Scipion Sardini
Scipion Sardini, né en 1526 à Lucques en Italie et mort en 1609 à Paris, est un financier français d'origine toscane qui a fait partie des puissants et influents « partisans » italiens de l'entourage de Catherine de Médicis qui prospérèrent à la cour des derniers Valois.
Biographie
modifierUne ascension sociale à la cour de Catherine de Médicis
modifierOriginaire de Lucques (dont il fut l'ambassadeur en certaines occasions[1]), Scipion Sardini accompagne en France ses frères, agents de grandes maisons italiennes, pour les assister dans leurs activités de négoce. Il s'installe tout d'abord (avant 1548) à Lyon, où existait une importante communauté lucquoise, avant de s'établir à Paris. Il accumule en peu de temps une fortune considérable grâce à ses activités de financier, mises au service de la couronne dès le début des années 1560[2], et fit l'acquisition, en 1565, d'un fastueux hôtel parisien qui prit son nom.
En 1567, il épouse Isabelle (ou Isabeau) de la Tour d'Auvergne, demoiselle de Limeuil, une suivante et une lointaine parente[3] de Catherine de Médicis, qui fut la maîtresse de Claude II d'Aumale, de Florimond II Robertet de Fresne et, surtout, du prince de Condé[4], ainsi que l'égérie de Brantôme et de Ronsard. Entré en grâce à ce mariage dans l'entourage d'une reine dont il partageait l'origine toscane, Sardini est nommé vicomte de Buzancy[5]. La reine-mère lui confère également l'office de « garde des petits sceaux » auprès des petites chancelleries (avril 1572)[6].
Cet exemple de réussite sociale fut suivi par un autre financier lucquois, Sébastien Zamet.
Le financier des derniers Valois
modifierLes fils de Catherine de Médicis, Charles IX puis Henri III, lui affermèrent la perception de taxes très rentables comme celle sur les importations d'alun (1572)[7] ou celle sur les cabarets et les auberges (1577)[8], ce qui ne fit qu'accroître une fortune qui lui permit de devenir le banquier du roi[9], du clergé[10] et de plusieurs puissants personnages.
Les banquiers et « partisans » italiens, indispensables à la couronne pour parer les difficultés financières du temps des guerres de religion, exerçaient une influence importante sur la politique fiscale du royaume. Ainsi, quand l'assemblée des notables réunie pendant l'hiver 1583-1584 à Saint-Germain-en-Laye remit en question la ferme des impôts, Sardini et ses compatriotes achetèrent le statu quo en offrant des cadeaux au roi et en versant cent mille écus.
En 1587, Sardini n'hésita pas à publier de son propre chef un édit royal augmentant certains des impôts dont le prélèvement lui était affermé. Arrêté et emprisonné pour faux et malversation à la Conciergerie par le président de la cour des Aides, un certain Le Faure, et un procureur royal, d'Angueschin[11],[12], il fut cependant rapidement relâché sur ordre du roi, qui « blâma aigrement, et avec injures atroces » les deux officiers royaux. Il s'en fallut de peu que le roi « ne les frappa[sse] et outragea[sse] de fait », et Le Faure fut condamné à quinze jours de détention en résidence surveillée. Cette colère mémorable d'Henri III[13] est révélatrice du crédit et de la faveur dont Sardini jouissait auprès des derniers Valois.
En contrepartie, Sardini se montra toujours fidèle au camp royal.
Un affairiste impopulaire
modifierL'accumulation par Sardini d'une fortune considérable, propre à susciter la jalousie, renforcée de plus par les pourcentages prélevés sur des taxes impopulaires, lui attire ce mot d'esprit typiquement parisien :
« Naguère sardine, aujourd'hui grosse baleine ; c'est ainsi que la France engraisse les petits poissons italiens. »[14]
La cupidité et l'avarice prêtées au financier lui vaut également le surnom de « Scorpion Serre-Deniers »[15].
