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Croix et colonnes de peste

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Les croix et colonnes de peste sont des monuments érigés en Europe, du Moyen Âge jusqu'au XVIIIe siècle, par les populations chrétiennes, en ex-voto ou en commémoration d'une épidémie de peste. Certaines croix portent des signes distinctifs de leur fonction : une inscription, des bubons ou des statues de saints protecteurs de ce fléau. Les écots souvent présentés comme preuve du passage de la peste, ne sont pas des signes certains. Les colonnes n'apparaissent qu'au XVIIe siècle et presque uniquement en Europe Centrale, elles ont une fonction commémorative de la peste mais aussi de représentation et glorification de l'église catholique et du pouvoir.

Croix de peste

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La peste a sévi dans toute l'Europe en plusieurs vagues, la plus terrible étant la peste noire qui a tué entre 30 et 50 % de la population européenne en cinq ans (). Les épidémies ont causé jusqu'au XVIIIe siècle d'énormes ravages dans les populations. La ferveur religieuse et la terreur engendrée par les épidémies ont contribué à l'élévation de ces croix dites de peste en France, en Grande Bretagne, en Allemagne, en Autriche, en Italie, en Espagne. Si les croix peintes sur les maisons des pestiférés n'avaient qu'un rôle éphémère, celui d'interdire à quiconque d'en sortir ou d'y entrer pour limiter la contagion[1], les croix de pierre étaient conçues pour durer.

Fonction des croix de peste

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La croix devait « conjurer le mal »[2], ce mal qui apparaissait et disparaissait d'une manière quasi surnaturelle, comme une punition divine. Le seul moyen d'échapper au fléau était de s'en remettre à Dieu ou à ses saints[3]. La croix, représentation sacrée de la souffrance divine et instrument d'intercession avait aussi, comme les croix de fontaines et de ponts, une fonction apotropaïque qui relève peu ou prou du domaine de la magie[4].

  • Croix votives

Elles étaient élevées à la fois pour demander la fin de l'épidémie et remercier Dieu ou le saint protecteur quand le danger était écarté. Le fléau ravageait certains villages, en épargnait d'autres, refluait en vagues successives. Les habitants faisaient vœu d'ériger une croix, bâtir une chapelle ou bien encore faire procession tous les ans si l'épidémie s'arrêtait enfin[5]. Le calvaire de Plougastel a été édifié de 1602 à 1604 pour accomplir le vœu du seigneur de Kererault et célébrer ainsi la fin de l'épidémie de 1598 qui avait sévi pendant plusieurs mois dans la localité. Le fût et le croisillon de la croix du milieu portent des écots. Au centre du socle sur la face ouest de très grandes statues figurant saint Roch et saint Sébastien, saints invoqués pour se protéger de la peste, sont représentés de part et d'autre de saint Pierre[6].

  • Croix de remerciement

Elles étaient érigées par les chrétiens pour remercier leur Dieu d'avoir épargné le village ou les rescapés[7]

  • Croix de commémoration

Les monuments étaient élevés en mémoire des victimes de la peste et de leur lieu d'inhumation. A Ross-on-Wye une croix marque l'emplacement où 315 cadavres ont été enterrés sans cercueil en 1637. En France, parmi d'autres on peut citer la croix Romaric au Haut-du-Tôt élevée en 1670[8] ou en Bretagne la croix de Beaumelin[9] Les morts étaient enterrés de nuit dans des fosses communes. Les confréries de charité ont été créées pour faire face au problème du ramassage et de l'enterrement des cadavres lors des épidémies.

  • Croix de marché et pierre à vinaigre en Angleterre

Des croix temporaires étaient installées en dehors des zones ordinaires de marché pour que les familles des malades puissent acheter de la nourriture déposée là pour elles. Les gens payaient en jetant de l'argent dans le creux d'une pierre contenant de l'eau ou du vinaigre pour tenter d'éviter la contagion[10]. La pierre à vinaigre de la White Cross de Hereford a disparu. Cette croix a été élevée par Lewis Charlton, évêque de Hereford au XIVe sur le lieu du marché spécialement installé en dehors de la ville au cours d'une épidémie de peste[11].

