Câest sans doute la dernière fois que vous ne les reconnaîtrez pas. La dernière fois que leurs noms ne vous diront pas grand-chose et que vous aurez besoin de chercher un peu où vous avez bien pu voir ces visages. Après leurs performances dans Culte, la série Prime Video qui revient sur lâaventure Loft Story et la naissance (côté coulisses) de la télé-réalité en France, il vous sera impossible dâéchapper à lâexplosion de ces deux jeunes actricesâ: Anaïde Rozam et Marie Colomb.
Certes, elles ne sont pas totalement inconnues. La première compte près de 400â000âfollowers sur Instagram, sâest fait connaître avec des vidéos hilarantes qui lui ont valu les faveurs de Leïla Bekhti et une présence dans la saison 4 de LOL : Qui rit, sortâ! Pour la seconde, câest le passage dâun cap. Câest vrai, le rôle quâelle tenait dans As Bestas lâa propulsée vers une nomination aux Goyas [l'équivalent espagnol des César, ndlr], et son interprétation de Laëtitia, dans la mini-série du même nom, était déjà remarquable. Mais là , câest encore autre chose. Leurs performances dans Culte les rendront incontournables sur nos écrans. Câest en tout cas ce quâon souhaite à lâaudiovisuel français.
Elles incarnent respectivement Alexia Laroche-Joubert âârebaptisée Isabelle de Rochechouart pour les besoins de la fictionââ et Loana Petrucciani, dont le patronyme nâa pas été changé tant il est iconique. La première est une fille de bonne famille, version intello et maison dâédition, méprisée par son clan parce quâelle bosse à la télé. La seconde est une fille perdue, gogo danseuse dans le sud de la France, collectionneuse de malheurs. Les deux sont des femmes fortes, indépendantes, prêtes à tout pour sâen sortir. Elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes. Ce sont des personnages quâon nâa pas lâhabitude de voir à lâécran. Il faut donc ici souligner lâaudace et la cohérence de la plateforme, qui a choisi pour défendre ce projet casse-gueule de faire confiance à des talents plutôt quâà des noms. Le résultat est à la fois prenant, touchant, instructif et résolument moderne.
Explosives à lâécran, les deux comédiennes sont encore un peu timides au moment de répondre aux premières questions. Assises lâune à côté de lâautre sur un canapé, elles semblent se retenir. Il y a le stress parce que câest la première interview dâune longue série quâelles vont donner. Il y a peut-être aussi lâangoisse de penser que tout ce quâelles diraient pourrait être retenu contre elles. Et un peu de fatigue, sans doute, après la longue séance photo du jour (même si elles se sont éclatées) et le quizz années 2000 pour le format vidéo du magazine quâelles viennent de finir. Anaïde lâa remporté. âDe peuâ, souligne-t-elle, dans un souci de modestie qui semble être sa marque de fabrique : âJâavais peur de ne pas y arriver, mais en fait câétait sur les années 2010, alors ça vaâ, ajoute-t-elle.
Parce quâen effet, si ça avait été sur la première décennie du millénaire, çâaurait été plus délicatâ: Anaïde et Marie sont nées en 1997 et en 1995. Elles avaient 4 et 6 ans quand les tours jumelles ont été percutées et que la France a vu débarquer la première émission de télé-réalité. Autant dire quâelles nâavaient quâune connaissance très superficielle du Loft. Alors, même si Marie confie quâune amie de lâécole primaire lui a rappelé quâelles jouaient à recréer Loft Story dans la cour de récré, et quâelle incarnait déjà Loana, il a fallu bosser le sujet.
Marie, en plus de se teindre les cheveux, a donc regardé les quotidiennes des onze semaines dâenfermement du programme. Pour comprendre son personnage, ce quâelle était venue chercher. âCâétait hyper intéressant, raconte-t-elle. Sociologiquement déjà , et puis il y avait une espèce dâinnocence de la part des candidats. Ils ne savaient pas ce que ça allait changer dans leur vie, ils ne pouvaient pas connaître lâimpact sur leur existence. Même sâils voulaient évidemment passer à la télé, ils ignoraient ce que ça représentait. Contrairement aux candidats dâaujourdâhui.â Et elle a lu Elle mâappelait Miette, lâautobiographie de la co-gagnante â oui, ils sont deux à avoir remporté la première édition du Loft. âCâest très touchant et hyper bien écrit. Bien sûr, elle a travaillé avec quelquâun, mais on y trouve aussi des lettres de Loana, quand elle était adolescente. On voit quâelle est vraiment intelligente.â
Anaïde, elle, sâest concentrée sur le casting. Elle a écouté des interviews dâAlexia Laroche-Joubert à la façon dâun podcast. Parce quâelle nâavait pas le choix. âJe suis plutôt du genre à penser que les choses vont mal se passer. Et là , jâarrivais à une période de ma toute petite carrière de comédienne où il fallait que je fasse ce projet. Je nâétais pas prise sur les rôles que je voulais et ceux quâon me proposait ne mâintéressaient pas. Alors, pour la première fois de ma vie, je suis arrivée en me disant que ce rôle-là , câest moi qui lâaurais.â Elle a débarqué aux essais, décidée, comme lâest son personnage. Déterminée et inarrêtable. âMême ma démarche a changé. Je me souviens que le coach avec qui jâai bossé mâa demandé de marcher. Alors je lâai fait en zigzaguant un peu, comme je le fais moi, parce que je ne suis pas toujours très à lâaise avec mon corps. Puis il mâa demandé de marcher comme mon personnage, et là , jâai marché droit, directe.â
Câest peut-être ce quâil y a de plus marquant dans leurs interprétations respectives : elles arrivent, lâune et lâautre, à travers quelques gestes, quelques intonations, à incarner immédiatement leurs personnages sans jamais les caricaturer. Elles en ont toutes les deux saisi lâessence. Et elles leur apportent une profondeur inattendue mais espérée. Sans doute parce quâau-delà de leur talent dâactrices, elles abordent le sujet de la télé-réalité sans mépris ni dédain. Bien au contraire. Marie dévore en ce moment Vivre pour les caméras, le passionnant essai de Constance Vilanova qui décrypte la manière dont la télé-réalité a infusé dans la société depuis une vingtaine dâannées.
