Télégraphe de Morse
Le télégraphe de Morse est l'un des tout premiers télégraphes électriques, réalisé par le peintre et inventeur américain Samuel Morse en 1837.
Histoire
[modifier | modifier le code]Découverte de l'électromagnétisme et premiers travaux
[modifier | modifier le code]Contexte
[modifier | modifier le code]Au début du XIXe siècle, les expérimentateurs européens font des progrès dans le domaine des systèmes de signalisation électrique, en utilisant diverses techniques, notamment l'électricité statique et l'électricité provenant de piles voltaïques produisant des changements électrochimiques et électromagnétiques. Ces conceptions expérimentales ont été les précurseurs d'applications télégraphiques pratiques[1].
Samuel Morse (1791-1872) embrasse d'abord une carrière d'artiste, étudiant la sculpture et la peinture aux États-Unis, puis en France et en Italie. Lors de son voyage de retour d'Europe à bord du Sully en 1832, il entend une conversation sur la récente découverte de l'électroaimant[a] et s'y intéresse par curiosité en se plongeant dans les travaux d'André-Marie Ampère. Il discute de ce sujet avec le géologue Charles Thomas Jackson[4].
Il commence ainsi à réfléchir à la façon d'utiliser l'électricité pour la communication à distance[2],[4].
Premiers prototypes
[modifier | modifier le code]Il pourrait avoir conçu son premier prototype fonctionnel dès 1835, mais il se consacre à l'art, son enseignement ainsi que ses activités politiques[4]. Il se repenche à nouveau sur son invention en 1837 et Morse se heurte au problème de la transmission d'un signal télégraphique sur plus de quelques mètres de fil[5]. Leonard Gale (en) (1800-1883), qui enseigne la chimie à l'université de New York, présente alors à Morse les travaux de Joseph Henry (1797-1878) sur l'électromagnétisme. Les électroaimants de ce dernier lui permettent d'introduire des circuits supplémentaires ou des relais à intervalles réguliers et ainsi d'envoyer des messages sur plusieurs kilomètres[5]. C'est la grande avancée qu'il recherchait[6].
La longueur maximale d'une ligne atteint ainsi 16 km, alors que les premiers travaux de Morse n'allaient pas au-delà de 12 m[5].
Il reçoit aussi une aide matérielle : son ami le machiniste Alfred Vail (1807-1859) lui fournit des matériaux et de la main-d'œuvre pour construire des modèles de télégraphe dans l'usine de sa famille à Morristown (New Jersey) et convainc son père d'investir 2 000 $. Le , Morse et Vail font la première démonstration publique du télégraphe électrique dans l'usine sidérurgique Speedwell de Morristown, voisine à celle de la famille de Vail. Sans le répéteur, Morse conçoit un système de relais électromagnétiques. La portée du télégraphe est limitée à 3,2 km, la longueur du fil que les inventeurs ont tiré à l'intérieur de l'usine grâce à un système élaboré. La première transmission publique, avec le message « A patient waiter is no loser » (« Une personne qui attend patiemment n'est pas un perdant »), a été observée par une assistance essentiellement locale[7],[5]. Ils parviennent ainsi à faire fonctionner leur premier télégraphe électrique[2],[4], et ils pousseront leurs tentatives jusqu'à 16 km[5].
Autres télégraphes et primauté de l'invention
[modifier | modifier le code]En parallèle, et sans que chacun soit au courant des travaux de l'autre, les Britanniques William Fothergill Cooke et Charles Wheatstone présentent toujours en 1837 un premier télégraphe mécanique aux directeurs du Liverpool and Manchester Railway[8], puis leur propre télégraphe électrique, à quatre aiguilles, installé entre deux gares de Londres le long d'une ligne ferroviaire en cours de construction. Ils en obtiennent un brevet et il fait l'objet d'une démonstration réussie le , sur le chemin de fer de Londres et Birmingham, ce qui en fait le premier télégraphe commercial[9].