Attributs des croix de peste

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Les croix de peste ne sont pas forcément reconnaissables à première vue. Elles portent, pour la plupart certains signes qui peuvent permettre de les identifier mais qui ne font pas force de preuve. La seule certitude est donnée par une inscription comportant le mot peste avec une date sur le monument lui-même ou par un document écrit qui fait le lien entre l'édifice et une épidémie de peste. Toutefois la présence de bubons, de statues des Saints protecteurs de la peste ou d'écots peuvent désigner une croix comme ayant été érigée lors d'une épidémie de ce fléau.

Croix à écots ou croix écotée

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Le fût d'une croix écotée, et parfois aussi son croisillon, est hérissé d'excroissances qui évoquent des branches coupées, comme celles d'un arbre ébranché qu'on appelle écot[12]. Mais la représentation de ces moignons de branches, que par métonymie on appelle également écots, signifie que l'arbre n'est pas mort : la croix de bois du Christ, instrument de supplice, s'est transformée en instrument de gloire et de rédemption. Elle est devenue une représentation de l'arbre de vie en opposition à l'arbre au fruit défendu du Paradis Terrestre, responsable du péché d'Adam et Eve[13].

Quand la peste ravageait des régions entières au Moyen Âge, les populations terrorisées ne pouvaient se raccrocher qu'à leur foi. La croix de leur village était censée faire fuir le mal[14], et sauver leur âme. Les écots de la croix présentent une ressemblance avec les bubons de la peste. Les traditions populaires leur ont attribué le pouvoir d'éloigner la maladie ou de la guérir.

En Bretagne, si les croix écotées ne sont pas toutes des croix de peste[2],[15], certaines de ces croix ont, de façon attestée, été érigées lors d'une épidémie[16]. Dans le Pays de Léon les croix ou calvaires du XVIe ou XVIIe siècle dont les fûts sont écotés portent couramment le nom de Croas Ar Vossen, c'est-à-dire croix de peste en breton léonard[17]. Sur la croix de Plouezoc'h on peut même lire l'inscription : Groas ar Vocen, 1621[18].

Dans le Massif central les croix écotées, beaucoup moins nombreuses que les croix bretonnes, voisinent avec des croix à bubons[19].

Croix à bubons

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Les croix à bubons signalent de façon plus certaine le passage de la peste dans la zone où elles sont implantées. Elles sont ornées de quelques bosses lisses en forme de demi-sphères. Moins nombreuses que sur les fûts écotés ces bosses sont disposées horizontalement par quatre autour du fût en une, deux ou trois séries. Dans la Manche les croix à bubons sont très nombreuses et de très simple facture, elles ont été érigées pour la plupart lors des épidémies de peste du XVIIe siècle. Elles sont élancées avec un soubassement de deux à quatre marches, un dé quadrangulaire parfois agrémenté aux coins supérieurs de petites sculptures. Le fût est généralement octogonal[20]. Il y a également quelques croix de ce type dans la frange ouest du Calvados.

Dans le Massif central les fûts mais aussi les croisillons arborent des bosses similaires qui prennent dans le Forez le nom d'argnats. Ces derniers sont surtout censés représenter des furoncles et par extension les bubons de la peste. Il s'agissait, de demander la guérison en déposant une pièce au pied de la croix[21] Il était aussi recommandé de se frotter contre les bubons de la croix pour se préserver de la maladie[19] ,[22]. Dans cette région du Centre de la France le fût des croix à bubons est prismatique c'est-à-dire que, contrairement à celui des croix écotées qui est parfaitement cylindrique, il présente plusieurs faces[19] .

En Bretagne il y a quelques rares croix à bubons comme celles de Plobannalec[23], de Penchâteau (Loire-Atlantique) qui date du XVe siècle[24] ou de Saint-Benoît-des-Ondes (Ille-et-Vilaine) du début du XVIIIe siècle.

