Tombe du Soldat inconnu (France)
La tombe du Soldat inconnu est une sépulture installée à Paris sous l'arc de triomphe de l'Étoile depuis le . Elle accueille le corps d'un soldat, mort lors de la Première Guerre mondiale et reconnu français, pour commémorer symboliquement l'ensemble des soldats qui sont morts pour la France au cours de l'histoire.
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Edgar Brandt (ferronnerie) |
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La sépulture, entourée de bornes de métal noir reliées entre elles par des chaînes, se compose d'une dalle de granite de Vire sur laquelle est inscrite l'épitaphe : « Ici repose un soldat français mort pour la Patrie, 1914-1918 ». En 1923, une flamme éternelle est ajoutée, ravivée tous les jours à 18 h 30. Après la Seconde Guerre mondiale, est installé au pied de la tombe un bouclier de bronze chargé d'un glaive enflammé, offert par les Alliés à la gloire des armées françaises et en mémoire de la libération de Paris.
L'expression « dalle sacrée », popularisée par le général Weygand, est utilisée par les associations d'anciens combattants pour désigner le tombeau et sa flamme[1]. La garde du monument est assurée en permanence par un service spécialisé de la Police nationale.
Contexte
modifierDès la première année de la Grande Guerre, de nombreux projets pour honorer les morts voient le jour[2]. Ainsi se multiplient les plaques, les livres d'or. La mention « mort pour la France » est instituée par la loi du [3].
Dans un discours au cimetière de l'Est à Rennes le , François Simon[4], président de la section locale du Souvenir français (association fondée en 1887 pour entretenir le souvenir des morts de la guerre franco-prussienne de 1870), évoque le premier l'idée « d'ouvrir les portes du Panthéon à l'un des combattants ignorés morts bravement »[5] :
« Pourquoi la France n'ouvrirait-elle pas les portes du Panthéon à l'un de nos combattants ignorés, mort bravement pour la patrie, avec, pour inscription sur la pierre, deux mots : « un soldat » ; deux dates : « 1914-1917 » ?[Note 1] Cette inhumation d'un simple soldat sous ce dôme, où reposent tant de gloire et de génies, serait comme un symbole ; et plus, ce serait un hommage rendu à l'armée française tout entière[6],[7]. »
L'idée ne se concrétise véritablement qu'après la fin du conflit, mais elle prend d'abord la forme d'un livre d'or rappelant tous les morts de la guerre : ce livre serait placé au sein du Panthéon. Elle chemine grâce à la presse et, le , le député d'Eure-et-Loir Maurice Maunoury fait une proposition de loi dans ce sens. La Chambre des députés adopte finalement le la proposition d'inhumer « un déshérité de la mort » au Panthéon[8].
Mais le gouvernement a d'autres projets : profiter du deuxième anniversaire de l'armistice pour célébrer le cinquantenaire de la Troisième République et porter le cœur de Gambetta au Panthéon[9]. Il s'agit de donner un sens de continuité aux deux conflits, celui de 1870 perdu et celui de 14-18 gagné, pour asseoir la victoire de la France sur l'Allemagne. Les deux projets — celui porté par l'exécutif et celui porté par la Chambre — alimentent un clivage politique d'autant plus perceptible que les tensions sont fortes entre le pouvoir, décidé à célébrer la victoire de son régime, et les anciens combattants blessés ou traumatisés. Ces derniers préfèrent une cérémonie à l'Arc de triomphe dédiée aux militaires tombés pour la patrie plutôt qu'une cérémonie au Panthéon, lieu qui honore davantage les gloires politiques et civiles. Finalement, le , la Chambre transige en proposant comme sépulture l'Arc de triomphe, réservant le Panthéon au seul Gambetta[2]. La loi est adoptée à l'unanimité par la Chambre des députés et le Sénat[10],[11].
C'est André Maginot, ministre des Pensions et lui-même mutilé de guerre, qui préside la cérémonie de choix du soldat à inhumer. Elle se déroule dans le lieu mythique de la Première Guerre mondiale : la citadelle de Verdun[12].
Choix du Soldat inconnu
modifierLe , Auguste Thin, soldat de deuxième classe au 132e régiment d'infanterie, alors âgé de 21 ans, est chargé de désigner le soldat inconnu qui reposera sous l'arc de triomphe. Auguste Thin sera plus tard un des Mille[13].
Huit corps de soldats ayant servi sous l'uniforme français mais n'ayant pu être identifiés sont exhumés dans les huit régions où s'étaient déroulés les combats les plus meurtriers : en Flandres, en Artois, dans la Somme, en Île-de-France, au Chemin des Dames, en Champagne, à Verdun et en Lorraine. Initialement, neuf soldats et neuf secteurs avaient été retenus, mais dans l’un d’eux, aucun des corps exhumés n’offrait la garantie d’être français[14].
