Docteurs, dont j’ai fait un ample recueil pour prouver cette vérité, je n’en rapporte qu’un, afin de n’être pas trop long : Tibi devotum esse, est arma quædam salutis quæ Deus hit das quos vult salvos fieri… « Vous être dévot, ô Sainte-Vierge ! dit saint Jean Damascène, est une arme de salut que Dieu donne à ceux qu’il veut sauver. » Et je pourrais ici rapporter plusieurs histoires qui prouvent la même chose ; entre autres celle qui est rapportée dans les chroniques de saint Dominique, lorsque quinze mille démons possédant l’âme d’un malheureux hérétique, près de Carcassonne, où saint Dominique prêchait le Rosaire, furent obligés, à leur confusion, par le commandement que leur en fit la Sainte-Vierge, d’avouer plusieurs grandes et consolantes vérités touchant la dévotion à la Sainte-Vierge, avec tant de force et de clarté, qu’on ne peut pas lire cette histoire authentique et le panégyrique que le diable fit malgré lui de la dévotion à la très-sainte Vierge, sans verser des larmes de joie, pour peu qu’on soit dévot à la très-sainte Vierge.
Si la dévotion à la très-sainte Vierge est nécessaire à tous les hommes pour faire simplement leur salut, elle l’est encore beaucoup plus à ceux qui sont appelés à une perfection particulière ; et je ne crois pas qu’une personne puisse acquérir une union intime avec Notre Seigneur et une parfaite fidélité au Saint-Esprit, sans une très-grande union avec la très-sainte Vierge, et une grande dépendance de son secours.
C’est Marie seule qui a trouvé grâce devant Dieu, sans aide d’aucune autre pure créature : ce n’est que par elle que tous ceux qui ont trouvé grâce devant Dieu l’ont trouvée, et ce n’est que par elle que tous ceux qui viendront ci-après la trouveront. Elle était pleine de grâce quand elle fut saluée par l’archange Gabriel, et elle fut surabondamment remplie de grâce par le Saint-Esprit quand il la couvrit de son ombre ineffable, et elle a tellement augmenté de jour en jour, et de moment en moment, cette plénitude double, qu’elle est arrivée à un point de grâce immense et inconcevable ; en sorte que le Très-Haut l’a faite l’unique trésorière de ses trésors et l’unique dispensatrice de ses grâces, pour anoblir, élever et enrichir qui elle veut, pour faire entrer qui elle veut dans la voie étroite du Ciel, pour faire passer, malgré tout, qui elle veut par la porte étroite de la vie, et pour donner le trône, le sceptre et la couronne de Roi à qui elle veut. Jésus est partout et toujours le fruit et le Fils de Marie, et Marie est partout l’arbre véritable qui porte le fruit de la vie, et la vraie mère qui le produit.
C’est Marie seule à qui Dieu a donné les clefs des celliers du divin amour, et le pouvoir d’entrer dans les voies les plus sublimes et les plus secrètes de la perfection, et d’y faire entrer les autres ; c’est Marie seule qui donne l’entrée dans le paradis terrestre aux misérables enfants d’Ève l’infidèle, pour s’y promener agréablement avec Dieu, s’y cacher sûrement contre ses ennemis, et pour s’y nourrir délicieusement, et sans plus craindre la mort, du fruit des arbres de vie et de science du bien et du mal, et pour y boire à longs traits les eaux célestes de cette belle fontaine qui y rejaillit avec abondance ; ou plutôt elle est elle-même ce paradis terrestre, ou cette terre vierge et bénie, dont Adam et Ève les pécheurs ont été chassés : elle ne donne entrée chez elle qu’à ceux et celles qu’il lui plaît pour les faire devenir saints.
Tous les riches du peuple, pour me servir de l’expression du Saint-Esprit, selon l’explication de saint Bernard, tous les riches du peuple supplieront votre visage de siècle en siècle, et particulièrement à la fin du monde, c’est-à-dire que les plus grands Saints, les âmes les plus riches en grâces et en vertus, seront les plus assidus à prier la très-sainte Vierge, et l’avoir toujours présente, comme leur parfait modèle, pour l’imiter, et leur aide puissante pour les secourir.
J’ai dit que cela arriverait particulièrement à la fin du monde, et bientôt, parce que le Très-Haut avec sa sainte Mère doivent se former de grands Saints, qui surpasseront autant en sainteté la plupart des autres Saints, que les cèdres du Liban surpassent les petits arbrisseaux, comme il a été révélé à une sainte âme, dont la vie a été écrite par un grand serviteur de Dieu.
Ces grandes âmes, pleines de grâce et de zèle, seront choisies pour s’opposer aux ennemis de Dieu, qui frémiront de tous côtés, et elles seront singulièrement dévotes à la très-sainte Vierge, éclairées par sa lumière, nourries de son lait, conduites par son esprit, soutenues par son bras et gardées sous sa protection ; en sorte qu’elles combattront d’une main et édifieront de l’autre : d’une main elles combattront, renverseront, écraseront les hérétiques avec leurs hérésies, les schismatiques avec leurs schismes, les idolâtres avec leurs idolâtries, et les pécheurs avec leurs impiétés ; et de l’autre main elles édifieront le temple du vrai Salomon et la mystique cité de Dieu, c’est-à-dire la très-sainte Vierge, appelée par les saints Pères le temple de Salomon et la cité de Dieu. Ils porteront tout le monde, par leurs paroles et leurs exemples, à sa véritable dévotion ; ce qui leurs attirera beaucoup d’ennemis, mais aussi beaucoup de victoires et de gloire pour Dieu seul. C’est ce que Dieu a révélé à saint Vincent Ferrier, grand Apôtre de son siècle, comme il l’a suffisamment marqué dans un de ses ouvrages.
C’est ce que le Saint-Esprit semble avoir prédit dans le Psaume 58e, dont voici les paroles : Et scient quia Dominus dominabitur Jacob et finium terræ ; convertentur ad vesperam, et famem patientur ut canes, et circuibunt civitatem… « Le Seigneur régnera dans Jacob et dans toute la terre ; ils se convertiront sur le soir, et ils souffriront la faim comme des chiens, et ils iront autour de la ville pour trouver de quoi manger. »
Cette ville que les hommes trouveront à la fin du monde pour se convertir, et pour rassasier la faim qu’ils auront de la justice, est la très-sainte Vierge, qui est appelée par le Saint-Esprit, ville et cité de Dieu.
C’est par Marie que le salut du monde a commencé, et c’est par Marie qu’il doit être consommé. Marie n’a presque point paru dans le premier avénement de Jésus-Christ, afin que les hommes, encore peu instruits et éclairés sur la personne de son Fils, ne s’éloignassent pas de la personne de son Fils, en s’attachant trop fortement et trop grossièrement à elle ; ce qui apparemment serait arrivé si elle avait été connue, à cause des charmes admirables que le Très-Haut avait mis même en son extérieur : ce qui est si vrai que saint Denys l’Aréopagite nous a laissé par écrit que, quand il la vit, il l’aurait prise pour une divinité, à cause de ses charmes secrets et de sa beauté incomparable, si la foi, dans laquelle il était bien confirmé, ne lui avait appris le contraire ; mais dans le second avénement de Jésus-Christ, Marie doit être connue et révélée par le Saint-Esprit, afin de faire par elle connaître, aimer et servir Jésus-Christ. Les raisons qui ont porté le Saint-Esprit à cacher son épouse pendant sa vie, et à ne la révéler que bien peu depuis la prédication de l’Évangile, ne subsistent plus.
Dieu veut donc révéler et découvrir Marie, le chef-d’œuvre de ses mains, dans ces derniers temps : 1o parce qu’elle s’est cachée dans ce monde et s’est mise plus bas que la poussière par sa profonde humilité, ayant obtenu de Dieu, de ses Apôtres et Évangélistes, qu’elle ne fût point manifestée ; 2o parce qu’étant le chef-d’œuvre des mains de Dieu, aussi bien ici-bas par la grâce que dans le Ciel par la gloire, il veut en être glorifié et loué sur la terre par les vivants ; 3o comme elle est l’aurore qui précède et découvre le Soleil de justice, qui est Jésus-Christ, elle doit être reconnue et aperçue, afin que Jésus-Christ le soit ; 4o étant la voie par laquelle Jésus-Christ est venu à nous la première fois, elle le sera encore lorsqu’il viendra la seconde, quoique non pas de la même manière ; 5o étant le moyen sûr et la voie droite et immaculée pour aller à Jésus-Christ et le trouver parfaitement, c’est par elle que les saintes âmes, qui doivent éclater en sainteté, doivent le trouver. Celui qui trouvera Marie trouvera la vie, c’est-à-dire Jésus-Christ, qui est la voie, la vérité et la vie ; mais on ne peut trouver Marie qu’on ne la cherche ; on ne peut la chercher qu’on ne la connaisse ; car on ne cherche ni on ne désire un objet inconnu : il faut donc que Marie soit plus connue que jamais à la plus grande connaissance et gloire de la très-sainte Trinité ; 6o Marie doit éclater, plus que jamais, en miséricorde, en force et en grâce, dans ces derniers temps : en miséricorde, pour ramener et recevoir amoureusement les pauvres pécheurs et dévoyés, qui se convertiront et reviendront à l’Église catholique ; en force contre les ennemis de Dieu, les idolâtres, schismatiques, mahométans, Juifs et impies endurcis, qui se révolteront terriblement pour séduire et faire tomber, par promesses et menaces, tous ceux qui leur seront contraires ; et enfin elle doit éclater en grâce, pour animer et soutenir les vaillants soldats et fidèles serviteurs de Jésus-Christ, qui combattront pour ses intérêts ; 7o enfin, Marie doit être terrible au diable et à ses suppôts comme une armée rangée en bataille, principalement dans ces derniers temps, parce que le diable, sachant bien qu’il a peu de temps, et moins que jamais, pour perdre les âmes, redoublera tous les jours ses efforts et ses combats ; il suscitera bientôt de nouvelles persécutions, et mettra de terribles embûches aux serviteurs fidèles et aux vrais enfants de Marie, qu’il a plus de peines que les autres à surmonter.
