[NDLR : Cette
tribune est la restranscription d'un discours prononcé
le 4 décembre à l'occasion d'un atelier
de sensibilisation à la piraterie organisé
par Vivendi Universal]
La
propriété intellectuelle est plus qu'un droit de propriété.
Elle ne se justifie pas seulement au nom des théories
économiques classiques ou libérales qui feraient de
la propriété la garante de tous les développements.
Certes, la propriété intellectuelle consacre en premier
lieu -de façon sonnante et trébuchante, la nouveauté,
son application pratique et son utilité. Mais au même
titre que les autres protections légales, comme celles
contenues dans le code pénal ou le code du commerce,
la propriété intellectuelle est avant tout un gage de
respect et de protection : respect de l'inventeur ou
de l'auteur, et protection des fruits de sa différence.
Mais plus encore, la propriété intellectuelle est élément
moteur de la création. Dans un monde de l'uniformisation
croissante, la propriété intellectuelle consacre la
mise en valeur de la différence. En récompensant la
nouveauté, elle fait l'éloge de la recherche. A la répétition
du même, à la certitude de l'identique, la propriété
intellectuelle fait résonner la tension créatrice et
l'ouverture à l'incertitude : quel pari en effet que
de lancer un " auteur-compositeur " ! Parce qu'elle
encourage la progression, parce qu'elle conforte l'exceptionalité
et les gens exceptionnels, parce qu'elle choisit le
parti de l'inventivité, la propriété intellectuelle
est, en quelque sorte, optimisme de l'Homme.
C'est
dire, si, resitué dans ce contexte, l'atteinte au droit
d'auteur, sous la forme du piratage et de la contrefaçon
(piratage et contrefaçon vont désormais être assimilés
pénalement par le projet de loi sur le droit d'auteur
et droits voisins) devient un élément central de notre
société. En effet, la contrefaçon et le piratage sont,
en fait, plus qu'une atteinte au patrimoine de l'entreprise
ou de l'individu, ils représentent ce côté obscur qui
se satisfait d'une démarche mimétique et qui vit aux
crochets des vrais créateurs.
Afin
de renforcer la lutte contre la piratage et la contrefaçon,
et sous l'impulsion récente des pouvoirs publics et
du CNAC, l'arsenal législatif est en voie d'être développé,
à la fois comme dispositif de dissuasion et de sanction.
Plusieurs projets viennent soutenir cette action : bien
sûr le projet sur le droit d'auteur et les droits voisins,
mais aussi la loi sur la confiance en l'économie numérique
bientôt en deuxième lecture à l'Assemblée Nationale
qui vise, entre autres, à responsabiliser les hébergeurs
de sites. De même, la loi sur l'adaptation de la justice
aux évolutions de la criminalité, actuellement transmise
pour une deuxième lecture au Sénat, contient une partie,
dont j'ai été le rapporteur, visant à renforcer les
peines pour les délits de contrefaçon.
Mais
n'oublions pas que la raison principale qui motive la
réaction des pouvoirs publics, c'est la protection des
titulaires de droits. Il faut dire avec force que tous
les ayants-droits (auteurs, interprètes, producteurs)
doivent avoir leurs droits respectés. De plus, comme
le piratage menace toute l'infrastructure de diffusion
et, de fait aussi, les capacités d'investissement dans
la création, il convient de proposer une législation
qui protège -dans une certaine mesure et avec une certaine
mesure-- la rentabilité des structures chargées de la
distribution de la création : que ce soit des grandes
entreprises mais aussi des magasins ou des éditeurs
de CD.
A
cette fin, les deux principales dispositions du projet
de loi sur le droit d'auteur et les droits voisins,
mise à part la disposition relative aux particularités
et exceptions accordées pour les handicapés, visent
à mieux encadrer l'usage de la copie privée et à renforcer
les mesures répressives à l'encontre des pirates.
Soyons
clair, la première disposition (article 1) qui stipule,
conformément à la directive européenne du 22 mai 2001,
que la copie privée ne doit pas "porter atteinte à l'exploitation
normale de l'Âuvre ni causer un préjudice injustifié
aux intérêts légitimes" des ayants-droits, est une disposition
nécessaire. Elle ouvre la voie des poursuites à l'encontre
des utilisateurs illicites des logiciels "peer-to-peer".
Elle va enfin rouvrir un avenir à la création musicale
et sans doute faire cesser l'assombrissement des entreprises
de cinéma. D'une certaine manière, cette législation
participe aussi à l'exception et à la diversité culturelle
: si l'on ne protège pas son industrie audiovisuelle
et sonore, on ne saurait exclure un risque corrélé de
tarissement de l'élan créatif ou son remplacement par
celui d'un pays voisin, comme ce fut le cas du cinéma
italien.
Sur
le renforcement des mesures répressives, je suis de
même fondamentalement en accord avec cette décision.
Comme je viens de le dire ce dispositif sera au moins
aussi efficace comme dispositif de dissuasion que de
sanction. De même, je souhaite que les peines soient
appliquées. A titre d'exemple sur le changement d'attitude
des pouvoirs publics vis à vis des contrefacteurs, l'on
peut prendre l'exemple de l'arrêt du tribunal correctionnel
de Perpignan du 25 juillet 2003, qui a condamné à 1
mois de prison ferme et à 5 700 euros d'amende un vendeur
ambulant de sacs Vuitton. Il faut souhaiter que les
tribunaux soient tout aussi sévères pour les pirates
du Web.
Il
appartient aussi à nous tous, au public -que nous sommes
tous- de réaliser la dangerosité de ce piratage et de
cette copie illicite. Malgré les nécessaires mesures
répressives, la responsabilité individuelle est la première
garante du fonctionnement de nos démocraties.
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