COVID-19 : comprendre une épidémie
L’épidémie COVID-19 apparue en Chine au début 2020, qui touche, depuis mars, tous les continents, nous donne la fièvre des chiffres. Chaque jour, nous surveillons le nombre de décès, de personnes en réanimation, rétablies… Les gouvernements sont placés devant des choix difficiles pour mieux assurer la santé de tous, en essayant de limiter les effets, déjà importants, sur les autres plans de la société. Chacun est impacté dans son quotidien. Mieux comprendre ce qu’est une épidémie, comment elle progresse ou s’éteint nous aide à mieux analyser la situation actuelle. Explications avec Gwenaël Vourc’h, Xavier Bailly et Karine Chalvet-Monfray unité Epidémiologie des Maladies Animales et Zoonotiques (INRAE-VetAgro Sup)
Qu’est-ce qu’une épidémie ?
Une épidémie est une maladie d’origine infectieuse qui atteint beaucoup de personnes dans une région donnée et pendant une période donnée. Lorsqu’elle se développe sur plusieurs continents, on parle même de pandémie.
Une épidémie est d’origine infectieuse, c’est-à-dire causée par un microorganisme pathogène : pour COVID-19, il s’agit du virus SARS-CoV-2. D’autres maladies infectieuses, comme le choléra, peuvent avoir pour origine des bactéries, d’autres encore des champignons ou parasites.
Ce virus, SARS-CoV-2, inconnu jusqu’alors, provient vraisemblablement de virus présents chez les animaux. Il a acquis la capacité d’infecter l’homme : on parle de zoonose. Toutes les zoonoses ne provoquent pas des épidémies chez l’homme : par exemple la rage est transmise à l’homme par suite de la morsure d’un animal (chien, loup…) mais la transmission entre humains n’est pas possible, ce qui en limite fortement la propagation. Au contraire, SARS-CoV-2 a en plus acquis la capacité de se transmettre d’homme à homme, ce qui est à l’origine de l’épidémie actuelle.
D’autres maladies virales comme Ebola et le SIDA sont apparues de la même façon. Elles proviennent d’un virus qui infecterait les chauve-souris pour Ebola, ou des singes pour le virus VIH à l’origine du SIDA. Il en est de même pour la pandémie de grippe A survenue en 2009 pour laquelle des virus influenza infectant l’homme trouvent leurs origines chez des virus influenza provenant des oiseaux et des porcs.
Les zoonoses sont des maladies d'origine animale qui infectent l'Homme, toutes ne sont pas des épidémies
La fréquence des contacts entre homme et animal est un des facteurs clés qui favorise les possibilités de transmission de virus de l’animal à l’homme. Historiquement la domestication a favorisé le passage de microorganismes pathogènes de l’animal à l’homme. Ces agents pathogènes se sont ensuite adaptés à la transmission entre humains provoquant des épidémies avec lesquelles notre espèce a évolué, telles que la rougeole (bovins). Les perturbations de l’environnement sont une des raisons majeures qui peuvent accentuer ces contacts : par exemple, les cas initiaux de contamination par le virus Ebola sont liés à la fragmentation de la forêt qui rapprochent les hommes de foyers de contamination animale.
Ensuite, la diffusion des maladies dans les populations humaines dépend des capacités de transmission des agents pathogènes d’homme à homme. Les virus peuvent acquérir ces capacités de différentes manières. Parfois, en infectant un même organisme, différents virus de la même famille peuvent se rencontrer et former de nouveaux variants hybrides qui peuvent être très contagieux pour l’homme (comme le virus de la grippe A en 2009) et parfois aussi très pathogènes (comme le virus de la grippe espagnole en 1918).
Comment démarre une épidémie ?
