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Anaïde Rozam et Marie Colomb nous plongent dans Culte, la série sur la création (tumultueuse) du Loft Story

Plus de vingt ans après le lancement de Loft Story en France, la série Culte raconte les coulisses de l’émission pionnière de la télé-réalité à travers le regard de deux de ses protagonistes phares. Deux comédiennes brillantes les incarnent. Rencontre.
Anaide Rozam et Marie Colomb  GQ Hype
Sur Anaïde Rozam : Bague, Christian Dior. Trench, Alexandre Vauthier. Chemise et jupe, Vivienne Westwood. Chaussures, Louis Vuitton. Sur Marie Colomb : Total look Gucci.© Manu Fauque

C’est sans doute la dernière fois que vous ne les reconnaîtrez pas. La dernière fois que leurs noms ne vous diront pas grand-chose et que vous aurez besoin de chercher un peu où vous avez bien pu voir ces visages. Après leurs performances dans Culte, la série Prime Video qui revient sur l’aventure Loft Story et la naissance (côté coulisses) de la télé-réalité en France, il vous sera impossible d’échapper à l’explosion de ces deux jeunes actrices : Anaïde Rozam et Marie Colomb.

Certes, elles ne sont pas totalement inconnues. La première compte près de 400 000 followers sur Instagram, s’est fait connaître avec des vidéos hilarantes qui lui ont valu les faveurs de Leïla Bekhti et une présence dans la saison 4 de LOL : Qui rit, sort ! Pour la seconde, c’est le passage d’un cap. C’est vrai, le rôle qu’elle tenait dans As Bestas l’a propulsée vers une nomination aux Goyas [l'équivalent espagnol des César, ndlr], et son interprétation de Laëtitia, dans la mini-série du même nom, était déjà remarquable. Mais là, c’est encore autre chose. Leurs performances dans Culte les rendront incontournables sur nos écrans. C’est en tout cas ce qu’on souhaite à l’audiovisuel français.

Elles incarnent respectivement Alexia Laroche-Joubert – rebaptisée Isabelle de Rochechouart pour les besoins de la fiction – et Loana Petrucciani, dont le patronyme n’a pas été changé tant il est iconique. La première est une fille de bonne famille, version intello et maison d’édition, méprisée par son clan parce qu’elle bosse à la télé. La seconde est une fille perdue, gogo danseuse dans le sud de la France, collectionneuse de malheurs. Les deux sont des femmes fortes, indépendantes, prêtes à tout pour s’en sortir. Elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes. Ce sont des personnages qu’on n’a pas l’habitude de voir à l’écran. Il faut donc ici souligner l’audace et la cohérence de la plateforme, qui a choisi pour défendre ce projet casse-gueule de faire confiance à des talents plutôt qu’à des noms. Le résultat est à la fois prenant, touchant, instructif et résolument moderne.

© Manu Fauque/GQ France

Explosives à l’écran, les deux comédiennes sont encore un peu timides au moment de répondre aux premières questions. Assises l’une à côté de l’autre sur un canapé, elles semblent se retenir. Il y a le stress parce que c’est la première interview d’une longue série qu’elles vont donner. Il y a peut-être aussi l’angoisse de penser que tout ce qu’elles diraient pourrait être retenu contre elles. Et un peu de fatigue, sans doute, après la longue séance photo du jour (même si elles se sont éclatées) et le quizz années 2000 pour le format vidéo du magazine qu’elles viennent de finir. Anaïde l’a remporté. “De peu”, souligne-t-elle, dans un souci de modestie qui semble être sa marque de fabrique : “J’avais peur de ne pas y arriver, mais en fait c’était sur les années 2010, alors ça va”, ajoute-t-elle.

Parce qu’en effet, si ça avait été sur la première décennie du millénaire, ç’aurait été plus délicat : Anaïde et Marie sont nées en 1997 et en 1995. Elles avaient 4 et 6 ans quand les tours jumelles ont été percutées et que la France a vu débarquer la première émission de télé-réalité. Autant dire qu’elles n’avaient qu’une connaissance très superficielle du Loft. Alors, même si Marie confie qu’une amie de l’école primaire lui a rappelé qu’elles jouaient à recréer Loft Story dans la cour de récré, et qu’elle incarnait déjà Loana, il a fallu bosser le sujet.

