Un doublet lexical (ou « doublon ») est une paire de mots différents par la forme et par le sens mais de même origine étymologique, entrés dans la langue par des voies (et le plus souvent à des époques) différentes. En général, chaque terme du doublet se spécialise dans un sens particulier, plus ou moins proche de celui qu'a gardé l'autre.
C'est le cas de nombreux mots français : une partie du français est lentement issue du latin oral et populaire, par transformations successives qui expliquent les importantes différences entre le latin et le français (par exemple, regalis a donné « royal » par une évolution phonétique très lente). Une autre partie des mots français est directement empruntée au latin (classique, en général, mais aussi au latin ecclésiastique du Moyen Âge ou de la Renaissance) : c'est le cas des termes techniques « régalien » et « régale », empruntés au latin regalis. Le terme directement emprunté n'a subi que des modifications mineures, alors que le terme issu du latin vulgaire a subi des modifications majeures (palatalisation du [g] par exemple, qui rendrait incompréhensible le terme « royal » à un locuteur natif latin).
Les doublets lexicaux existent dans toutes les langues qui ont connu une vague d'emprunts direct à une langue, et non pas forcément à leur langue mère. Ainsi, le japonais possède des doublets lexicaux puisqu'il a emprunté un grand nombre de termes au chinois à l'occasion de la création du système d'écriture japonais (inspiré du système chinois). Un même kanji aura alors une prononciation d'origine chinoise (langue isolante) et une prononciation d'origine japonaise (langue agglutinante). Il en résulte une langue contemporaine en partie agglutinante et en partie isolante.
On parle de doublet pour une paire de mots de la même classe grammaticale et non de classes différentes : ces derniers ne proviennent pas du même étymon, comme « chien » venant de canis et « canin » venant de caninvs, bien qu'il existe entre « chien » et « canin » une différence de provenance (par transformation et par emprunt). « Chien » n'a pas de doublon (substantif qui serait emprunté au latin, en général au latin classique ou scientifique de la Renaissance). En revanche l'adjectif « canin » a eu, avant le XIIe siècle, un doublet populaire disparu au XXIe siècle : c'était l'adjectif chienin ou chenin.
La Renaissance a favorisé la création de tels doublons, grâce à l'intérêt des humanistes envers les langues antiques, et parce que le français manquait de termes scientifiques ou techniques: plusieurs mots ont donc été introduits en français par emprunt à cette époque.
Il résulte de ces différences entre le terme populaire et le terme technique à l'intérieur du doublon que la date d'apparition du terme technique peut être déterminée assez précisément (les termes techniques étant surtout utilisés — et même inventés ou empruntés — à l'écrit), alors que la date d'apparition du terme populaire du doublon ne sera pas la date d'invention, mais la date de la première occurrence attestée à l'écrit : l'écrit est en effet la seule source de renseignement de l'étymologiste, ce qui empêche une datation précise des termes populaires, donc oraux.
Par exemple, gourde et courge sont des doublets provenant de l'ancien français coorde, le premier attesté d'abord au XIIIe siècle, le second dans la seconde moitié du XIVe. Alors que coorde désigne la courge, la forme gourde renvoie à l'emploi qu'on peut faire d'une courge comme récipient transportable tandis que la seconde désigne bien le légume. La différence de signifiant s'explique, quant à elle, par le fait que gourde a subi le voisement de l'initiale /k/ en /g/ alors que courge a subi l'altération -rd- en -rg-, l'inverse du changement typique des parlers de l'Ouest (cf. anc. fr. bourgain, borjaine (v. 1200), régional bourgène (1775) > bourdaine ; argile > gallo ardille, etc.). Ceci a permis de distinguer les deux sens de l'ancien coorde.