Une épidémie peut démarrer lorsque les conditions font que chaque personne infectée contamine en moyenne plus d’une personne. La contamination peut se faire par contagion inter-humaine directe, comme dans le cas du virus responsable du COVID-19, ou encore du HIV ou du virus Ebola. Pour d’autres maladies, un vecteur, comme le moustique du virus du chikungunya est nécessaire. Les moustiques et les tiques sont ainsi vecteurs de différentes maladies à l’origine d’épidémies, car ils sont capables de véhiculer un pathogène d’un « réservoir animal » à l’homme, ou d’un humain à un autre.
On peut comparer le risque épidémique des agents infectieux par leur niveau de contagiosité, autrement dit le nombre de personnes que contamine en moyenne une seule personne infectée. La contagiosité de COVID-19 était estimée entre 3 et 4 en Europe lorsque chaque personne infectée n’est entourée que d’individus sensibles et en l’absence de confinement. Ce chiffre (appelé le R0 ou taux de reproduction de base) permet d’apprécier l’accélération de la propagation de l’épidémie : statistiquement, avec un R0= 3, on passe de 1 personne atteinte à 4 (1 déjà atteinte + 1x3 nouvelles = 4 au total), puis 13 (=4+3x3), 40 (= 13+9x3), 121, 364, 1 093, 3 280… Les chiffres grimpent très vite, la progression du nombre de personnes ayant été infectées à mesure du temps peut être représentée par une courbe qui démarre lentement et monte très fortement ! Il s'agit d'une courbe exponentielle. Au bout d’un certain temps, des personnes guérissent (ou pour une certaine proportion décèdent) et ne peuvent plus transmettre le virus, ni le contracter à nouveau car elles ont développé une immunité qui les protège. La courbe s’essouffle alors et le nombre de nouveaux cas infectés diminue fortement, c’est l’effet d’immunité de groupe.
Un individu ne peut plus être contaminé lorsqu’il est immunisé : son organisme a appris à se défendre contre le virus et a développé des anticorps. Dans le cas de COVID-19, on n’a pas encore de données sur la durée pendant laquelle une personne est immunisée après avoir contracté la maladie : l’immunité peut pour certaines maladies durer toute une vie ou, pour d’autres infections, au contraire disparaître au bout de quelque temps sans contact avec l'agent pathogène. Les vaccins nous permettent de développer une immunité avant d’avoir été confrontés au pathogène (et donc malades), ils nous protègent ainsi contre la maladie. Pour des virus qui évoluent très rapidement comme la grippe, de nouveaux vaccins doivent être mis au point à chaque saison. Dans le cas du virus responsable du COVID-19, plusieurs équipes de recherche travaillent à la mise au point de vaccins mais aucun n’est encore disponible, de tels travaux demandant plusieurs mois.
La létalité (nombre de personnes atteintes de la maladie qui décèdent) dans la population résulte de 3 facteurs :
- la capacité du virus (ou de l’agent pathogène) à causer une maladie plus ou moins sévère,
- la fragilité des populations souvent déterminée par la proportion de personnes rendues fragiles par l’âge ou par le cumul de plusieurs pathologies/sensibilités,
- le nombre total de malades graves rapporté aux capacités du système de santé.
Comment ralentir la progression d’une épidémie ?
Pour ralentir la progression d’une épidémie, on cherche à diminuer sa contagiosité. Par exemple, pour COVID-19, une étude a estimé que le confinement avait ramené la contagiosité de 3,3 avant les mesures à 0,5 après 4 semaines de confinement. Si nous refaisons le calcul précédent, avec 0,5 personnes contaminées au lieu de 3, au bout du même nombre de cycles de contamination (8 occurrences), on obtient 2 personnes contaminées à partir d’une personne infectée au départ au lieu de 3 280 !
Le niveau de contagiosité initial dépend du pays : pour COVID-19, il est estimé à 3 pour l’Europe et les Etats-unis mais peut varier dans d’autres contextes selon la nature des interactions sociales : plus il y a de contacts rapprochés entre les personnes (métros bondés, rassemblements, mains serrées, etc.) plus il est fort.
