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LIVRES LUS

Florian Besson, Pauline Ducret, Guillaume Lancereau et Mathilde Larrère, Le Puy du faux : enquête sur un parc qui déforme l’histoire

Paris, Les Arènes, 2022, 192 p., 18 €.
Grégoire Le Quang
Référence(s) :

Florian Besson, Pauline Ducret, Guillaume Lancereau et Mathilde Larrère, Le Puy du faux : enquête sur un parc qui déforme l’histoire, Paris, Les Arènes, 2022, 192 p., 18 €.

Texte intégral

À quoi bon fact-checker le Puy du Fou, célébrissime parc à thème historique, fondé par le très droitier Philippe de Villiers dans sa Vendée natale, en 1989 – le spectacle dit « Cinéscénie » existe, lui, depuis la fin des années 1970 ? La messe semble dite depuis longtemps. Le « parc qui déforme l’histoire », selon l’heureux sous-titre du livre, a déjà fait l’objet de nombreuses critiques historiennes, que l’équipe du Puy du faux rappelle dans son introduction, dont la dernière en date, celle de Patrick Boucheron dans L’Obs de juillet 2023. Toutes dénoncent à l’unisson les biais idéologiques, les erreurs et les déformations qui imbibent les mises en scènes du Puy du Fou, à commencer par la reprise matricielle de la thématique du « génocide vendéen », en dépit d’un consensus historique désormais établi.

  • 1 Voir le compte rendu éclairant de Mathilde Larrère et François Da Rocha Carneiro dans l’Humanité du (...)

Face à ces critiques anciennes, les organisateurs répondent invariablement que le parc n’a « jamais prétendu faire un travail d’historien », qu’il ne vise que « l’émotion », le fondateur parlant d’un « rêve d’enfance », (sous-titre de son récit autobiographique publié en 2018). De fait, l’intérêt de l’ouvrage, issu d’une enquête de terrain menée en 2021, complété par la lecture des brochures pseudo-pédagogiques vendues au parc et des ouvrages de Philippe de Villiers, n’est pas d’épingler les nombreux poux dans la tête de notre chevalier blanc, défenseur des traditions chrétiennes et des racines de notre nation. Les quatre historien·nes, chacun·e ambassadeur de sa période, décortiquent les mécanismes idéologiques de ce grand spectacle : derrière le droit à la fiction et à la fantasy se niche bien un « combat culturel » propre à la droite traditionaliste qui, à coup d’émissions sur CNews ou d’ouverture de musées (la Cité de l’histoire, ouverte à la Défense en janvier 20231), fait de l’histoire un champ de bataille.

La connaissance du passé, nécessairement dépendante des traces, ces fameuses sources forcément partielles et partiales, fait les frais d’une entreprise qui transfère sur le passé les fantasmes du présent : un passé nécessairement réceptacle de traditions immémoriales, chrétiennes, sans lutte des classes ni injustices, sous la menace de l’étranger (le méchant païen de noir et de rouge vêtu), exaltant la commune rurale authentique, dans une vision très pétainiste (très beau chapitre 3 consacré à cette vision de l’histoire « immobile »). Le problème est que cette vision se donne bien comme une recréation de « l’Histoire » avec sa grande H, ressource refuge pour retrouver ses « racines » et éventuellement servir de carburant à la contre-offensive, de Villiers rejoignant Zemmour pour les présidentielles de 2022, la boucle étant alors bouclée.

Face à cette machine de guerre qui, visuellement, fonctionne admirablement, de l’aveu même de nos quatre auteurs, c’est une leçon d’histoire qui est proposée. D’abord en déconstruisant les mythes qui sous-tendent les figures imposées de ce « roman national », en remontant aux travaux fondateurs de Suzanne Citron : des Gaulois aux blondes moustaches aux Vikings aux imaginaires casques à cornes, du vase de Soissons à 1515... derrière la virtuosité de la mise en scène se cachent des lieux communs éculés qui n’ont rien à voir avec la réalité historique. Où est la leçon d’histoire ? D’abord dans l’effort pour retracer la généalogie de ces mythes, dont certains remontent aux manuels du 19e siècle, qui ont voulu, comme l’emblématique Lavisse, forger une culture nationale, qui se déclinent ensuite en images d’Épinal et en tableaux pompiers qui continuent de peupler nos imaginaires de Gaulois résistants face à une Rome cosmopolite, puis de Clovis ou Jeanne d’Arc, expression du même et unique génie national... mais également dans les méandres de notre culture populaire, d’Astérix le Gaulois à Ben Hur puis Gladiator ! Le génie du parc est bien de proposer une série de tableaux qui résonnent avec les idées préconçues et forment une « histoire rassurante », garante du succès public, mais qui n’apprend rigoureusement rien.