C’est principalement de ces dernières et cruelles persécutions du diable, qui augmenteront tous les jours jusqu’au règne de l’Antechrist, qu’on doit entendre cette première et célèbre prédiction et malédiction de Dieu, portée dans le paradis terrestre contre le serpent. Il est à propos de l’expliquer ici, pour la gloire de la très-sainte Vierge, le salut de ses enfants et la confusion du diable.
Inimicitias ponam inter te et mulierem, et semen tuum et semen illius ; ipsa conteret caput tuum, et tu insidiaberis calcaneo ejus. (Genes. III, 15.) « Je mettrai des inimitiés entre toi et la femme, et ta race et la sienne ; elle-même t’écrasera la tête, et tu mettras des embûches à son talon. »
Jamais Dieu n’a fait et formé qu’une inimitié, mais irréconciliable, qui durera et augmentera même jusqu’à la fin ; c’est entre Marie, sa digne Mère, et le diable : entre les enfants et serviteurs de la Sainte-Vierge et les enfants et suppôts de Lucifer ; en sorte que la plus terrible des ennemies que Dieu ait faites contre le diable est Marie sa sainte Mère ; il lui a même donné, dès le paradis terrestre, quoiqu’elle ne fût encore que dans son idée, tant de haine contre ce maudit ennemi de Dieu, tant d’industrie pour découvrir la malice de cet ancien serpent, tant de force pour vaincre, terrasser et écraser cet orgueilleux impie, qu’il l’appréhende plus, non-seulement que tous les Anges et les hommes, mais en un sens que Dieu même : ce n’est pas que l’ire, la haine et la puissance de Dieu ne soient infiniment plus grandes que celles de la Sainte-Vierge, puisque les perfections de Marie sont limitées ; mais c’est : 1o parce que Satan, étant orgueilleux, souffre infiniment plus d’être vaincu et puni par une petite et humble servante de Dieu, et son humilité l’humilie plus que le pouvoir divin ; 2o parce que Dieu a donné à Marie un si grand pouvoir contre les diables, qu’ils craignent plus, comme ils ont été souvent obligés de l’avouer malgré eux par la bouche des possédés, un seul de ses soupirs pour quelque âme, que les prières de tous les Saints, et une seule de ses menaces contre eux, que tous les autres tourments.
Ce que Lucifer a perdu par orgueil, Marie l’a gagné par humilité ; ce qu’Ève a damné et perdu par désobéissance, Marie l’a sauvé par obéissance : Ève, en obéissant au serpent, a perdu tous ses enfants avec elle, et les lui a livrés ; Marie, s’étant rendue parfaitement fidèle à Dieu, a sauvé tous ses enfants et serviteurs avec elle, et les a consacrés à sa majesté.
Non-seulement Dieu a mis une inimitié, mais des inimitiés, non-seulement entre Marie et le démon, mais entre la race de la Sainte-Vierge et la race du démon ; c’est-à-dire que Dieu a mis des inimitiés, des antipathies et haines secrètes entre les vrais enfants et serviteurs de Marie et les enfants et esclaves du diable ; ils ne s’aiment point mutuellement, ils n’ont point de correspondance intérieure les uns avec les autres. Les enfants de Bélial, les esclaves de Satan, les amis du monde (car c’est la même chose), ont toujours persécuté jusqu’ici et persécuteront plus que jamais ceux et celles qui appartiennent à la très-sainte Vierge, comme autrefois Caïn persécuta son frère Abel, et Ésaü son frère Jacob, qui sont les figures des réprouvés et des prédestinés ; mais l’humble Marie aura toujours la victoire sur cet orgueilleux, et si grande, qu’elle ira jusqu’à lui écraser la tête, où réside son orgueil : elle découvrira toujours sa malice de serpent, elle éventera ses mines infernales, et dissipera ses conseils diaboliques, et garantira jusqu’à la fin des temps ses fidèles serviteurs de sa patte cruelle ; mais le pouvoir de Marie sur tous les diables éclatera particulièrement dans les derniers temps, où Satan mettra des embûches à son talon, c’est-à-dire à ses humbles esclaves et à ses pauvres enfants, qu’elle suscitera pour lui faire la guerre. Ils seront petits et pauvres selon le monde, et abaissés devant tous comme le talon, foulés et persécutés comme le talon l’est à l’égard des autres membres du corps ; mais, en échange, ils seront riches en grâce de Dieu, que Marie leur distribuera abondamment ; grands et relevés en sainteté devant Dieu, supérieurs à toute créature par leur zèle animé, et si fortement appuyés du secours divin, qu’avec l’humilité de leur talon, en union de Marie, ils écraseront la tête du diable et feront triompher Jésus-Christ.
Enfin Dieu veut que sa sainte Mère soit à présent plus connue, plus aimée, plus honorée que jamais elle n’a été ; ce qui arrivera sans doute, si les prédestinés entrent, avec la grâce et la lumière du Saint-Esprit, dans la pratique intérieure et parfaite que je leur découvrirai dans la suite : pour lors, ils verront clairement, autant que la foi le permet, cette belle étoile de la mer, et ils arriveront à bon port, malgré les tempêtes et les pirates, en suivant sa conduite ; ils connaîtront les grandeurs de cette Souveraine, et ils se consacreront entièrement à son service, comme ses sujets et ses esclaves d’amour ; ils éprouveront ses douceurs et ses bontés maternelles, et ils l’aimeront tendrement comme ses enfants bien-aimés ; ils connaîtront les miséricordes dont elle est pleine, et les besoins où ils sont de son secours, et ils auront recours à elle en toutes choses comme à leur chère avocate et médiatrice auprès de Jésus-Christ ; ils sauront quel est le moyen le plus assuré, le plus aisé, le plus court et le plus parfait pour aller à Jésus-Christ, et ils se livreront à elle, corps et âme, sans partage, pour être à Jésus-Christ de même.
Mais qui seront ces serviteurs, esclaves et enfants de Marie ? Ce seront un feu brûlant des ministres du Seigneur qui mettront le feu de l’amour divin partout, et sicut sagittæ in manu potentis, des flèches aiguës dans la main de la puissante Marie pour percer ses ennemis ; ce seront des enfants de Lévi, bien purifiés par le feu de grande tribulation, et bien collés à Dieu, qui porteront l’or de l’amour dans le cœur, l’encens de l’oraison dans l’esprit, et la myrrhe de la mortification dans le corps, et qui seront partout la bonne odeur de Jésus-Christ, aux pauvres et aux petits, tandis qu’ils seront une odeur de mort aux grands, aux riches et aux orgueilleux mondains.
Ce seront des nuées tonnantes et volantes par les airs, au moindre souffle du Saint-Esprit, qui, sans s’attacher à rien, ni s’étonner de rien, ni se mettre en peine de rien, répandront la pluie de la parole de Dieu et de la vie éternelle ; ils tonneront contre le péché, ils gronderont contre le monde, ils frapperont le diable et ses suppôts, et ils perceront d’outre en outre, pour la vie ou pour la mort, avec leur glaive à deux tranchants de la parole de Dieu, tous ceux auxquels ils seront envoyés de la part du Très-Haut.
Ce seront des apôtres véritables des derniers temps, à qui le Seigneur des vertus donnera la parole et la force, pour opérer des merveilles et remporter des dépouilles glorieuses sur ses ennemis ; ils dormiront sans or ni argent, et qui plus est, sans soin au milieu des autres prêtres ecclésiastiques et clercs, inter medios cleros, et cependant auront les ailes argentées de la colombe, pour aller, avec la pure intention de la gloire de Dieu et du salut des âmes, où le Saint-Esprit les appellera ; et ils ne laisseront après eux, dans les lieux où ils auront prêché, que l’or de la charité, qui est l’accomplissement de toute la loi. Enfin nous savons que ce seront de vrais disciples de Jésus-Christ, qui, marchant sur les traces de sa pauvreté, humilité, mépris du monde et charité, enseigneront la voie étroite de Dieu dans la pure vérité, selon le saint Évangile, et non selon les maximes du monde, sans se mettre en peine ni faire acception de personne, sans épargner, écouter ni craindre aucun mortel, quelque puissant qu’il soit.
