Pollet e Piette 2002
Pollet e Piette 2002
Pollet e Piette 2002
Revue de recherches
en éducation
Pollet Marie-Christine, Piette Valérie. Citations, reformulations du discours d’autrui : une clé pour enseigner l’écriture de
recherche ?. In: Spirale. Revue de recherches en éducation, n°29, 2002. Lire-écrire dans le supérieur. pp. 165-179;
doi : https://doi.org/10.3406/spira.2002.1443
https://www.persee.fr/doc/spira_0994-3722_2002_num_29_1_1443
Résumé
De nombreux étudiants gèrent difficilement l''intégration du discours d''autrui dans la construction
de leur objet de recherche ; ils maîtrisent mal, autrement dit, la polyphonie caractéristique de ce
type d''écriture. On examinera ici des travaux d''étudiants en se posant les questions suivantes :
quel rapport peut-on voir entre la production finale et la récolte d''informations lors d''étapes
intermédiaires ? Quelles informations les étudiants privilégient-ils ? Comment s''en servent-ils pour
questionner le thème de leur recherche ? Comment s''opère la mise en oeuvre énonciative des
données retenues ? De la citation classique à la reformulation des dires d''autrui, on constate
certains problèmes inhérents aux compétences scripturales supposées par ces pratiques mais
non maîtrisées par les étudiants : excès de citations, reproduction ou reformulation de dires
d''autrui sans références, généralisations excessives, gommage de modalisations présentes dans
le discours cité. On observe en outre que les étudiants se positionnent difficilement face aux
propos des auteurs qu''ils citent, révélant ainsi un rapport problématique au savoir et à «l''autorité
» . Les propositions didactiques voudraient montrer qu''un travail sur les caractéristiques
énonciatives de cette pratique scripturale peuvent aussi être une clé pour ouvrir les étudiants à la
démarche et à la culture de la recherche dans une discipline.
Marie-Christine POLLET
Valérie PIETTE
« Certaines citations venaient bien à leur place, étayer une démonstration, d’autres
jouaient le recours aux Autorités, citations derrière lesquelles on s’abritait pour avancer quel-
que chose d’un peu hardi, à la manière des hommes politiques qui font passer en présupposé le
plus contestable de leurs arguments ; d’autres n’étaient que pure reconnaissance. Je cite untel
pour montrer de quel bord je suis, avec qui, contre qui. Bref il y avait là un jeu compliqué,
normé par l’institution dans les plis de laquelle je me drapais en toute sécurité. »1
« Par les “citations”, par les références, par les notes et par tout l’appareil de renvois
permanents à un langage premier (que Michelet nommait la “chronique”), il [le discours histo-
riographique] s’établit en savoir de l’autre . Il se construit selon une problématique de procès,
ou de citation, à la fois capable de “faire venir” un langage référentiel qui joue là comme ré-
alité, et de le juger au titre d’un savoir. La convocation du matériau obéit d’ailleurs à la juri-
diction qui, dans la mise en scène historiographique, se prononce sur lui. »2
1
ROBIN R. (1979) Le cheval blanc de Lénine ou l’histoire autre. Bruxelles : Editions Complexe, p.
51.
2
de CERTEAU M. (1975, rééd. 1993) L’écriture de l’histoire. Paris : Gallimard, p. 111.
CONSTATATIONS EMPIRIQUES
Les spécificités de l’écriture de recherche sont telles que son exercice ne va
pas de soi, et d’autant moins encore en première année. Les étudiants connaissent,
parce qu’on les leur dit, certains fondements liés au genre discursif (construire un
savoir nouveau à partir de savoirs déjà-là) et certaines règles d’écriture (par exem-
ple : ces savoirs antérieurs doivent exister dans le travail grâce à certaines modalités,
comme les citations, les références aux sources…). De nombreux étudiants consul-
tent d’ailleurs l’un ou l’autre manuel méthodologique3 et, dans le cas précis qui nous
intéresse, on sait qu’un syllabus4 consacré à la méthodologie du travail en histoire
circule parmi eux.
