Enseigner peut être un métier passionnant, un des plus beaux du mondeâ¦Â Métier collaboratif, varié, créatif, riche de sens, résolument tourné vers lâavenir, combinant la maîtrise des savoirs et les savoir-faire pédagogiques, métier utile et précieux dans une société qui veut progresser, socialement et culturellementâ¦Â
Un article initialement publié dans L’Ãcole démocratique, n°98, juin 2024 (pp. 19-20).
Ah, si lâon nous faisait confiance et si lâon nous donnait un cadre et des conditions de travail répondant aux immenses promesses et besoins de la jeunesse qui nous est confiée ! Quelle énergie serait alors libérée, comme le prouvent les innombrables réussites dâenseignants et dâenfants réunis dans des projets progressistes. Voici réunies quelques balises récoltées dans la littérature de lâAped.
Une école démocratique dans une société démocratique
Avant tout, il faudrait sâentendre sur les finalités de lâenseignement dans une société démocratique. Pour nous, pas question dâaider le Monde à continuer dâaller comme il va actuellement. Au contraire, la mission principale de lâEcole est dâoutiller tous les enfants pour leur permettre dâexercer une citoyenneté critique. Dâoù notre revendication : ambition et équité pour lâéducation !
Les écoles, socialement mixtes, doivent donner à tous une formation générale et polytechnique de haut niveau. Elles doivent être le plus ouvertes possible. Les jeunes y passent le plus clair de leur temps, elles doivent être confortables et agréables. La taille des classes, surtout dans le fondamental, doit être réduite. Voilà pour le cadre général posé dans notre Mémorandum de 2020[1]. Où nous précisons notre vision du métier.
Laisser les enseignants enseigner
- Les enseignants nâont pas besoin quâon leur dicte une façon dâenseigner car il nâexiste pas de panacée pédagogique. Une méthode efficace, employée par un professeur dans des conditions dâencadrement données, face à un groupe dâélèves déterminé, peut sâavérer totalement inopérante si elle est mise en Åuvre par un professeur différent, dans un contexte différent. Les écoles et les enseignants doivent dès lors disposer dâune large autonomie pédagogique à condition de couvrir le programme. La diffusion de « bonnes pratiques » doit être encouragée mais pas imposée.
- Les enseignants nâont pas besoin quâon leur impose lâusage de technologies à la mode. Tablettes, ordinateurs et autres tableaux interactifs peuvent certes être des outils précieux mais ne peuvent pallier le manque dâenseignants ou apparaître comme un des principaux outils permettant la différenciation au sein des classes et la gestion de lâhétérogénéité des élèves. Même lâOCDE reconnait que « les ressources investies dans les technologies de lâinformation et de la communication (TIC) ne sont pas liées à une amélioration des résultats [aux tests PISA] des élèves en compréhension de lâécrit, en mathématiques et en sciences ». Selon ce rapport, les résultats sont légèrement meilleurs pour les élèves utilisant modérément les ordinateurs par rapport à ceux utilisant souvent les ordinateurs.
- Les enseignants nâont pas besoin quâon multiplie à lâexcès les batteries de tests standardisés. Quâils soient formatifs ou certificatifs, ces tests doivent rester des instruments permettant aux enseignants dâévaluer leurs pratiques et de faire progresser leurs élèves. Ces évaluations ne peuvent avoir pour objectif de classer les établissements en renforçant le marché scolaire et la compétition.
- Les enseignants nâont pas besoin quâon les enferme dans des contrats dâobjectifs ou un « New Public Management » inspiré du secteur privé. Une phase de diagnostic peut certes être bénéfique pour prendre conscience des forces et faiblesses de son école. Qui pourrait en effet être contre la diminution du redoublement et du décrochage ? Contre lâamélioration des savoirs et des compétences ? Contre la réduction des différences de résultats entre les élèves favorisés et défavorisés ? Contre lâinclusion ou contre lâaccroissement du bien-être à lâécole ? Fixer des objectifs est louable. Mais sans moyens supplémentaires, il est fort à craindre que les enseignants sâépuiseront et subiront un accroissement de la pression et du stress lié à la crainte de ne pas atteindre les objectifs fixés. Lâefficience du système éducatif, terme cher à McKinsey, ne peut être une fin en soi.
- Les enseignants ont besoin de bonnes conditions de travail, dâun minimum de respect et dâun salaire décent. Ils ont besoin de programmes clairs et dâune plus grande liberté pour les mettre en Åuvre. Ils ont enfin besoin dâune formation initiale solide et, tout au long de la carrière, dâune aide, tant de la direction que des collègues, ou dâune formation continue répondant aux besoins réels rencontrés sur le terrain.
De la formation des enseignants
En 2011, nous participions à lâévaluation de la formation initiale des enseignants (EFI). Une occasion de clarifier notre position en la matière. Voilà ce que nous écrivions à lâépoque.
« LâAped en appelle à une approche matérialiste, philosophique, politique et progressiste du métier.
Matérialiste : tous les enseignants doivent connaître lâhistoire de lâenseignement, les différentes politiques dâenseignement possibles et leurs résultats respectifs, les moyens qui lui sont réellement octroyés, ses structures, le rapport entre résultats scolaires et déterminants sociaux, etc.
Philosophique et politique : il faut à tous un cours de philo, une connaissance des principaux courants politiques et socioéconomiques â capitalisme/néolibéralisme, keynésianisme, socialisme/communisme -, une approche critique de la « démocratie » de marché, une réflexion sur lâimpossibilité dâune neutralité politique, sur les valeurs philosophiques et politiques qui sous-tendent les différentes politiques dâéducation, sur le droit à la critique et à la résistance â par rapport à des prescrits sources dâinégalités, par exemple -, une familiarisation aux outils dâanalyse statistique, historique, etc.
Progressiste : la formation initiale devra déconstruire les clichés obscurantistes et construire les notions dâéducabilité de tous, de lâintérêt de la mixité sociale, de lâapprentissage par les pairs, de lâinterculturalité, etc. »
Pratiques pédagogiques : retrouver un équilibre
On nage en plein dogmatisme de lâapproche par compétences, et en plein relativisme du « feu dâartifice » permanent de lâanimation (où toutes les méthodes se vaudraient, tant que les jeunes « accrochent »). Tout ça au détriment dâune véritable relation pédagogique, visant à atteindre des objectifs cognitifs.
Nous prônons depuis des années un équilibre dans les pratiques. Les futurs enseignants doivent être préparés à une large autonomie en la matière. Ãa suppose une vaste connaissance des pédagogies et méthodologies, une réhabilitation des sciences de lâéducation, une option pour les pédagogies qui construisent du sens⦠Pour les apprentis enseignants, des allers-retours entre terrain et recul réflexif, des formules collectives dâaccompagnement dans les établissements. Pour les formateurs dâenseignants, il sâagira de sortir de leur tour dâivoire, par le biais de collaborations beaucoup plus étroites entre eux, les stagiaires et les enseignants de terrain (pourquoi pas en construisant et en expérimentant des séries de cours).
Des enseignants plus forts dans leurs matières
La formation est souvent trop légère dans les matières (disciplinaires). Une évidence pour les régents, mais pas que pour eux. En effet, à tous les niveaux, lâapproche par compétences « mange » une énergie et un temps fous, au détriment des contenus enseignés. Nous prônons une formation disciplinaire solide, via des cours structurés et structurants et via lâapprentissage de méthodes de recherche rigoureuses.
Notes
- Ambition et équité pour lâéducation, mémorandum de lâAped, 2020 : https://www.skolo.org/2020/02/18/memorandum-ambition-et-equite-pour-leducation/ â