Croix ornée d'une statue d'un saint protecteur de la peste

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De nombreuses croix sont ornées sur le socle, le fût ou les bras du croisillon d'une représentation de saint Roch seul ou accompagné de saint Sébastien, saints réputés pour protéger de la peste[25],[19] Elles ne sont pas systématiquement munies de bubons[26]

Colonne de peste

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Les colonnes de peste baroques ont fait leur apparition en Europe centrale au XVIIe siècle sous l'influence du concile de Trente, initiateur de prises de positions radicales en réaction aux doctrines protestantes. Comme certaines croix de peste, elles ont été érigées pour célébrer la fin d'une épidémie[27]. Ces monuments sont couronnés par la statue de la Vierge Marie, ou par des représentations de la Sainte Trinité. Ils portent l'empreinte de l'art baroque foisonnant de cette époque. Il s'agissait de proclamer très haut et très fort la victoire de la Contre-Réforme dont le but était à la fois d'entraver l'expansion du Protestantisme en redéfinissant les dogmes et la discipline de l'Église catholique[28]. Le culte de la Vierge Marie, des saints et de la Sainte Trinité dénoncé par les protestants devient l'étendard du renouveau catholique. Mais ces colonnes étaient aussi l'occasion pour l'église catholique de proclamer sa gloire[29] et pour le commanditaire détenteur du pouvoir d'affirmer sa suprématie et sa magnificence[30]. Les colonnes de peste ont été érigées entre 1650 et 1800. La plus célèbre est à Vienne en Autriche. Mais on en retrouve aussi en Hongrie, en Moravie, en Bohème, c'est-à-dire dans toutes les régions qui appartenaient à l'empire des Habsbourg[31]. La colonne de la Sainte Trinité de Vienne située sur le Graben est la plus représentative de ces colonnes dites de peste. Édifiée par Léopold Ier de Habsbourg après l'épidémie de 1679, elle montre de manière saisissante l'horreur du calvaire des victimes tout en célébrant la victoire de la puissance de la religion à travers la représentation d'une jeune femme brandissant une croix [3]. Mais le commanditaire prend soin de faire représenter les emblèmes glorieux de l'empire et la prière en latin de remerciement pour la fin de l'épidémie qui présente Léopold comme humble serviteur de Dieu ne fait que souligner par contraste sa puissance[30].

Il faut bien noter que ces monuments baroques surmontés par des représentations de la Vierge ou de la Sainte-Trinité n'ont pas tous été élevés spécialement à l'occasion d'épidémies de peste. De nombreux monuments l'ont été pour célébrer une victoire sur les Suédois ou les Turcs. Ainsi la colonne de la Vierge de Munich (1638), comme celle de Vienne (1667) sont érigées pour commémorer la fin de l'occupation suédoise[32].

Les croix ou calvaires de l'Est de la France, qui ont pu être érigés pour commémorer la peste, que l'on retrouve en Allemagne ou en Autriche sous le nom de Bildstock ou Kreuz ont un profil longiligne qui n'a rien à voir avec la croix latine. Mais ce type de monument ne peut être assimilé à une colonne : Säule en allemand. Par exemple le monument d' Ebreichsdorf en Autriche est bien mentionné comme croix de peste dans la liste des monuments protégés. On le trouve aussi fréquemment en Slovénie sous le nom de znamenje, petit édifice plus ou moins élancé dont la partie supérieure est creusée de niches destinées à protéger des statues du Christ ou des saints. Il est surmonté d'une croix ou couvert d'un petit toit et fait penser à un oratoire comme on en voit sur les chemins de campagne en France.

En France, une colonne a été élevée en 1802 pour rendre hommage au courage des volontaires qui ont lutté contre l'épidémie de peste qui a ravagé Marseille en 1720. Elle ne sert pas à marquer l'emplacement d'un cimetière ni d'une fosse commune mais bien à commémorer le souvenir du fléau[33]. C'est en France un des premiers monuments commémorant le comportement civique de citoyens, préfigurant les monuments aux morts des guerres qui ont suivi[34].