Cependant, la plupart du temps, ces caractéristiques ne sont pas justifiées et
encore moins enseignées, du moins de manière active et participative5. Les étudiants
se trouvent donc dans une situation difficile : ils savent ce qu’ils doivent faire mais
ne savent ni pourquoi ni comment. Ils n’ont dès lors pas d’autre solution que de
tenter de se conformer à certains stéréotypes, au premier rang desquels — il suffit
d’interroger les étudiants pour s’en rendre compte — on trouve la présence néces-
saire des citations.
Cette représentation est confortée par les incessants (r)appels à l’ordre qu’ils
reçoivent à propos de « l’honnêteté scientifique ». Nombreux sont en effet les étu-
diants qui avouent leur crainte d’être accusés de plagiat et préfèrent dès lors aligner
citations et notes, partant du principe que « trop vaut mieux que trop peu » et
qu’ainsi, « on ne peut rien [leur] reprocher »6.
Les étudiants citent donc, souvent, trop souvent même…, certains travaux
ressemblant à de véritables mosaïques. De plus, les discours cités sont parfois mal
compris, mal reformulés, ce qui peut provoquer des contradictions ou de grosses
3
Pour une analyse de manuels méthodologiques, voir : BOCH F. et GROSSMANN F., « De l’usage
des citations dans le discours théorique: des constats aux propositions didactiques » — Lidil, 24, à pa-
raître, décembre 2001.
4
Appellation belge du « polycopié ».
5
Manque de temps, manque de moyens, refus de s’abaisser à cela… : les raisons, légitimes et moins
légitimes, sont nombreuses. On évoque ici l’épineux problème de la pédagogie universitaire et certains,
peut-être, verront là un tout autre débat. Il va de soi, cependant, que la réflexion sur la lecture/écriture
dans l’enseignement supérieur ne peut porter ses fruits que moyennant une politique d’encadrement digne
de ce nom et un engagement de tous les acteurs.
6
Témoignages d’étudiants.
166
CITATIONS, REFORMULATIONS DU DISCOURS D’AUTRUI
erreurs de fond. Il peut aussi arriver que les passages cités ou reformulés soient hors
de propos voire inutiles. Il y a fort à parier, dans ce cas, que l’étudiant n’a pas
adapté sa sélection d’informations à la thématique précise de son travail, se conten-
tant de procéder à une lecture linéaire de ses sources, puis que, face à ce qu’il res-
sent comme une obligation, il cite à tort et à travers, pour montrer qu’il a lu.
Par ailleurs, en guise de contre-pied à ce qui précède, il faut évoquer un autre
extrême constaté dans certains travaux : la reproduction des dires d’autrui sans mar-
quage de cette reproduction et/ou sans référence. Un étudiant particulièrement rom-
pu à cette pratique nous a avoué qu’il partait du principe qu’« écrire, c’est piller » et
que « d’ailleurs, tout le monde fait ça ». Ce cas est bien sûr exceptionnel : la plupart
des autres étudiants n’ont pas conscience de la situation et disent qu’ils sont
« tellement d’accord avec ce que dit l’auteur » qu’ils l’ont complètement intégré
« sans s’en rendre compte ».
PROBLEMATIQUE
Ces quelques constatations sur le tas nous confortent dans une évidence : si
l’on veut que les étudiants construisent leur propre objet de savoir en se servant du
discours d’autrui ou de « données de terrain »7, il s’avère nécessaire de réfléchir à
l’enseignement de l’écriture de recherche et tout d’abord d’observer ce qui pose
problème aux étudiants.