Ils auront dans leur bouche le glaive à deux tranchants de la parole de Dieu ; ils porteront sur leurs épaules l’étendard ensanglanté de la Croix, le Crucifix dans la main droite, le chapelet dans la gauche, les sacrés noms de Jésus et de Marie sur leur cœur, et la modestie et mortification de Jésus-Christ dans toute leur conduite. Voilà de grands hommes qui viendront ; mais Marie sera là par ordre du Très-Haut, pour étendre son empire sur celui des impies, idolâtres et mahométans ; mais quand et comment cela sera-t-il ?… Dieu seul le sait ; c’est à nous de nous taire, de prier, de soupirer et d’attendre : Exspectans exspectavi.
II. Discernement de la vraie dévotion à la Sainte-Vierge.
Ayant dit jusqu’ici quelque chose de la nécessité que nous avons de la dévotion à la très-sainte Vierge, il faut dire en quoi consiste cette dévotion : ce que je ferai, Dieu aidant, après que j’aurai présupposé quelques vérités fondamentales, qui donneront jour à cette grande et solide dévotion que je veux découvrir.
Première vérité. Jésus-Christ notre Sauveur, vrai Dieu et vrai homme, doit être la fin dernière de toutes nos autres dévotions ; autrement elles seraient fausses et trompeuses. Jésus-Christ est l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin de toutes choses. Nous ne travaillons, comme dit l’Apôtre, que pour rendre tout homme parfait en Jésus-Christ, parce que c’est en lui seul qu’habitent toute la plénitude de la Divinité, et toutes les autres plénitudes de grâces, de vertus et de perfections ; parce que c’est en lui seul que nous avons été bénis de toute bénédiction spirituelle ; parce qu’il est notre unique Maître qui doit nous enseigner, notre unique Seigneur de qui nous devons dépendre, notre unique Chef auquel nous devons être, notre unique Modèle auquel nous devons nous conformer, notre unique Médecin qui doit nous guérir, notre unique Pasteur qui doit nous nourrir, notre unique Voie qui doit nous conduire, notre unique Vérité que nous devons croire, notre unique Vie qui doit nous vivifier, et notre unique Tout en toutes choses qui doit nous suffire. Il n’a point été donné d’autre nom sous le ciel, que le nom de Jésus, par lequel nous devions être sauvés. Dieu ne nous a point mis d’autre fondement de notre salut, de notre perfection et de notre gloire, que Jésus-Christ : tout édifice qui n’est pas posé sur cette pierre ferme est fondé sur le sable mouvant, et tombera infailliblement tôt ou tard. Tout fidèle qui n’est pas uni à lui, comme une branche au cep de la vigne, tombera, séchera, et ne sera propre qu’à être jeté au feu. Si nous sommes en Jésus-Christ et Jésus-Christ en nous, nous n’aurons point de damnation à craindre ; ni les Anges des Cieux, ni les hommes de la terre, ni les démons des enfers, ni aucune autre créature ne nous peut nuire, parce qu’elle ne nous peut séparer de la charité de Dieu qui est en Jésus-Christ. Par Jésus-Christ, avec Jésus-Christ, en Jésus-Christ, nous pouvons toutes choses : rendre tout honneur et gloire au Père, en l’unité du Saint-Esprit : nous rendre parfaits, et être à notre prochain une bonne odeur de vie éternelle.
Si donc nous établissons la solide dévotion de la très-sainte Vierge, ce n’est que pour établir plus parfaitement celle de Jésus-Christ, ce n’est que pour donner un moyen aisé et assuré pour trouver Jésus-Christ. Si la dévotion à la Sainte-Vierge éloignait de Jésus-Christ, il faudrait la rejeter comme une illusion du diable ; mais tant s’en faut qu’au contraire, comme j’ai déjà fait voir et ferai voir encore ci-après : cette dévotion ne nous est nécessaire que pour trouver Jésus-Christ parfaitement, l’aimer tendrement, et le servir fidèlement.
Je me tourne ici un moment vers vous, ô mon aimable Jésus, pour me plaindre amoureusement à votre divine Majesté, de ce que la plupart des Chrétiens, même les plus savants, ne savent pas la liaison nécessaire qui est entre vous et votre sainte Mère. Vous êtes, Seigneur, toujours avec Marie, et Marie est toujours avec vous, et ne peut être sans vous, autrement elle cesserait d’être ce qu’elle est ; elle est tellement transformée en vous par la grâce, qu’elle ne vit plus, qu’elle n’est plus ; c’est vous seul, mon Jésus, qui vivez et régnez en elle, plus parfaitement qu’en tous les Anges et les Bienheureux. Ah ! si on connaissait la gloire et l’amour que vous recevez en cette admirable créature, on aurait de vous et d’elle bien d’autres sentiments qu’on n’a pas ; elle vous est si intimement unie, qu’on séparerait plutôt la lumière du soleil, la chaleur du feu ; je dis plus, on séparerait plutôt tous les Anges et les Saints de vous, que la divine Marie ; parce qu’elle vous aime plus ardemment, vous glorifie plus parfaitement que toutes vos autres créatures ensemble.
Après cela, mon aimable Maître, n’est-ce pas une chose étonnante et pitoyable, de voir l’ignorance et les ténèbres de tous les hommes d’ici-bas, à l’égard de votre sainte Mère ? Je ne parle pas tant des idolâtres et païens, qui, ne vous connaissant pas, n’ont garde de la connaître ; je ne parle pas même des hérétiques et schismatiques, qui n’ont garde d’être dévots à votre sainte Mère, s’étant séparés de vous et de votre sainte Église ; mais je parle des Chrétiens catholiques, et même des Docteurs parmi les Catholiques, qui, faisant profession d’enseigner aux autres les vérités, ne vous connaissent pas, ni votre sainte Mère, si ce n’est d’une manière spéculative, sèche, stérile et indifférente. Ces Messieurs ne parlent que rarement de votre sainte Mère et de la dévotion qu’on lui doit avoir, parce qu’ils craignent, disent-ils, qu’on n’en abuse, qu’on ne vous fasse injure en honorant trop votre sainte Mère ; s’ils voient ou entendent quelque dévot à la Sainte-Vierge parler souvent de la dévotion à cette bonne Mère, d’une manière tendre, forte et persuasive, comme d’un moyen assuré sans illusion, d’un chemin court sans danger, d’une voie immaculée sans imperfection, et d’un secret merveilleux pour vous trouver et vous aimer parfaitement, ils se récrient contre lui, et lui donnent mille fausses raisons pour lui prouver qu’il ne faut pas qu’ils parlent tant de la Sainte-Vierge, qu’il y a de grands abus en cette dévotion, et qu’il faut travailler à les détruire et parler de vous, plutôt que de porter les peuples à la dévotion à la Sainte-Vierge, qu’ils aiment déjà assez.
On les entend quelquefois parler de la dévotion à votre sainte Mère, non pas pour l’établir et la persuader, mais pour en détruire les abus qu’on en fait ; tandis que ces Messieurs sont sans piété et sans dévotion tendre pour vous, parce qu’ils n’en ont pas pour Marie : regardant le Rosaire, le Scapulaire, le Chapelet, comme des dévotions propres aux esprits faibles et aux ignorants, sans lesquelles on peut se sauver ; et s’il tombe en leurs mains quelque dévot à la Sainte-Vierge, qui récite son Chapelet ou ait quelque autre pratique de dévotion envers elle, ils lui changeront bientôt l’esprit et le cœur ; au lieu du Chapelet, ils lui conseilleront de dire les sept psaumes ; au lieu de la dévotion à la Sainte-Vierge, ils lui conseilleront la dévotion à Jésus-Christ.
Ô mon aimable Jésus, ces gens ont-ils votre esprit ? Vous font-ils plaisir d’en agir de même ? Est-ce vous plaire que de ne pas faire tous ses efforts pour plaire à votre Mère, de peur de vous déplaire ? La dévotion à votre sainte Mère empêche-t-elle la vôtre ? Est-ce qu’elle s’attribue l’honneur qu’on lui rend ? Est-ce qu’elle fait bande à part ? Est-elle une étrangère qui n’a aucune liaison avec vous ? Est-ce vous déplaire que de vouloir lui plaire ? Est-ce se séparer ou s’éloigner de votre amour, que de se donner à elle et de l’aimer ? Cependant, mon aimable Maître, la plupart des savants n’éloigneraient pas plus de la dévotion à votre sainte Mère, et n’en donneraient pas plus d’indifférence, que si tout ce que je viens de dire était vrai : gardez-moi, Seigneur, gardez-moi de leurs sentiments et de leurs pratiques, et me donnez quelque part aux sentiments de reconnaissance, d’estime, de respect et d’amour que vous avez à l’égard de votre sainte Mère, afin que je vous aime et glorifie d’autant plus que je vous imiterai et suivrai de plus près.