Il existe encore beaucoup d'autres exemples, notamment :
- Royal / régalien (de regalis)
- Homme / hominidé (de homo, hominis, avec un seul m)
- reine (français)/régine prénom qui veut dire reine en latin/ régina qui veut dire reine en latin
L'emprunt de mots au latin a produit de nombreux doublets lexicaux : la langue française venant du latin par une lente évolution, tout mot emprunté à la langue-mère classique et introduit artificiellement dans le lexique est susceptible de rencontrer son double provenant, après une plus ou moins longue évolution, du même mot latin introduit plus tôt voire hérité directement. Ce processus a été constant durant le Moyen Âge, en ancien français. D'autre part, la relatinisation de la langue française intervenue à la Renaissance (surtout visible au XVIe siècle), époque à laquelle on a importé des mots latins francisés dits savants, le plus souvent employés dans des domaines techniques ou dans un vocabulaire littéraire, a aussi donné naissance à de nombreux doublets. On nomme la forme issue du latin vulgaire « doublet populaire », celle introduite artificiellement dans la langue à partir du latin classique ou ecclésiastique « doublet savant ».
Les mots dérivés directement du latin ou empruntés ont donc subi une évolution phonétique plus importante que le doublet plus récent, ce qui explique les différences de signifiant et de signifié, d'autant plus importantes quand l'écart entre les deux mots est étendu dans le temps. On trouvera ci-dessous quelques exemples.
Liste de doublets lexicaux français : verbes, noms communs et adjectifs qualificatifs Remarques préliminaires :
- La liste suit, sauf indication contraire, les conventions suivantes : doublet populaire ~ doublet savant ← étymon latin
- Les siècles entre parenthèses indiquent la ou les premières attestations écrites connues en français, en adoptant toutefois une graphie moderne. Par convention, les formes latines, lorsqu'elles concernent des adjectifs ou des substantifs, sont au nominatif, quoiqu'en français l'écrasante majorité des doublets populaires et une part non négligeable des doublets savants proviennent du cas régime, donc de l'accusatif latin. On trouvera ainsi dans cette liste la forme latine potio pour poison et potion, alors que tous deux se forment sur le radical plein potion-, ainsi qu'on le trouve à l'accusatif potionem ou encore au génitif potionis.
- aigu (XIIe siècle) ~ acut (XVIe siècle) ← acutus
- arracher (XIIe siècle) ~ éradiquer (XIVe siècle) ← eradicare
- banquier (XIIe siècle) ~ bancaire (XIXe siècle) — N.B. : le premier est un emprunt à l’italien banchiero, le second un dérivé du fr. banque fait sur le même modèle.
- cailler (début du XIIe siècle) ~ coaguler (début du XIVe siècle) ← coagulare
- carré (XIIe siècle) ~ quadrat (XVIIe siècle, via l'italien quadrato) ← quadratum
- chaîne (XIIe siècle) ~ catène (XVIIIe siècle) ← catena
- chaire (XIIe siècle) ~ chaise (début du XVe siècle) ~ cathèdre (XIIIe siècle) ← cathedra — N.B. : On a en réalité affaire à un triplet lexical, puisque le mot chaise n'est lui-même qu'une variante dialectale de chaire.
- chance (XIIe siècle) ~ cadence (XVIe siècle, via l'italien cadenza) ← cadentia
- chasser (fin du XIIe siècle) ~ capter (XVe siècle) ← captare — N.B. : captare s'est vraisemblablement altéré en captiare très tôt en latin vulgaire avant de donner chacier en ancien français. Par ailleurs, la forme anglo-normande cachier donnera le verbe catch en anglais moderne.
- château (début du XIIe siècle) ~ castel (XVIIIe siècle) ← castellum — N.B. : castellum est le diminutif de castrum. Par ailleurs, la forme castel en français moderne est emprunté à l'occitan. On emploie aussi par pur archaïsme la forme normanno-picarde, identique. Enfin, on note aussi le doublet châtelet / castelet.
- châtrer (XIIe siècle) ~ castrer (début XXe siècle) ← castrare — N.B. : Il existe des attestations plus anciennes de castrer mais ce sont des formes normanno-picardes de châtrer.
