Après « l’affaire Altern », « l’affaire Yahoo ! » relance le débat engagé depuis plusieurs années sur la « régulation » d’Internet. La polémique fait rage, l’anathème fleurit. A l’occasion, insidieusement, une nouvelle problématique se fait jour. Elle excède très largement ladite « affaire Yahoo ! ». Nombre de « leaders d’opinion » se prononcent à l’occasion en faveur d’une énergique régulation de la liberté d’expression sur Internet. Une « nouvelle » liberté d’expression qui menace leur monopole sur le débat d’idées.
Dans un ouvrage paru en 1990 « Faire l’opinion, le nouveau jeu politique » [1], M. Patrick Champagne, sociologue, montrait comment le développement des technologies de la communication appliquées à la connaissance de l’opinion peut être préjudiciable à la vie démocratique. Et définissait à cet effet un « champ politico-médiatique », au sein duquel journalistes et politiques sont associés dans une relation de connivence dont la démocratie n’est pas la principale bénéficiaire.
Plus récemment l’ouvrage de M. Serge Halimi, « Les nouveaux chiens de garde » [2], stigmatisait un « journalisme de révérence » :
« Les medias français se proclament « contre-pouvoir ». Mais la presse écrite et audiovisuelle est dominée par un journalisme de révérence, par des groupes industriels et financiers, par une pensée de marché, par des réseaux de connivence. Alors, dans un périmètre idéologique minuscule, se multiplient les informations oubliées, les intervenants permanents, les notoriétés indues, les affrontements factices, les services réciproques. Un petit groupe de journalistes omniprésents - et dont le pouvoir est conforté par la loi du silence - impose sa définition de l’information-marchandise à une profession de plus en plus fragilisée par la crainte du chômage. Ces appariteurs de l’ordre sont les nouveaux chiens de garde de notre systême économique. »
Le débat suscité par « L’affaire Yahoo ! » dans les medias et l’opinion, s’articule notamment autour de la nature et du degré des contraintes qu’un Etat peut imposer à ses citoyens dans l’espace mondial dérégulé des réseaux.
« Mondialisation et vide politique »
Dans une tribune publiée l’été dernier par le supplément « Economie » du quotidien Le Monde [3], M. Christophe Leroy, maître de conférences en droit public à l’université Paris-XII Saint-Maur, décrivait implacablement les logiques de la « mondialisation » :
« [Les] Etats ne sont plus en mesure de gouverner leur pays dans le souci de défendre l’intérêt général de leur peuple. Ils ont l’obligation de favoriser le développement d’un marché libre de toute entrave, marché auquel est subordonnée toute leur politique nationale. [...] [Cette] volonté libre-échangiste engendre des phénomènes économiques dont le droit ne maîtrise plus vraiment les effets. Les problèmes nous semblent fondés sur de nombreux vides juridiques au niveau international. Ces vides juridiques faussent le droit et le systême économique des Etats-nations.
[...] Il y a dans cette logique une absence manifeste de contre pouvoirs. Le marché juge et tranche sans qu’il soit possible de faire appel. Toutes ces opérations sont pourtant « juridiquement correctes », c’est-à-dire juridiquement valables selon le droit positif. Ce que le pouvoir politique a de plus en plus de mal à dire, c’est que ces mêmes opérations sont souvent dans les faits anti-économiques et anti-sociales pour nombre d’Etats-nations.
[...] Le constat peut être fait que la démocratie de marché se soucie peu du gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Les récentes manifestations anti-OMC à Seattle ou en Suisse sont l’expression d’une défiance à l’encontre de cette mondialisation des marchés. Les gouvernements prennent eux aussi conscience de ces nombreuses failles et il leur apparaît clairement que l’abaissement des défenses juridiques des Etats et des zones de libre échange était aussi prématuré qu’il est maintenant irréversible.
[...] Un constat s’impose : il n’y a pas d’organisation politique exerçant une souveraineté supranationale capable aujourd’hui d’imposer un ordre juridique digne de ce nom. Il y a de ce point de vue un vide politique, une absence de projet tout à fait inquiétante.
[...] Un autre aspect du problème concerne les valeurs morales qui sous-tendent et gouvernent toute règle de droit. La volonté de réguler en se fixant pour objectif premier « l’effet utile » du droit sur le systême économique nous semble peu préoccupée par la recherche téléologique du bon et du juste dans l’élaboration et l’application du droit aux entreprises et aux personnes. La régulation s’avère donc, pour l’essentiel, un concept employé à posteriori à des fins idéologiques pour légitimer une désorganisation économique et financière à l’échelle mondiale.