Le , les huit cercueils de chêne sont transférés à la citadelle de Verdun, dans une casemate où ils sont plusieurs fois changés de place pour préserver l'anonymat de leur provenance.
Le , les cercueils sont placés sur deux colonnes de quatre dans une chapelle ardente dont la garde d'honneur est confiée à une compagnie du 132e régiment d'infanterie. André Maginot, ministre des Pensions, s'avance alors vers un des jeunes soldats qui assure la garde d'honneur, Auguste Thin, engagé volontaire de la classe 1919.
Il lui tend un bouquet d'œillets blancs et rouges, et lui expose le principe de la désignation : le cercueil sur lequel ce jeune soldat déposera le bouquet sera transféré à Paris et inhumé sous l'arc de triomphe.
« Il me vint une pensée simple. J'appartiens au 6e corps. En additionnant les chiffres de mon régiment, le 132, c'est également le chiffre 6 que je retiens. Ma décision est prise : ce sera le 6e cercueil que je rencontrerai. »
— Auguste Thin
Partant par la droite, Auguste Thin fait un tour, puis il longe les quatre cercueils de droite, tourne à gauche, passe devant le 5e et s'arrête devant le 6e cercueil, sur lequel il dépose son bouquet, puis se fige au garde-à-vous.
L'ensemble de l'évènement et de la recherche du soldat sont reproduits dans le film de Bertrand Tavernier La Vie et rien d'autre (1989)[15].
Inhumation
modifierAprès le choix du deuxième classe Auguste Thin le , le cercueil du Soldat inconnu quitte Verdun dans la foulée sous escorte militaire[16]. Il est transporté par train à Paris au Panthéon, où le président de la République, Alexandre Millerand, prononce une allocution[17]. Veillé toute la nuit place Denfert-Rochereau, le cercueil fait une entrée solennelle sous l'Arc de triomphe, le , placé sur la prolonge d’artillerie d’un canon de 155, mais n'est mis en terre que le , en présence des autorités civiles et militaires, dont les maréchaux qui se sont illustrés lors de la Première Guerre mondiale (Foch, Joffre et Pétain). Sont également présents : le ministre belge des Affaires étrangères, Henri Jaspar, le Premier ministre britannique, David Lloyd George, et un représentant du Portugal. À 8 h 30 du matin, les troupes présentent les armes. Le ministre de la Guerre, Louis Barthou, s’incline devant le cercueil et déclame : « Au nom de la France pieusement reconnaissante et unanime, je salue le Soldat inconnu qui est mort pour elle »[18].
Les sept autres dépouilles non choisies lors de la cérémonie du reposent au cimetière militaire du Faubourg Pavé, près de Verdun, dans le « Carré des sept inconnus »[19].
Flamme éternelle
modifierSymbolique
modifierL'idée de faire brûler une flamme en permanence est tout d'abord émise début 1921 par le sculpteur ariégeois Grégoire Calvet[20]. C'est finalement Augustin Beaud qui initia son installation en référence à la petite lampe qui illuminait le cimetière de Panossas, où il vécut dans son enfance, car il trouvait le site austère au regard du symbole qu'il représente[21]. Il soumet alors l'idée au général Henri Gouraud, gouverneur militaire de Paris puis au conseil municipal qui l'approuve. Initialement conçue pour être allumée tous les , les journalistes Gabriel Boissy et Jacques Péricard proposèrent en de la raviver chaque jour à 18 h 30 par des anciens combattants et l'opinion publique soutint ce projet[22]. L'architecte Henri Favier, témoin dans son enfance des feux follets des cimetières[23], dessina la bouche à feu (gueule d'un canon braqué vers le ciel, encastré au centre d'une sorte de rosace représentant un bouclier renversé dont la surface ciselée est constituée par des glaives formant une étoile) qui fut réalisée par le ferronnier d'art Edgar Brandt.
La flamme sacrée sous l'arc de triomphe fut ainsi allumée pour la première fois le [24] à 18 h par André Maginot, en présence du général Gouraud. Alors que le ministre de la Guerre allumait la flamme à l'aide d'un tampon d'étoupe au bout d'un fleuret, des troupes du 5e régiment d'infanterie présentaient les armes et la musique jouait la Marche funèbre de Chopin. Le 81e régiment d'infanterie de ligne (surnommé « régiment de la flamme ») ravivait chaque année, en déléguant un piquet d'honneur, la flamme du Soldat inconnu. Ce régiment, transféré à Montpellier en 1983 et devenu régiment de manœuvre de l'École d'application de l'infanterie, a été dissous en 1995[25].