Marie, en plus de se teindre les cheveux, a donc regardé les quotidiennes des onze semaines d’enfermement du programme. Pour comprendre son personnage, ce qu’elle était venue chercher. “C’était hyper intéressant, raconte-t-elle. Sociologiquement déjà, et puis il y avait une espèce d’innocence de la part des candidats. Ils ne savaient pas ce que ça allait changer dans leur vie, ils ne pouvaient pas connaître l’impact sur leur existence. Même s’ils voulaient évidemment passer à la télé, ils ignoraient ce que ça représentait. Contrairement aux candidats d’aujourd’hui.” Et elle a lu Elle m’appelait Miette, l’autobiographie de la co-gagnante – oui, ils sont deux à avoir remporté la première édition du Loft. “C’est très touchant et hyper bien écrit. Bien sûr, elle a travaillé avec quelqu’un, mais on y trouve aussi des lettres de Loana, quand elle était adolescente. On voit qu’elle est vraiment intelligente.”

Robe (en dessous), Louis Vuitton. Chemise, The Frankie Shop. Corset et cravate, Vivienne Westwood. Bague, Dior.© Manu Fauque

Anaïde, elle, s’est concentrée sur le casting. Elle a écouté des interviews d’Alexia Laroche-Joubert à la façon d’un podcast. Parce qu’elle n’avait pas le choix. “Je suis plutôt du genre à penser que les choses vont mal se passer. Et là, j’arrivais à une période de ma toute petite carrière de comédienne où il fallait que je fasse ce projet. Je n’étais pas prise sur les rôles que je voulais et ceux qu’on me proposait ne m’intéressaient pas. Alors, pour la première fois de ma vie, je suis arrivée en me disant que ce rôle-là, c’est moi qui l’aurais.” Elle a débarqué aux essais, décidée, comme l’est son personnage. Déterminée et inarrêtable. “Même ma démarche a changé. Je me souviens que le coach avec qui j’ai bossé m’a demandé de marcher. Alors je l’ai fait en zigzaguant un peu, comme je le fais moi, parce que je ne suis pas toujours très à l’aise avec mon corps. Puis il m’a demandé de marcher comme mon personnage, et là, j’ai marché droit, directe.”

C’est peut-être ce qu’il y a de plus marquant dans leurs interprétations respectives : elles arrivent, l’une et l’autre, à travers quelques gestes, quelques intonations, à incarner immédiatement leurs personnages sans jamais les caricaturer. Elles en ont toutes les deux saisi l’essence. Et elles leur apportent une profondeur inattendue mais espérée. Sans doute parce qu’au-delà de leur talent d’actrices, elles abordent le sujet de la télé-réalité sans mépris ni dédain. Bien au contraire. Marie dévore en ce moment Vivre pour les caméras, le passionnant essai de Constance Vilanova qui décrypte la manière dont la télé-réalité a infusé dans la société depuis une vingtaine d’années.

Robe, Balenciaga. Voiture, Alpine.© Manu Fauque

Pendant ses études de psycho, Anaïde, fille d’un pédopsychiatre, s’était intéressée aux comportements des candidats, et à la manière dont ils se conforment aux personnages qu’on leur attribue. Elle cite alors l’expérience réalisée à l’université de Stanford où des étudiants jouaient des rôles de gardiens et de prisonniers. Les participants, des gens ordinaires donc, s’étaient tellement impliqués dans leur rôle que l’expérience était devenue dangereuse pour certains. “Par exemple, Loana, explique Anaïde, elle est recrutée comme étant la bimbo. Même si elle ne le sait pas, elle le devine. Et elle se sent constamment jugée comme telle. Jean-Édouard, c’est le beau gosse un peu dur, et il va aller dans cette direction.” Marie prolonge la réflexion : “C’est le cas pour tout le monde dans la société. On est tous un peu ce que les autres projettent sur nous. Et on essaie d’y échapper.” Un syndrome que Romain Gary appelait “la gueule qu’on nous fait”.