Comme si, jusqu’ici, je n’avais encore rien dit en l’honneur de votre sainte Mère, faites-moi la grâce de la louer dignement : Fac mе digne tuam Matrem collaudare, malgré tous ses ennemis, qui sont les vôtres, et que je leur dise hautement avec les Saints : Non præsumat aliquis Deum se habere propitium qui benedictam Matrem offensam habuerit… « Que celui-là ne présume pas recevoir la miséricorde de Dieu qui offense sa sainte Mère. » Pour obtenir de votre miséricorde une véritable dévotion à votre sainte Mère, et pour l’inspirer à toute la terre, faites que je vous aime ardemment, et recevez pour cela la prière embrasée que je vous fais avec saint Augustin et vos véritables amis :
[1] « Tu es Christus, pater meussanctus, Deus. meus pius, rex meus magnus, pastor meus bonus, magister meus unus, adjutor meus optimus, dilectus meus pulcherrimus, panis meus vivus, sacerdos meus in æternum, dux meus ad patriam, lux mea vera, dulcedo mea sancta, via mea recta, sapientia mea præclara, simplicitas mea pura, concordia mea pacifica, custodiamea tota, portio mea bona, salus mea sempiterna…
« Christe Jesu, amabilis Domine, cur amavi, quare concupivi in omni vita mea quidquam præter te Jesum Deum meum ? Ubi eram quando tecum mente non eram ? Jam ex hoc nunc, omnia desideria mea, incalescite et effluite in Dominum Jesum ; currite, satis hactenus tardastis ; properate quo pergitis ; quærite quam quæritis. Jesu, qui non amat te, anathema sit ; qui te non amat, amaritudinibus repleatur… O dulcis Jesu, te amet, in te delectetur, te admiretur omnis sensus bonus tuæ conveniens laudi ; Deus cordis mei et pars mea, Christe Jesu, deficiat cor meum spiritu suo, et vivas tu in me, et concalescat spiritu meo vivus carbo amoris tui, et excrescat in ignem perfectum, ardeat jugiter in ara cordis mei, ferveat in medullis meis, flagret in
absconditis animæ meæ ; in die consummationis
meæ consummatus inveniar apud te… Amen. »
J’ai voulu mettre en latin cette admirable oraison de saint Augustin, afin que les personnes qui entendent le latin la disent tous les jours pour demander l’amour de Jésus, que nous cherchons par la divine Marie.
Seconde vérité. Il faut conclure de ce que Jésus-Christ est à notre égard, que nous ne sommes point à nous, comme dit l’Apôtre, mais tout entiers à lui, comme ses membres et ses esclaves qu’il a achetés infiniment cher, par le prix de tout son sang. Avant le Baptême, nous étions au diable comme ses esclaves, et le Baptême nous a rendus les véritables esclaves de Jésus-Christ, qui ne doivent vivre, travailler et mourir que pour fructifier par ce Dieu-Homme, le glorifier en notre corps et le faire régner en notre âme, parce que nous sommes sa conquête, son peuple acquis et son héritage. C’est pour la même raison que le Saint-Esprit nous compare : 1o à des arbres plantés le long des eaux de la grâce, dans le
champ de l’Église, qui doivent donner leurs fruits en leur temps ; 2o aux branches d’une vigne dont Jésus-Christ est le cep, qui doivent rapporter de bons raisins ; 3o à un troupeau dont Jésus-Christ est le pasteur, qui se doit multiplier et donner du lait ; 4o à une bonne terre dont Dieu est le laboureur, et dans laquelle la semence se multiplie et rapporte au trentuple, au soixantuple, au centuple : Jésus-Christ a donné sa malédiction au figuier infructueux, et porté condamnation contre le serviteur inutile qui n’aurait pas fait valoir son talent ; tout cela nous prouve que Jésus-Christ veut recevoir quelques fruits de nos chétives personnes, savoir, nos bonnes œuvres, parce que ces bonnes œuvres lui appartiennent uniquement : Creati in operibus bonis in Christo Jesu. « Créés dans les bonnes œuvres en Jésus-Christ ; » lesquelles paroles montrent, et que Jésus-Christ est l’unique principe et doit être l’unique fin de toutes nos bonnes œuvres, et que nous le devons servir, non-seulement comme des serviteurs à gages, mais comme des esclaves d’amour. Je m’explique :
Il y a deux manières ici-bas d’appartenir à un autre et de dépendre de son autorité, savoir, la simple servitude et l’esclavage ; ce qui fait ce que nous appelons un serviteur et un esclave.
Par la servitude commune parmi les Chrétiens, un homme s’engage à en servir un autre pendant un certain temps, moyennant un certain gage ou une telle récompense.
Par l’esclavage, un homme est entièrement dépendant d’un autre pour toute sa vie, et doit servir son maître, sans en prétendre aucun gage ni récompense, comme une de ses bêtes sur laquelle il a droit de vie et de mort.
Il y a trois sortes d’esclavage : un esclavage de nature, un esclavage de contrainte et un esclavage de volonté. Toutes les créatures sont esclaves de Dieu en la première manière : Domini est terra et plenitudo ejus ; les démons et les damnés en la seconde ; les Justes et les Saints le sont en la troisième. L’esclavage de volonté est le plus glorieux à Dieu, qui regarde le cœur, qui demande le cœur, et qui s’appelle le Dieu du cœur ou de la volonté amoureuse, parce que, par cet esclavage, on fait choix, par-dessus toutes choses, de Dieu et de son service, quand même la nature n’y obligerait pas.
Il y a une totale différence entre un serviteur et un esclave. 1o Un serviteur ne donne pas tout ce qu’il est, tout ce qu’il possède et tout ce qu’il peut acquérir, par autrui ou par soi-même, à son maître : mais l’esclave se donne tout entier, tout ce qu’il possède et tout ce qu’il peut acquérir, à son maître, sans aucune exception. 2o Le serviteur exige des gages pour les services qu’il rend à son maître ; mais l’esclave n’en peut rien exiger, quelque assiduité, quelque industrie, quelque force qu’il ait à travailler. 3o Le serviteur peut quitter son maître quand il voudra, ou au moins quand le temps de son service sera expiré ; mais l’esclave n’est pas en droit de quitter son maître quand il voudra. 4o Le maître du serviteur n’a sur lui aucun droit de vie et de mort, en sorte que s’il le tuait comme une de ses bêtes de charge, il commettrait un homicide injuste ; mais le maître de l’esclave a, par les lois, droit de vie et de mort sur lui, en sorte qu’il peut le vendre à qui il voudra, ou le tuer, comme, sans comparaison, il le ferait de son cheval. 5o Enfin, le serviteur n’est que pour un temps au service d’un maître, et l’esclave pour toujours.
Il n’y a rien parmi les hommes qui nous fasse plus appartenir à un autre que l’esclavage ; il n’y a rien aussi parmi les Chrétiens qui nous fasse plus absolument appartenir à Jésus Christ et à sa sainte Mère que l’esclavage de volonté, selon l’exemple de Jésus-Christ même, qui a pris la forme d’esclave pour notre amour : Formam servi accipiens, et de la Sainte-Vierge, qui s’est dite la servante et l’esclave du Seigneur. L’Apôtre s’appelle par honneur servus Christi. Les Chrétiens sont appelés plusieurs fois dans l’Écriture Sainte servi Christi, lequel mot de servus, selon la remarque véritable qu’a faite un grand homme, ne signifiait autrefois qu’un esclave, parce qu’il n’y avait point encore de serviteurs comme ceux d’aujourd’hui, les maîtres n’étant servis que par des esclaves ou affranchis : ce que le Catéchisme du saint Concile de Trente, pour ne laisser aucun doute que nous soyons esclaves de Jésus-Christ, exprime par un terme qui n’est point équivoque, en nous appelant mancipia Christi, « esclaves de Jésus-Christ. »
Cela posé, je dis que nous devons être à Jésus-Christ et le servir, non-seulement comme des serviteurs mercenaires, mais comme des esclaves amoureux, qui, par un effet d’un grand amour, se donnent et se livrent à le servir en qualité d’esclaves, pour l’honneur seul de lui appartenir. Avant le Baptême, nous étions esclaves du diable ; le Baptême nous a rendus esclaves de Jésus-Christ : ou il faut que les Chrétiens soient esclaves du diable, ou esclaves de Jésus-Christ.
Ce que je dis absolument de Jésus-Christ, je le dis relativement de la Sainte-Vierge ; Jésus-Christ l’ayant choisie pour la compagne indissoluble de sa vie, de sa mort, de sa gloire et de sa puissance au ciel et sur la terre, lui a donné par grâce, relativement à sa majesté, tous les mêmes droits et priviléges qu’il possède par nature : Quidquid Deo convenit per naturam Mariæ convenit per gratiam… « Tout ce qui convient à Dieu par nature, convient à Marie par grâce, » disent les Saints : en sorte que, selon eux, n’ayant tous deux que la même volonté et la même puissance, ils ont tous deux les mêmes sujets, serviteurs et esclaves.
On peut donc, suivant le sentiment des Saints et de plusieurs grands hommes, se dire et se faire l’esclave amoureux de la très-sainte Vierge, afin d’être par là plus parfaitement l’esclave de Jésus-Christ. La Sainte-Vierge est le moyen dont Notre Seigneur s’est servi pour venir à nous ; c’est aussi le moyen dont nous devons nous servir pour aller à lui : car elle n’est pas comme les autres créatures, lesquelles, si nous nous y attachions, pourraient plutôt nous éloigner de Dieu que nous en approcher ; mais la plus forte inclination de Marie est de nous unir à Jésus-Christ son Fils, et la plus forte inclination du Fils est qu’on vienne à lui par sa sainte Mère ; et c’est lui faire honneur et plaisir, comme ce serait faire honneur et plaisir à un roi, si, pour devenir plus parfaitement son sujet et son esclave, on se faisait esclave de la reine. C’est pourquoi les saints Pères, et saint Bonaventure après eux, disent : que la Sainte-Vierge est le chemin pour aller à Notre Seigneur : Via veniendi ad Christum est appropinquare ad illam.