Auparavant, le télégraphe de Schilling est un type de télégraphe à aiguilles qui utilise une bobine de fil comme électroaimant pour dévier un petit aimant en forme d'aiguille de boussole. La position de l'aiguille transmet l'information télégraphiée à la personne qui reçoit le message. Pavel Schilling en fait la démonstration à Saint-Pétersbourg en 1832[10], mais le système n'est pas achevé, Schilling mourant prématurément[11]. Carl Friedrich Gauss et Wilhelm Eduard Weber inventent le premier télégraphe électrique opérationnel en 1833, qui permet de relier l'observatoire de Göttingen à l'Institut de physique, situé à environ 1 km, pendant les recherches expérimentales sur le champ magnétique terrestre[12]. Gauss, Weber et Carl August von Steinheil (en 1837) ont utilisé des codes avec des longueurs de mots variables pour leurs systèmes télégraphiques[13]. En 1841, Cooke et Wheatstone ont construit un télégraphe qui imprimait les lettres d'une roue de caractères frappées par un marteau[14].
Pourtant, dans une lettre de 1848 adressée à un ami, Morse décrit la vigueur avec laquelle il s'est battu pour être désigné comme l'unique inventeur du télégraphe électromagnétique, malgré les inventions précédentes[15] :
« J'ai été si constamment dans la nécessité de surveiller les mouvements de l'ensemble le moins scrupuleux de pirates que j'ai jamais connu, que tout mon temps a été occupé à me défendre, à mettre en forme les preuves que je suis l'inventeur du télégraphe électromagnétique ! Auriez-vous cru, il y a dix ans, qu'une question puisse être soulevée à ce sujet ? »
— Samuel Morse[16].
Code Morse et fonctionnement du télégraphe
[modifier | modifier le code]Le système a besoin d'une méthode pour transmettre un langage naturel en utilisant uniquement des impulsions électriques et le silence qui les sépare. Vers 1837, Morse développe ainsi un précurseur du code Morse international moderne[14]. Alfred Vail développe pour sa part un instrument appelé enregistreur pour enregistrer les messages reçus. Il marque des points et des tirets sur une bande de papier en mouvement à l'aide d'un stylet actionné par un électroaimant[17]. En 1838, Morse et Vail mettent ainsi au point un code de points et de tirets permettant de transmettre un texte à l’aide de séries d’impulsions du courant électrique courtes et longues[18]. Ce code est souvent attribué à Samuel Morse, cependant cette primauté est contestée, tendant à attribuer la paternité du langage à son assistant, Alfred Vail[19].
Le système Morse pour la télégraphie est conçu pour faire des indentations sur un ruban de papier lors de la réception de courants électriques. Le récepteur télégraphique original de Morse utilise un mécanisme d'horlogerie pour déplacer le ruban de papier. Lorsqu'un courant électrique est reçu, un électroaimant engage une bobine qui pousse un stylet sur la bande de papier en mouvement, faisant une indentation sur la bande. Quand le courant est interrompu, un ressort rétracte le stylet et la partie de la bande en mouvement reste non marquée. Le code morse est ainsi développé afin que les opérateurs puissent traduire les indentations marquées sur la bande de papier en messages textuels. Dans sa première conception d'un code, Morse prévoit de ne transmettre que des chiffres et d'utiliser un livre de codes pour rechercher chaque mot en fonction du numéro qui est envoyé. Cependant, le code est rapidement étendu par Alfred Vail en 1840 pour inclure des lettres et des caractères spéciaux, afin de pouvoir être utilisé de manière plus générale. Vail estime la fréquence d'utilisation des lettres dans la langue anglaise en comptant les caractères mobiles qu'il trouve dans les caissons de caractères d'un journal local de Morristown, dans le New Jersey[20].