Partant du principe que ce type de production se caractérise par la polyphonie
énonciative, ce sont les modes d’inscription des discours cités dans le discours citant
que l’on tentera de cerner ici, en examinant ces quelques points qui serviront de
toile de fond à l’analyse des travaux :
• Quel rapport peut-on voir entre la production finale et la récolte
d’informations lors d’étapes que l’on pourrait qualifier d’intermédiaires ? Pour
tenter de répondre à cette question, on confrontera certains travaux d’étudiants à
leurs témoignages concernant leurs démarches et à leurs fiches de lecture8, celles-ci
participant déjà, selon nous, de l’écriture de la recherche.
Cette question amène les deux suivantes :
• Quelles informations les étudiants privilégient-ils ? Comment s’en servent-
ils pour questionner le thème de leur travail ?
A ce sujet, l’expérience nous permet de distinguer deux cas.
D’une part, certains étudiants ne retiennent que ce qui colle à un schéma pré-
établi une fois pour toutes, en se contentant de placer des citations ça et là (le choix
du verbe « placer » n’est pas innocent…). Il s’agit dans ce cas de travaux où la
7
Pour reprendre l’expression de Michèle Guigue : « Lecture et données de terrain. Deux modes
d’accès au savoir difficiles à tisser dans la rédaction d’écrits longs » — Lidil, 17, 1998, p. 81-95.
8
Par « fiche de lecture », nous désignons les traces écrites de lecture et dépouillement des documents
consultés par l’étudiant (ouvrages théoriques, archives…) pour mener à bien son travail de recherche
167
M.-C. POLLET & V. PIETTE
Une ébauche d’analyse dans un article précédent10 avait montré que, loin
d’interagir entre elles et loin de s’articuler à un questionnement de départ — comme
cela serait souhaitable pour construire une problématique11 —, les citations et
références aux sources tombent souvent à plat dans le discours de l’étudiant, qui
donne ainsi l’impression de citer par devoir.
Cet article-ci sera l’occasion de confirmer les faits constatés à l’époque et
d’affiner l’analyse par l’introduction d’éléments nouveaux : l’examen de fiches de
lecture et l’évocation de réflexions d’étudiants obtenues lors d’entretiens ou de
séances d’évaluation. Ce sont ces objets supplémentaires d’observation qui nous ont
conduites à examiner des productions de l’année 1999-2000, vingt et une pour être
précis.
Il s’agit de travaux d’étudiants de première année en Histoire Contempo-
raine, consacrés à la natalité et l’eugénisme en Belgique dans l’entre-deux guerres.
Même si l’expression n’a pas été utilisée telle quelle dans la consigne donnée aux
étudiants, c’est bien à une écriture de recherche qu’il leur a été demandé de se livrer.
En effet, ils savaient qu’ils devaient se baser sur les nombreux documents concer-
nant les différents aspects généraux du thème mais ils savaient aussi que celui-ci
n’avait jamais été traité précisément dans aucun ouvrage. L’enjeu était donc pour
9
Selon le terme employé par Antoine COMPAGNON (1979) La seconde main ou le travail de cita-
tion. Paris : Seuil, p. 31.
10
POLLET M.-C., « Les étudiants et l’écriture de recherche : quelles compétences ? quelles repr-
ésentations ? quel enseignement ? » — Didactique des langues romanes. Le développement des comp-
étences chez l’apprenant, Bruxelles, De Boeck Duculot, 2000, pp. 393-398. Cet article proposait quel-
ques éléments d’analyse de travaux d’étudiants de première candidature en Histoire (1998-1999), écrits
dans le cadre des Exercices d’Histoire Contemporaine et consacrés à l’état du petit commerce à Bruxelles
à la fin du 19è siècle.
11
Selon la définition de Michèle Guigue, « il y a problématique à partir du moment où des concepts
issus de travaux théoriques fondamentaux sont coordonnés au questionnement et interagissent avec les
matériaux recueillis » (Guigue M., op. cit. , p. 86).
