Jean Féron, La Légende dans La taverne du diable 1926
I
LA LÉGENDE
Qui de vous, amis lecteurs, se souvient de
la Taverne du Diable, sise en la ville basse
de la bonne cité de Québec à l’époque où les
Américains, presque maîtres du Canada,
étaient venus faire le siège de l’ancienne citadelle
de la Nouvelle-France ?…
Si peu de vous se rappellent cette légende, si peu en ont entendu parler, il faut vous en prendre à nos historiens qui négligèrent — oh ! sans que cette omission ait tiré à conséquence — de mentionner en leurs narrations ce « Public House » qui fut célèbre durant au moins vingt-quatre heures, parce qu’il fut l’endroit où se consomma, pour ainsi dire, la défaite des Américains. Qu’on n’oublie pas cette maison de la basse-ville en laquelle le capitaine Laws avait surpris un groupe d’officiers américains en train d’y tenir conseil. Cette maison, que notre illustre historien François-Xavier Garneau mentionne en son histoire de notre beau pays, c’était précisément cette Taverne du Diable. Elle fut donc historique… elle eut donc sa célébrité… et l’on ne nous taxeras pas, espérons-le, d’imaginatif exagéré.
Mais l’on pourrait fort bien nous accuser d’avoir copié, ou — ce qui serait bien pis — d’avoir plagié certain romancier français du 18e siècle, dont nous avons à notre plus grande confusion perdu le nom, et qui, dans son roman, parle de certaine Taverne du Diable fort célèbre en son temps. Si notre bienveillant lecteur se rappelle la dite Taverne de ce dit romancier, nous le prierons de ne pas confondre avec notre Taverne du Diable de la ville de Québec. Car, expliquons-nous, cette Taverne du Diable de ce conteur français était située en l’excellente ville de Toulon, du beau royaume de « doulce France ». Il y a donc nuance entre les deux Tavernes, pour ne pas parler de l’espace énorme qui les séparait. Mais si les titres ou les noms se ressemblent, nous sommes prêts à jurer, front levé, que le récit n’en est pas du tout le même.