Agriculture syntropique
La syntropie, ou agriculture syntropique, est une méthode d'agriculture proche de l'agroforesterie et de la permaculture inventée dans les années 80 en Amérique latine par Ernst Götsch (en), un agronome et fermier suisse-allemand[1]. La syntropie se définit comme la compréhension des systèmes du vivant qui tendent vers l'abondance[2]. Il s'agit de faire pousser une grande diversité de plantes pour créer une osmose ou une symbiose entre elles afin de créer de la productivité et de la complexité[3].
Ses méthodes sont la densification, la production de biomasse dans l'objectif de créer des cercles vertueux. Plus on plante, plus on taille, plus on permet la pousse des plantes et plus le sol devient riche grâce à la biomasse issue de la taille. Cela permet ainsi d'arroser le moins possible, de tendre vers des écosystèmes diversifiés voire de créer des microclimats à de grandes échelles[4].
Par son caractère biomimétique et sa volonté de restaurer la fertilité du sol et des écosystèmes, la syntropie se présente donc comme une méthode de production de légumes, de fruits, ou de bois qui permet de lutter contre les effets néfastes du réchauffement climatique et de l'anthropisation[5].
Étymologie
[modifier | modifier le code]Le terme syntropie vient du grec syntropia et signifie aller du simple vers le complexe[4]. Elle s'oppose en cela à l'entropie, un concept thermodynamique, qui renvoie à la dégradation de la matière complexe vers des formes plus simples. La syntropie est ainsi la caractéristique d'un système d'aggradation de la matière première.
Ce travail de complexification se fait donc par les associations entre les plantes, et par la multiplication des variétés d'espèces cultivées sur une culture. Elle s'oppose donc aux monocultures, symboles d'entropie, qui ne cultivent qu'une seule espèce de plantes.
Historique
[modifier | modifier le code]Ernst Götsch
[modifier | modifier le code]Né en 1948 à Raperswilen, en Suisse, il est le fondateur du concept d'« agriculture syntropique ».Après des années de recherche sur l'amélioration génétique à FAP 'rich-Reckenholz[6], il démissionne pour se consacrer à l'agroforesterie et donne des conférences et des cours pour sensibiliser aux enjeux de la syntropie.
Dans les années 1980, un propriétaire de Bahia qui voulait entrer sur le marché du cacao invite Ernst Götsch à gérer l'entreprise. L'ancien propriétaire avait extrait tout le bois pour fournir sa propre scierie, avait converti les terres déforestées en pâturages. En 1982, Ernst déménage avec sa famille dans une ferme à Piraí do Norte, dans le sud de Bahia. Les 480 hectares destinés au projet lui permettent de vérifier si les méthodes qu'il a développées en Europe et au Costa Rica permettent de rétablir la fertilité du sol ainsi que d'établir une plantation de cacao productive[6]. Au bout de quelques années, il a reboisé la propriété, introduit le cacao comme culture principale et même recréé un microclimat propre à la région. En 1995, il nomme la méthode qu'il a affinée « agroforesterie de succession » puis « syntropie ». Les résultats de ses recherches sont alors décrites dans Breakthrough in Agriculture[7],[8], accessible sur le site du cabinet de conseil Ecotop Consult[9].
« Nous ne sommes pas les intelligents, nous faisons partie d'un système intelligent »[10]
Ses réflexions sont notamment influencées par les théories de l'agriculture écologique d'Hans Peter Rush, un médecin autrichien et du couple d'agriculteurs suisses Maria et Hans Muller[6]. L'approche de Rush et Muller est celle d'une « expérience biologique globale ». C'est une approche systémique qui vise à démontrer les liens étroits de solidarité de tous les êtres vivants. Selon eux, il existerait un « cycle des substances vivantes » entre le sol, les plantes, les animaux et les hommes, au cours duquel des particules vivantes resteraient intactes. De ce point de départ, ils démontrent la nécessité d'un recyclage de la matière organique pour permettre la fécondité du sol[11].
Parution de Bienvenue en Syntropie !
[modifier | modifier le code]Bienvenue en Syntropie ! est un ouvrage écrit par Anaëlle Théry et publié en 2024 aux éditions Terre Vivante. Il est l'adaptation des concepts d'Ernst Götsch sous un climat tempéré. Après une formation en Anthropologie et en Histoire, Anaëlle Théry devient pépiniériste et suit la formation de Ernst Götsch en 2018[12].
Pour Anaëlle Théry, la syntropie repose sur le seul intrant dans la nature : la photosynthèse[13]. Depuis ce point, il s'agit alors de travailler son jardin dans l'idée de l'organiser en « strates » selon l'accès des plantes à la lumière dans l'espace et dans le temps. L'organisation est donc pensée pour maximiser l'apport en photosynthèses à la fois à un instant T, mais également au fur et à mesure de l'évolution de la parcelle[5]. Il s'agit avant tout pour le jardinier ou la jardinière de « planter un film »[4] dans lequel on imaginera la succession des plantations sur le long terme (jusqu'à plus de cent ans). De cette succession des plantations dans le temps vient le terme « d'agriculture successionnelle »[14].
