Meymac-près-Bordeaux
Meymac-près-Bordeaux est une appellation toponymique créée au XIXe siècle pour désigner l'origine des négociants corréziens en vin qui se sont lancés dans le commerce des vins de Bordeaux dans le nord de la France et en Belgique, notamment depuis Meymac, sa région et le plateau de Millevaches qui lui est contigu.
Par la suite, l'appellation « Meymac-près-Bordeaux » s'est étendue au patrimoine culturel et économique issu de cette activité, en particulier dans le vignoble de Bordeaux (Pomerol, Saint-Émilion, etc.), où nombre de ces négociants ont investi, devenant à leur tour exploitants[1]. Toutefois, « "Bordeaux" est une appellation générique ; beaucoup de Corréziens se sont arrêtés, en réalité, à Libourne ; d'autres sont allés jusqu'en Médoc[2]. »
Historique
[modifier | modifier le code]À l'origine : les courants migratoires de Corrèze
[modifier | modifier le code]En haute Corrèze, le plateau de Millevaches vit, au XIXe et au début du XXe siècle, d'une économie de subsistance : culture du seigle, élevage de moutons, exploitation de quelques bois… Dans un contexte de maigres ressources et d'une densité humaine forte, migrer est, pour les hommes, un palliatif. Le métier le plus pratiqué est celui de scieur de long[3]. C'est ainsi que les Corréziens du Plateau se dirige vers la Gironde et la forêt landaise[note 1]. À ceux-là s'ajoutent les colporteurs ou les marchands de toile ambulants dans l'Ouest de la France (Normandie, Bretagne, Sarthe)[4].
En basse Corrèze, autour d'Argentat, « les pentes des gorges de la Dordogne fourniss[ent] un bois excellent, qu'il [est] facile d'expédier grâce à la rivière, d'abord par flottage et ensuite par gabarres[5]. » La forêt mixte de feuillus, chênes et châtaigniers trouve ainsi des débouchés dans le bois de merrain, destiné à la tonnellerie, et revendu, après être passé par Souillac, Bergerac et Libourne, aux tonneliers girondins[6].
À la recherche du premier négociant
[modifier | modifier le code]L'idée du commerce des vins de Bordeaux à partir du canton de Meymac en reviendrait à Jean Gaye-Bordas[7], né au hameau de Laval, commune de Davignac, en 1826[8],[9],[10],[11],[12]. Même s'« il est assez rare que dans une migration on puisse identifier l'initiateur du mouvement » […] « les négociants en vins corréziens se sont trouvé un père en la personne de Jean Gaye-Bordas sur la tombe duquel ils ont fait inscrire : "Hommage et reconnaissance au créateur du genre de négoce qui a contribué à enrichir le pays"[4]. »
En effet, toujours selon Marc Prival, « ce personnage pittoresque, prodigue jusqu'à la naïveté, a fait naître de son vivant une histoire dorée[4]. » Vendeur ambulant illettré, marchand de parapluies, de lampes à pétrole en cuivre et chiffonnier, Jean Gaye-Bordas remarque un jour, alors qu'il est à Bordeaux, qu’un greffier de Pauillac envoie du vin à un de ses frères à Lille[4].
Il voit alors l’opportunité de vendre du vin de Bordeaux sous l’étiquette « Meymac-près-Bordeaux »[13] au cours de sa prospection commerciale au domicile des clients potentiels[14],[12]. Il prend les commandes, et revenu en Corrèze, fait expédier la marchandise puis attend le voyage suivant pour encaisser la livraison[11].
Le spectaculaire développement d'un commerce
[modifier | modifier le code]À sa suite, de nombreux négociants-voyageurs de haute Corrèze partent à leur tour vendre du vin dans le nord de la France et en Belgique, donnant « Meymac-près-Bordeaux » comme adresse postale à leurs clients[14],[12],[1].
Ayant réussi à fidéliser une importante clientèle, quelques-uns achètent des propriétés viticoles dans le Bordelais et apportent à Meymac une prospérité nouvelle[11]. Ceux qui ont fait fortune font construire à Meymac et aux alentours des maisons de ville, souvent entourées de parcs, appelées aujourd'hui « maisons de marchands de vin », voire « château » lorsqu'elles sont pourvues de tours ou de tourelles[15].