Tout repose finalement sur la variation autour des mêmes clichés, qui, souvent, vont à l’inverse de ce que la recherche historique met en évidence. Des pages consacrées aux variétés animales présentées comme « traditionnelles » et génétiquement « bien françaises », comme la poule gâtinaise, qui dérivent en réalité de la sélection des races animales au 19e siècle ; aux gladiateurs, qui étaient loin d’être de la chair à canon ; à l’imaginaire de la « semeuse », inconnue du Moyen Âge mais héritée d’un imaginaire issu du 19e siècle (comme allégorie de la nation), ce sont autant (parmi de nombreux autres exemples) de mises au point savoureuses, érudites, qui démontrent que les connaissances historiques ne débouchent pas seulement sur des controverses idéologiques, élitistes et stériles, comme le caricaturent volontiers les soutiens du Puy du Fou, mais peuvent donner naissance à des mises en récit alternatives autrement plus stimulantes intellectuellement, qui nous donnent à voir un passé curieux, différent de nos représentations actuelles, parfois dérangeant.

C’est le pari de l’Épilogue, qui conclut le livre par cinq propositions de tableaux alternatifs qui allient, avec humour et inventivité, le sérieux des références (historiographiques et documentaires) et le divertissement. Pour chaque période, la plume alerte des quatre auteurs pastiche si habilement le style spectaculaire du Puy du Fou qu’on aurait envie de lancer une souscription populaire pour concrétiser une telle folie (aux portefeuilles, citoyen·nes !). Plus largement, le livre tout entier est un plaidoyer pour une science historique vivante, pleinement engagée dans la diffusion des savoirs dont les auteurs, par ailleurs, sont des protagonistes remarquables (à travers l’étude de la bande dessinée, les blogs, les tweets) et se montrent engagés dans un travail fort pédagogique, mettant en lumière les points d’ancrage de notre discipline, reposant sur une lecture critique des sources, une confrontation avec l’historiographie, une certaine forme d’éthique qui interdit les omissions volontaires ou les falsifications. Voilà pourquoi le Puy du Fou et l’histoire critique, attentive aux différentes formes de la domination et, certes, engagée, ne sont en rien les deux faces d’une même médaille.

Tout au long de la démonstration, l’ouvrage est exemplaire de clarté, parsemé de points historiographiques si utiles (sur l’histoire du genre notamment) qu’on ne peut que le conseiller à tout étudiant·e en histoire. Dans cet esprit, seule chagrine l’absence de notes de bas de page : les meilleures traditions sont-elles en péril ?

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Notes

1 Voir le compte rendu éclairant de Mathilde Larrère et François Da Rocha Carneiro dans l’Humanité du 7 mars 2024, « ‘‘Mauvais et antipédagogique’’ : quand des historiens visitent la Cité de l’histoire de Franck Ferrand », en ligne : <https://www.humanite.fr/en-debat/extreme-droite/mauvais-et-antipedagogique-quand-des-historiens-visitent-la-cite-de-lhistoire-de-franck-ferrand>.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Grégoire Le Quang, « Florian Besson, Pauline Ducret, Guillaume Lancereau et Mathilde Larrère, Le Puy du faux : enquête sur un parc qui déforme l’histoire »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 161 | 2024, mis en ligne le 09 janvier 2025, consulté le 25 janvier 2025. URL : http://journals.openedition.org/chrhc/24837 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1322p

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Auteur

Grégoire Le Quang

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