[...] [Ce] droit de la globalisation économique est un monstre d’inconsistance qui verse chaque jour dans l’abus de pouvoir face auquel les dirigeants des Etats ont politiquement capitulé. Il y a bien là un vide politique manifeste, une absence de projet viable. Ce monstre d’inconsistance est pourtant bien l’enfant de l’homme politique qui n’est décidément plus ce berger de l’âme des nations, mais un simple collabo (sic) des financiers, un « épicier du droit » parlant le « juridiquement correct » du vide politique. »
« La grande peur des bien-pensants »
On conçoit aisément que dans ce contexte l’ordonnance récemment rendue par un tribunal français à l’encontre de la société Yahoo ! Inc puisse réjouir nombre d’éditorialistes, leaders d’opinion. Outre la satisfaction de voir le coq gaulois défier l’ogre yankee, ils semblent par ailleurs avoir récemment pris conscience que l’emprise qu’ils exercaient jusqu’ici sur les esprits commence à être tempérée, voire contrariée, par l’émergence d’un nouveau discours et de nouvelles pratiques politiques, qu’ils n’ont de cesse de stigmatiser, usant pour ce faire d’amalgames consternants. Ce qui contribue notablement à obscurcir les véritables enjeux de ladite « affaire Yahoo ! ».
Tout se passe en effet comme si, au-delà de ce cas d’espèce complexe - une décision qui peut prêter à controverse, tant quant à sa licéité que quant à son efficacité contestable d’un simple point de vue technique -, la médiatisation de « l’affaire Yahoo ! » signait le départ d’une offensive infiniment plus vaste, multiforme, contre les nouvelles modalités d’expression qui se déploient sur l’Internet.
C’est ainsi qu’au détour de récentes prises de position, d’éditoriaux, d’articles, on voit poindre un « nouveau marqueur sémantique ». Le débat n’est plus circonscrit comme il y a quelques mois à la problématique de la définition des responsabilités afférentes à l’hébergement de contenus - possiblement illicites -, sur Internet.
C’est tout autant, et bien davantage, la capacité désormais offerte à tout citoyen de propager ses opinions dans un espace public de délibération - à l’échelle du monde -, une capacité sur laquelle n’ont aucune prise les medias dominants, acteurs majeurs de la « démocratie d’opinion » contemporaine, qui semble pouvoir être mise en cause.
Les exemples abondent.
Dans un point de vue récemment publié dans les colonnes du Monde, M. Lucas Delattre, journaliste, y décrit ainsi les « Paradoxes de l’e-démocratie » :
« L’arrivée d’Internet, pourtant, bouleverse en profondeur les règles du jeu démocratique. Alors que la télévision favorisait la communication de masse sur un modèle vertical et centralisé, le systême du net, interactif et horizontal, permet au citoyen d’avoir accès à une quantité illimitée d’informations. La manipulation des esprits devient à priori plus difficile. Avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), les totalitarismes paraissent bannis. La parole politique n’est plus monopolisée par les partis ni par les lobbies les plus riches, mais se répand grâce à des relais de plus en plus influents : organisations non gouvernementales, forums de discussion, newsgroups et associations de toute nature.
[...] Les NTIC accélèrent l’avènement d’un espace public plus ouvert et plus volatile, voire éclaté. Elles accentuent une tendance historique lourde : d’une société dominée par les classes sociales, les Eglises, les familles, on passe à une société de réseaux, composée d’individus connectés (ou déconnectés) entre eux. C’est la « société libérale » qui monte en puissance, avec l’individualisme qui l’accompagne.
[...] Internet n’abolit pas cependant les circuits traditionnels du pouvoir. Alors que la nouvelle économie et le commerce électronique se traduisent par la suppression des échelons intermédiaires (la « désintermédiation »), le mouvement n’est guère visible dans la sphère politique. Même usés ou discrédités, les grands partis traditionnels demeurent puissants. Il est à craindre que pour s’adapter au nouveau contexte, ils ne précipitent l’avènement d’une démocratie d’opinion inspirée de plus en plus sytématiquement par les sondages.
[...] Mais, surtout, au moment où l’expression collective est libérée par Internet, de nouveaux réseaux de pouvoir apparaissent. La capacité de mobilisation de certaines organisations non gouvernementales, liée à leur visibilité sur les réseaux mais guère à leur légitimité démocratique, pose problème.
