Nos amis français du Groupe de Recherche sur la Démocratisation Scolaire (GRDS) nous informent de la parution prochaine (le 23 août 2024) du nouvel ouvrage de Jean-Pierre Terrail, intitulé La Crise de l’école et les moyens d’en sortir. Un ouvrage qui ne manquera pas d’alimenter nos réflexions sur la baisse du niveau scolaire et la persistance de fortes inégalités d’apprentissages.
Le livre pourra être commandé en librairie ou sur Librel.
Extrait de lâintroduction :
Insuffisance du financement budgétaire, démissions de profs, difficultés de recrutement, violences adolescentes, fuite vers lâenseignement privé, la question scolaire revient en force dans lâactualité. Inquiétude et amertume. Transformer lâenseignement professionnel, objectif proclamé essentiel du second quinquennat Macron, en le rapprochant des préoccupations des entreprises au point de réorganiser ses contenus autour dâune expérience dâapprentissage ; mesurer lâutilité des programmes scolaires aux besoins connus du marché du travail ; trier les élèves en « groupes de niveau », et condamner les plus faibles au redoublement ; renforcer la discipline à lâécole, tenter lâuniforme, taxer les familles dâélèves absentéistes ; réorganiser le lycée en modules et le bac autour dâun grand oral ; donner à toutes les formations supérieures, avec Parcoursup, le droit de sélectionner leur public⦠De quoi apaiser la situation, satisfaire élèves, parents et enseignants ?
Et surtout peut-être : de quoi stopper la régression des performances des élèves ? Ne serait-ce pas là en effet le véritable sujet qui devrait nous inquiéter ? à chaque publication dâune enquête sur la valeur scolaire de nos élèves, quâil sâagisse dâune enquête comparative type PISA signalant la médiocrité de notre classement international, ou de lâune des enquêtes périodiques de la DEPP avertissant dâun nouvel affaiblissement des performances de nos enfants, les médias sâémeuvent, les experts sâexpriment, les politiques sâengagent. Le temps passe, les problèmes restent.
Car problème il y a, crise même. Le temps nâest plus où les récriminations contre « la baisse du niveau » nâétaient que réactions dâhumeur de profs élitistes contraints dâaccueillir dans leur classe les publics nouveaux, à moindres capitaux familiaux, que la massification scolaire avait poussés jusque-là . Masquée par lâélargissement spectaculaire des rangs des diplômés, la baisse du niveau est désormais un fait paradoxal mais avéré, une tendance très nette et continue, à lâÅuvre depuis la fin des années 1980. Sâaccompagnant dâune sensible accentuation des inégalités sociales, elle nâépargne pas pour autant les rejetons des milieux cultivés eux-mêmes.
Face à cette évolution, et aux menaces quâelle fait peser sur lâavenir du pays, sur sa puissance économique et son rayonnement culturel, les propositions réformatrices se bousculent. Comment y voir clair ? Celles qui sont sur la table et alimentent les programmes politiques et telles ou telles mesures ministérielles relèvent de deux catégories. La première regroupe les préconisations caractérisées par lâindifférence à lâégard des inégalités scolaires, considérées comme absolument naturelles, et dont on ne peut que sâaccommoder au mieux. Ces préconisations sâordonnent elles-mêmes sur deux axes, le conservatisme et le libéralisme marchand, promus lâun et lâautre par la droite de lâéchiquier politique. Câest une autre posture à lâégard de lâinjustice sociale et des inégalités scolaires qui spécifie les propositions de la seconde catégorie : on les déplore et on compatit, en prônant des mesures susceptibles dâadoucir le sort des perdants. Cette démarche-ci a été plutôt portée par les organisations de la gauche dite réformiste ou « de gouvernement ».
Comment ne pas le relever ? Quel que soit leur horizon politique, ces préconisations scolaires, celles qui tiennent le devant de la scène, partagent une même conviction, le plus souvent implicite : les inégalités scolaires sont peut-être modulables, mais parfaitement inéluctables.
Or cette conviction commune, qui faisait il nây a pas si longtemps encore lâobjet dâun consensus unanime, est aujourdâhui problématique. Les inégalités scolaires ne peuvent plus en effet, en lâétat actuel de nos connaissances, être justifiées par lâinnéité des intelligences ou la diversité des « aptitudes ». Quant au poids, incontestable, des héritages socioculturels, encore faudrait-il sérieusement se demander si lâintervention scolaire est vraiment incapable de le contrebalancer.
Lâenjeu nâest pas mince. Lâéchec scolaire alimente la population dite des « bas niveaux de qualification » : celle qui subit de plein fouet les bas salaires et la précarité de lâemploi, et dont les résistances individuelles et collectives sont affaiblies par une formation écourtée. Lâéchec scolaire pose pour demain un problème encore plus aigu : celui dâun écart grandissant, propice à toutes les manipulations, entre les connaissances moyennes de la population et lâessor rapide comme jamais des sciences et des technologies qui envahissent notre vie quotidienne. Comment avoir prise sur ces dernières sans réduire cet écart ? Comment maintenir une vie démocratique digne de ce nom, organiser les mutations collectives quâexige le dérèglement climatique, imposer un principe dâhumanité face au chaos mondial des guerres et des migrations, sans une révolution culturelle dans laquelle lâécole est appelée à jouer un rôle essentiel ?
La généralisation de lâaccès aux savoirs élaborés, et donc la lutte contre les inégalités scolaires, font aujourdâhui partie des urgences sociales. Les forces politiques démocratiques ont à cet égard un rôle à jouer qui ne se réduit pas à porter dans le champ dâaction qui leur est propre les revendications syndicales enseignantes, parfaitement légitimes au demeurant. Il est temps pour elles de passer de la défensive à lâoffensive démocratique.