Cérémonie du ravivage
modifierÀ l'appel de Jacques Péricard, le ravivage de la flamme sur la tombe du Soldat inconnu a lieu chaque soir depuis 1923 à 18 h 30[26]. Il est assuré par le Comité de la Flamme (représentant 760 associations d'anciens combattants) ou des associations dont le civisme est reconnu. Le ravivage se déroule selon un cérémonial précis : défilé jusque sous l'arc de triomphe, porteurs de gerbes en tête, suivis des porte-drapeaux et des membres de l'association ; disposition ordonnancée autour de la Dalle sacrée, mise en place du drapeau de « La Flamme », du clairon et du tambour de la Garde républicaine ; montée du Commissaire de la Flamme et des présidents d'Associations accompagnée par la sonnerie « La Flamme » pour la dépose de gerbes ; ravivage par un glaive qui ouvre un peu plus la trappe de la flamme pendant que la sonnerie Aux Morts retentit, que les drapeaux s'inclinent et qu'une minute de silence est observée ; signature du livre d'or, salutations des membres alignés le long de la dalle (personnalités politiques, anciens combattants, porte-drapeaux, pensionnaires de l'Institution nationale des Invalides, présidents des associations), écoute au « pied » de la tombe de l'hymne Honneur au Soldat inconnu ; raccompagnement aux chaînes par le Commissaire de service alors que la musique sonne La Flamme[27].
Des cérémonies particulières ont lieu les et (jour du Souvenir).
Fondée en 1925 et déclarée le , l’association « La Flamme sous l’arc de Triomphe » désigne le général Gouraud, mutilé de guerre et gouverneur militaire de Paris, comme son premier président ; il occupe cette fonction jusqu’à sa mort en 1946. La présidence est ensuite assurée par :
- ...
- : Bruno Dary, général d'armée de deuxième section, ancien commandant de la Légion étrangère et gouverneur militaire de Paris ;
- : Christophe de Saint Chamas, général de corps d'armée, gouverneur des Invalides[28].
Événements liés
modifierLe , l’exécution des anarchistes Sacco et Vanzetti provoque des émeutes en France, au Japon, en Afrique du Sud[29]. À Paris, la tombe est profanée lors de l'émeute ; cet événement est à l'origine de la création des Croix-de-Feu[30].
Le , une dizaine de femmes appartenant au Mouvement de libération des femmes vont déposer sous l'arc de triomphe une gerbe « à la femme du Soldat inconnu ». Certaines des banderoles arborées ce jour-là avaient pour slogan : « Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme ». Il s'agit de la première action médiatique du mouvement[31].
En 1932, la commune de Cucq veut également honorer son « soldat inconnu », à la suite d'une erreur qui a conduit à inhumer deux fois (sic) un même Poilu dans le caveau familial. C'est pour éviter qu'il y ait un autre soldat inconnu que celui de Paris que le ministre des pensions donnera finalement son veto en dernière minute[32].
Dans les autres pays
modifierUne tombe du Soldat inconnu britannique est inaugurée à Londres le même jour qu'en France. Au total, 28 autres pays possèdent une tombe du Soldat inconnu.
Dans la culture populaire
modifierGeorges Brassens en 1972 évoque le Soldat inconnu dans le cinquième couplet de sa chanson Fernande :
À l'Étoile où j'étais venu
Pour ranimer la flamme
J'entendis ému jusqu'aux larmes
La voix du Soldat inconnu
Notes
modifier- Le discours date du 26 novembre 1916.
Références
modifier- Maxime Weygand, Le 11 novembre, Paris, Flammarion, , 128 p. (lire en ligne), VI. Le soldat inconnu.
- Dalisson 2013.
- Projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France, sur senat.fr.
- « Rennes. Hommage à François Simon et au soldat inconnu », Ouest-France, (consulté le ).
- Vilain 1933, p. 3.
- Le Souvenir français, « Francis Simon, précurseur de l'idée du Soldat Inconnu. », sur souvenir-francais-92.org, (consulté le ).
- « La tombe du soldat inconnu, une idée rennaise », Ouest-France, (consulté le ).
- Le Naour 2008, p. 20.
- Jagielski 2005, p. 51-89.
- La flamme sous l'arc de triomphe au Tombeau du Soldat Inconnu, Paris, Littré, , 69 p., p. 13.
- « Débats parlementaires », sur gallica.bnf.fr, Journal officiel, (consulté le ).