168
CITATIONS, REFORMULATIONS DU DISCOURS D’AUTRUI
1. L’obsession citationnelle
On évoque ici les travaux truffés de citations : les dires d’autrui y sont repro-
duits en toutes lettres, sans reformulation et, le plus souvent, occultent complète-
ment le scripteur. N’importe quel enseignant pourrait d’ailleurs reconnaître son
propre commentaire derrière une remarque comme celle-ci, très fréquente dans les
corrections de travaux : « vous n’écrivez pas, vous citez ».
Beaucoup d’étudiants citent en effet pour des informations banales, pour les-
quelles une citation ne se justifie pas vraiment. A cet égard, l’exemple qui suit est
des plus significatifs13 : l’étudiant transcrit sous forme de citations, avec guillemets
et appels de notes, des… définitions ! Celles-ci, précisons-le, ne proposent rien
d’original au regard des définitions courantes, et on peut raisonnablement supposer,
de plus, que le destinataire du travail, historien, les connaît :
L’étude de cette loi se base sur des documents officiels tels la Pasinomie, connue
également sous l’appellation de « collection complète des lois, décrets, arrêtés et règlements
12
On reprend ici certaines formules d’Yves Reuter qui tente ainsi de distinguer l’écriture de recher-
che d’autres pratiques scripturales: REUTER Y. (1998) « De quelques obstacles à l’écriture de recher-
che » — Lidil 17, pp. 12-13.
13
Nous reproduisons chaque fois les extraits de travaux d’étudiants avec leurs appels de notes. Quant
aux notes correspondantes, soit elles présentent un intérêt pour notre propos et dans ce cas elles apparais-
sent directement après l’extrait, soit, dans le cas contraire, nous ne les reproduisons pas.
169
M.-C. POLLET & V. PIETTE
qui peuvent être invoqués en Belgique » 6. Mais aussi sur les Annales parlementaires des deux
chambres, « compte-rendu intégral des séances »7. Ces dernières sont complétées par les
Documents parlementaires, « complément indispensable à la lecture des Annales parlementai-
res, on y trouve tous les documents nécessaires au travail parlementaire »8.
-------------------------------------
6
Jaumain S., Encyclopédie de l’histoire : période contemporaine, syllabus de 1re et 2e candidatures
en histoire, Bruxelles, 1998, p. 51
7
ibidem, p. 50
8
idem
En outre, comme on l’a dit plus haut, certains travaux ressemblent à de véri-
tables patchworks, réduisant à néant le rôle du scripteur en tant que constructeur de
sens. Le plus souvent, les étudiants qui truffent ainsi leur travail de citations n’ont
d’autre but que de cautionner leurs dires, ce que confirme souvent le mode
d’inscription de la citation (ici, les verbes introducteurs), qui ne fait qu’adhérer au
discours de l’étudiant :
- En 1921 a lieu le deuxième Congrès International pour la Protection de l’Enfance
qui complète les travaux du Congrès de 1913. Les activités de ce congrès s’orientent alors sur
des sujets juridiques et médicaux. Nous en voulons pour preuve cette réflexion de Collard de
Sloovere : « le Congrès International pour la Protection de l’Enfance est caractérisé par la
rencontre du juriste et du médecin au chevet de l’enfant » 3. Les rapports juridiques portent
sur la loi de 1912, les rapports médicaux, quant à eux, traitent des questions d’hygiène.
- Henri Velge déclare : « un effort gigantesque fut réalisé pour sauver l’enfance
belge. » 10 Il faut donc impérativement maintenir ce mouvement. La protection de l’enfance
est l’avenir de la population. La famille est aussi mise en avant, toujours dans le rapport
mère-enfant. Le père n’est jamais mis en cause. Il est nécessaire d’instruire la mère pour
protéger l’enfant. Cela s’applique également au personnel médical et paramédical, considéré
parfois comme insuffisamment formé. Ainsi, Paul Héger affirme : « la mortalité est causée
d’une façon à peu près absolue par l’ignorance de ceux qui ont pour charge d’élever des
enfants, qu’il s’agisse de mères de familles ou de ceux qui les soignent occasionnellement,
comme des sages-femmes ou des médecins. »11 Le thème des enfants « anormaux » est aussi
un thème récurrent, souvent au centre des débats.