[...] Comment dans ces conditions, permettre l’émancipation des individus promise par les avocats de la « e-démocratie » ? Les promesses de celles-ci ne pourront pas se réaliser sans l’adoption de nouveaux droits et devoirs valables pour tous. »
Dans un registre voisin, M. Laurent Joffrin, Directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, commentant « L’affaire Yahoo ! », prenait position dans les colonnes de l’hebdomadaire en ces termes [4] :
« C’est la loi qui libère [...] Ce n’est pas aux PDG des multinationales de fixer les règles du jeu sur le Net. C’est aux représentants du peuple. Militants et citoyens précieux par leur vigilance, les libertaires sont aussi, plus souvent qu’à leur tour, victimes d’une récupération : celle que pratiquent avec habileté les libéraux et les intérêts qu’ils défendent. Le refus de la loi, du règlement, de l’Etat sont des réflexes nobles et utiles ; la liberté n’a jamais trop de défenseurs. Mais le même refus de la loi, dès qu’on touche à l’économie, nous ramène purement et simplement à l’ultra-libéralisme. Aussi respectables qu’ils soient, les libertaires, dans cette occurrence, ne sont que les éclaireurs involontaires des libéraux. Les méchantes langues diraient : les idiots utiles du capitalisme sauvage. »
Pour sa part M. Alexandre Adler, éditorialiste du quotidien Le Monde, décrivait la semaine dernière en ces termes les actions conduites l’an dernier par des militants de l’anti-mondialisation :
« Ce que les violences agitatoires des illuminés communautaristes de Seattle et de Prague révèlent comme un symptôme grossissant c’est la mise en place à l’échelle planétaire d’un front anti-mondialiste qui rappelle trait pour trait le front anti-libéral de la Révolution conservatrice née de la crise européenne des années 1872-1896. »
M. Lucas Delattre révoque en doute la légitimité, et la représentativité, de certaines ONG engagées dans des actions anti-mondialisation sur Internet.
M. Alexandre Adler les stigmatise comme des « illuminés communautaristes ».
M. Laurent Joffrin qualifie les citoyens qui s’interrogent, sur Internet notamment, sur les modalités de régulation du réseau mondial qui se mettent en place dans le plus grand désordre -, « d’idiots utiles du capitalisme sauvage »...
En revanche, aucun de ces éminents éditorialistes ne s’est inquiété de l’adoption définitive dans le courant de ce même mois de novembre des dispositions du « Safe Harbour ». Un accord conclu après trois ans de laborieuses tractations entre les Etats-unis et la Communauté européenne. Il stipule, en substance, que les entreprises américaines peuvent désormais importer aux USA des données personnelles de ressortissants de la Communauté. La seule garantie apportée en matière de respect de la vie privée renvoie à un engament - solennel -, desdites entreprises, de respecter les « codes de conduite » qu’elles ont elles-mêmes élaboré...
Pareilles analyses - pareilles omissions -, commencent à faire sens. Il n’est pas indifférent qu’elles émanent des détenteurs actuels d’un pouvoir médiatique dont on sait le poids qu’il pèse dans la « fabrication de l’opinion. »
Mais il y a mieux, ou plutôt pire !
Ainsi du récent éditorial signé par M. Jean-Claude Guillebaud dans la livraison du 18 novembre 2000 du Nouvel Observateur [5]. Intitulé « L’Internet mis en examen », il constitue un florilège des amalgames, contre-vérités, approximations, qui rendent bien compte de la difficulté des « leaders d’opinion » établis à appréhender ce nouvel espace d’expression qu’est l’Internet :
« Comment organiserons nous une résistance de l’esprit face à ce possible n’importe quoi ?
[...] Un nouveau media est né. Immense question : saurons-nous apprendre à le critiquer, à le juger, comme nous le faisons depuis longtemps pour la radio ou la télévision ? Cette question est énorme. Elle ne se confond pas avec celle de la régulation juridique de l’Internet, qui est une toute autre affaire.
Je parle ici d’une nécessaire posture critique, exigeante, lucide à l’égard de ces sites innombrables et bien souvent paranoïaques. Faut-il les citer ? Faut-il opposer aux plus délirants d’entre eux les démentis élémentaires de la raison éclairée ? Si oui, où devra donc prendre place cette critique journalistique du troisième type ? A la radio ? Dans la presse écrite ? Sur l’Internet lui-même ?