Inspirée de la gestion hollistique d'Allan Savory la syntropie d'Anaëlle Théry propose de penser une pépinière, une parcelle de maraîchage ou un potager de façon globale. Elle est en effet une méthode qui vise à comprendre les liens d'interdépendances entre les espèces. En connaissant le fonctionnement et les affinités entre les plantes, on peut alors leur proposer des associations qui leur sont bénéfiques. L'approche d'Anaëlle Théry se situe dans la veine des penseurs et agriculteurs biologiques qui visent à remettre l'humain au cœur du vivant et à devenir un allié par différents moyens.
Un de ces moyens est de créer de la « perturbation » par la taille régulière des plantations. La perturbation créée par l'humain vient alors supplanter une perturbation naturelle qui permettait le renouvellement et qui ne se fait plus du fait de l'érosion de la biodiversité. Il s'agit donc pour l'humain de comprendre les fonctionnements du vivant pour l'aider et tenter, à l'échelle d'une culture, de pallier les effets des crises environnementales[15].
Pour adapter la syntropie tropicale à la France, Anaëlle Théry propose par exemple de travailler sur la densification d'une terre. La plantation en syntropie se fait en très grande quantité pour que la forme finale prenne la forme d'une jungle ou d'un jardin luxuriant. Les tailles de perturbations sont ainsi réutilisées pour densifier les plantations (ce qui reprend le concept de chop and drop en agroforesterie[16]).
La syntropie est également une méthode d'économie de l'eau. En effet, en complexifiant le sol, on peut recréer des cycles secrets de l'eau au sein d'une parcelle et ainsi permettre qu'une goutte d'eau passe par sept plantes différentes avant de sortir du jardin.
Notes et références
[modifier | modifier le code]- (en) Inez de Oliveira, « Ernst Götsch: The creator of the real green revolution », sur Believe Earth (consulté le ).
- Anaëlle Théry, « La syntropie, qu'est-ce que c'est ? » (consulté le ).
- Potager syntropique, « Qu'est-ce que la syntropie ? Définition et visite du potager », sur Youtube, (consulté le ).
- Anaëlle Théry, Bienvenue en Syntropie !, Mens, Terre Vivante, , 160 p. (ISBN 9-782360-989157)
- Association agroforestrie, « Plaquette de présentation de l'agriculture syntropique » [PDF], sur Agroforesterie.fr (consulté le ).
- (en) Dayana Andrade, « "Ernst Götsch | Agenda Gotsch" », sur agendagotsch.com (consulté le ).
- (en) Ernst Götsch, Break-through in agriculture, Rio de Janeiro, AS-PTA, coll. « Cadernos de TA », , 22 p. (OCLC 39373418, lire en ligne [PDF])
- (fr + en) Ernst Götsch (trad. Gilles Lemieux), « La remise en état des sols par l'utilisation du processus naturel de la succession des espèces » [« The recovery of impoverished soils by employing natural processes in species succession. »], Groupe de Coordination sur les Bois Raméaux, UNIVERSITÉ LAVAL, Département des Sciences du Bois et de la Forêt, Québec, no Publication n° 116, deuxième édition, novembre 2003 (lire en ligne [PDF])
- Propos cités par Anaëlle Théry, « La syntropie, qu'est-ce que c'est ? », sur Youtube (consulté le ).
- Propos cités par Anaëlle Théry, « La syntropie, qu'est-ce que c'est ? », sur Youtube (consulté le 24 mars 2024)
- Dr Hans Peter Rusch (trad. Claude Aubert, préf. Claude Aubert), La fécondité du sol : Pour une conception biologique de l'agriculture, Paris, Le Courrier du Livre, (1re éd. 1968), 311 p. (ISBN 978-2-7029-0178-6)
- Josselin Rivoire, « Syntropie, une quête de l'abondance », 4 saisons, Mens, vol. Hors-série, no 33 « Jardin-forêt, expériences et témoignages », , p. 86-90
- Anaëlle Théry, « Agriculture syntropique, vers une terre d’abondance. », Nexus, vol. Vaccination, le plan mondial, no 131, , p. 18-31 (lire en ligne [PDF])
- Association Agroforesterie, « L'agriculture syntropique », sur Agroforesterie.fr, (consulté le ).
- (en) Dayana Andrade, Felipe Pasini et Fabio Rubio Scarano, « Syntropy and innovation in agriculture », dans Current Opinion in Environmental Sustainability, vol. 45, (ISSN 1877-3435, DOI https://doi.org/10.1016/j.cosust.2020.08.003, lire en ligne), p. 20-24
- Rémi Kulik (préf. Marc-André Selosse), Le guide Terre Vivante du jardin forêt : Le Jardin d'Émerveille, Mens, Terre Vivante, , 290 p. (ISBN 9-782360-987801), p. 189
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Anaelle Théry, Bienvenue en syntropie !, Terre Vivante, .
- (pt) Dayana Andrade et Felipe Pasini, Vida em Sintropia, Labrador,
- Josselin Rivoire, « Syntropie, une quête de l'abondance », 4 saisons, no hors-série 33 « Jardin-forêt, expériences et témoignages »,