De plus, ces incessantes greffes provoquent parfois un hiatus discursif diffi-
cile voire impossible à combler, même par le lecteur le plus coopérant. Dans
l’exemple qui suit, la deuxième citation est longue et n’est aucunement détachée du
discours citant ; de plus, le rapport entre les citations et leur contexte ne relève pas
de l’évidence : il mériterait, à tout le moins, d’être explicité :
« Le flux et le reflux de la vie (= le mouvement par lequel une génération succède à
l’autre) ne résulte pas seulement de forces et de lois biologiques, mais de l’organisation de la
société. » 7 En effet, pour le vote familial en Belgique, le père de famille jouissait d’une voix
supplémentaire, mais un fils unique suffisait pour donner cette voix. Même une famille très
nombreuse ne pouvait pas jouir d’une seconde voix. « Il n’y a qu’un moyen pour les démo-
craties, de s’assurer la mise en œuvre d’une politique de natalité : c’est d’adopter le suffrage
universel intégral, souvent appelé vote familial, qui consiste à attribuer un bulletin de vote à
chacun des membres de la nation, quel que soit son âge, les bulletins des enfants mineurs
étant confiés à leurs parents. Ainsi, les familles ont, auprès des assemblées élues et des pou-
170
CITATIONS, REFORMULATIONS DU DISCOURS D’AUTRUI
8
voirs publics, une influence proportionnée au nombre de leurs membres. » Ainsi, chacun
serait représenté dans la société.
Ces successions de citations peuvent certes, comme on l’a déjà dit, refléter
un certain fantasme de la scientificité, mais ils peuvent aussi révéler, chez l’étudiant,
la crainte de s’affirmer en tant que chercheur. Ainsi, ce serait l’image de soi du
scripteur, souvent très basse comme le souligne Yves Reuter14, qui semble poser
problème :
- « les autres le disent tellement mieux que moi »
- « je ne vais quand même pas réinventer la lune : X a déjà tout dit sur la
question »15.
Pour tous ces cas, il faut préciser que l’on constate souvent une propension à
reproduire les dires de professeurs ou de chercheurs de leur faculté… Certains étu-
diants vont parfois jusqu’à reproduire des paroles prononcées au cours ou des ex-
traits de syllabus écrit par un enseignant. C’est le cas d’un des travaux évoqués plus
haut, concernant les citations de définitions : celles-ci proviennent du cours
d’Encyclopédie…
Au-delà de l’anecdote, que faut-il penser de l’attitude qui consiste à repro-
duire systématiquement le discours de l’Autorité ? S’agit-il d’un réflexe de pru-
dence ? Ou bien faut-il y voir la difficulté à croire en sa légitimité dès lors que l’on
accomplit un travail dans le cadre d’une évaluation somme toute très scolaire16 ? Il
ne faut pas perdre de vue, en effet, que les étudiants sont confrontés à une situation
très inconfortable : d’un côté, par le type de travail demandé, ils doivent se com-
porter comme des chercheurs et à ce titre développent par certains aspects (discus-
sions en séminaire, notamment) une relation plutôt égalitaire avec leur enseignant ;
par ailleurs, par le type d’évaluation pratiquée (il y a des points à la clé…), ils ne
sont que des étudiants, de première année de surcroît, et se trouvent dans la relation
pédagogique classique.
Lorsque nous avons pu avoir accès aux fiches de lecture ou lorsque nous
avons eu l’occasion de nous entretenir avec les étudiants, nous avons constaté que,
dans la plupart des cas de citations excessives, les fiches sont conçues uniquement
comme des recueils d’extraits : ces étudiants n’osent manifestement pas formuler
autrement ce qu’ils lisent, ils n’arrivent pas à choisir entre « ce qu’on doit absolu-
ment reprendre tel quel » et « ce qu’on peut dire avec ses mots à soi » (pour repren-
dre certaines de leurs expressions).