Financement et version finale du télégraphe
[modifier | modifier le code]En 1838, Morse se rend à Washington pour obtenir le parrainage fédéral d'une ligne télégraphique, sans succès. Il se rend en Europe, à la recherche à la fois de parrainages et de brevets, mais découvre à Londres que Cooke et Wheatstone y ont déjà établi leur primauté. Après son retour aux États-Unis, Morse obtient finalement le soutien financier de Francis Ormand Jonathan Smith (1806-1876)[b], membre du Congrès du Maine. Ce financement est peut-être le premier exemple de soutien gouvernemental américain à un chercheur privé, en particulier le financement de la recherche appliquée (par opposition à la recherche fondamentale ou théorique)[23].
En 1842, une ligne télégraphique sous-marine reliant l'île de Manhattan à Brooklyn et au New Jersey est construite en association avec Samuel Colt[24].
Morse fait son dernier voyage à Washington, D.C. en , en « tendant des fils entre deux salles de comité du Capitole, et en envoyant des messages dans les deux sens » pour faire la démonstration de son système télégraphique[25]. Le Congrès alloue 30 000 $[c] en 1843 pour la construction d'une ligne télégraphique expérimentale de 61 km entre Washington et Baltimore, le long du chemin de fer de Baltimore and Ohio Railroad[26]. Une démonstration impressionnante a eu lieu le , lorsque la nouvelle de la nomination de Henry Clay à la présidence des États-Unis par le parti Whig a été télégraphiée de la convention du parti à Baltimore au Capitole à Washington[26].
Le , la ligne est officiellement ouverte lorsque Morse envoie les mots désormais célèbres, « WHAT HATH GOD WROUGHT » (litt. « ce que Dieu a forgé », tiré de la Bible : « Quelle est l’œuvre de Dieu »[27],[d]), sur les 71 km qui séparent le Capitole de Washington de l'ancien dépôt de Mt Clare (en) à Baltimore, à travers la ligne télégraphique Baltimore-Washington (en)[5],[28]. Son télégraphe peut transmettre à ce moment-là trente caractères par minute[29].
Il combine ainsi l'invention technique avec celle du code, ce qui va permettre de développer la construction de lignes télégraphiques aux États-Unis et dans le monde à partie de 1945, à la suite de la création de la Magnetic Telegraph Company, remplaçant définitivement la télégraphie optique par la télégraphie électrique[2]. En mai 1845, la Magnetic Telegraph Company a été créée afin de construire des lignes télégraphiques de New York vers Philadelphie, Boston, Buffalo, New York et le Mississippi[30]. Les lignes télégraphiques se sont rapidement répandues dans tous les États-Unis au cours des années suivantes, avec 12 000 miles de fil posés en 1850.
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Schéma du télégraphe de Morse original.
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À gauche, les premiers prototypes de manipulateur et de récepteur ; à droite le manipulateur et le récepteur de 1844 à Baltimore[31].
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Illustration de 1900 de Samuel Morse envoyant le premier message longue distance (en), « What hat hath god wrought », le 24 mai 1844.
Paternité
[modifier | modifier le code]Dès le , Morse et Vail sont associés : ils construisent une série d'instruments télégraphiques à leurs propres frais et déposent des brevets pour ceux-ci. En retour, Morse accorde à Vail une part du pourcentage des revenus des brevets aux États-Unis et la moitié de ceux-ci à l'étranger[22].
Un brevet est déposé en 1840[32].
Morse, Vail, Gale et Smith se déchirent lors de nombreux conflits juridiques sur la paternité du télégraphe[e] ; la Cour suprême finit par octroyer à Morse les droits de brevet en 1854[2],[4]. À mesure que les lignes télégraphiques s'allongent des deux côtés de l'Atlantique, la richesse et la renommée de Samuel Morse et de son système augmentent[4].
Notes et références
[modifier | modifier le code]Notes
[modifier | modifier le code]- Le physicien danois Hans Christian Ørsted (1777-1851) découvre en 1820 l'électromagnétisme en constatant qu'une aiguille peut être aimantée grâce à un courant électrique[2]. Le Britannique William Sturgeon invente l'électroaimant en 1824[3].