Paradoxalement, ce ne sont pas forcément les virus les plus létaux qui sont les plus contagieux. La propagation d’une épidémie dépend également de la capacité du virus à se transmettre avant l’apparition des symptômes (comme c’est le cas du VIH) ou via des personnes asymptomatiques. Lorsqu’un virus est très létal et que sa contagion est très liée à l’apparition des symptômes, il est plus difficile pour les virus de survivre car leur hôte n’a pas beaucoup de temps pour les transmettre. C’est ainsi que les virus du SARS de 2002-2003 et du MERS, bien qu’appartenant à la même famille que SARS-CoV-2, causaient beaucoup plus de décès par personne malade (autour de 11 % et 33 % respectivement) que COVID-19 (dont le taux de létalité est estimé entre 1 et 1,5 %). Ils ont de ce fait rapidement disparu pour SARS ou restent sporadique comme MERS. Au contraire, la faible létalité de COVID-19 , alliée à sa capacité à se transmettre avant l’apparition des symptômes, ont a permis sa longévité et son emprise géographique. Il génère désormais un nombre de décès beaucoup plus élevé que SARS ou MERS.
Ralentir la période durant laquelle les personnes restent contagieuses et malades
Un médicament antiviral efficace contre COVID-19 réduirait le nombre de décès et la période pendant laquelle les personnes restent malades et contagieuses, ce qui abaisserait aussi la contagiosité.
Empêcher les contacts permettant la transmission du virus d'une personne à l'autre
Dans le cas de COVID-19, en attendant de disposer de vaccin ou de traitements, la contagiosité a pu être diminuée par des gestes et des mesures « barrières », empêchant les contacts à l’origine de la transmission du virus d’une personne à l’autre : lavage des mains et des surfaces pour en éliminer le virus, port de masques, isolement des patients initiaux, arrêt des transports en commun, confinement, etc.
Différentes mesures ont été appliquées selon les pays : depuis le laisser-faire jusqu’au confinement. Ainsi, la Suède, les Pays-Bas et le Brésil, ont choisi de laisser circuler le virus, comptant sur le développement d’une immunité de groupe naturelle à mesure de la progression de la maladie dans la population. La plupart des pays, comme la Chine, l’Italie, la France, l’Espagne, le Royaume-Uni ont mis en place un confinement pour freiner la progression de l’épidémie et éviter de dépasser les capacités gérables par leur système de santé.
Comment maîtriser le développement d’une épidémie majeure qui touche désormais tous les continents ? COVID-19 met les sociétés et les gouvernements à l’épreuve. Quelle stratégie choisir pour protéger les populations, maîtriser l’expansion du virus, s’ajuster aux capacités des systèmes de santé, et limiter les impacts sur l’activité des sociétés ? Analyse de deux stratégies : l’atténuation et la suppression.
La modélisation se fonde sur les données et les connaissances actuelles et en tire des projections pour aider à prendre la décision la plus efficace – ou le compromis le plus efficace. Les tendances projetées sont à affiner selon l’évolution réelle de l’épidémie, l’ajustement des capacités de soin et de prévention, les mesures prises et la façon dont elles sont appliquées dans la réalité.
Dès fin mars, une équipe INRAE a pu calculer le taux de létalité lié au COVID-19 pour la première fois au monde dans un pays autre que la Chine. Ils ont obtenu un taux de 0,5% sur la base des données hospitalières françaises, et de 0,8% en intégrant les données issues des EHPAD. Leurs résultats sont confirmés fin avril par les calculs de l’Institut Pasteur et une étude menée à New York. Leur étude vient d’être publiée le 8 mai 2020 dans la revue MDPI Biology.