De plus, si, comme j’ai dit, la Sainte-Vierge est la reine et souveraine du ciel et de la terre : Imperio Dei omnia subjiciuntur et Virgo ; ecce imperio Virginis omnia subjiciuntur et Deus, disent saint Anselme, saint Bernard, saint Bernardin, saint Bonaventure, n’a-t-elle pas autant de sujets et d’esclaves qu’il y a de créatures ? n’est-il pas raisonnable que, parmi tant d’esclaves de contrainte, il y en ait d’amour, qui, par une bonne volonté, choisissent, en qualité d’esclaves, Marie pour leur souveraine ? Quoi ! les hommes et les démons auront leurs esclaves volontaires, et Marie n’en aurait point ? Quoi ! un roi tiendra à honneur que la reine sa compagne ait des esclaves sur qui elle ait droit de vie et de mort, parce que l’honneur et la puissance de l’un est l’honneur et la puissance de l’autre, et croire que Notre Seigneur, qui, comme le meilleur de tous les fils, a fait part de toute sa puissance à sa sainte Mère, trouve mauvais qu’elle ait des esclaves ? A-t-il moins de respect et d’amour pour sa Mère qu’Assuérus pour Esther, et que Salomon pour Bethsabée ? Qui oserait le dire et même le penser ?
Mais, où est-ce que ma plume me conduit ? pourquoi est-ce que je m’arrête ici à prouver une chose si visible ? Si on ne veut pas qu’on se dise esclave de la Sainte-Vierge, qu’importe ! Qu’on se fasse et qu’on se dise esclave de Jésus-Christ, c’est l’être de la Sainte-Vierge, puisque Jésus est le fruit et la gloire de Marie : c’est ce qu’on fait parfaitement par la dévotion dont nous parlerons dans la suite.
Troisième vérité. Nos meilleures actions sont ordinairement souillées et corrompues par le mauvais fonds qui est en nous. Quand on met de l’eau nette et claire dans un vaisseau qui sent mauvais, ou du vin dans un tonneau dont l’intérieur est gâté par un autre vin qu’il y a eu dedans, l’eau claire et le bon vin sont gâtés et en prennent aisément la mauvaise odeur. De même, quand Dieu met dans le vaisseau de notre âme, gâté par le péché originel et actuel, ses grâces et rosées célestes ou le vin délicieux de son amour, ses dons sont ordinairement gâtés et souillés par le mauvais levain et le mauvais fonds que le péché a laissés chez nous ; nos actions, même les vertus les plus sublimes, s’en ressentent. Il est donc d’une très-grande importance, pour acquérir la perfection, qui ne s’acquiert que par l’union à Jésus-Christ, de nous vider de ce qu’il y a de mauvais en nous ; autrement, Notre Seigneur, qui est infiniment pur, et hait infiniment la moindre souillure dans l’âme, nous rejettera de devant ses yeux, et ne s’unira point à nous.
Pour nous vider de nous-mêmes, il faut : 1o bien connaître par la lumière du Saint-Esprit notre mauvais fonds, notre incapacité à tout bien utile au salut, notre faiblesse en toutes choses, notre inconstance en tout temps, notre indignité de toute grâce, et notre iniquité en tout lieu ; le péché de notre premier père nous a tous gâtés, aigris, élevés et corrompus, comme le levain aigrit, élève et corrompt la pâte où il est mis. Les péchés actuels que nous avons commis, soit mortels, soit véniels, quelque pardonnés qu’ils soient, ont augmenté notre concupiscence, notre faiblesse, notre inconstance et notre corruption, et ont laissé de mauvais restes dans notre âme. Nos corps sont si corrompus, qu’ils sont appelés par le Saint-Esprit corps de péché, conçus dans le péché, nourris dans le péché et capables de tout péché, corps sujets à mille et mille maladies, qui se corrompent de jour en jour, et qui n’engendrent que de la gale, de la vermine et de la corruption.
Notre âme, unie à notre corps, est devenue si charnelle qu’elle est appelée chair ; toute chair ayant corrompu sa voie, nous n’avons pour partage que l’orgueil et l’aveuglement dans l’esprit, l’endurcissement dans le cœur, la faiblesse et l’insconstance dans l’âme, la concupiscence, les passions révoltées et les maladies dans le corps. Nous sommes naturellement plus orgueilleux que les paons, plus attachés à la terre que les crapauds, plus vilains que les boucs, plus envieux que des serpents, plus gourmands que des pourceaux, plus colères que des tigres et plus paresseux que des tortues, plus faibles que des roseaux et plus inconstants que des girouettes. Nous n’avons dans notre fonds que le néant et le péché, et ne méritons que l’ire de Dieu et l’enfer éternel.
Après cela, faut-il s’étonner si Notre Seigneur a dit : Que celui qui voulait le suivre devait renoncer à soi-même et haïr son âme : que celui qui aimerait son âme la perdrait, et que celui qui la haïrait la sauverait ? Cette Sagesse infinie, qui ne donne pas de commandements sans raison, ne nous ordonne de nous haïr nous-mêmes que parce que nous sommes grandement dignes de haine : rien de si digne d’amour que Dieu, rien de si digne de haine que nous-mêmes.
2o Pour nous vider de nous-mêmes, il faut tous les jours mourir à nous-mêmes ; c’est-à-dire qu’il faut renoncer aux opérations des puissances de notre âme et des sens du corps ; qu’il faut voir comme si on ne voyait point, entendre comme si on n’entendait point, se servir des choses de ce monde comme si on ne s’en servait point ; ce que saint Paul appelle mourir tous les jours : Quotidie morior. Si le grain de froment tombant en terre ne meurt, il demeure terre et ne produit point de fruit qui soit bon. Nisi granum frumenti cadens in terram mortuum fuerit, ipsum solum manet. Si nous ne mourons à nous-mêmes, et si nos dévotions les plus saintes ne nous portent à cette mort nécessaire et féconde, nous ne porterons point de fruit qui vaille, et nos dévotions nous deviendront inutiles ; toutes nos justices seront souillées par notre amour propre et notre propre volonté : ce qui fera que Dieu aura en abomination les plus grands sacrifices et les meilleures actions que nous puissions faire, qu’à notre mort nous nous trouverons les mains vides de vertus et de mérites, et que nous n’aurons pas une étincelle du pur amour, qui n’est communiqué qu’aux âmes mortes à elles-mêmes, dont la vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu.
3o Il faut choisir, parmi toutes les dévotions à la très-sainte Vierge, celle qui nous porte le plus à cette mort à nous-mêmes, comme étant la meilleure et la plus sanctifiante ; car il ne faut pas croire que tout ce qui reluit soit or, que tout ce qui est doux soit miel, et que tout ce qui est aisé à faire et pratiqué du plus grand nombre soit sanctifiant. Comme il y a des secrets de nature pour faire en peu de temps, à peu de frais et avec facilité, des opérations naturelles, de même il y a des secrets dans l’ordre de la grâce pour faire en peu de temps, avec douceur et facilité, des opérations surnaturelles, se vider de soi-même, se remplir de Dieu, et devenir parfait.
La pratique que je veux découvrir est un de ces secrets de grâce, inconnu du grand nombre des Chrétiens, connu de peu de dévots, pratiqué et goûté d’un bien plus petit nombre. Pour commencer à découvrir cette pratique, voici une quatrième vérité qui est une suite de la troisième.
Quatrième vérité. Il est plus parfait, parce qu’il est plus humble, de ne pas approcher de Dieu par nous-mêmes, sans prendre un médiateur ; notre fonds, comme je viens de montrer, étant si corrompu, si nous nous appuyons sur nos propres travaux, industries, préparations, pour arriver à Dieu et lui plaire, il est certain que toutes nos justices seront souillées, ou de peu de poids devant Dieu, pour l’engager à s’unir à nous et à nous exaucer ; car ce n’est pas sans raison que Dieu nous a donné des médiateurs auprès de sa majesté : il a vu notre indignité et incapacité ; il a eu pitié de nous, et pour nous donner accès à ses miséricordes, il nous a pourvus d’intercesseurs puissants auprès de sa grandeur ; en sorte que négliger ces médiateurs, et s’approcher directement de sa sainteté sans aucune recommandation, c’est manquer d’humilité, c’est manquer de respect envers un Dieu si haut et si saint ; c’est moins faire de cas de ce Roi des rois qu’on ne ferait d’un roi ou d’un prince de la terre, duquel on ne voudrait pas s’approcher sans quelque ami qui parle pour soi.
Notre Seigneur est notre avocat et notre médiateur de rédemption auprès de Dieu le Père ; c’est par lui que nous devons prier avec toute l’Église triomphante et militante ; c’est par lui que nous avons accès auprès de sa majesté, et nous ne devons jamais paraître devant lui qu’appuyés et revêtus de ses mérites, comme le petit Jacob de peaux de chevreaux devant son père Isaac, pour recevoir sa bénédiction.
