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Langues tokhariennes

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Langues tokhariennes
Période Ier millénaire apr. J.-C.
Région Bassin du Tarim
Classification par famille
Codes de langue
Glottolog tokh1241
Localisation du bassin du Tarim.
Plaque en bois avec inscriptions en tokharien. Koutcha, Chine, Ve – VIIIe siècles. Musée national de Tokyo.

Les langues tokhariennes, ou agni-kuči, sont une branche de la famille des langues indo-européennes parlées et écrites dans le bassin du Tarim au Ier millénaire apr. J.-C., au sud de l'actuelle région autonome du Xinjiang en Chine. Il est possible qu'elles remontent dans la région au début du IIe millénaire av. J.-C. mais sans preuve définitive. Comprenant le koutchéen et l'agnéen, elles ont disparu avec l'arrivée des peuples turcophones (en particulier, les Ouïghours), au IXe siècle.

Découverte

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Sur les manuscrits ramenés du bassin du Tarim par les expéditions européennes et japonaises au début du XXe siècle, il y avait une langue inconnue qui fut d'abord appelée la « langue I ». Le turcologue allemand F. W. K. Müller lui donna en 1907 le nom de tokharien.

En 1908, les indianistes Émile Sieg (de) et Wilhelm Siegling prouvèrent son caractère indo-européen. Un peu plus tard, l'orientaliste français Sylvain Lévi publia les premières traductions de textes. Le déchiffrement n'avait guère posé de problème, le tokharien étant noté avec une écriture d'origine indienne, la brāhmī. De plus, on disposait de documents bilingues tokharien-sanskrit.

Description

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Les documents les plus anciens datent du VIe ou peut-être du Ve siècle, mais pour l'essentiel, ils remontent aux VIIe et VIIIe siècles. S'ils sont rédigés sur du papier, invention venue de Chine au début de l'ère chrétienne, leur présentation est de type indien.

En fait, il n'y a pas une seule langue, mais trois langues. Les deux premières à avoir été découvertes furent initialement appelées tokharien A et tokharien B. Dans la région de Koutcha, seuls des manuscrits en tokharien B ont été trouvés et cette langue est appelée aussi le koutchéen. L'essentiel des manuscrits en tokharien A provient de la région de Karachahr, plus précisément des ruines d'un grand complexe monastique qui se trouve à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de cette ville, sur le site de Chortchouq. Dans cette région se trouvait autrefois un royaume, appelé Agni dans les textes sanskrits. Le terme d'agnéen peut donc être utilisé pour désigner le tokharien A. À Chortchouq, on a aussi trouvé des manuscrits en koutchéen. Enfin, des textes en koutchéen et en agnéen proviennent de différents sites de la région de Tourfan. Plus récemment, un ensemble de mots d'une langue similaire trouvés dans des manuscrits de Loulan a été désigné comme tokharien C ou Kroränien.

Le koutchéen et l'agnéen sont des langues étroitement apparentées, mais elles sont trop différentes pour que leurs locuteurs se comprennent. Il y a autant de différences entre elles qu'entre l'italien et le roumain. Il est instructif de mettre en parallèle deux phrases en agnéen et en koutchéen qui sont de même signification :

  • agnéen : wiki-wepiñcinäs shpät konsan āyäntwan mäśśunt tämnäshtr-än
  • koutchéen : ikañcen-wacen shuk kaunne mrestīwe kektsenne tänmastär-ne.

Extraites d'un texte qui semble décrire le développement du fœtus, elles signifient : « La vingt-deuxième semaine apparaît sa moelle ».

Une des caractéristiques majeures du tokharien est l'inexistence des occlusives sonores et aspirées : les trois séries d'occlusives g, d, b ; gh, dh, bh et kh, th, ph de l'indo-européen commun, langue mère de toutes les langues indo-européennes, ont été réduites à la seule série k, t, p. Les Tokhariens ne pouvaient donc pas prononcer correctement le nom de Bouddha : ils disaient Poutta. Ils ont créé une voyelle, transcrite par la lettre ä, qui était assez proche du i. Les mots tokhariens ont été raccourcis : « cheval » se dit *ekwos en indo-européen commun, yakwe en koutchéen et yuk en agnéen. Le phénomène est plus prononcé en agnéen qu'en koutchéen, ce dernier ayant évolué plus lentement que la première. Cette caractéristique typologique innovante du tokharien est considérée comme une forte indication d'une influence ouralienne[1].

Voici les noms de nombres en indo-européen commun, en agnéen et en koutchéen :

Indo-européen Agnéen Koutchéen Français
1 *sem-s sas she un
2 *dwō(w) wu wi deux
3 *tréyes tre trai (ou tarya) trois
4 *kwetwores śtwar śtwer quatre
5 *pénkwe päñ piś cinq
6 *s(w)eks shäk shkas six
7 *septm shpät shukt sept
8 *oktō(w) okät okt huit
9 *néwm ñu ñu neuf
10 *dékm śäk śak dix

Les langues donnent quelques indications sur le passé de ce peuple. « Elle s'est séparée si tôt des autres Indo-Européens qu'il faut songer [... à] la première moitié du IVe millénaire [av. J.-C.][2]. » « Un élément intéressant est que les Agni-Kuči, après avoir quitté le groupe initial dont ils faisaient partie (avec les Germains, Italo-Celtiques, Macro-Baltes), ont voisiné avec les ancêtres des Anatoliens, comme le prouve tout un vocabulaire commun.... Puis ils ont voisiné, et même cohabité, avec les ancêtres des Grecs, comme le révèle l'abondance et la précision des isoglosses qui unissent ces langues. En particulier, il y existe un mot, d'origine non indo-européenne, pour le « roi ».... Les Agni-Kuči ont quitté les steppes européennes certainement bien avant le IIe millénaire av. J.-C.[2] »

L'originalité linguistique des Tokhariens tend donc à montrer l'ancienneté de leur migration vers l'est, ce qui renforce l'hypothèse d'une installation ancienne dans le bassin du Tarim. De fait, on y trouve des momies de type européen dès 1800 av. J.-C.

Selon le linguiste Michaël Peyrot, le développement du système vocalique tokharien peut être très bien compris à la lumière d'un système vocalique sud-sibérien représenté aujourd'hui par la langue ienisseïenne kète. Le profil typologique déviant de la branche tokharienne de l'indo-européen pourrait être dû à l'influence d'un substrat ouralien. Les contacts supposés sont probablement liés à la culture d'Afanasievo du sud de la Sibérie. Cette culture indo-européenne représente probablement une phase intermédiaire dans le mouvement des locuteurs du tokharien précoce depuis la patrie proto-indo-européenne de la steppe d'Europe de l'Est en direction du bassin du Tarim dans le nord-ouest de la Chine. Dans le même temps, le foyer d'origine proto-samoyédique doit être située dans la région d'Afanasievo ou à proximité. Une correspondance étroite entre les systèmes de voyelles pré-proto-tocharien et pré-proto-samoyédique est une forte indication que le langage ouralien de contact était une forme précoce de samoyédique[1].

Notes et références

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  1. a et b (en) Michaël Peyrot, The deviant typological profile of the Tocharian branch of Indo-European may be due to Uralic substrate influence, Indo-European Linguistics, Volume 7, Issue 1, 2 décembre 2019
  2. a et b Bernard Sergent, Les Indo-Européens, Payot & Rivages, , p. 410