- chaume (fin du XIIe siècle) ~ calame (XVIe siècle) ← calamus
- chômer (début du XIIe siècle) ~ calmer (début du XVe siècle) ← caumare — N.B. : La forme calmer provient plutôt de la formation calme + er que directement de caumare (cependant, calme, mot d'origine italienne ou ibérique, est de la même famille).
- cheptel (XIIe siècle) ~ capital (XIIIe siècle) ← capitalis
- chétif (XIe siècle) ~ captif (XVe siècle) ← captivus
- chevalier (XIIe siècle) ~ cavalier (XVIe siècle, de l'italien) ← caballarius — N.B. : Le bas latin caballārius a supplanté le latin classique eques.
- chose (IXe siècle) ~ cause (XIIIe siècle) ← causa
- colère (XIIIe siècle) ~ choléra (XVIe siècle) ← cholera — N.B. : cholera est devenu colera en bas latin.
- compte (XIIe siècle) ~ comput (XVIe siècle) ← computus
- cueillette (XIIIe siècle) ~ collecte XIIIe siècle) ← collecta (participe passé féminin de colligere) — N.B. : Cueillette est d'abord attesté sous la forme cueilloite, forme régulière à partir de collecta, avant la substitution de suffixe en -ette.
- couple (XIIe siècle) ~ copule (XVe siècle) ← copula
- déchéance (XIIe siècle) ~ décadence (XVIe siècle) ← decadentia
- dîner (XIIe siècle) ~ déjeuner (XIIe siècle) ← disieiunare — N.B. : disjejunare est devenu disjunare par haplologie en bas-latin (attesté tardivement, au XIe siècle), à l'origine de la forme disner ← dîner.
- échappé ~ escapade ← excappare
- échelle ~ escalier ← scala
- écluse (XIe siècle) ~ exclue (XIIIe siècle) ← exclusa, participe passé féminin du verbe excludere
- écolier (XIIIe siècle) ~ scolaire (XIXe siècle) ← scholaris
- écouter (Xe siècle) ~ ausculter (XVIe siècle) ← auscultare
- écrit (XIIe siècle) ~ script (XXe siècle) ← scriptum
- employer (début du XIIe siècle) ~ impliquer (XIVe siècle) ← implicare
- emporter (Xe siècle) ~ importer (XVIe siècle, via l'italien) ← importare
- enchanter (XIIe siècle) ~ incanter (XIXe siècle) ← incantare
- enchanteur / enchanteresse (XIIe siècle) ~ incantateur / incantatrice (XVe siècle) ← incantator / incantatrix
- entier (XIe siècle) ~ intègre (XVIe siècle) ← integer
- épaule (XIIe siècle) ~ spatule (XIVe siècle) ← spat(h)ula — N.B. : spat(h)ula est lui-même le diminutif de spatha, emprunt grec (cf. épée).
- essaim (XIIe siècle) ~ examen (XIVe siècle) ← examen
- étroit (XIIe siècle) ~ strict (XVIIIe siècle) ← strictus
- évêque (seconde moitié du Xe siècle) ~ épiscope (??e siècle) ← episcopus — N.B. : Ne pas confondre avec épiscope de épi + scope. Par ailleurs, notons que episcopus a également donné l'anglais bishop, après aphérèse.
- évêché (Xe siècle) ~ épiscopat (XVIIe siècle) ← episcopatus
- évier (XIIIe siècle) ~ aquarium (XIXe siècle) ← aquarium
- exploiter (début du XIIe siècle) ~ expliciter (XIXe siècle) ← explicitare — N.B. : L'ancien français espleitier / esploitier a été refait en exploiter au XVIe siècle.