Mais n’avons-nous point besoin d’un médiateur auprès du Médiateur même ? Notre pureté est-elle assez grande pour nous unir directement à lui, et par nous-mêmes ? N’est-il pas Dieu, en toutes choses égal à son Père, et par conséquent le Saint des Saints, aussi digne de respect que son Père ? Si, par sa charité infinie, il s’est fait notre caution et notre médiateur auprès de Dieu son Père pour l’apaiser et lui payer ce que nous lui devions, faut-il pour cela que nous ayons moins de respect et de crainte pour sa majesté et sa sainteté ?
Disons donc hardiment avec saint Bernard, que nous avons besoin d’un médiateur auprès du Médiateur même, et que la divine Marie est celle qui est la plus capable de remplir cet office charitable ; c’est par elle que Jésus-Christ est venu, et c’est par elle que nous devons aller à lui. Si nous craignons d’aller directement à Jésus-Christ notre Dieu, ou à cause de sa grandeur infinie, ou à cause de notre bassesse, ou à cause de nos péchés, implorons hardiment l’aide et l’intercession de Marie notre mère : elle est bonne, elle est tendre, il n’y a rien en elle d’austère ni de rebutant, rien de trop sublime et de trop brillant ; en la voyant, nous voyons notre pure nature : elle n’est pas le soleil, qui, par la vivacité de ses rayons, pourrait nous éblouir à cause de notre faiblesse ; mais elle est belle et douce comme la lune, qui reçoit sa lumière du soleil, et la tempère pour la rendre conforme à notre petite portée ; elle est si charitable qu’elle ne rebute personne de ceux qui demandent son intercession, quelque pécheurs qu’ils soient ; car, comme disent les Saints, on n’a jamais ouï dire, depuis que le monde est monde, qu’aucun ait eu recours à la Sainte-Vierge avec confiance et persévérance, et en ait été rebuté.
Elle est si puissante que jamais elle n’a été refusée dans ses demandes ; elle n’a qu’à se montrer devant son Fils pour le prier, aussitôt il accorde, aussitôt il reçoit ; il est toujours amoureusement vaincu par les mamelles, les entrailles et les prières de sa très-chère Mère : tout ceci est tiré de saint Bernard et de saint Bonaventure, en sorte que, selon eux, nous avons trois degrés à monter pour aller à Dieu : le premier, qui est le plus proche de nous et le plus conforme à notre capacité, est Marie ; le second est Jésus-Christ, et le troisième est Dieu le Père. Pour aller à Jésus, il faut aller à Marie, c’est notre médiatrice d’intercession ; pour aller au Père éternel, il faut aller à Jésus, c’est notre médiateur de rédemption. Or, par la dévotion que je dirai ci-après, c’est l’ordre qu’on garde parfaitement.
Cinquième vérité. Il est très-difficile, vu notre faiblesse et fragilité, que nous conservions en nous les grâces et les trésors que nous avons reçus de Dieu : 1o parce que nous avons ce trésor, qui vaut mieux que le ciel et la terre, dans des vases fragiles : Habemus thesaurum istum in vasis fictilibus ; dans un corps corruptible, dans une âme faible et inconstante, qu’un rien trouble et abat ; 2o parce que les démons, qui sont de fins larrons, veulent nous surprendre à l’imprévu pour nous voler et nous dévaliser : ils épient jour et nuit le moment favorable ; pour cela, ils tournent incessamment pour nous dévorer, et nous enlever en un moment par un péché, tout ce que nous avons pu gagner de grâces et de mérites en plusieurs années. Leur malice, leur expérience, leurs ruses et leur nombre doivent nous faire infiniment craindre ce malheur, vu que des personnes plus pleines de grâces, plus riches en vertus, plus fondées en expérience, et plus élevées en sainteté, ont été surprises, volées et pillées malheureusement. Ah ! combien a-t-on vu de cèdres du Liban et d’étoiles du firmament tomber misérablement et perdre toute leur hauteur et leur clarté en peu de temps ! D’où vient cet étrange changement ? Ce n’a pas été faute de grâce, qui ne manque à personne, mais faute d’humilité. Ils se sont crus plus forts et suffisants qu’ils n’étaient ; ils se sont crus capables de garder leurs trésors ; ils se sont fiés et appuyés sur eux-mêmes ; ils ont cru leur maison assez sûre, et leurs coffres assez forts pour garder le précieux trésor de la grâce, et c’est à cause de cet appui imperceptible qu’ils avaient en eux-mêmes, quoiqu’il leur semblât qu’ils s’appuyaient uniquement sur la grâce de Dieu, que le Seigneur très-juste a permis qu’ils aient été volés, en les délaissant à eux-mêmes. Hélas ! s’ils avaient connu la dévotion admirable que je montrerai dans la suite, ils auraient confié leur trésor à une Vierge puissante et fidèle, qui le leur aurait gardé comme son bien propre, et même s’en serait fait un devoir de justice.
3o Il est difficile de persévérer dans la justice, à cause de la corruption étrange du monde. Le monde est maintenant si corrompu qu’il est comme nécessaire que les cœurs religieux en soient souillés, sinon par sa boue, du moins par sa poussière ; en sorte que c’est une espèce de miracle, quand une personne demeure ferme au milieu de ce torrent impétueux sans en être entraînée, au milieu de cette mer orageuse sans être submergée ou pillée par les pirates et corsaires, au milieu de cet air empesté sans en être endommagée ; c’est la Vierge uniquement fidèle, dans laquelle le serpent n’a jamais eu de part, qui fait ce miracle à l’égard de ceux et celles qui la servent de la belle manière.
Ces cinq vérités présupposées, il faut maintenant plus que jamais faire un bon choix de la vraie dévotion à la très-sainte Vierge ; car il y a, plus que jamais, de fausses dévotions à la Sainte-Vierge, qu’il est facile de prendre pour de véritables dévotions. Le diable, comme un faux monnayeur et un trompeur fin et expérimenté, a déjà tant trompé et damné d’âmes par une fausse dévotion à la très-sainte Vierge, qu’il se sert tous les jours de son expérience diabolique pour en damner beaucoup d’autres, en les amusant et en dormant dans le péché, sous prétexte de quelques prières mal dites et de quelques pratiques extérieures qu’il leur inspire. Comme un faux monnayeur ne contrefait ordinairement que l’or et l’argent, et fort rarement les autres métaux, parce qu’ils n’en valent pas la peine, ainsi l’esprit malin ne contrefait pas tant les autres dévotions que celles de Jésus et de Marie, la dévotion à la sainte Communion et à la Sainte-Vierge, parce qu’elles sont, parmi les autres dévotions, ce que sont l’or et l’argent parmi les métaux.
Il est donc très-important d’abord de connaître : 1o les fausses dévotions à la très-sainte Vierge pour les éviter ; 2o la véritable pour l’embrasser ; ensuite, parmi tant de pratiques différentes de la vraie dévotion à la Sainte-Vierge, j’expliquerai plus en détail, dans la deuxième partie de cet écrit, quelle est la plus parfaite, la plus agréable à la Sainte-Vierge, la plus glorieuse à Dieu et la plus sanctifiante pour nous, afin de nous y attacher.
1o Des fausses Dévotions à la Sainte-Vierge.
Je trouve sept sortes de faux dévots et de fausses dévotions à la Sainte-Vierge, savoir : 1o les dévots critiques ; 2o les dévots scrupuleux ; 3o les dévots extérieurs ; 4o les dévots présomptueux ; 5o les dévots inconstants ; 6o les dévots hypocrites ; 7o les dévots intéressés.
Les dévots critiques sont pour l’ordinaire des savants orgueilleux, des esprits forts et suffisants, qui ont au fond quelque dévotion à la Sainte-Vierge mais qui critiquent presque toutes les pratiques de dévotion à la Sainte-Vierge que les gens simples rendent simplement et saintement à cette bonne Mère, parce qu’elles ne reviennent pas à leur fantaisie ; ils révoquent en doute tous les miracles et histoires rapportés par des auteurs dignes de foi, ou tirés des chroniques des ordres religieux, qui font foi des miséricordes et de la puissance de la très-sainte Vierge. Ils ne sauraient voir qu’avec peine des gens simples et humbles, à genoux devant un autel ou image de la Sainte-Vierge, quelquefois dans le coin d’une rue, pour y prier Dieu ; et ils les accusent même d’idolâtrie, comme s’ils adoraient le bois ou la pierre ; ils disent que, pour eux, ils n’aiment point ces dévotions extérieures, et qu’ils n’ont pas l’esprit si faible que d’ajouter foi à tant de contes et historiettes qu’on débite de la Sainte-Vierge. Quand on leur rapporte les louanges admirables que les saints Pères donnent à la Sainte-Vierge, ou ils répondent qu’ils ont parlé en orateurs, par exagération, ou ils donnent une mauvaise explication à leurs paroles. Ces sortes de faux dévots et de gens orgueilleux et mondains sont beaucoup à craindre, et ils font un tort infini à la dévotion à la très-sainte Vierge, et en éloignent les peuples d’une manière efficace, sous prétexte d’en détruire les abus.