Personne n’est encore en mesure de répondre à ces questions préalables. La presse écrite, on le voit bien, se coltine encore comme elle peut avec ce nouvel objet communicationnel. Elle crée des rubriques multimedia en piochant dans ce magmas profus, cite quelques sites pittoresques, suggère d’aller voir les plus utiles ou les plus coquins, etc. C’est trois fois rien. Goutte d’eau dans la mer. Menue pincée d’informations au regard de l’inimaginable prolifération sur le Net. Des dizaines de millons de sites, une croissance exponentielle, une marée de messages, d’infos et - aussi - de discours répugnants et mensongers... Qu’en sera-t-il demain, lorsque le web aura pris une toute autre ampleur et une place centrale dans notre vie quotidienne ? Comment organiserons-nous une résistance de l’esprit face à ce - possible - n’importe quoi ?
[...] Le négationnisme en effet n’est jamais qu’un crime d’expression parmi les milliers qui se commettent quotidiennement sur l’Internet. (sic) Il faudrait ajouter la diffamation ad hominem, la pédophilie agissante, la pornographie meurtrière (les snuff movies pornos, avec meurtre à la clé, apparaissent sur la Toile) (sic),
[...] Devant l’immensité, voire l’infinitude de ce champ d’expression, nous sommes donc tentés par le fatalisme. Il n’y aurait décidément qu’à « laisser faire » et enfler cette « chose » ; laisser se mélanger jusqu’à la fin des temps le faux et le vrai, le crime et la vérité, le service et le vol, dans un inextricable salmigondis (la « poubelle du monde » dit Finkielkraut) où la raison n’aurait plus rien à tenter. Mais, nom d’une pipe !, personne ne peut consentir à cette capitulation ! En attendant mieux, apprenons donc à mettre obstinément, et chaque fois que nous le pouvons, l’Internet à l’examen. Un examen curieux et intransigeant. Il y va d’une certaine idée de la vérité... »
« Une certaine idée de la vérité »
A mille lieues du tableau apocalyptique que dressent avec une inquiétante constance nombre d’éditorialistes de renom, c’est précisément cette « certaine idée de la vérité » que s’appliquent à expérimenter nombre de citoyens, notamment, mais pas seulement, sur Internet.
Le quotidien Le Monde consacrait précisément un article très documenté aux « Nouveaux citoyens (qui) cherchent l’information à la source », dans son édition du 23 aout 2000.
On pouvait y lire, sous la plume de M. Nicolas Weill, que :
« Ce phénomène, perceptible mais difficile à appréhender ; montre que la demande de débat public n’est nullement éteinte. Il montre aussi que celle-ci n’est pas exclusivement draînée par les medias, où l’espace dévolu à la politique aurait plutôt tendance à rétrécir, comme en témoigne, par exemple, la suppression du « Club de la Presse d’Europe 1 ».
[...] Chercheurs et profanes se retrouvent pour soumettre le discours néolibéral à leur « contre-expertise » ou pour pratiquer la « sociologie critique » qui fait le succès des éditions Liber/Raisons d’Agir, où se rassemblent les proches de M. Bourdieu.
[...] Cette envie de savoir, cette quête du contact « direct » avec le spécialiste ou le savant semble donc répondre à un besoin politique autant qu’intellectuel. Une demande que le peu d’offre théorique des partis a bien du mal à satisfaire. »
Intitulé « Les jeunes militants-journalistes et leurs "webzines" », un second article de cette même enquête du Monde approndissait la problématique en soulignant notamment que :
« Avec ces magazines amateurs, se crée un mode d’expression politique. Souvent lancés par un petit groupe d’amis, sans liens systématiques avec les partis ou les medias traditionnels, ces journaux ne sont pas aussi éphémères qu’on pourrait le penser.
[...] Le support Internet se prête particulièrement bien à la citation de références. Un « lien » est souvent fait avec la source si elle est en ligne. Ce principe même de l’Internet, fondé sur le lien, est contradictoire avec la logique commerciale. Alors qu’une entreprise, ou même un journal, renâcle à faire référence à des informations publiées par des concurrents, les webzines eux n’hésitent pas.
[...] Une autre façon de faire de la politique se dessine-t-elle avec le développement de ces webzines ? Les jeunes qu’y s’y investissent se définissent en tout cas comme journalistes « engagés », chez qui la curiosité et la réflexion précéderaient l’action. »
« Liberté d’expression et monopole de la pensée »
L’outrance des propos de nombre de représentants les plus éminents des medias dominants, quand ils se prononcent sur les très complexes réponses à apporter en matière de « régulation de la liberté d’expression sur Internet » autorise à formuler une hypothèse.