Référence : Henrik Salje, Cécile Tran Kiem, Noémie Lefrancq, Noémie Courtejoie, Paolo Bosetti, et al.. Estimatingthe burden of SARS-CoV-2 in France. 2020. pasteur-02548181
Suivi de l’épidémie
L’équipe INRAE (BioSP), qui avait estimé le taux de létalité de COVID-19 au début d’épidémie en France, a livré mi-mai de nouveaux résultats obtenus avec un nouveau modèle mécanistico-statistique prenant en compte l’évolution des individus sensibles, infectés, résistants ou décédés (SIRD). Le « R efficace », nombre moyen de personnes infectées par un malade, a été divisé par 7 pendant la phase de confinement en France (du 17 mars au 10 mai 2020). Ce taux approche 0,47 mi-mai contre 3,2 avant le confinement. Le nombre de cas non diagnostiqués est très important. Ainsi, si l’équipe INRAE estimait en début d’épidémie le nombre de cas confirmés 8 fois plus petit que le nombre réel de personnes ayant contracté le virus (y compris les non diagnostiquées), elle l’évalue début mai 20 fois inférieur au nombre de cas réel. Le nombre de cas réel correspond alors, à l'issue du confinement, à un nombre de personnes immunisées de près de 4 % de la population. Cette valeur reste néanmoins très loin des 60 à 70 % qui permettraient d’atteindre une immunité de groupe protégeant les personnes sensibles. Ces résultats révèlent également une baisse très lente du nombre de cas infectieux : 5 % par jour environ, d’où un nombre encore très important de personnes infectantes au 11 mai, date du début du déconfinement en France.
Si les mesures de distanciation toujours en place et les nouvelles habitudes intégrées par la population perdurent, le R efficace ne remontera jamais à sa valeur initiale proche de 3. De nouvelles simulations de l’équipe de recherche BioSP indiquent toutefois qu’un taux de 1,5 suffirait à déclencher une seconde vague d’ampleur au moins égale à la première. Il est donc essentiel de maintenir un taux de contact faible pour éviter ce scénario.
L’équipe de recherche BioSP, en collaboration avec le CAMS (EHESS) développe actuellement un modèle spatio-temporel de suivi en temps réel de l’épidémie dont l’objectif sera d’aider à une gestion dynamique au niveau local, en prenant en compte le taux d’immunité atteint localement, la prévalence locale de la maladie, la densité de population, et en permettant de tester les impacts respectifs des déplacements et des mesures barrières sur la dynamique épidémique.
Application webet Travaux de l'unité sur covid-19
Lionel Roques, Etienne K. Klein, Julien Papaïx, Antoine Sar and Samuel Soubeyrand. Impact of Lockdown on the Epidemic Dynamics of COVID-19 in France Front. Med., 05 June 2020 | https://doi.org/10.3389/fmed.2020.00274
Blog de l'équipe de recherche BioSP : https://informatique-mia.inra.fr/biosp/COVID-19
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Comment savoir si l’épidémie est enrayée ?
Atteindre une immunité de groupe, naturellement ou par vaccination
Une épidémie est définitivement enrayée lorsqu’il n’est plus possible pour l’agent pathogène d’infecter beaucoup de personnes. Pour cela, il faut avoir réussi soit à éliminer le virus, soit à atteindre une immunité de groupe, c’est-à-dire avec une proportion suffisante de la population protégée pour que les individus qui sont encore sensibles n’aient quasiment aucun risque de se trouver en contact avec des individus porteurs du virus.
Au niveau individuel, nous sommes immunisés après avoir contracté la maladie, au moins pendant un certain temps (encore inconnu pour COVID-19), ou après avoir été vaccinés lorsque des vaccins existent. Pour COVID-19, il est difficile d’estimer combien de temps dure l’immunité car nous n’avons pas de recul sur les capacités du virus à évoluer et à contourner l’immunité et pas d’information sur le niveau de réponse immunitaire (est-il à chaque fois suffisant pour s’opposer au virus ?).
Une épidémie peut donc repartir, et connaître une 2e vague, avec l’assouplissement des mesures barrière si l’immunité de groupe n’est pas suffisamment importante ou si le virus évolue de façon à contourner l’immunité acquise.
Comment, dans ces conditions, gérer une sortie du confinement ?
