La poésie chantée en langues amazighe et arabe
Sung poetry in Amazigh and Arabic languages
Revue « Poésies toutes ! »
Publié le mardi 10 décembre 2024
Résumé
Ce numéro inaugural de Poésies toutes ! propose de traiter de la poésie chantée en langues amazighe et arabe, partant du constat que dans ces deux domaines linguistiques, la poésie et le chant sont des composantes importantes de la culture, voire les plus importantes. Cette affinité culturelle s’étend à la relation entre ces deux arts qui est séculaire. Ils sont, en quelque sorte, les deux faces d’une même pièce.
Annonce
Argumentaire
Ce numéro inaugural de Poésies toutes ! propose de traiter de la poésie chantée en langues amazighe et arabe, partant du constat que dans ces deux domaines linguistiques, la poésie et le chant sont des composantes importantes de la culture, voire les plus importantes. Cette affinité culturelle s’étend à la relation entre ces deux arts qui est séculaire. Ils sont, en quelque sorte, les deux faces d’une même pièce.
Cette publication se déclinera en deux parties. Chacune d’elles rassemblera les contributions qui étudient la poésie chantée dans les deux idiomes : amazighe et arabe, en prenant en compte la diversité et les particularités linguistiques propres à chacun d’eux.
Ce choix éditorial étant en parfaite adéquation avec les principes fondateurs de la revue, ce numéro, ouvrira ses colonnes à des contributions traitant de chansons qui relèvent des champs « savant » et « populaire ».
L’appel lancé ici vise à la réalisation d’une livraison pluridisciplinaire et interdisciplinaire (littérature, histoire de la poésie, linguistique, musicologie, ethnomusicologie, histoire, sociologie).
Poésies toutes !, revue numérique, offre aux contributeurs, dans ce dossier thématique, comme dans toutes ses publications à venir, la possibilité de diffuser des objets multimédias : images, documents sonores, vidéos, données de terrain, etc.
Domaine arabe
« […] les théoriciens sont unanimes à penser que la perfection n’est atteinte
que lorsque la mélodie est associée à un texte poétique. » (A. Shiloah, 1994)
Cette partie du dossier thématique se déclinera en six axes. Elle tentera en premier lieu d’appréhender « l’insaisissable "langue des chansons" ») (F. Lagrange, 2012).
1. Langue
Trois registres de langue s’offrent à l’étude : 1. La poésie ancienne et moderne en fuṣḥā (arabe littéral) ; 2. la poésie en « arabe moyen » : Zağal, muwaššaḥāt, šiʿr ʿāmmī (Orient), malḥūn ; mālūf/ṭarab andalūsī (Maghreb), šiʿr nabaṭī (Péninsule Arabique) ; šiʿr ḥumaynī (Yémen) ; et la poésie en langue vernaculaire ou dialectale : šaʿbī algérien ; ʿayṭa (Maroc) ; etc.
Outre l’étude de la question de la diglossie, on s’interrogera, entre autres, sur l’existence d’une Koïné poétique dans les poésies du malḥūn et du mālūf/ṭarab andalūsī. Et on s’intéressera aux aspects linguistiques, poétiques et prosodiques de la poésie produite dans ces trois registres de langue.
2. Genres
Le répertoire ancien et moderne en langue arabe est largement dominé par les chansons de divertissement ; le ġazal (poésie amoureuse) y règne en maître. Cependant, d’autres genres sont fortement présents : poésie religieuse (notamment mystique/soufie) ; panégyrique (madīḥ) ; poésie nationaliste, et satire politique.
S’ajoutent à ces genres les chansons relevant aujourd’hui du patrimoine, citons à titre d’exemple : les fayrūziyātes du matin, diffusées par les stations radiophoniques dans nombre de pays arabe ; les kalṯūmiyyātes (concerts télévisés d’Um Kalṯūm diffusés tous les premiers jeudis du mois par la télévision en Egypte), le ṭarab andalūsī diffusé en début d’après-midi et les chansons de malḥūn diffusées en milieu d’après-midi par la radio nationale marocaine, etc. Et les chansons commémoratives : fêtes religieuses ; fêtes nationales (madīḥ) diffusée à des dates anniversaires.
Il s’agit ici de questionner le rapport des composantes de ce répertoire à l’histoire et de mesurer leurs impacts culturels, sociaux et politiques.