Pendant ses études de psycho, Anaïde, fille dâun pédopsychiatre, sâétait intéressée aux comportements des candidats, et à la manière dont ils se conforment aux personnages quâon leur attribue. Elle cite alors lâexpérience réalisée à lâuniversité de Stanford où des étudiants jouaient des rôles de gardiens et de prisonniers. Les participants, des gens ordinaires donc, sâétaient tellement impliqués dans leur rôle que lâexpérience était devenue dangereuse pour certains. âPar exemple, Loana, explique Anaïde, elle est recrutée comme étant la bimbo. Même si elle ne le sait pas, elle le devine. Et elle se sent constamment jugée comme telle. Jean-Ãdouard, câest le beau gosse un peu dur, et il va aller dans cette direction.â Marie prolonge la réflexionâ: âCâest le cas pour tout le monde dans la société. On est tous un peu ce que les autres projettent sur nous. Et on essaie dây échapper.â Un syndrome que Romain Gary appelait âla gueule quâon nous faitâ.
Câest ce que font également leurs personnages. Isabelle de Rochechouart nâest pas une horrible carriériste prête à tout, mais une ambitieuse, et ce nâest plus un gros mot. Loana nâest plus une bimbo écervelée que lâon cantonne à la scène de la piscine, mais la victime, répétée, de personnes malveillantes. La productrice nâest pas un bulldozer sans cÅur mais une jeune femme qui, dans un monde patriarcal, doit se battre sans jamais oublier ceux qui comptent. La candidate siliconée refuse le statut de victime et se montre déterminée à sâen sortir. Et le tout forme un point de vue résolument féministe. âDans lâinconscient collectif, et notamment dans la fiction, commente Anaïde, une femme qui veut réussir, comme mon personnage, va être qualifiée de dangereuse. Alors quâun homme qui fait la même chose sera valorisé.â
Lâintelligence de la série, câest donc de ne faire de la productrice ni un monstre ni une sainte, mais un personnage complexe. Marie Colomb, assise sur le bord du canapé, le sourire en armure, poursuitâ: âLe point commun que jâai avec Loanaâ? Nous sommes des femmes.â Et il faut entendre ici tout ce quâelle met derrière ce mot, et cette condition, mais quâelle ne dit pas. Les regards pesants, les épreuves, les traumas... mais aussi lâenvie et la certitude que les choses vont changer. La colère, la douceur et la pudeur érigées en forces.
Et effectivement, les lignes bougent déjà . Entre les deux jeunes comédiennes, sans jamais surjouer la complicité, on ne détecte aucune trace de compétition. Au milieu de quelques conseils échangés pour gérer le stress du plateau et la peur du jugement, Marie raconte son premier jour de tournage sur la sérieâ: âTu mâas sauvé la vie, explique-t-elle à Anaïde avant de rentrer dans le détail. Je devais pleurer et je nây arrivais pas. Une prise, deux prises, trois prises, rien ne venait. Il y a des scènes où tu peux remplacer les pleurs par autre chose, mais là câétait impossible. Et tu mâas dit une phrase comme âTu vas y arriver parce que tu dois y arriverâ, avec une telle bienveillance... Jâai fini par réussir.â
La bienveillance, câest sans doute ce qui ressort le plus de cette heure dâentretien. Dâabord, évidemment, parce que Marie et Anaïde se laissent parler, se rassurent et se complimentent. Mais aussi parce quâelles en font preuve quand on leur demande si elles ont quelque chose à ajouter avant que lâon se sépare et que, dâune seule voix, elles décident de rendre un hommage appuyé au réalisateur de la série, Louis Farge. Et les raisons quâelles développent pour justifier leur enthousiasme sont réjouissantes. Elles parlent de gentillesse, dâécoute, de douceur. Des valeurs anachroniques qui ne le seront peut-être bientôt plus.
Pour la suite â parce quâà lâimage de leurs personnages, pour qui rien nâa plus jamais été pareil après cette aventure â, tout risque de changerâ? Pour lâinstant, elles nâosent pas encore lâenvisager. Anaïde espère retrouver des rôles de cette qualité, des rôles dont elle puisse être fière. Elle avoue quâelle aimerait bien passer à la réalisation, pour le plaisir de diriger des acteurs et peut-être, parallèlement, céder à la tentation de la musique. Elle sây est déjà essayée avec succès, notamment sur un morceau avec Ben Mazué. Marie, elle, se souhaite, entre autres choses, de retravailler avec des personnes avec qui elle a déjà travaillé. Elle aimerait aller vers la comédie, parce que ça lui ressemble, et revenir à ses premières amoursâ: le théâtre. Ce quâon sait, nous, câest quâau-delà de leur immense talent, si le futur sâécrit avec elles, alors il sera puissant, généreux, ouvert. En un motâ: culteâ!
Culte est diffusée à partir du 18 octobre sur Prime Video.
CRÃDITS DE PRODUCTION
Journaliste : Nicolas Roux
Photographe : Manu Fauque
Styliste : Victoire Seveno
Hair : Julie Bennadji
Make-up : Maud Eigenheer
Directrice artistique : Margaux Hennion
Assistant photo : William Nothin
Assistante styliste : Margaux Lesgui
Set design : Yvie Medousa Gorgo
Production : Ever Paris