Patrimoine local
[modifier | modifier le code]Patrimoine bâti
[modifier | modifier le code]- Le « château des Moines-Larose » à Meymac
- En 1878, Jean Gaye-Bordas achète le terrain contigu à l'abbaye, et en face de l'église, et y fait construire une maison à tourelles de style néo-médiéval[12],[8],[9],[16]. Son rez-de-chaussée abrite aujourd'hui le tiers-lieu entrepreneurial "Au Beau MilLieu".
- Nombreuses maisons bourgeoises de marchands de vin corréziens construites fin XIXe -début XXe siècle, dans le bourg, sur la commune ou dans le canton[12],[8],[9]. Lorsqu'elles sont agrémentées de tours ou de tourelles, elles sont localement dénommées « château ».
- Ces maisons de marchands de vin sont, pour un certain nombre, reconnaissables aux plaques qui identifient, sur le portail d'entrée, le premier propriétaire et constructeur de la maison.
Musée de Meymac-près-Bordeaux
[modifier | modifier le code]À Meymac, un musée réparti sur plusieurs sites retrace l'histoire de Meymac-près-Bordeaux.
- Au deuxième étage du pôle culturel Clau del país, sur la place de l'Église, se trouve l'espace muséal Gaye-Bordas[8],[9],[17], où est présentée l'histoire des marchands de vins issus de la région[14],[18].
- À proximité du monument aux morts de l'avenue Limousine, un écomusée, le chai des Moines-Larose, propose une reconstitution d'un chai de vignoble et du bureau d'un marchand de vin corrézien, et présente aussi d'anciennes machines viticoles[18].
Vignoble de Meymac
[modifier | modifier le code]À l'instigation de la municipalité, l'association des Amis de Meymac-près-Bordeaux a planté sur deux terrains de la ville des vignes qui constituent le Clos du Château des Moines-Larose, du nom de la demeure construite par Jean Gaye-Bordas dans le centre du bourg[19]. Cent-cinquante pieds d’un cépage ancien (Estellat ou Baco 30-12), adapté au terroir corrézien, ont été plantés au lieu-dit Les Buiges. Le vin, produit en toutes petites quantités, est issu de vendanges tardives et il est élaboré comme un vin antique[18].
Même si la présence de vignoble en haute Corrèze n'a jamais été attestée, sauf de rares exceptions locales et très limitées, l'objectif est de créer une activité conviviale dans l'esprit de ce qui existe, par exemple, depuis des décennies, avec le vignoble de Montmartre[18].
Postérité
[modifier | modifier le code]- Châteaux du Bordelais appartenant à des familles de Meymac-près-Bordeaux
- Château Bélair-Monange (et l'ancien Château Magdelaine), repris en 2008 par les Établissements Jean-Pierre Moueix (en). En hommage à Madame Jean Moueix (mère de Jean-Pierre Moueix), née Adèle Monange, première femme de la famille arrivée de Corrèze à Saint-Émilion, le cru est renommé Château Bélair-Monange à partir du millésime 2008.
- Château Bonalgue, repris en 1926 par Achille Bourotte[20].
- Château Cantenac, acheté en 1937 par Albert et Emilie Brunot[21]. Albert Brunot suit les traces de son père, Jean-Baptiste Brunot, négociant en vin originaire du hameau de Laval à Davignac[22] et qui achètera, en 1922, le château l’Hermitage de Mazerat à Saint-Émilion.
- Château Climens, dans lequel une famille apparentée à d'anciens négociants meymacois prend, en 2022, une participation majoritaire[23].
- Château Ducru-Beaucaillou, acheté en 1941 par Francis Borie, issu d'une famille de Meymac[24].
- Château Les Hauts-Conseillants dont la famille Figeac-Bourotte est propriétaire depuis 1973.