3. Choix : choix du poème, choix dans le poème et reprises
Les poèmes chantés relèvent de deux catégories : la première est constituée de poèmes appartenant aux trois registres de langue mentionnés supra et sont composés par des poètes- paroliers et donc destinés à être chantés (zağal moderne ; malḥūn/mālūf ; ʿayṭa ; etc.). La seconde catégorie est composée de poèmes anciens et modernes en fuṣḥā et sont choisis par un compositeur ou un(e) interprète. Le choix d’un poème peut se doubler d’un choix de vers dans ce même poème. En effet, il arrive souvent qu’on chante un extrait et non le poème en entier, et ce, pas seulement en raison des contraintes liées à son enregistrement sur un support quelconque. En effet, cette pratique remonte aux temps anciens comme en témoignent les aṣwāt [les poèmes chantés] dans Kitāb al-Aġānī d’Abū l-Farağ al-Iṣfahānī (897- 967 J.-C.) qui n’excédaient guère sept vers (F. Lagrange, 2012).
Cet axe s’intéressera aux critères qui président au choix des compositeurs ou ceux des interprètes de ce qui est « chantable » (F. Lagrange, 2012). On se demandera si ces choix sont dictés par un goût poétique de leurs auteurs ou bien par le goût du public, s’ils sont le résultat d’un effet de mode ou d’un contexte politique et historique.
3.1. Le choix de la reprise
Il y a deux types de reprises :
3.1.1 Les reprises, entre imitations émulatives et préservation patrimoniale
Cette catégorie de reprise est très courante : elle consiste dans le fait de reprendre un texte et un laḥn [composition musicale] chantés par des interprètes différents [Ṣafwān Bahlawān et ses reprises des chansons de Muḥammad ʿAbd al-Wahāb (m. 1991), Fuʾād al-Zabbādī et ses reprises de nombreuses chansons, notamment égyptiennes].
C’est une forme d’hommage rendu au premier interprète qui se double du désir secret d’être considéré comme l’égal de cet interprète ou comme lui étant supérieur.
Un autre cas de figure, celui du compositeur qui chante lui-même le poème qu’il met en musique pour le compte d’un(e) interprète, à l’instar de Muḥammad ʿAbd al-Wahāb, qui mit en musique et chanta en s’accompagnant du luth, le premier poème chanté de Nizār Qabbānī (m. 1998) et que Nağāt al-Ṣaġīra interpréta en 1960.
3.1.2. La reprise d’un même texte dans une mise en musique et un chant différent
Ce type de reprise est lui aussi très courant dans la musique arabe. Prenons pour exemple la reprise du poème de Kamāl al-Dīn Ibn al-Nabīh, Afdīh in ḥafiẓa l-hawā aw ḍayyaʿā, chanté initialement par Um Kulṯūm et repris par Aḥmad al-Bayḍāwī, le poème élégiaque Arāka ʿaṣiyya l-damʿ, d’Abū Firās al-Ḥamdānī, a connu trois mises en musique successives, par ʿAbduh al- Ḥāmūlī, Aḥmad Zakariyā (m. 1961) et Riyāḍ al-Sunbāṭī (m. 1981). Les trois versions ont été chantées par Um Kulṯūm. La dernière de ces trois versions, la plus récente, elle date de 1965, est la plus connue.
Ces reprises ne concernent pas que la poésie arabe ancienne. En effet, cette pratique touche également d’autres catégorie de poèmes, comme, par exemple, ceux appartenant à l’art du malḥūn repris notamment par le groupe Ğīl Ğilāla.
L’étude de ces reprises s’attachera d’une part à montrer ce qui relève de l’imitation émulative et à souligner d’autre part, comment elles participent à la préservation du turāṯ (patrimoine), comme y participe le fait de chanter aujourd’hui les muwaššaḥāt, le ṭarab andalūsī, le malḥūn, etc.
4. La mise en musique
L’adaptation musicale et vocale du texte poétique est le point nodal de la poésie chantée. Ce dossier s’attachera à mettre en lumière la relation entre le poème, la musique/la mélodie et le chant. Il investiguera les multiples aspects de cette relation, dont les modalités de la mise en musique, l’adéquation entre genre poétiques et genres musicologiques, les possibles modifications du poème par la musique et le rapport entre les phrases mélodiques, les pieds métriques et les hémistiches, etc.