Au-delà des questions ponctuelles afférent à la responsabilité liée à telle ou telle forme d’expression sur Internet, ce sont aussi les questions de la légitimité de la parole, et de ses processus de légitimation, qui sont désormais posées.
Car c’est une bien étrange figure de l’Internet que brossent nos éminents éditorialistes.
Une construction fantasmatique dans laquelle Internet est d’abord, nécessairement, le vecteur de toutes les menaces, y compris les plus fantaisistes. Quand, trop souvent, des menaces bien réelles ne seront pas évoquées.
La récurrence de cette lancinante évocation finit par faire sens.
« Insaisissable », protéiforme, voire intrinsèquement pervers, si l’on en croit certaines descriptions apocalyptiques, Internet doit être régulé.
La liberté d’expression ne saurait s’y déployer que très sévèrement encadrée.
Les multiples « excès » auxquels se livreraient des hordes innombrables d’ennemis patentés de la démocratie et des Droits de l’homme impitoyablement châtiés...
La charge prêterait à sourire, notamment si l’on s’efforce de quantifier les épouvantables débordements décrits par les détenteurs patentés de la Vérité médiatique, du Beau, du Juste et du Bien.
Car enfin, combien de condamnations prononcées par les tribunaux français ont-elles sanctionné des délits de diffamation, fausses nouvelles, propagande nazie ou antisémite ?
Très peu, bien peu, en regard de l’impressionnante floraison d’activités culturelles, politiques, associatives, syndicales, des actions conduites avec succès sur Internet en faveur des droits de l’homme, de l’environnement, de la défense des minorités, de l’aide au Tiers-Monde...
Par ailleurs l’Etat, la justice, ont-ils une seule fois dû avouer leur impuissance à réprimer un quelconque délit commis sur Internet en matière de liberté d’expression ces dernières années ? Non.
Reste qu’en l’espace de quelques mois l’actualité atteste que se fait jour une exigence de contrôle sans cesse accru de la liberté d’expression des citoyens dans l’espace public des réseaux :
Ainsi de la tentative d’imposition d’une non-prescriptibilité des écrits diffusés sur Internet, exception au droit commun de la presse,
Ainsi de la mobilisation récente des fournisseurs d’accès contre l’anonymat sur les forums internet,
Ainsi des contrôles opérés sur les services de messagerie électronique dans un nombre grandissant d’entreprises,
Ainsi de l’apparition d’innombrables labels et chartes, codes déontologiques, tous réputés certifier l’excellence de l’information dispensée par les sites qui les arboreront,
Ainsi des différents projets tendant à rendre obligatoire, et incontournable, l’identification formelle de l’identité de toute personne se connectant au réseau. Identification justifiée par les impératifs de sécurisation du commerce électronique.
Insidieusement, un impératif absolu de « transparence » appliquée à tous les échanges sur Internet, se fait jour.
Lors même que la loi et la jurisprudence française permettent de sanctionner tous les délits pouvant être commis sur le réseau en matière de liberté d’expression, une véritable « fureur régulatrice » semble s’emparer de nombre d’intellectuels, éditorialistes...
Etonnant paradoxe. A l’heure où les « reality-shows », le « pouvoir des juges », la « démocratie d’opinion » contraignent quasiment tous les acteurs sociaux à rendre des comptes à ladite démocratie d’opinion, les « clercs médiatiques » appartiennent à l’une des très rares corporations qui ne s’applique pas à elle même cette fameuse transparence...
On aimerait croire que ce n’est pas seulement cette singularité qui alimente cette furie « régulatrice » qu’expriment de plus en plus clairement les grands prêtres de l’ordre médiatique...
Ou peut-être faut-il y discerner les prémices du déclin irrémédiable de leur influence. Danger qu’ils auraient parfaitement perçu ?
Dans cette occurrence les débordements de quelques « Danubes de la pensée », soudain enragés, témoigneraient que le spectre du développement d’un « Napster de la pensée » hante leurs nuits si frénétiquement qu’il ne manquera pas de les conduire à achever de se disqualifier aux yeux d’une opinion qu’ils ne réussiront pas à convaincre qu’Internet se résume à l’enfer qu’ils dépeignent jour après jour...