Les dévots scrupuleux sont des gens qui craignent de déshonorer le Fils en honorant la Mère, d’abaisser l’un en élevant l’autre ; ils ne sauraient souffrir qu’on donne à la Sainte-Vierge des louanges très-justes, que lui ont données les saints Pères ; ils ne souffrent qu’avec peine qu’il y ait plus de monde devant un autel de la Sainte-Vierge que devant le Saint-Sacrement : comme si l’un était contraire à l’autre ; comme si ceux qui prient la Sainte-Vierge ne priaient pas Jésus-Christ par elle ; ils ne veulent pas qu’on parle si souvent de la Sainte-Vierge, qu’on s’adresse si souvent à elle. Voici quelques sentences qui leur sont ordinaires : À quoi bon tant de chapelets, tant de confréries et de dévotions extérieures à la Sainte-Vierge ? Il y a en cela bien de l’ignorance ! c’est faire une momerie de notre religion ! parlez-moi de ceux qui sont dévots à Jésus-Christ (ils le nomment souvent sans se découvrir, je le dis par parenthèse) : il faut recourir à Jésus-Christ, il est notre unique médiateur : il faut prêcher Jésus-Christ, voilà le solide ! Ce qu’ils disent est vrai dans un sens, mais, par rapport à l’application qu’ils en font, pour empêcher la dévotion à la très-sainte Vierge, est très-dangereux, et un fin piége du malin, sous prétexte d’un plus grand bien ; car jamais on n’honore plus Jésus-Christ que lorsqu’on honore plus la très-sainte Vierge ; puisqu’on ne l’honore qu’afin d’honorer plus parfaitement Jésus-Christ ; puisqu’on ne va à elle que comme à la voie pour trouver le terme où on va, qui est Jésus.
La sainte Église, avec le Saint-Esprit, bénit la Sainte-Vierge la première, et Jésus-Christ le second. Benedicta tu in mulieribus, et Benedictus fructus ventris tui Jesus. Non pas que la Sainte-Vierge soit plus que Jésus-Christ, ou égale à lui : ce serait une hérésie intolérable ; mais c’est que, pour bénir plus parfaitement Jésus-Christ, il faut auparavant bénir Marie. Disons donc avec tous les vrais dévots de la Sainte-Vierge, contre ses faux dévots scrupuleux : Ô Marie, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et béni est le fruit de votre ventre Jésus.
Les dévots extérieurs sont des personnes qui font consister toute la dévotion à la très-sainte Vierge en des pratiques extérieures ; qui ne goûtent que l’extérieur de la dévotion à la très-sainte Vierge, parce qu’ils n’ont point d’esprit intérieur ; qui diront force chapelets à la hâte, entendront plusieurs messes sans attention, iront aux processions sans dévotion, se mettront de toutes ses confréries, sans amendement de leur vie, sans violence à leurs passions, et sans imitation des vertus de cette Vierge très-sainte. Ils n’aiment que le sensible de la dévotion, sans en goûter le solide ; s’ils n’ont pas des sensibilités dans leurs pratiques, ils croient qu’ils ne font plus rien, il se détraquent, ils quittent tout là, ou ils font tout à bâtons rompus. Le monde est plein de ces sortes de dévots extérieurs, et il n’y a pas de gens plus critiques des personnes d’oraisons qui s’appliquent à l’intérieur, comme à l’essentiel, sans mépriser l’extérieur de modestie qui accompagne toujours la vraie dévotion.
Les dévots présomptueux sont des pécheurs abandonnés à leurs passions, ou des amateurs du monde, qui, sous le beau nom de chrétiens et de dévots à la Sainte-Vierge, cachent ou l’orgueil, ou l’avarice, ou l’impureté, ou l’ivrognerie, ou la colère, ou le jurement, ou la médisance, ou l’injustice, etc. ; qui dorment en paix dans leurs mauvaises habitudes, sans se faire beaucoup de violence pour se corriger, sous prétexte qu’ils sont dévots à la Sainte-Vierge ; qui se promettent que Dieu leur pardonnera ; qu’ils ne mourront pas sans confession, et qu’ils ne seront pas damnés parce qu’ils disent leur chapelet, parce qu’ils jeûnent le samedi, parce qu’ils sont de la confrérie du saint Rosaire ou Scapulaire, ou de ses congrégations ; parce qu’ils portent le petit habit ou la petite chaîne de la Sainte-Vierge, etc. Quand on leur dit que leur dévotion n’est qu’une illusion du diable et qu’une présomption pernicieuse capable de les perdre, ils ne le veulent pas croire : ils disent que Dieu est bon et miséricordieux ; qu’il ne nous a pas faits pour nous damner ; qu’il n’y a homme qui ne pèche ; qu’ils ne mourront point sans confession ; qu’un bon peccavi, à la mort, suffit ; qu’ils sont dévots à la Sainte-Vierge ; qu’ils portent le scapulaire ; qu’ils disent tous les jours, sans reproche et sans vanité, sept Pater et sept Ave en son honneur ; qu’ils disent même quelquefois le chapelet et l’office de la Sainte-Vierge ; qu’ils jeûnent, etc. Pour confirmer ce qu’ils disent et s’aveugler davantage, ils apportent quelques histoires qu’ils ont entendues ou lues en des livres, vraies ou fausses, n’importe pas, qui font foi que des personnes mortes en péché mortel, sans confession, parce qu’elles avaient, pendant leur vie, dit quelques prières ou fait quelques pratiques de dévotion à la Sainte-Vierge, ou ont été ressuscitées pour se confesser, ou leur âme a demeuré miraculeusement dans leur corps jusqu’à la confession, ou, par la miséricorde de la Sainte-Vierge, ont obtenu de Dieu, à leur mort, la contrition et le pardon de leurs péchés, et par là ont été sauvées, et qu’ainsi ils espèrent la même chose. Rien n’est si damnable, dans le Christianisme, que cette présomption diabolique, car peut-on dire avec vérité qu’on aime et qu’on honore la Sainte-Vierge, lorsque, par ses péchés, on pique, on perce, on crucifie et on outrage impitoyablement Jésus-Christ son fils ! Si Marie se faisait une loi de sauver par sa miséricorde ces sortes de gens, elle autoriserait le crime, elle aiderait à crucifier, à outrager son Fils ; qui l’oserait jamais penser ?
Je dis qu’abuser ainsi de la dévotion à la Sainte-Vierge, qui, après la dévotion à Notre-Seigneur au très-saint Sacrement, est la plus sainte et la plus solide, c’est commettre un horrible sacrilége, qui, après le sacrilége de l’indigne communion, est le plus grand et le moins pardonnable.
J’avoue que, pour être vraiment dévot à la Sainte-Vierge, il n’est pas absolument nécessaire d’être si saint qu’on évite tout le péché, quoique ce fût à souhaiter ; mais il faut du moins (qu’on remarque bien ce que je vais dire) :
1o Être dans une résolution sincère d’éviter au moins tout péché mortel, qui outrage la Mère aussi bien que le Fils ; 2o se faire violence pour éviter le péché ; se mettre des confréries, réciter le chapelet, le saint rosaire ou autres prières, jeûner le samedi, etc., cela est merveilleusement utile à la conversion d’un pécheur, même endurci ; et si mon lecteur est tel, quand il aurait un pied dans l’abîme, je le lui conseille, mais à condition qu’il ne pratiquera ces bonnes œuvres que dans l’intention d’obtenir de Dieu, par l’intercession de la Sainte-Vierge, la grâce de la contrition et du pardon de ses péchés, et de vaincre ses mauvaises habitudes, et non pas pour demeurer paisiblement dans l’état du péché, contre les remords de sa conscience, l’exemple de Jésus-Christ et des Saints, et les maximes du saint Évangile.
Les dévots inconstants sont ceux qui sont dévots à la Sainte-Vierge par intervalles et par boutades : tantôt ils sont fervents et tantôt tièdes, tantôt ils paraissent prêts à tout faire pour son service, et puis, peu après, ils ne sont plus les mêmes. Ils embrasseront d’abord toutes les dévotions de la Sainte-Vierge, ils se mettront dans ses confréries, et puis ils n’en pratiquent point les règles avec fidélité ; ils changent comme la lune, et Marie les met sous ses pieds, avec le croissant, parce qu’ils sont changeants et indignes d’être comptés parmi les serviteurs de cette Vierge fidèle, qui ont la fidélité et la constance pour partage. Il vaut mieux ne pas se charger de tant de prières et pratiques de dévotion, et en faire peu avec amour et fidélité, malgré le monde, malgré le diable et la chair.
Il y a encore de faux dévots à la Sainte-Vierge, qui sont des dévots hypocrites, qui couvrent leurs péchés et leurs mauvaises habitudes sous le manteau de cette Vierge fidèle, afin de passer aux yeux des hommes pour ce qu’ils ne sont pas.
Il y a encore des dévots intéressés, qui ne recourent à la Sainte-Vierge que pour gagner quelque procès, pour éviter quelque péril, pour guérir d’une maladie, ou pour quelque autre besoin de cette sorte, sans quoi ils l’oublieraient ; et les uns et les autres sont de faux dévots, qui ne sont point de mise devant Dieu et sa sainte Mère.