5. Voix
La performance poétique est quasi-inhérente à la poésie arabe ancienne. Les poètes, ceux qui composaient oralement et/ou leurs transmetteurs, comme ceux qui composaient par écrit, déclamaient leurs poésies en public, dans les foires et les marchés, dans les cours royales et califales, et dans diverses assemblées.
La performance poétique implique la voix, le souffle et le corps (le regard, la gestuelle). Elle donne à entendre non seulement le contenu du poème, mais réalise son rythme et sa musicalité (rimes internes et externes ; assonances et allitérations). La voix du poète ou celle du rhapsode n’actualise la musicalité du poème que le temps que dure la performance.
L’adaptation du poème, sa mise en musique, enveloppe de sonorités le poème, lui donne une musicalité seconde et la voix de la chanteuse ou celle du chanteur se substitue à la voix du poète et à celles de l’auditeur et du lecteur. « Le muṭrib n’est pas le porte-voix d’un poète, il n’est aucunement à son service » (F. Lagrange, 2012). En effet, le chanteur s’approprie le poème, il l’interprète et sa voix le sert et le sublime. Son expressivité, son phrasé, ses modulations, ses vocalises et ses ornements et leur emplacement, ses sorties de la mélodie pour l’irtiğāl [l’improvisation], sont autant de pistes à explorer. Ils constituent sa performance, traduisent son imprégnation à la fois par la poésie et la musique, donnent corps à son émotion, à la salṭana (émotion esthétique) qu’il transmet à l’auditeur.
6. Réception : le ṭarab
Cet axe se propose d’étudier le phénomène du ṭarab et ses diverses manifestations en accordant une attention particulière au jeu musical et à celui de l’interprète.
Le ṭarab est un état émotionnel que provoque la poésie et la musique. Il est « la finalité de la musique » (G. Pernon, 1998). C’est « un large spectre de sentiments, des plus intériorisés aux plus violents : plaisir, délectation, choc émotionnel, exaltation […], et même transe pouvant provoquer la mort. » (J. Lambert)1. De très nombreuses scènes qui illustrent l’effet du ṭarab sur le récepteur sont décrites par Abū l-Farağ al-Iṣfahānī dans Kitāb al-Aġānī.
Selon F. Lagrange, le ṭarab « nait de l’adéquation entre l’ethos inspiré par la mélodie et la thématique de la qaṣīda, non par une naïve nature descriptive de la musique, mais par la subtile alchimie qu’imprime le chanteur à son jeu entre rythme musical et métrique poétique, par sa diction, son choix des coupures et des respirations, qui colorent le texte de milles nuances »2.
Lors de l’interprétation d’une waṣla, les éléments esthétiques du poème, son affectivité (Ullmann, 1964), sont magnifiés par la musique et la voix dans le but de provoquer le ṭarab du récepteur.
Dans le passage qu’il consacre aux « critères d’excellence » concernant l’interprétation publique énoncés par les théoriciens arabes anciens de la musique, A. Shiloah indique que l’une des qualités requises pour le musicien-chanteur est sa « capacité de s’émouvoir et d’émouvoir » (A. Shiloah, 1994)3. Il s’agit de l’aptitude de l’interprète d’établir une communication émotionnelle dans son interaction avec le public. Une interaction où sa salṭana4, et son expressivité impressive, produisent le ṭarab du spectateur qui réagit à la performance à laquelle il assiste de manières diverses : acclamations, applaudissements, demandes insistantes de répétitions exprimées par les fameux cris : « aʿid ! aʿid ! aʿid ! », les rappels, etc.