En Italie où le nombre de nouveaux cas infectés décroît désormais, on estime à 15 % de la population le nombre de personnes qui ont été infectées et sont donc à présent immunisées. En France, une étude publiée par l’Institut Pasteur fin avril estime que seuls 5,7 % de la population a été infecté et sont à présent immunisées. On est donc loin d’une immunité de groupe. On estime en effet qu’il faudrait qu’elle soit à 60 % (selon The Lancet, mars 2020) pour pouvoir envisager le « retour à la vie normale ».
Pour avoir une meilleure appréciation des personnes qui sont immunisées, il serait intéressant de mener des tests. Ce sont des tests sérologiques fondés sur la reconnaissance de la présence d’anticorps qui auraient vocation à être ici utilisés… Ils permettraient d’estimer l’immunité de groupe. Les personnes testées positives qui ne peuvent plus être infectantes ni infectées n’auraient plus à être confinées mais sur une population de 60 millions d’habitants, ces tests ne peuvent être conduits que par échantillonnage de la population. L’autre intérêt de ces tests serait d’évaluer de manière plus précise le pourcentage de cas asymptomatiques qui ont hébergé le virus et l’ont éliminé sans être malade. Ces connaissances amélioreraient les modèles prédictifs des épidémiologistes et permettraient d’anticiper de manière plus fiable et plus précise.
Quel intérêt de stratégies de déconfinement partiel ?
Lorsque le niveau d’immunité de groupe naturelle est trop faible et qu’il ne peut pas être acquis grâce à des vaccins (ces derniers n'ont été disponibles pour COVID-19 que fin 2020-début 2021), comment envisager une sortie du confinement ? C’est ici que des stratégies de déconfinement partielles ou progressives ont leur intérêt.
Dépister
Des tests de dépistage des personnes infectantes (tests PCR détectant la présence du virus), menés de manière systématique sur les personnes présentant des symptômes ou ayant été en contact avec elles, pourraient permettre une levée partielle du confinement. Limiter le confinement ou l’isolement aux seules personnes infectantes réduirait efficacement les risques de contagion, à condition que ces tests puissent être réalisés très tôt : dès le départ de symptômes, voire avant sur la base d’un dépistage.
Mieux cerner l'exposition de chacun
Dans ce contexte, mieux cerner l’exposition de chacun aurait une efficacité : une application qui - sans être intrusive dans l’exploitation de données personnelles - permettrait d’identifier, pour les individus volontaires, si leur route a croisé celle d’une personne infectée (elle-aussi volontaire pour utiliser l’application) permettrait de suivre de manière beaucoup plus précoce les individus qui ont été en contact avec des personnes contagieuses. Les modalités techniques et les implications sociétales de tels outils nécessitent des réflexions approfondies.
Les stratégies de déconfinement partiel doivent aussi prendre en compte les facteurs de risques individuels : il est important de préserver les malades atteints de pathologies chroniques ou immunodéprimés chez qui une atteinte de COVID-19 a beaucoup plus de risques d’être fatale. Et peut-être de leur proposer des traitements antiviraux en préventif lorsque ces derniers auront été validés, ce qui réduirait le nombre de cas graves.
Enfin, lorsque les tests réalisés donneront une meilleure connaissance du nombre de personnes infectées par classe d’âge ou par région, le confinement/déconfinement pourrait être gradué selon le risque évalué dans les différentes zones.
Tant que l’immunité de groupe n’est pas acquise, un suivi fin de l’épidémie reste nécessaire : il faut pouvoir ajuster et renforcer les mesures si la contagiosité venait à s’élever à nouveau, et ajuster les modèles à la réalité pour aider à prendre les décisions.
A quoi nous servent les courbes mises à notre disposition par les épidémiologistes ?
Représenter la progression des données et projeter leur évolution
Les courbes nous permettent de représenter la progression des données et de projeter leur évolution selon différentes hypothèses afin d’estimer les conséquences de telle ou telle décision. Par exemple, que se passerait-il si nous ne faisions rien et laissions la société vivre sa « vie normale » ? Combien de malades, de décès aurions-nous ? Quel effet aurait la fermeture des écoles ? le port généralisé de masques ? A quel moment risquerions-nous d’atteindre la saturation du système de santé ?
