Notre collègue, Sebastian Franco était interviewé par Caroline Alvarez sur les liens entre politique et écologie.

Comment définiriez-vous l’écologie bourgeoise ? L’écologie bourgeoise a-t-elle une visée sociale selon vous ? Avez-vous des exemples ?

Le terme « écologie bourgeoise » porte, selon moi, une certaine contradiction dépendant des définitions du terme « bourgeoisie ». Si je me réfère à la bourgeoisie capitaliste, celle-ci parle d’écologie en termes de croissance Croissance Augmentation du produit intérieur brut (PIB) et de la production.
(en anglais : growth)
verte et veut s’appuyer principalement sur une décarbonation basée sur les technologies. Il s’agit d’une optique de développement de marchés et de croissance guidée par le profit. Ces éléments me mènent à dire qu’il ne s’agit pas d’une écologie, ou en tout cas, que cette dite écologie ne répond pas aux besoins écologiques.

Après, nous pouvons aussi voir l’écologie bourgeoise comme l’écologie des élites. Ces personnes reprennent évidemment ce que je viens de mentionner tout en y ajoutant un autre aspect. Par exemple, le fait de prendre des mesures qui ne les touchent pas personnellement, mais qui touchent surtout le reste de la population. C’est mettre la responsabilité de la crise climatique sur les masses. Cela engendre des propositions qui touchent principalement les couches élargies de la population sans impacter les grand·x·e·s polueur·x·se·s qui sont généralement les riches et les grandes entreprises. L’écologie bourgeoise fait alors porter une responsabilité individuelle sur ces questions-là alors que, selon moi, les questions écologiques sont fondamentalement collectives. On peut et on doit définir des secteurs de la société qui doivent se transformer en premier lieu pour aller vers une transition socio-écologique.

Quelle est, selon-vous, la place actuelle de ce type de mesures dans la politique ? Est-ce que les mesures prises relèvent plutôt d’une écologie bourgeoise ou populaire ? À qui s’adressent les politiques au sujet de la transition socio-écologique ?

Je pense qu’une des difficultés est que les premiers partis qui ont mis ces questions sur la table, les partis appelés écologistes ou verts, en Belgique comme dans toute l’Europe, sont devenus des partis de pouvoir et de gouvernement. Pour autant, la situation n’a pas radicalement changé et ces partis ont donc été incapables de modifier les paradigmes nécessaires pour « faire écologie » aujourd’hui. Je pense que dans ce processus-là, ces partis se sont embourgeoisés. Au départ, plusieurs secteurs de gauche au sein des partis étaient liés au militantisme antinucléaire, écologiste ou autre. Aujourd’hui, force est de constater qu’ils se rangent du côté des gouvernements et font, comme la plupart des gouvernements, des mesures écologiques que j’appelle antisociales, telles que les taxes kilométriques, les taxes carbone ou autre sur l’essence, etc. Je ne dis pas qu’il ne faut pas s’attaquer aux énergies fossiles, mais s’attaquer à cela impacte de manière plus importante les couches populaires que les couches aisées de la population. Selon moi, il faut au contraire s’attaquer aux couches les plu aisées et riches, vu qu’elles ont l’impact climatique le plus lourd. Globalement, nous sommes aujourd’hui dans une écologie toujours plus punitive. Cela était visible récemment avec les paysan·x·ne·s, et ce sujet concerne l’Union européenne Union Européenne Ou UE : Organisation politique régionale issue du traité de Maastricht (Pays-Bas) en février 1992 et entré en vigueur en novembre 1993. Elle repose sur trois piliers : les fondements socio-économiques instituant les Communautés européennes et existant depuis 1957 ; les nouveaux dispositifs relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune ; la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. L’Union compte actuellement 27 membres : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas (1957), Danemark, Irlande, Royaume-Uni (1973), Grèce (1981), Espagne, Portugal (1986), Autriche, Finlande, Suède (1995), Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, Tchéquie (2004), Bulgarie, Roumanie (2007).
(En anglais : European Union)
dans so ensemble. Ces paysan·x·ne·s dénoncent des mesures « vertes » parce qu’on ne leur permet pas d’avoir un revenu suffisant. Il y aurait beaucoup moins de difficultés à faire accepter des mesures « vertes » si on ne les imposait pas à des personnes qui ont déjà l’impression de faire beaucoup d’efforts. Le même souci se présente lorsque nous nous attaquons à la voiture des personnes qui travaillent quotidiennement. Ces dernières années, ces personnes-là ont vu leurs salaires et prestations sociales baisser. Ainsi, leur dire qu’elles sont obligées d’acheter une voiture électrique alors qu’elles n’en ont pas les moyens ne va pas aider la transition socio-écologique. Malheureusement, je crois que toutes ces politiques ont un effet d’éloignement de la population vis-à-vis d’une potentielle volonté de mettre en place des politiques écologiques. Les personnes pensent qu’on est dans une dictature écologique alors que ce n’est pas le cas. Ce genre de sentiment s’accroît dans la population et rend une transformation de la société plus difficile.