Domaine Amazighe
Dans le cadre des études berbères, les années 1960 ouvrent une nouvelle ère pour les objets littéraires et en particulier pour la poésie. Est délaissée une approche de cette poésie comme échantillon linguistique ou comme champ documentaire sommé de révéler « l’âme berbère » qui avait dominé l’ère coloniale et abouti à la publication de nombreux recueils écrits ? A côté de la pratique de la collecte et de la publication de corpus qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui (aussi bien par des spécialistes que par des amateurs), des études ont mis en avant la fonction des textes littéraires sur le plan de la communication littéraire mais aussi leurs aspects esthétiques, et ont interrogé les ou le système(s) littéraire(s) berbère(s) / amazigh(s) (Bounfour, 1999 ; Galand-Pernet, 1998). Les perspectives d’analyse se sont multipliées : regards sur la métrique et les aspects musicaux à travers l’ethno-musicologie (Jouad, Mahfoufi), question des impacts de l’écrit sur les performances orales à travers la chanson moderne (Yacine), celle de l’intertextualité entre genres anciens et nouveaux (Ameziane), effets de l’affirmation identitaire…
Cette poésie berbère / amazighe chantée, ancienne et retranscrite ou renouvelée dans de nouvelles formes de performance (oralité médiatisée), sert aussi de matériau essentiel pour la connaissance des sociétés berbères : ces « textes », dès les années 1970, ont commencé à servir des approches ethno historiques dans le cadre de l’oral history (J. Vansina, 1961) et de l’histoire « populaire » mobilisées par divers chercheur à partir des années 1970 (Benbrahim, Agrour, Assam), approches impactant les sociétés elles-mêmes : les usages sociaux de cette poésie chantée se transforment comme le montrent ses nouveaux contextes de performances (célébrations locales, festivals régionaux…), offrant par la même occasion de nouveaux objets à l’ethnologie. En parallèle, le contexte de développement des NTIC incite à une réévaluation de l’oralité, entre maintien d’une “oralité primaire” telle que définie par Zumthor, 1983 (Amussu, 2019) et développement d’une “oralité tertiaire” en lien avec la raison numérique telle qu’abordée par Mayer, 2009. Les enquêtes de terrain ou en ligne offrent de multiples signes de sa vitalité actuelle.
Les propositions pourront s’inscrire dans ces perspectives multiples, en questionnant les continuités et les ruptures en ce qui concerne aussi bien les performances, le fond (thématiques), la forme (prosodie, esthétiques musicalités…) et les fonctions de ces multiples réactualisations poétiques.
Modalités de contribution
Langues de publication : Poésies toutes ! publie des articles en arabe, en français et en anglais.
Nous vous invitons à bien vouloir nous adresser le titre de votre contribution et un résumé de 800 caractères au maximum aux adresses suivantes : poesiestoutes[at]gmail.com
avant le 15 mars 2025.
La date limite de l’envoi du texte définitif est fixée au 15 juillet 2025.
Comité de sélection
- Mohamed Bakhouch, directeur de la publication, professeur émérite de littérature arabe ancienne, Aix-Marseille Université, IREMAM.
- Sarali Ginstburg, rédactrice en chef, enseignante-chercheuse à l’Institut Culture et Société (ICS, Université de Navarre).
Les articles acceptés seront soumis à une évaluation en double aveugle.
Notes
1 Jean Lambert, « Ṭarab », Encyclopédie de l’islam X, Leiden, Brill, p. 227.
2 Frédéric Lagrange, « "Mettre en musique" : la sélection et l’interprétation de la qaṣīda dans le répertoire égyptien savant enregistré sur disques 78 tours (1903-1925) », Quaderni di Studi Arabi, Rome, Istituto per l'Oriente C. A. Nallino, n.s. 7 (2012), p. 172.
3 Amnon Shiloah, « Notions d’esthétique dans les traités arabes sur la musique », Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 7 | 1994, p. 5, mis en ligne le 03 janvier 2012, URL : http://journals.openedition.org/ethnomusicologie/1335
4 Selon F. Lagrange, c’est un terme « qu’on pourrait traduire à la fois comme l’auto-ṭarab et l’état permettant au musicien de produire le ṭarab du récepteur » (F. Lagrange, 2019).
Catégories
- Langage (Catégorie principale)
- Espaces > Afrique > Afrique du nord
- Esprit et Langage > Langage > Littératures
Dates
- samedi 15 mars 2025
Fichiers attachés
Mots-clés
- poésie, chant, langue arabe, langue amazighe
URLS de référence
Source de l'information
- Marie-Pierre Oulié
courriel : marie-pierre [dot] oulie [at] univ-amu [dot] fr
Licence
Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.
Pour citer cette annonce
« La poésie chantée en langues amazighe et arabe », Appel à contribution, Calenda, Publié le mardi 10 décembre 2024, https://doi.org/10.58079/12vvl