Ces calculs comportent toujours un degré d’incertitude : chaque résultat est situé dans une fourchette dont il faut tenir compte.
Ce sont des projections, leur validité est étroitement liée à la fiabilité et à la richesse des données de terrain sur lesquelles elles se fondent ainsi qu’à la pertinence du ou des modèles sur lesquelles elles s’appuient à rendre compte des mécanismes de base de la progression de l’épidémie (durée pendant laquelle une personne est contagieuse, contagiosité, létalité, etc.) et des facteurs extérieurs les plus influents (effet du confinement sur la contagiosité, etc.). Elles permettent de s’interroger sur la pertinence dont nous disposons pour réduire l’impact de l’épidémie.
La collaboration de tous est nécessaire
Dans le cas d’une maladie émergente sur laquelle la connaissance est en train de se construire, ces projections doivent s’affiner à mesure que les connaissances se renforcent. La collaboration des scientifiques mais aussi de toutes les parties-prenantes de l’épidémie : médecins, gestionnaires de santé, industries de la santé, pour mettre à disposition les données et les connaissances est ici essentielle. La gestion d’une épidémie implique également pour les décideurs de prendre en compte les aspects sanitaires y compris sur la couverture des autres besoins de prise en charge, mais aussi les conséquences socio-économiques générées par la fermeture des écoles, le confinement des travailleurs, la modification des chaînes d’approvisionnement, le recueil de données personnelles....
Explorer des scénarios
Entre confinement et déconfinement total, la modélisation permet à moindre coût d’explorer des scénarios intermédiaires avec différents leviers possibles (modalités du lever partiel du confinement, capacité à identifier les personnes infectantes, traitement réduisant le taux de mortalité ou le taux de passage en réanimation…) en attendant l’arrivée à plus long terme d’un vaccin efficace. Elle est essentielle pour anticiper les conséquences de ces différents scénarios sur la surcharge des services de réanimation. Un suivi de la situation par la surveillance syndromique*, les données hospitalières et les résultats des tests diagnostiques pourra enrichir notre connaissance épidémiologique, et permettre ainsi d’améliorer la qualité des modèles et in fine le rôle qu’ils jouent dans la gestion de l’épidémie.
La communication du gouvernement et de nombreux médias ont utilisé des courbes décrivant et quantifiant l’évolution du nombre de décès ou de malades hospitalisés pour expliquer la stratégie de confinement. Elles sont issues soit d’observations permettant de représenter la progression de l’épidémie, soit de simulations permettant d’anticiper l’évolution selon différentes hypothèses. Ces simulations ou prévisions, obtenues par des modèles, permettent d’apprécier les conséquences de telle ou telle décision.
* approche, dans laquelle les intervenants sont assistés par des procédures d’enregistrement automatiques des données, qui permettent la mise à disposition de données pour le suivi et l’analyse épidémiologique en temps réel ou proche du temps réel. Cela afin de détecter des événements habituels ou inhabituels plus tôt qu’il n’aurait été possible de le faire sur la base des méthodes traditionnelles de surveillance
Référence : Henrik Salje, Cécile Tran Kiem, Noémie Lefrancq, Noémie Courtejoie, Paolo Bosetti, et al.. Estimatingthe burden of SARS-CoV-2 in France. 2020. pasteur-02548181
Contacts
EDITORIAL
Rédaction de la page : Nicole Ladet, INRAE
Podcasts : Charlotte Mermier, INRAE
Infographies : Véronique Gavalda, INRAE
SCIENTIFIQUE
Gwenaël Vourc’h, Xavier Bailly et Karine Chalvet-Monfray
UMR EPIA Epidémiologie des Maladies Animales et Zoonotiques, unité mixte de recherche INRAE-VetAgro Sup
Centre INRAE : Clermont-ARA
Départements scientifiques INRAE : Santé animale, Numm