Quel est l’impact de la place importante de cette écologique bourgeoise sur l’avancement des mesures prises ? Est-il important d’inclure plus les classes populaires au sein des décisions écologiques ?

Il est souvent dit aux politiques d’avoir une vision de genre sur les politiques mises en place. Ces politiques ont souvent des effets différenciés pour les hommes, femmes, pour les personnes aisées et plus précaires. Évidemment, selon moi, il est important d’avoir une perspective de revenu social dans toutes les politiques écologiques. Cependant, dans un premier temps, on doit obligatoirement s’attaquer aux personnes qui mènent les vies les plus fastes et les plus polluantes. Ce serait impossible de demander aux personnes de fournir des efforts si les ultra-riches continuent de prendre des avions privés. Ce n’est pas anecdotique, il n’y en a que quelques-un·x·e·s qui prennent des avions privés, mais cela participe beaucoup à la pollution aérienne. Si nous ne montrons pas une réelle volonté de s’attaquer aux modes de vie des plus riches, les gens ne vont pas adhérer et il ne sera pas possible d’avancer.

On reproche parfois au parti ÉCOLO de s’adresser beaucoup aux classes moyennes et supérieures, privilégiées, et très peu aux classes populaires. Celles-ci peuvent alors se sentir très peu incluses dans les débats écologiques. Quelles solutions avez-vous pour y remédier ?

Je crois fondamentalement au fait que nos conditions matérielles définissent notre façon de penser. Par exemple, les cadres et électeur·x·ice·s des partis écologiques font plutôt partie des secteurs « éduqués » de classe moyenne et moyenne haute. Iels réfléchissent leur écologie de ce point de vue-là, ce qui va évidemment tendre à favoriser ce qu’elles·x·eux estiment être l’écologie. Cela est visible avec le plan « Goodmove », iels ont essayé de transformer la circulation à Bruxelles. Bien que l’idée de départ fût probablement bonne, les politiques n’ont pas réussi et ne réussissent pas à comprendre la mobilisation des classes populaires et à penser une ville selon des personnes plus précaires. C’est un problème ! Comment y remédier ? Avec la participation politique des classes populaires Bien sûr, ce n’est pas simple et ça a rarement eu lieu. Lorsqu’on regarde notre démocratie, ce sont toujours les professions libérales, les chef·x·fe·s d’entreprises et rarement des chômeur·x·se·s ou des ouvrier·x·ère·s qui sont élu·x·e·s. Je pense que tous les partis devraient avoir en perspective de favoriser en leur sein une présence d’ouvrier·x·ère·s, de classes populaires...
Je pense que la question écologique amène beaucoup de contradictions au sein de la société. Par exemple, la défense de l’emploi, parfois, va à l’encontre de la décarbonisation d’un secteur comme l’aérien et les syndicats défendant les activités d’un aéroport. Il faut s’attaquer à ces différences de point de vue et y trouver des équilibres. Après, en effet, on pourra difficilement défendre très longtemps l’aérien, mais alors faisons en sorte que tous·x·te·s les travailleur·x·euse·s de ce secteur-là retrouvent un emploi bien payé.
Malheureusement, aujourd’hui les nouveaux emplois liés à la transition écologique ne sont généralement pas aussi bien rémunérés et encadrés par des conventions collectives. L’écologie bourgeoise s’attache à déréguler le capitalisme Capitalisme Système économique et sociétal fondé sur la possession des entreprises, des bureaux et des usines par des détenteurs de capitaux auxquels des salariés, ne possédant pas les moyens de subsistance, doivent vendre leur force de travail contre un salaire.
(en anglais : capitalism)
vert et à le rendre le moins cher possible ce qui se traduit par des emplois de mauvaise qualité. On peut alors comprendre que certain·x·e·s ne veulent pas se retrouver dans une entreprise d’un secteur décarboné avec des salaires 20 à 30 % plus faibles. Il faut rassurer ces personnes-là et selon moi, c’est à travers les politiques publiques que cela peut se faire. Aujourd’hui, ce sont les entreprises qui prennent toutes les grandes décisions ; il faut au contraire que ce soient les politiques et donc la population qui puisse décider de chemin à suivre. De cela découle l’importance du service Service Fourniture d’un bien immatériel, avantage ou satisfaction d’un besoin, fourni par un prestataire (entreprise ou l’État) au public. Il s’oppose au terme de bien, qui désigne un produit matériel échangeable.
(en anglais : service)
public et de la propriété publique dans la transition socio-écologique.


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Source photo : Alternative libertaire, Contre la COP21, Paris 29 novembre 2015. Flickr, 03-09-2024-CC BY-ND 2.0