En tous les cas, de nombreux étudiants qui citent de cette manière ne mesu-
rent pas le rôle que peut jouer la citation dans la fonction heuristique inhérente à
l’écriture de recherche. Dans cette optique, la « relation dialogique entre différents
systèmes discursifs (l’auteur du travail, les données de terrain, les théoriciens) »17
n’est manifestement pas établie et, en paraphrasant de Certeau, on pourrait dire que
14
Reuter Y., op. cit., p. 16.
15
Réflexions parmi d’autres, glanées au cours d’entretiens avec les étudiants.
16
Reuter Y., op. cit. , p. 17.
17
Guigue M., op. cit., p. 82.
171
M.-C. POLLET & V. PIETTE
l’étudiant rate ainsi l’occasion d’être le lien entre un savoir connu et un savoir nou-
veau18.
Ces constatations peuvent nous amener à quelques propositions de travail :
- la première étape, très pragmatique, consiste à travailler sur le concept
même de fiche de lecture (sa fonction, sa pratique) : en quoi une fiche de lecture est-
elle différente d’un résumé ? En quoi le projet de lecture d’un ouvrage — c’est-à-
dire le projet de recherche dans lequel s’inscrit la consultation de l’ouvrage —
détermine-t-il la sélection des informations et la forme sous laquelle celles-ci seront
transcrites (citation ou reformulation ?). Ces questions imposent évidemment
d’avoir une idée précise du thème du travail, mais sans que cette précision nuise à
l’ouverture des pistes de recherche en fonction des informations obtenues lors des
lectures et des dépouillements.
Ce travail préliminaire, tourné essentiellement vers ce que l’on pourrait ap-
peler la méthodologie de la recherche, doit être nécessairement réalisé avec la colla-
boration d’un spécialiste de la discipline ;
- dans une certaine tradition d’ateliers d’écriture, les étudiants seront invités à
insérer dans un texte un ensemble de citations qu’on leur aura fournies et à expli-
quer leurs choix quant aux lieux et modalités d’inscription. A l’inverse, on peut
aussi leur demander de supprimer toutes les citations présentes dans un texte. Ils
exprimeront alors ce que l’on perd par cette suppression (une preuve, une référence
à une autorité, un élément de contenu essentiel qui fait partie intégrante du discours
citant,…). Ces activités sont une manière de faire réfléchir les étudiants aux fonc-
tions et modalités de la citation et, éventuellement, à en établir une typologie ;
- pour faire prendre conscience du travail de construction des discours de re-
cherche, il peut être intéressant d’amener les étudiants à les déconstruire, ou du
moins à en repérer les rouages :
. en identifiant les trois systèmes discursifs (chercheur-scripteur, théoriciens,
données de terrain), d’une manière ou d’une autre : soulignements de couleurs diff-
érentes, retranscription sous forme de tableau à trois colonnes,… ;
. en les restituant sous forme de dialogue (dialogue à trois, dans ce cas), à
l’oral ou à l’écrit.
- on peut aussi faire repérer comment - linguistiquement, textuellement et
matériellement - le scripteur passe d’un système à un autre ; autrement dit : faire
repérer les traces de l’énonciation, par des activités sur les embrayeurs, les moda-
lités, la thématisation, les pratiques des discours rapporté…
Dans une optique comparative, ces différents exercices peuvent avoir comme
supports des travaux d’étudiants, mais aussi des articles écrits par des auteurs re-
connus dans le champ.
18
de Certeau M., op. cit., pp. 111-113.