- forge (XIIe siècle) ~ fabrique (XIVe siècle) ← fabrica
- façon (XIIe siècle) ~ faction (XIVe siècle) ← factio
- féal (XIIe siècle) ~ fidèle (Xe siècle, réintroduit au XVIe siècle) ← fidelis
- ferme (XIIe siècle) ~ firme (XIXe siècle) ← firma
- feu (IXe siècle) ~ focus (XXe siècle, via l'anglais) ← focus
- foison (fin du XIe siècle) ~ fusion (XVIe siècle) ← fusio
- frêle (XIe siècle) ~ fragile (XIVe siècle) ← fragilis
- froid (début du XIIe siècle) ~ frigide (début du XVIIIe siècle) ← frigidus
- fuir (IXe siècle) ~ fuguer (XXe siècle) ← fugere — N.B. : fugere a d'abord changé de conjugaison en bas latin (fugire) avant d'aboutir à « fuir ».
- gaine (XIIIe siècle) ~ vagin (XVIIe siècle) ← vagina — N.B. : vagina donnera aussi, via l'espagnol vanilla, le terme « vanille ». Ce dernier désigne à l'origine la petite gousse du vanillier, d'où le suffixe diminutif -illa (-ille).
- grêle (XIIe siècle) ~ gracile (XVIe siècle) ← gracilis
- grotte (début XIVe siècle) ~ crypte (seconde moitié du XIVe siècle) ← crypta — N.B. : crypta vient évidemment du grec. Quant à grotte, c'est un emprunt à l'italien grotta, qui a remplacé l'ancien français cro(u)te, issu lui aussi de crypta.
- hôtel (XIe siècle) ~ hôpital (XIIe siècle) ← hospitalis
- mâcher (XIIe siècle) ~ mastiquer (XVIe siècle) ← masticare
- métier (XIe siècle) ~ ministère (XIIIe siècle) ← ministerium
- meuble ~ mobile
- moule (XIe siècle) ~ module (XVIe siècle) ← modulus — NB. : On parle ici du moule et non de la moule (cf. infra). À ne pas confondre avec modèle, qui est un emprunt à l’italien modello, diminutif de modo.
- moule (XIIIe siècle) ~ muscle (XIVe siècle) ← mūsculus — NB. : Il s'agit bien sûr ici de la moule, et non du moule.
- moutier (XIe siècle) ~ monastère (XIIIe siècle) ← monasterium
- moyen (XIIIe siècle) ~ médian (XVIe siècle) ← medianus
- mûr (XIIe siècle) ~ mature (XXe siècle, anglicisme) ← maturus
- naïf (XIIe siècle) ~ natif (XIIe siècle) ← nativus
- Noël (XIIe siècle) ~ natal (XVIe siècle) ← nātālis — N.B. : Noël vient en réalité de nātālis diēs, c'est-à-dire le « Jour de la Naissance ». Mais l'adjectif s'est par la suite substantivé, et l'élément diēs a disparu (on note la même évolution pour la chandeleur ← (festa) candelarum, la « fête des chandelles »).
- œuvre (XIIe siècle) ~ opéra (XVIIe siècle, via l'italien opera, de même sens) ← opera, pluriel d’opus, qui a survécu en ancien français (h)ues.
- oreiller (XIIe siècle) ~ auriculaire (XVIe siècle) ← auricularius
- orteil (XIIe siècle) ~ article (XIIe siècle) ← articulus
- parole (XIe siècle) ~ parabole (XIIIe siècle) ← parabola — N.B. : Il existe également, à la suite d'un emprunt à l'espagnol au XVIIe siècle, un troisième descendant de parabola : c'est palabre.
- peser (XIe siècle) ~ penser (fin du Xe siècle) ~ panser (XVIe siècle) ← pensare — N.B. : Toutes les langues romanes connaissent le doublet peser/penser, ce qui laisse supposer un emprunt au latin classique assez tôt pour la forme penser. Par ailleurs, la forme panser est issue d'un artifice orthographique pour distinguer les deux sens que recouvrait la graphie penser jusqu'au XVIe siècle. C'est donc bien un doublet et non un triplet dont il s'agit ici.
- poison (XIIe siècle) ~ potion (XVIe siècle) ← potio
- pouacre (XIIIe siècle) ~ podagre (XIVe siècle) ← podager — N.B. : Il s'agit ici de deux emprunts au latin faits à époques différentes.
