En 2019, le centre de Bruxelles est le théâtre de découvertes archéologiques uniques. Malheureusement, dans un contexte de pression immobilière intense sur les alentours du piétonnier, malgré la médiatisation des découvertes, l’intérêt des Bruxelloises et Bruxellois, et la demande sociale exprimée par les associations dont IEB, les autorités ne mettent ni le temps ni les moyens pour permettre de mener des fouilles à la hauteur des découvertes.
Depuis 2006 au moins, la Ville de Bruxelles songeait à reloger ses services administratifs dans un nouveau bâtiment à ériger à la place du Parking 58 [1]. Quelques années plus tard, en dépit des critiques d’IEB, de l’ARAU et des derniers comités de quartier du centre-ville, le permis pour le projet de démolition-reconstruction est octroyé. Le parking ferme à l’été 2017 et est démoli dans le courant 2018 après avoir été désamianté. À l’occasion de la démolition de cet emblème de l’époque du tout-à-la-voiture, on se remémore l’histoire du site où, autrefois, coulait la Senne.
Avant que ne s’érige le parking, le site avait accueilli au fil des siècles différents équipements urbains. D’abord le premier port de Bruxelles (12ᵉ-16ᵉ siècle), délaissé après la réalisation du canal de Willebroeck (1561), puis le marché au poisson qui s’y maintint jusqu’au comblement de la rivière (1871), ensuite, sur la rivière remblayée, les majestueuses Halles centrales (1874). Constituées de deux pavillons, le « nord » et le « sud », séparés par la courte rue des Halles (une rue couverte), elles resteront debout jusqu’au milieu du 20ᵉ siècle. L’aile nord sera démolie en 1957 avant que l’aile sud ne connaisse le même sort quelques années plus tard.
En effet, dans la fièvre de la préparation de l’Expo’58, l’échevin du Commerce et des Propriétés communales, Paul Vanden Boeynants (1919-2001), mieux connu dans les annales belges et bruxelloises sous le nom de VdB, proposa que les Halles centrales, propriété de la Ville, soient démolies au profit d’un parking « à l’américaine », c’est-à-dire un bâtiment-parking, inspiré duDowntown Center Garagede San Francisco. Comme à son habitude, VdB avait réussi à confier la réalisation à un ami, ici Claude De Clercq, négociant en voitures. Le succès de ce nouveau concept de parking payant se fit attendre, mais dans les années 1960, il devint tel qu’on suréleva le bâtiment de quatre étages et qu’on lui ajouta une aile en détruisant l’autre partie des halles.
Après quelque 60 ans de service, le parking fut donc démoli sous le regard incrédule des badauds et journalistes, et début 2019, les grues et pelleteuses avaient fait place à un immense vide de 6000 m². Le trou creusé pour les fondations s’approfondissait de jour en jour lorsqu’un évènement inattendu s’invita. Fin février, le Département du Patrimoine archéologique de la Région constate la présence de structures anciennes, suffisamment importantes pour que les travaux soient arrêtés pour suivi archéologique. Passants et passantes s’arrêtent aussi… pour scruter les découvertes à travers les grilles déployées autour du chantier.
Personne ne s’attendait à découvrir de tels vestiges à une telle profondeur (6 à 8 m sous la voirie), sur un site où les constructions successives avaient profondément perturbé le sous-sol. Même la carte de l’atlas du sous-sol archéologique du Pentagone (centre de Bruxelles) indiquait toute la zone en noir, la couleur « d’un potentiel archéologique nul ».
Les nouvelles circulent rapidement. On voit un ancien bras de la Senne, puis un quai, on trouve des objets en nombre et des traces de nombreuses structures ! La presse relaie et on s’inquiète du sort de ces vestiges. Le 8 mars 2019, la destruction à la pelleteuse de ce qui apparaît comme un quai médiéval émeut particulièrement la sphère des amoureux et amoureuses du passé, de la mémoire et de l’histoire bruxelloises. IEB relaie les images de cette triste opération, menée dans la précipitation. Car on s’inquiète aussi des délais trop courts imposés aux archéologues. Celles-ci travaillent dans l’urgence avec des moyens limités sur un site immense. Finalement, au vu de l’ampleur des découvertes, l’arrêt du chantier est prolongé jusqu’à la fin juin. Un petit sursis qui permettra aux archéologues de travailler cinq mois au total et aussi de faire découvrir les fouilles au grand public grâce à quelques visites guidées organisées… et très fréquentées (plus de 2000 personnes y participeront).
Cinq mois… un temps bien trop court par rapport au temps de l’histoire… mais déjà trop long pour le promoteur immobilier et son commanditaire. Dans cet épisode, la faiblesse des dispositifs archéologiques de la Région est apparue, malheureusement une fois de plus, dans toute sa « splendeur ».
Historienne et membre de l’Organe d’Administration