- Francis Ormand Jonathan Smith a prêté assistance à Morse pour le développement du télégraphe et a été l'un des financiers des premières lignes des États-Unis. Samuel Morse a en particulier eu recours à lui pour faire la promotion de son invention auprès du monde politique[21] et voyager en Europe à la recherche de partenaires. Smith a pris un quart des droits sur les brevets de Morse en 1838[22].
- Équivalent à 872 000 $ en 2021.
- Annie Ellsworth a choisi ces mots dans la Bible[27] ; son père, le commissaire américain aux brevets Henry Leavitt Ellsworth (en), avait soutenu l'invention de Morse et obtenu un financement précoce pour celle-ci.
- Morse est un habitué de la chose : il a eu des démêlés dans le domaine artistique avec le peintre John Trumbull ; dans le religieux avec les Unitarisme et les Catholiques ; en politique avec les Irlandais et les Abolitionnistes ; et en daguerréotypie, dont il est l'un des premiers pratiquants aux États-Unis, avec François Fauvel-Gouraud, l'élève de Louis Daguerre[4].
Références
[modifier | modifier le code]- Fahie 1884.
- Lavoisy, Encyclopædia Universalis.
- (en) W. Sturgeon, « Improved Electro Magnetic Apparatus », Trans. Royal Society of Arts, Manufactures, & Commerce, London, vol. 43, , p. 37–52, cité dans (en) T.J.E Miller, Electronic Control of Switched Reluctance Machines, Newnes, , 7 p. (ISBN 0-7506-5073-7, lire en ligne).
- Mabee, Encyclopedia Britannica.
- Howe 2007, p. 7.
- (en) Tom Standage, The Victorian Internet, Londres, Weidenfeld & Nicolson, , p. 40.
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- Schaffner 1859, p. 190.
- (en) « The telegraphic age dawns », sur connected-earth.com (consulté le ).
- (ru) Roman Artemenko, « Павел Шиллинг - изобретатель электромагнитного телеграфа » [« Pavel Schilling - inventeur du télégraphe électromagnétique »], PC Week, vol. 3, no 321, (lire en ligne).
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- (en) US Patent 1 647, Improvement in the mode of communicating information by signals by the application of electro-magnetism, 20 juin 1840
Bibliographie
[modifier | modifier le code]Bibliographie contemporaine aux développements du télégraphe de Cooke et Wheatstone
[modifier | modifier le code]- (en) Amédée Guillemin, The Applications of Physical Forces, Macmillan and Company, (OCLC 5894380237, lire en ligne).
- (en) Taliaferro Preston Shaffner, The Telegraph Manual, Pudney & Russell, (OCLC 258508686, lire en ligne).
Bibliographie synthétique postérieure
[modifier | modifier le code]- (en) Ken Beauchamp, History of Telegraphy, IET, (ISBN 0852967926).
- (en) Russel W. Burns, Communications: An International History of the Formative Years, IEE, (ISBN 0863413277).
- (en) John Joseph Fahie, A History of Electric Telegraphy, to the Year 1837, Londres, E. & F.N. Spon, (OCLC 559318239, lire en ligne).
- (en) G. R. M. Garratt, « The early history of telegraphy », Philips Technical Review, vol. 26, nos 8/9, , p. 268–284 (lire en ligne [PDF]).
- (en) Daniel Walker Howe, What Hath God Wrought: The Transformation of America, 1815–1848, Oxford University Press, (ISBN 0199743797), p. 7.
- (en) Anton A. Huurdeman, The Worldwide History of Telecommunications, Wiley-Blackwell, (ISBN 978-0471205050).
- (en) Jeffrey L. Kieve, The Electric Telegraph: A Social and Economic History, David and Charles, (ISBN 0-7153-5883-9, OCLC 655205099).
- Olivier Lavoisy, « Télégraphe électrique de Morse », dans Encyclopædia Universalis (lire en ligne).
- (en) Carleton Mabee, « Samuel F.B. Morse », dans Encyclopedia Britannica, (lire en ligne).