Prenons donc bien garde d’être du nombre des dévots critiques, qui ne croient rien et critiquent tout ; des dévots scrupuleux, qui craignent d’être trop dévots à la Sainte-Vierge, par respect à Jésus-Christ ; des dévots extérieurs, qui font consister toute leur dévotion en des pratiques extérieures ; des dévots présomptueux, qui, sous prétexte de leur fausse dévotion à la Sainte-Vierge, croupissent dans leurs péchés ; des dévots inconstants, qui par légèreté changent leurs pratiques de dévotion, ou les quittent tout à fait à la moindre tentation ; des dévots hypocrites, qui se mettent des confréries et portent les livrées de la Sainte-Vierge, afin de passer pour bons ; et enfin, des dévots intéressés, qui n’ont recours à la Sainte-Vierge que pour être délivrés des maux du corps, ou obtenir des biens temporels.
2o De la vraie dévotion à la Sainte-Vierge.
Ses caractères.
Après avoir découvert et condamné les fausses dévotions à la Sainte-Vierge, il faut en peu de mots établir la véritable, qui est 1o intérieure, 2o tendre, 3o sainte, 4o constante, 5o désintéressée.
1o La vraie dévotion à la Sainte-Vierge est intérieure, c’est-à-dire, elle part de l’esprit et du cœur ; elle vient de l’estime qu’on fait de la Sainte-Vierge, de la haute idée qu’on s’est formée de ses grandeurs, et de l’amour qu’on lui porte.
2o Elle est tendre, c’est-à-dire pleine de confiance en la très-sainte Vierge, comme d’un enfant dans sa bonne mère. Elle fait qu’une âme recourt à elle en tous ses besoins de corps et d’esprit, avec beaucoup de simplicité, de confiance et de tendresse ; elle implore l’aide de sa bonne Mère, en tous temps, en tous lieux et en toutes choses : dans ses doutes, pour en être éclaircie ; dans ses égarements, pour en être redressée ; dans ses tentations, pour être soutenue ; dans ses faiblesses, pour être fortifiée ; dans ses chutes, pour être relevée ; dans ses découragements, pour être encouragées ; dans ses scrupules, pour en être ôtée ; dans ses croix, travaux et traverses de la vie, pour en être consolée ; enfin, en tous ses maux de corps et d’esprit, Marie est son recours ordinaire, sans crainte d’importuner cette bonne mère, et de déplaire à Jésus-Christ.
3o La vraie dévotion à la Sainte-Vierge est sainte, c’est-à-dire qu’elle porte une âme à éviter le péché et à imiter de la très-sainte Vierge, particulièrement son humilité profonde, sa foi vive, son obéissance aveugle, son oraison continuelle, sa mortification universelle, sa pureté divine, sa charité ardente, sa patience héroïque, sa douceur angélique et sa sagesse divine. Ce sont les dix princpales vertus de la très-sainte Vierge.
4o La vraie dévotion à la Sainte-Vierge est constante, elle affermit une âme dans le bien, et elle la porte à ne pas quitter facilement ses pratiques de dévotion ; elle la rend courageuse pour s’opposer au monde, dans ses modes et ses maximes ; à la chair, dans ses ennuis et ses passions ; et au diable, dans ses tentations ; en sorte qu’une personne vraiment dévote à la Sainte-Vierge n’est point changeante, chagrine, scrupuleuse ni craintive : ce n’est pas qu’elle ne tombe et qu’elle ne change quelquefois, dans sa sensibilité et sa dévotion ; mais si elle tombe, elle se relève en tendant la main à sa bonne Mère : si elle devient sans goût ni dévotion sensible, elle ne s’en met point en peine ; car le juste et le dévot fidèle de Marie vit de la foi de Jésus et de Marie, et non des sentiments du corps.
5o Enfin, la vraie dévotion à la Sainte-Vierge est désintéressée, c’est-à-dire, qu’elle inspire à une âme de ne se point rechercher mais Dieu seul, dans sa sainte Mère ; un vrai dévot de Marie ne sert pas cette auguste Reine par un esprit de lucre et d’intérêt, ni pour son bien temporel, ni corporel, ni spirituel, mais uniquement parce qu’elle mérite d’être servie, et Dieu seul en elle ; il n’aime pas Marie précisément parce qu’elle lui fait du bien, ou qu’il en espère d’elle ; mais parce qu’elle est aimable. C’est pourquoi il l’aime et la sert aussi fidèlement dans les dégoûts et sécheresses, que dans les douceurs et ferveurs sensibles ; il l’aime autant sur le Calvaire qu’aux noces de Cana. Oh ! qu’un tel dévot à la Sainte-Vierge, qui ne se recherche en rien dans les services qu’il lui rend, est agréable et précieux aux yeux de Dieu et de sa sainte Mère ! Mais qu’il est rare maintenant ! C’est afin qu’il ne soit plus si rare, que j’ai mis la plume à la main pour écrire sur le papier ce que j’ai enseigné en public et en particulier, dans mes missions, pendant bien des années.
J’ai déjà dit beaucoup de choses de la très-sainte Vierge ; mais j’en ai encore plus à dire, et j’en omettrai encore infiniment plus, soit par ignorance, insuffisance, ou défaut de temps, dans le dessein que j’ai de former un vrai dévot de Marie et un vrai disciple de Jésus-Christ.
Oh ! que ma peine serait bien employée, si ce petit écrit, tombant entre les mains d’une âme bien née, née de Dieu et de Marie, et non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, lui découvrait et inspirait, par la grâce du Saint-Esprit, l’excellence et le prix de la vraie et solide dévotion à la très-sainte Vierge, que je vais décrire présentement. Si je savais que mon sang criminel pût servir à faire entrer dans le cœur les vérités que j’écris en l’honneur de ma chère Mère et souveraine Maîtresse, dont je suis le dernier des enfants et des esclaves, au lieu d’encre, je m’en servirais pour former ces caractères, dans l’espérance que j’ai de trouver de bonnes âmes qui, par leur fidélité à la pratique que j’enseigne, dédommageront ma chère Mère et Maîtresse des pertes qu’elle a faites par mon ingratitude et mes infidélités. Je me sens plus que jamais animé à croire et à espérer tout ce que j’ai profondément gravé dans le cœur, et que je demande à Dieu depuis bien des années ; savoir : que tôt ou tard la très-sainte Vierge aura plus d’enfants, de serviteurs et d’esclaves d’amour que jamais, et que par ce moyen, Jésus-Christ mon cher maître régnera dans les cœurs plus que jamais.
Je prévois bien des bêtes frémissantes, qui viennent en furie pour déchirer avec leurs dents diaboliques ce petit écrit et celui dont le Saint-Esprit s’est servi pour l’écrire, ou du moins pour l’envelopper dans le silence d’un coffre, afin qu’il ne paraisse point ; ils attaqueront même et persécuteront ceux et celles qui le liront et réduiront en pratique. Mais, n’importe ! mais tant mieux ! cette vue m’encourage et me fait espérer un grand succès, c’est-à-dire un grand escadron de braves et vaillants soldats de Jésus et de Marie, de l’un et de l’autre sexe, pour combattre le monde, le diable et la nature corrompue, dans les temps périlleux qui vont arriver plus que jamais ! Qui legit, intelligat. Qui potest capere, capiat.
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On a cru prévenir le désir des fidèles qui ne comprennent pas le latin, en donnant ici une traduction de cette prière :
« Vous êtes, ô Jésus, le Christ du Seigneur, mon père saint, mon Dieu plein de miséricorde, mon roi infiniment grand ; vous êtes mon pasteur charitable, mon unique maître, mon aide plein de bonté, mon bien-aimé d’une beauté ravissante, mon pain de vie, mon prêtre éternel ; vous êtes mon guide vers la patrie, ma vraie lumière, ma douceur toute sainte, ma voie droite et sans détour ; vous êtes ma sagesse brillante par son éclat, ma simplicité pure et sans tache, ma paix et ma douceur ; vous êtes enfin toute ma sauvegarde, mon héritage précieux, mon salut éternel.
« Ô Jésus-Christ, aimable Maître, pourquoi, dans toute ma vie, ai-je aimé, pourquoi ai-je désiré autre
chose que vous ? Jésus, mon Dieu, où étais-je, quandje ne pensais pas à vous ? Ah ! du moins, à partir de ce moment, que mon cœur n’ait de désirs et d’ardeurs que pour le Seigneur Jésus ; qu’il se dilate pour n’aimer que lui seul. Désirs de mon âme, courez désormais, c’est assez de retard ; hâtez-vous d’atteindre le but auquel vous aspirez : cherchez en vérité celui que vous cherchez. Ô Jésus ! anathème à qui ne vous aime pas : que celui qui ne vous aime pas soit rempli d’amertumes ! Ô doux Jésus ! soyez l’amour, les délices et l’admiration de tout cœur dignement consacré à votre gloire. Dieu de mon cœur, et mon partage, divin Jésus, que mon cœur tombe dans une sainte défaillance, et soyez vous-même ma vie ; que dans mon âme s’allume un charbon brûlant de votre amour, et qu’il y soit le principe d’un incendie tout divin ; qu’il brûle sans cesse sur l’autel de mon cœur ; qu’il embrase le plus intime de mon être ; qu’il consume le fond de mon âme ; qu’enfin, au jour de ma mort, je paraisse devant vous tout consommé dans votre amour. Ainsi soit-il. »