C’est ce que font également leurs personnages. Isabelle de Rochechouart n’est pas une horrible carriériste prête à tout, mais une ambitieuse, et ce n’est plus un gros mot. Loana n’est plus une bimbo écervelée que l’on cantonne à la scène de la piscine, mais la victime, répétée, de personnes malveillantes. La productrice n’est pas un bulldozer sans cœur mais une jeune femme qui, dans un monde patriarcal, doit se battre sans jamais oublier ceux qui comptent. La candidate siliconée refuse le statut de victime et se montre déterminée à s’en sortir. Et le tout forme un point de vue résolument féministe. “Dans l’inconscient collectif, et notamment dans la fiction, commente Anaïde, une femme qui veut réussir, comme mon personnage, va être qualifiée de dangereuse. Alors qu’un homme qui fait la même chose sera valorisé.”

L’intelligence de la série, c’est donc de ne faire de la productrice ni un monstre ni une sainte, mais un personnage complexe. Marie Colomb, assise sur le bord du canapé, le sourire en armure, poursuit : “Le point commun que j’ai avec Loana ? Nous sommes des femmes.” Et il faut entendre ici tout ce qu’elle met derrière ce mot, et cette condition, mais qu’elle ne dit pas. Les regards pesants, les épreuves, les traumas... mais aussi l’envie et la certitude que les choses vont changer. La colère, la douceur et la pudeur érigées en forces.

Veste, Michael Kors. Robe, Louis Vuitton. Chaussures, Diesel. Bagues, vintage.© Manu Fauque

Et effectivement, les lignes bougent déjà. Entre les deux jeunes comédiennes, sans jamais surjouer la complicité, on ne détecte aucune trace de compétition. Au milieu de quelques conseils échangés pour gérer le stress du plateau et la peur du jugement, Marie raconte son premier jour de tournage sur la série : “Tu m’as sauvé la vie, explique-t-elle à Anaïde avant de rentrer dans le détail. Je devais pleurer et je n’y arrivais pas. Une prise, deux prises, trois prises, rien ne venait. Il y a des scènes où tu peux remplacer les pleurs par autre chose, mais là c’était impossible. Et tu m’as dit une phrase comme ‘Tu vas y arriver parce que tu dois y arriver’, avec une telle bienveillance... J’ai fini par réussir.”

La bienveillance, c’est sans doute ce qui ressort le plus de cette heure d’entretien. D’abord, évidemment, parce que Marie et Anaïde se laissent parler, se rassurent et se complimentent. Mais aussi parce qu’elles en font preuve quand on leur demande si elles ont quelque chose à ajouter avant que l’on se sépare et que, d’une seule voix, elles décident de rendre un hommage appuyé au réalisateur de la série, Louis Farge. Et les raisons qu’elles développent pour justifier leur enthousiasme sont réjouissantes. Elles parlent de gentillesse, d’écoute, de douceur. Des valeurs anachroniques qui ne le seront peut-être bientôt plus.

Pour la suite – parce qu’à l’image de leurs personnages, pour qui rien n’a plus jamais été pareil après cette aventure –, tout risque de changer ? Pour l’instant, elles n’osent pas encore l’envisager. Anaïde espère retrouver des rôles de cette qualité, des rôles dont elle puisse être fière. Elle avoue qu’elle aimerait bien passer à la réalisation, pour le plaisir de diriger des acteurs et peut-être, parallèlement, céder à la tentation de la musique. Elle s’y est déjà essayée avec succès, notamment sur un morceau avec Ben Mazué. Marie, elle, se souhaite, entre autres choses, de retravailler avec des personnes avec qui elle a déjà travaillé. Elle aimerait aller vers la comédie, parce que ça lui ressemble, et revenir à ses premières amours : le théâtre. Ce qu’on sait, nous, c’est qu’au-delà de leur immense talent, si le futur s’écrit avec elles, alors il sera puissant, généreux, ouvert. En un mot : culte !

Culte est diffusée à partir du 18 octobre sur Prime Video.

Sur Anaïde Rozam : Total look Gucci. Chaussettes, Isa Boulder. Bagues, vintage. Sur Marie Colomb : Robe, Rabanne. Chaussures, We11done.© Manu Fauque

CRÉDITS DE PRODUCTION

Journaliste : Nicolas Roux
Photographe : Manu Fauque
Styliste : Victoire Seveno
Hair : Julie Bennadji
Make-up : Maud Eigenheer
Directrice artistique : Margaux Hennion
Assistant photo : William Nothin
Assistante styliste : Margaux Lesgui
Set design : Yvie Medousa Gorgo
Production : Ever Paris