Entre recours légaux, protections statutaires et privilèges liés à leur statut, les responsables politiques semblent bénéficier d’une certaine immunité. Une sorte de« passe-droit », qui est en réalité conçue pour protéger les élus contre d’éventuels abus de pouvoir, souligne le politologue Pascal Delwit. Ce statut permet aux parlementaires de mener leurs fonctions sans craindre des poursuites arbitraires. Attention, cette protection n’empêche pas les poursuites judiciaires : un juge peut demander la levée de cette immunité, comme ce fut le cas pour Guy Coeme et Guy Spitaels dans l’affaire Agusta-Dassault, chez nous en 1998.
La lenteur des procédures judiciaires est un autre facteur qui permet aux personnalités politiques de retarder, voire d’échapper à la prison. Pour Delwit, « le temps de la justice est lent de manière générale », avec des étapes successives – instruction, première instance, appel, cassation – qui permettent aux dossiers de s’étendre sur plusieurs années. Les cabinets d’avocats jouent souvent sur ces délais pour multiplier les requêtes, les contre-enquêtes et les expertises, étirant la procédure au maximum.\n
Dans le cas de Donald Trump, cette stratégie de prolongation des procédures a été particulièrement visible. Accusé de fraude et d’obstruction, l’ancien président des États-Unis a saisi toutes les opportunités de recours pour éviter une condamnation effective. Son recours potentiel à l’auto-grâce – un privilège souvent accordé aux chefs d’État – pourrait lui permettre d’échapper totalement à une peine de prison. Pour notre spécialiste, la possibilité d’auto-grâce, accordée à de nombreux dirigeants politiques est hautement problématique d’un point de vue démocratique. Dans certains pays, les chefs d’État peuvent même l’appliquer à leur cercle proche.\n
Les affaires judiciaires des politiques se concentrent souvent autour de l’argent, ce qui conduit rarement à des peines de prison. Les personnalités aisées, qu’elles soient politiciens, chefs d’entreprises ou célébrités, bénéficient d’une représentation légale de premier ordre. Comme l’explique notre professeur en Sciences politiques : « la qualité du cabinet d’avocats est cruciale, plus le cabinet est compétent, plus il y aura de devoirs d’enquête, de contre-expertises ». Ces prestations de haut niveau permettent aussi d’éviter les erreurs de procédure, donnant ainsi à ces figures publiques un net avantage face à la justice.\n
Toutefois, tous les élus ne bénéficient pas de moyens illimités pour se défendre. « Un parlementaire gagne entre 6000 et 7000 euros par mois », explique Delwit. Cette somme, bien que confortable, reste insuffisante pour garantir l’accès aux meilleurs cabinets d’avocats, contrairement aux élites économiques. Les chefs d’entreprise, les footballeurs ou les artistes renommés peuvent consacrer des ressources bien plus conséquentes à leur défense.\n
Dans les cas où des personnalités politiques sont condamnées, la justice applique souvent des peines aménagées pour des raisons de sécurité ou pour limiter l’impact politique d’une incarcération. Nicolas Sarkozy, ancien président français, a ainsi été condamné pour financement illégal de campagne dans l’affaire Bygmalion, mais sa peine d’un an a été aménagée sous forme de surveillance électronique. Le cas de Marine Le Pen, actuellement sous enquête pour des emplois fictifs au Parlement européen, illustre également cette clémence relative. Comme l’indique Pascal Delwit : « Les charges retenues contre elle, en l’état actuel, ne mèneraient probablement pas à une peine de prison effective. »\n
Les figures politiques bénéficient souvent d’un soutien social et politique qui rend leur condamnation d’autant plus difficile. En tout cas, d’une partie de la population et de leur camp politique évidemment. L’affaire Jean-Charles Luperto en Belgique en est un exemple frappant : malgré sa condamnation pour outrage public aux mœurs, le parti socialiste n’a pas exigé sa démission, et il a pu conserver ses fonctions de député-bourgmestre. Quant à Marine Le Pen, son électorat fidèle voit dans ses démêlés judiciaires une « chasse aux sorcières », la protégeant ainsi de retombées politiques immédiates.\n
Tous ces dossiers montrent que le système judiciaire, lent et complexe, favorise en pratique les puissants. En permettant d’étirer les procédures, en tolérant des aménagements de peine et en se pliant aux interprétations de l’immunité parlementaire, la justice laisse souvent ces figures publiques en liberté.\n
Est-ce que les responsables politiques finiront-ils un jour par être traités comme n’importe quel citoyen devant la loi ? Selon le politologue Pascal Delwit, « même si des évolutions sont envisageables, la situation actuelle favorise clairement ceux qui peuvent se payer les meilleurs services », en d’autres termes, une justice où les moyens financiers et les statuts jouent toujours en faveur des puissants.\n