- Château Saint-Georges (Côte Pavie), appartenant à la famille issue de Jules Charoulet, natif d’Argentat. Négociant en vin depuis 1857, au lendemain de la guerre de 1870, il s’établit à Saint-Émilion où il acquiert différentes propriétés[25].
- Clos du Clocher, appartenant à la famille Bourotte-Audy depuis 1924[26].
- Petrus, domaine de pomerol auquel s'est associé en 1947 Jean-Pierre Moueix.
- Quelques familles liées à Meymac-près-Bordeaux
- Famille Moueix de Liginiac, qui exploite notamment Petrus[27].
- Famille Pécresse de Davignac, Combressol et Meymac.
Communes de la Corrèze rattachées à « Meymac-près-Bordeaux »
[modifier | modifier le code]Outre Meymac, considéré comme la commune de départ des négociants corréziens des vins de Bordeaux, les communes suivantes sont rattachées à l'appellation.
- Bellechassagne
- Bonnefond
- Bugeat
- Chaveroche
- Chirac-Bellevue
- Égletons
- Eyburie
- Lamazière-Basse
- Laval-sur-Luzège
- Le Jardin
- Lestards
- Liginiac
- Marcillac-la-Croisille
- Murat
- Palisse
- Pérols
- Peyrelevade
- Pradines
- Saint-Angel
- Saint-Étienne-la-Geneste
- Saint-Exupéry
- Saint-Fréjoux
- Saint-Hilaire-Foissac
- Saint-Merd-les-Oussines
- Sarran
- Sarroux
- Servières-le-Château
- Sornac
- Sirieix
- Soursac
- Treignac
- Ussel
- Viam
- Veix
Notes et références
[modifier | modifier le code]Notes
[modifier | modifier le code]- C'est ce que décrit Pierre Bergounioux dans son livre Ce pas et le suivant (Gallimard, 1985).
Références
[modifier | modifier le code]- Pascal Ribéreau-Gayon et la collaboration de l'Institut national des appellations d'origine, Les Vins de France, Paris, Atlas Hachette, (ISBN 2-01-012210-0).
Encadré Les Corréziens, page 108 :« Vers 1830, on vit apparaître de plus en plus fréquemment en Libournais des marchands ambulants, venus de la Corrèze et plus précisément du plateau de Millevaches dans les environs de Meymac. Ces voyageurs d'une bonhomie de bon aloi, profitant de l'implantation parisienne de certains de leurs compatriotes, distribuèrent des vins du Libournais dans le nord de la France. Bonhommes certes, mais rusés aussi : l'histoire garde la trace d'un procès que leur firent des Girondins agacés de voir leur vin commercialisé sous la marque "négociant à Meymac près Bordeaux" !
Au début du siècle [le XXe siècle] arriva une nouvelle vague de Corréziens, venus toujours de Meymac, mais aussi d'Argentat. Véritables professionnels, plus compétents et plus scrupuleux, ils s'établirent à Libourne et allèrent plus loin, en Belgique, dans les Pays-Bas et en Rhénanie. Excellents propagandistes des vins du nord de la Gironde, ils s'enracinèrent dans leur pays d'adoption et ajoutèrent à leurs chais urbains des domaines viticoles à Pomerol et à Saint-Émilion. » - Prival 1997, p. 16.
- Prival 1997, p. 7.
- Prival 1997, p. 27.
- J. Gouyon, « Les maîtres de bateau sur la Dordogne », Bulletin de la Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze, t. 80, 1964.
- Prival 1997, p. 8.
- Voir sur tourismecorreze.com.
- Parinaud 2008.
- Parinaud 2013.
- Présentation du livre de Marcel Parinaud, Meymac-près-Bordeaux (2011), sur journal-ipns.org.
- « Meymac-près-Bordeaux », sur meymac.fr.
- Jérôme Cordelier, « La grande aventure de “Meymac-près-Bordeaux” », lepoint.fr, (lire en ligne).
- « Meymac-près-Bordeaux » sur videoguidenouvelleaquitaine.fr.
- « L'émigration des “marchands de vin de Meymac” (Corrèze) » par Pierre Luès, Revue de géographie alpine, année 1936, 24-4, pp. 925-942.