- Serge Barcellini, « La gestion du deuil par l'État français : Histoire et perspectives d'avenir », dans Francine-Dominique Liechtenhan (dir.), Europe 1946 : Entre le deuil et l'espoir (actes d'un colloque international organisé par le Mémorial de Caen et le CNRS-CRHQ, -), Bruxelles, Éditions Complexe, coll. « Interventions », , 352 p. (ISBN 2-87027-666-4, lire en ligne), p. 136.
- « FNCV federation nationale combattants volontaires france association », sur www.fncv.com (consulté le ).
- 8 novembre 1920 : La citadelle accueille des soldats d’identités inconnues, mais de nationalité française garantie.
- Frédéric Plancard, « Meuse : « La vie et rien d’autre » de Bertrand Tavernier a été tourné à Verdun », sur L'Est républicain,
- Bernard K, « Le Soldat Inconnu », sur bernardkproject.com, 10 et 11 novembre 1920 (consulté le ).
- « Le Journal 12 novembre 1920 », sur RetroNews - Le site de presse de la BnF (consulté le )
- « Inhumation solennelle du Soldat inconnu sous l'Arc de Triomphe », sur Gouvernement.fr (consulté le )
- Transvosges, « Le cimetière militaire du Faubourg-Pavé et le monument aux enfants de Verdun », sur transvosges.com, (consulté le ).
- Voir notes et références « Voix du bois des Caures » - Martins 1937, Vilain 1933.
- Maxence Cuenot, « Un Isérois à l'origine de la flamme sous l'Arc de triomphe », Le Dauphiné libéré, , p. 2.
- Jean-Louis Beaucarnot, Nos familles dans la grande guerre, Éditions Jean-Claude Lattès, , p. 107.
- Source : son neveu Bernard Favier.
- Jagielski 2005, p. 135-152.
- Elsa Clairon, « Le symbole : le soldat inconnu », émission Karambolage sur Arte, 5 novembre 2006.
- Jagielski 2005, p. 145.
- Arc de Triomphe. La cérémonie du ravivage de la Flamme.
- Hervé Chabaud, « Comité de la Flamme : le général de Saint-Chamas succède au général Dary », L'Histoire en rafale, L'Union, (consulté le ).
- Maxime Robin, « Sacco et Vanzetti : et l’Amérique s’en prit à ses migrants », Le Monde, (consulté le ).
- Albert Kéchichian, Les Croix-de-Feu à l'âge des fascismes : travail, famille, patrie, Seyssel, Champ Vallon, coll. « Époques », , 410 p. (ISBN 978-2-87673-450-0, lire en ligne), chap. 6 (« Une milice supplétive contre l'Anti-France ? »), p. 72.
- Thomas Guien, « Libération de la femme : encore un effort ? », L'Express, (consulté le ).
- François Caron, « 1932 : Cucq a aussi son soldat inconnu », Working Paper, (lire en ligne, consulté le ).
Voir aussi
modifierBibliographie
modifier- Jean-Yves Le Naour, Le soldat inconnu : La guerre, la mort, la mémoire, Paris, Gallimard, coll. « Histoire » (no 531), , 111 p. (ISBN 978-2-07-035660-7).
- Anne-Marie Balenbois, La Flamme sous l'arc de triomphe, NANE Éditions, , 48 p. (lire en ligne).
- Jean-Pascal Soudagne, L'histoire incroyable du soldat inconnu, Rennes, Ouest-France, coll. « Écrits », , 152 p. (ISBN 978-2-7373-4520-3, OCLC 247458352).
- Jean-François Jagielski, Le soldat inconnu : invention et postérité d'un symbole, Paris, Imago, , 248 p. (ISBN 978-2-84952-021-5).
- (pt) Maria Amélia Ferreira Martins, O soldado desconhecido e a chama eterna The unknown warrior and the perpetual flame = Le soldat inconnu et la flamme perpetuelle, Tipo da L.C.G.G., (OCLC 496904993).
- Charles Vilain (préf. Gabriel Boissy), Le Soldat inconnu, histoire et culte, Paris, M. d'Hartoy, (OCLC 494429153).
- Notice nécrologique dans La voix du bois des Caures, no 26 et 27, 1er au .
- Arthur Ténor, Il s'appelait... le Soldat inconnu, Gallimard Jeunesse, 2004.
- Rémi Dalisson, 11 novembre : du souvenir à la mémoire, Paris, A. Colin, , 290 p. (ISBN 978-2-200-27787-1).
Filmographie
modifier- La Vie et rien d'autre, film de Bertrand Tavernier (1989) évoque l'histoire du choix du Soldat inconnu en (de l'ordre donné d'inhumer un soldat anonyme à la cérémonie du choix parmi les huit cercueils). La scène de la sélection du cercueil a été reconstituée à l'identique, dialogues compris. Une seule erreur est à noter ; la sonnerie aux morts date de 1931.