- prêcheur (fin XIIe siècle) - prédicateur (XIIIe siècle) ← lat. praedicator
- prêtre (début du XIIe siècle) ~ presbytre (XIXe siècle) ← presbyter
- raison (Xe siècle) ~ ration (XIIIe siècle) ← ratio
- répit (début XIIe siècle) ~ respect (fin XIIIe siècle) ← respectus
- reportare reporter ~ remporter ~ réimporter
- royal (IXe siècle) ~ régale (XIIe siècle) ← rēgālis — N.B. : Régale (au sens du « droit de régale ») provient en réalité du latin rēgālia, forme substantivée à partir du neutre pluriel de rēgālis.
- sanglier (fin XIe siècle) ~ singulier (fin XIIIe siècle) ← singularis — N.B. : Sanglier est en réalité tiré de l'expression porc sengler, c'est-à-dire « cochon solitaire ».
- serment (IXe siècle) ~ sacrement (XIIe siècle) ← sacramentum
- sevrer (XIIe siècle) ~ séparer (XIVe siècle) ← separare
- sûreté (XIIe siècle) ~ sécurité (XIIIe siècle) ← securitas — N.B. : sûreté a été refait sur le modèle de securitas à partir de sûr.
- taverne (fin XIIe siècle) ~ tabernacle (XIVe siècle) ← taberna — N.B. : Tabernacle vient de tabernaculum, diminutif de taberna.
- traiteur (XVIIe siècle) ~ tracteur (XVIIIe siècle) ← tractor
- vergogne (XIIIe siècle) ~ vérécondie (XVIe siècle) ← verecundia
- verre (XIIe siècle) ~ vitre (XIIIe siècle) ← vitrum
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Liste de doublets morphologiques français : affixes Il existe, dans la morphologie même de la langue française, des traces de diachronie qui touchent les affixes, c'est-à-dire, en français, les suffixes et les préfixes. On ne peut certes parler à leur sujet de doublets lexicaux, puisqu'ils ne forment pas de mots à eux seuls. Il vaudrait donc sans doute mieux parler ici de "doublets morphologiques". En voici quelques exemples.
- -ais, -aise (écossais, -aise) ~ -ois, -oise (danois, -oise) ~ -esque (grotesque) ← -ens ou -iscus — N.B. : Les suffixes latins -ens et -iscus ont fini par se confondre en aboutissant tous deux à -ois(e) / -ais(e) en français. Cependant, -iscus est en réalité d'origine germanique (*-isk). Plus tard, le français a emprunté -esque à l'italien (comme dans grotesque), qui vient également de -iscus, mais pas de -ens, qui a donné dans cette langue -ese (cf. francese). Enfin, notons que le suffixe -asque, d'origine ligure, semble apparenté à -iscus (cf. monégasque).
- dé- (détruire) ~ des- (destruction) ← de- / des-
- é- (épandre) / es- ~ é / ex- (expansion) ← e / ex
- en-, em- (emporter) ~ in-, im- (importer) ← -in / -im
- entr'- (entr'ouvrir), entre- (entrevoir) ~ inter- (intervenir) ← inter-
- -aison (oraison), -oison (pâmoison) ~ -ation (oration) ← -atio
- -ison (trahison) ~ -ition (tradition) ← -itio
- -ille (brindille) ~ -icule (vésicule) ← -icula
- re- (rehausser) ~ ré- (réhausser) ← re- — N.B. : ré- est bien le préfixe savant, car il suit la prononciation latine, au contraire du populaire re-.