- « Les maisons de marchands de vin de Meymac » sur videoguidenouvelleaquitaine.fr.
« À côté de ce monument [l'église] dont les lignes sobres sont d'une réelle beauté, un bourgeois a édifié une maison peinte en tons de briques, y a flanqué deux tourelles en poivrières, a fait creuser des niches dans lesquelles sont des statues de plâtre. Cette bâtisse est fort admirée. »
— Ardouin-Dumazet, Voyage en France 28e série, Limousin, Berger-Levrault & Cie, éditeurs, Paris - Nancy, 1903
- Site de l'association des Amis de Meymac-près-Bordeaux.
- « Millevaches, mai 2018 », journal du Parc naturel régional de Millevaches en Limousin, page 12.
- « Les vendanges à Meymac-près-Bordeaux » sur lamontagne.fr.
- Parinaud 2008, p. 470-471.
- Parinaud 2008, p. 249-254.
- Parinaud 2008, p. 88-92.
- « Château Climens cède la majorité à la famille Moitry » sur avis-vin.lefigaro.fr.
- Parinaud 2008, p. 339-340.
- Parinaud 2017, p. 41-46.
- Parinaud 2008, p. 357 et 358 - 467 à 472.
- Parinaud 2013, p. 324-326.
- Parinaud 2008, p. 5.
- Parinaud 2013, p. 85.
- Parinaud 2017, p. 47-77.
- Notamment l'ancien canton de Meymac.
- Parinaud 2013, p. 271.
- Parinaud 2013, p. 371, 385.
- Parinaud 2017, p. 79-106.
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Marc Prival (préf. Jean-Loup Lemaitre, conservateur du Musée du pays d'Ussel), De la montagne au vignoble : Les Corréziens ambassadeurs des vins de Bordeaux, 1870-1995, Clermont-Ferrand, Publications de l'Institut d'études du Massif central (Centre d'histoire des entreprises et des communautés), Faculté des lettres et sciences humaines de l'université Blaise-Pascal, (ISBN 2-87741-075-7).
- Marcel Parinaud, Meymac-près-Bordeaux : De la bruyère à la vigne, t. 1, Brive-la-Gaillarde, Éditions du Ver Luisant, , 512 p. (ISBN 978-2-84701-303-0 et 2-84701-303-2).
- Marcel Parinaud, Meymac-près-Bordeaux : De la bruyère à la vigne, t. 2, Treignac, Éditions de l'Esperluette, , 428 p. (ISBN 979-10-90784-08-6).
- Marcel Parinaud, Meymac-près-Bordeaux : De la bruyère à la vigne, t. 3, Treignac, Éditions de l'Esperluette, , 108 p. (ISBN 979-10-90784-64-2).
Romans, bande dessinée
[modifier | modifier le code]- Bruno Poissonier, Les Aventures extraordinaires de Gaye-Bordas (roman), De Borée, (ISBN 978-2-36746-915-7)« Biographie librement romancée, même si les dates et les événements cités sont véridiques et vérifiables » (l'auteur).
- Florian Arfeuillère, Corrèze-près-Bordeaux (roman), La Crèche, éditions La Geste, (ISBN 978-2-8129-1219-1).
- Florian Arfeuillère, Les Folles Années vin : les marchands de Meymac-près-Bordeaux dans les années 1920 (roman), La Crèche, éditions La Geste, (ISBN 979-10-353-1542-9).
- Manu Tronche, Du rififi à Meymac-près-Bordeaux - Une aventure de Toine et Salers (bande dessinée), Limoges, Les Ardents Éditeurs, (ISBN 9782490623150).
Vidéos
[modifier | modifier le code]- « Meymac-près-Bordeaux » sur videoguidenouvelleaquitaine.fr.
- « Les maisons de marchands de vin de Meymac » sur videoguidenouvelleaquitaine.fr.
Articles connexes
[modifier | modifier le code]Liens externes
[modifier | modifier le code]- Site de l'association des Amis de Meymac-près-Bordeaux.
- Accueil de la page Facebook
- Site de la ville de Meymac.