Notes et références

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  1. La peste au Moyen âge et de nos jours, revue : la Médecine internationale , avril 1912
  2. a et b Site du Diocèse de St Brieuc, Plouaret, croix Maudez et quelques réflections sur le sens de ces sculptures
  3. a et b Dominique Aicardi-Chève, thèse de doctorat, Les corps de la contagion. Etude anthropologique des représentations iconographiques de la peste (XVIeXXe siècles en Europe), pages 58 et 75
  4. Hervé Martin, « La fonction polyvalente des croix à la fin du Moyen-Age », Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, sur Persée, (consulté le ), p. 307 et 309.
  5. Forez histoire , croix d'Estiallet
  6. Y. P. Castel Atlas des croix et calvaires du finistère, 1980, Plougastel-Daoulas
  7. Charles Antoine Charpentier, Archives de Nevers ou inventaire historique des titres de la ville, Paris, Thechener, (lire en ligne), p. 280.
  8. Circuit des croix de chemin sur le site du Haut-du-Tôt
  9. Epidémies et famines, site du Centre généalogique des Côtes d'Armor
  10. English heritage thesaurus
  11. (en) « The White Cross at the junction of five roads, White Cross », sur Historic England (consulté le ).
  12. Dictionnaire encyclopédique Quillet, vol. 3, Paris, Editions Quillet, , 7763 p., p. 1998.
  13. Dominique Donadieu-Rigaut, Penser en images les ordres religieux : XIIe – XVe siècles, Editions Quae, 2005 - 385 pages, , 385 p. (ISBN 978-2-909109-31-2, lire en ligne), p. 329.
  14. Jean-Marie Martin , Symboliques et fonctions de la croix, paragraphe b de fonctions de la croix
  15. Alain Sonneck, la peste en Bretagne, pdf
  16. Eugène Royer, Calvaires bretons, Jean Paul Gisserot, , 63 p. (ISBN 978-2-87747-054-4), p. 4.
  17. Paul Gruyer, Les Calvaires Bretons , Paris, Henri Laurens, page 13
  18. Y.P. Castel, En Bretagne, croix et calvaires, 1997, page 47
  19. a b c et d Jacques Baudoin, Les croix du Massif Central, Créer, , 431 p. (ISBN 978-2-909797-61-8, lire en ligne).
  20. site: églises de La Manche
  21. Les carnets de l'inventaire (région Auvergne-Rhône-Alpes) Les croix monumentales du Forez, étude typologique des croix
  22. Revue archéologique du Centre de la France, la borne de Vollore, paragraphe 34
  23. Y.P. Castel, Atlas des croix et calvaires du Finistère, Plobannalec, Kerstaloff
  24. Site Croix et calvaires de Bretagne, croix de Ponchâteau
  25. Guy Devaux, « A propos de l'iconographie de Saint Roch, une statue du XVIIe siècle dans l'église d'Angoisse (Dordogne) », sur Persée, (consulté le ), p. 441.
  26. Jacques Baudoin, Croix du Gévaudan, Créer, , 192 p. (ISBN 978-2-84819-024-2), p. 32.
  27. Encyclopaedia Universalis, Dictionnaire des idées : Les Dictionnaires d'Universalis, vol. 2 de Les Dictionnaires d'Universalis, , 2317 p. (ISBN 978-2-85229-934-4, lire en ligne), chapitre sur l'art baroque en Bohème.
  28. Encyclopédie Larousse : Réforme catholique ou Contre-Réforme, paragraphes 4 (le concile de Trente) et 7.2
  29. PDF, observations de l'Icomos (Conseil International des Monuments et des Sites) sur la Colonne d'Olomouc.pages 152,153
  30. a et b (en) Christine M. Boeckl, Wiener Jahrbuch fur Kunstgeschichte : Vienna's Pestsäule, the analysis of a seicento plague monument, Böhlau Verlag Wien, (ISBN 3-205-98530-3), p 45,52,53.
  31. Austria-Forum, das Wissensnetz aus Österreich, texte traduit de l'allemand en anglais
  32. Dominique Julia, Le Voyage aux saints : Les pèlerinages dans l'Occident moderne (XVe – XVIIIe siècle), Le Seuil, , 384 p. (ISBN 978-2-02-129571-9, lire en ligne), chap,Religio Principum, Tutela Regnorum.
  33. « Du corps au cadavre pendant la Grande Peste de Marseille (1720-1722) : des données ostéo-archéologiques et historiques aux représentations sociales d'une épidémie », Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, Nouvelle Série, sur Persée, (consulté le ), p. 102.
  34. Michel Baudat et Régis Bertrand, Aux origines du monument aux morts: le mausolée d'Arles (1722), PDF

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Article connexe

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Liens externes

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