172
CITATIONS, REFORMULATIONS DU DISCOURS D’AUTRUI
19
NONNON, E. (1995) « Les interactions lecture-écriture dans l’expérience d’une écriture profes-
sionnelle : le mémoire des professeurs débutants » — Pratiques, 86, p. 108.
20
FRIER C., GROSSMANN F. & SIMON J.-P. (1994) « Lecture et construction du sens :
l’évaluation de la compréhension de textes spécialisés en première année de DEUG » — Lidil 10, p. 154.
173
M.-C. POLLET & V. PIETTE
leur retranscription (sur fiche, puis à l’intérieur même du texte à écrire) : les étu-
diants doivent avoir conscience qu’ils construisent sur du déjà-là, même s’ils l’ont
parfaitement intégré, et doivent être capables de montrer ces emprunts lorsqu’ils
écrivent.
Ils doivent de plus être capables de percevoir, dans les documents consultés,
qui parle, comment on parle et pourquoi… Une manière d’y parvenir consiste à
travailler en deux temps sur un discours de recherche qui aura été soigneusement
choisi par l’enseignant (ni trop long, ni trop complexe et surtout bien construit).
Tout d’abord, pour bien faire intégrer la démarche de construction de l’écriture de
recherche, on procèdera comme on l’a expliqué plus haut. Ensuite, à partir des cita-
tions et reformulations ainsi repérées, on amènera les étudiants à les recontextuali-
ser, à les expliquer, à évaluer leur pertinence, à les mettre en correspondance, en
opposition, à les reformuler, à les choisir…, progressivement, pour les amener à
l’écriture d’un texte sur le même sujet. On leur donnera comme consignes d’intégrer
un certain nombre de citations et de reformulations, de référencer celles-ci systéma-
tiquement (mais de différentes manières) et de veiller à ce qu’elles s’intègrent par-
faitement au fil du texte en ce qui concerne le sens mais aussi en ce qui concerne la
forme. Du point de vue du fond, il s’agira d’une paraphrase du texte-source, mais en
ce qui concerne l’énonciation, la production de l’étudiant sera le résultat de choix et
d’un travail d’écriture personnels. On demandera ensuite aux étudiants, par groupes
de deux, d’échanger leurs copies et de procéder, sur celle qu’ils auront, au travail de
déconstruction déjà évoqué.
174
CITATIONS, REFORMULATIONS DU DISCOURS D’AUTRUI
21
COLTIER D. (1992) « Quelques propositions pour l’apprentissage de la citation » — Pratiques
75, p. 46: « le locuteur signale alors l’existence d’un discours dont il restitue essentiellement l’acte de
parole que, selon son point de vue, le contenu manifeste ».
175
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176
CITATIONS, REFORMULATIONS DU DISCOURS D’AUTRUI
CONCLUSION
La confrontation des travaux aux fiches de lecture et aux témoignages des
étudiants sur leurs démarches montre que les problèmes constatés dans le produit
177
M.-C. POLLET & V. PIETTE
Marie-Christine POLLET
Valérie PIETTE
Université Libre de Bruxelles
178
CITATIONS, REFORMULATIONS DU DISCOURS D’AUTRUI
eventually retained given in their own writing ? Along a continuum ranging from straight
quotation to reformulation of other people's writings, one may observe how the students'in-
sufficient mastery of the skills required by this type of discourse may trigger characteristic
errors : excessive quotation, unacknowledged reproduction or paraphrase, hasty generaliza-
tion, and failure to reproduce the modalities present in the originals quoted. Moreover, it can
be observed that students have difficulty defining their own position with regard to the au-
thors they quote; this, in turn, may reflect a problematic relashionship with « authority » and
knowledge in general. The didactic proposals based on these observations seek to highlight
how developing awareness of the characteristic discourse features of this kind of writing may,
by the same token, offer insight into the procedures and the philosophy of research in the
students' respective disciplines.
Key words : Research Writing — Polyphony — Quotation — Paraphrase — Rela-
shionship with knowledge.
Bibliographie
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