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Liste de doublets lexicaux français : prénoms Par ailleurs, les cas de doublets lexicaux en onomastique sont légion. Citons le cas de quelques prénoms (par pure convention, la forme latine sert ici d'étymon-référence) :
- Amaury ~ Amalric ← Amalricus (forme gothique : Amalareiks)
- Auvray ~ Alfred (variante d'origine anglaise) ← Alv(e)redus (forme anglo-saxonne : Ælfrēd)
- Étienne ~ Stéphane ← Stephanus (forme grecque : Στέφανος, par calque de l'hébreu)
- François ~ Francis (variante d'origine anglaise) ← Franciscus (forme germanique : Frankisk)
- Henri ~ Aimeric ← Aenricus / Henricus (forme germanique : Haimrik)
- Jacques ~ Jacob ← Iacobus (de l'hébreu)
- Jean ~ Johan ← Iohannes (forme grecque : Ἰωάννης, elle-même de l'hébreu)
- Louis ~ Ludovic ← Ludovicus (forme germanique : Hlodowig) — N.B. : La forme latine concurrente Chlodovecvs a donné Clovis.
- Thibault ~ Théobald ← Theodobaldus (du germanique : theud + bald)
- Thierry ~ Théodoric ← Theodoricus (du germanique : theud + ric)
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Selon Ferdinand de Saussure dans son Cours de linguistique générale, on ne peut pas parler de doublet (ou doublon) provenant du latin. En effet, les mots empruntés le sont pour la plupart du latin médiéval, langue quelque peu artificielle et savante, voire reconstruite : dans tous les cas, tout à fait différente du latin populaire dont une partie du français est issue par lente évolution.
Il existe également des doublets constitués de deux termes populaires. Il faut distinguer deux cas de figure.
Ici, le doublet apparaît parce que la langue normée, à forte base francienne, a parfois emprunté un mot à une langue d’oïl ou a continué une variation déjà présente en ancien ou moyen français.
Liste de doublets populaires français issus de variantes régionales ou autres
- chai et quai, dont le second est normanno-picard, qui continuent l’ancien français chaiz ~ cai, issus chacun du gaulois caio.
- chaînon (XIIe siècle) et chignon (fin du XIIe siècle) qui proviennent chacun de l’ancien français cha(a)ignon, issu d’un latin *catēniō.
- chaire (début du XIIe siècle) et chaise (déb. XVe siècle) qui continuent l’ancien français chaiere ~ chaeze, issus chacun du latin cathedra
- geindre et gémir (fin XIIe siècle) qui continuent l’ancien français giendre (déb. XIIIe siècle), giembre, gemir, issus chacun du latin gemere.
- gourde (XIIIe siècle) et courge (XIVe siècle) qui proviennent chacun de l’ancien français coorde, cohourde, gouorde, issu du latin cucurbita.
- or (fin XIe siècle) et heure (milieu du XIIe siècle) qui proviennent chacun de l’ancien français ore, différencié très tôt en ores (1176) et eure, ure (1050).
- plaire et plaisir (fin XIe siècle), dont le second est l’infinitif en ancien français et provient du latin placēre.
- plier et ployer, tous deux de l’ancien français pleier (XIIe siècle), issu du latin plicare.
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Ici, le doublet apparaît parce que les formes du cas sujet et du cas régime se sont maintenues toutes deux en français moderne, mais en donnant deux termes bien distincts sur le plan, sinon sémantique, du moins lexical.
Liste de doublets populaires français : cas sujet / cas régime
- chantre ~ chanteur ← cantor / cantorem
- copain ~ compagnon ← companio / companionem — N.B. : La forme copain, anciennement compain, a subi une dénasalisation dans la seconde partie du XVe siècle.
- nonne ~ nonnain ← nonna / nonnam — N.B. : La forme de l'alternance casuelle s'explique par réfection analogique.
- on ~ homme ← homo / hominem
- pâtre ~ pasteur ← pastor / pastorem
- pute ~ putain ← substantivé de l’ancien français pute « mauvais, vil » (adjectif au féminin), issu du latin putidus
- sire ~ seigneur / sieur ← senior / seniorem
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Le phénomène des doublets lexicaux ne se limite pas aux langues romanes : en japonais, par exemple, du même mot anglais strike « coup ; grève », on obtient deux emprunts selon le sens, dont sutoraiku (ストライク) pour un coup (au baseball ou au bowling) et sutoraiki (ストライキ) pour une grève. Ce type de doublets est cependant assez éloigné de ceux du français, car il n'est pas question d'évolution phonétique.