La richesse notable de Sardini lui attire également des ennuis plus graves que ces quelques quolibets. Il est ainsi enlevé en 1590 sur la route d'Angers à Tours par les frères ligueurs Saint-Offange, qui le séquestrent pendant deux mois au château de Rochefort-sur-Loire et ne le libérèrent qu'en échange d'une rançon de six mille écus[16].
Plus grave encore, l'impopularité des financiers italiens est à l'origine de l'assassinat, le , d'un frère de Scipion[17] par un certain Jacques du Val[18], puis, le de la même année, d'une émeute parisienne qui fait suite à des heurts entre étudiants et Italiens, et dont l'objectif était le meurtre de Scipion Sardini, de René de Birague, d'Horace Ruccellai, de Louis Dadiacetto (dit Adjacet, comte de Châteauvillain), ainsi que le pillage des demeures de ces riches Italiens[19]. Le roi et sa mère, alertés par Birague, font cependant arrêter les meneurs et déjouent cette « Saint-Barthélémy des Italiens ».
Le goût des arts et des belles lettres
modifierRetiré des affaires sous Henri IV, qui ne l'apprécie guère[20], Sardini se consacre au mécénat en faveur des arts et des belles lettres, devenant notamment le protecteur du poète Dominique Baudier dit Baudius, auquel il offre le gîte et le couvert ainsi qu'une pension de huit cents francs[21].
En 1600, il acquiert le château de Chaumont-sur-Loire[22], qu'il fait décorer de trois grands tableaux (de peintres italiens ?) et d'une détrempe d'Andrea Mantegna représentant respectivement Les Batailles et Le Triomphe de Castruccio Castracani[23]. Castruccio Castracani, condottiere lucquois, appartenait à la famille maternelle de Scipion, les Antelminelli, ce qui explique pourquoi le financier avait acquis[24] les tableaux ainsi qu'une biographie de ce personnage, spécialement commandée à Alde le Jeune[25] et destinée à sa riche bibliothèque.
Il possédait également un bel hôtel particulier à Blois, au 7 de la rue du Puits-Châtel, que l'on surnomme désormais hôtel Sardini, ainsi que le château de Serrant et les seigneuries de Beaufort et de Rochefort, en Anjou[26].
Descendance et postérité de Scipion Sardini
modifierScipion Sardini et Isabelle de Limeuil eurent plusieurs enfants, parmi lesquels deux garçons, Alexandre (1574-1645) et Paul († 1667), qui n'eurent pas de fils et ne purent, par conséquent, transmettre leur nom. Si les deux frères furent gentilshommes ordinaires de la chambre du roi, l'un d'eux fut un des financiers et un proche courtisan de Marie de Médicis qui le visita à maintes reprises en son château de Chaumont-sur-Loire. Il prit part aux intrigues de la mère de Louis XIII.
Au XIXe siècle, Balzac a fait de Scipion Sardini un des infortunés personnages de La Chière nuictée d'amour, un de ses Contes drolatiques écrits à la manière de Rabelais. Dans ce conte, qui prend pour toile de fond les préparatifs de la conjuration d'Amboise (1560), Balzac présente Sardini comme l'amant de l'épouse de l'avocat parisien Pierre des Avenelles.
L'hôtel de la rue Scipion
modifierConstruit près du faubourg Saint-Marcel, dans la rue de la Barre (rebaptisée rue Scipion en 1806)[27], à l'écart des nuisances du centre de Paris, l'hôtel de Scipion Sardini, acquis par ce dernier en 1565 mais initialement bâti dans les années 1530-1540 pour Maurice Bullioud, doyen de Saint-Marcel[28], possédait des jardins qui descendaient vers la Bièvre. Mêlant pierre et brique, cet hôtel de style Renaissance se compose d'un comble bas et d'un étage reposant sur une galerie de six arcades. Ces arcades en plein cintre étaient surmontées de médaillons en terre cuite, inspirés de l'art de Girolamo della Robbia, figurant des bustes de personnages, principalement des femmes et des soldats.
Quatre de ces fragiles médaillons nous sont parvenus et ont été restaurés en 1978 : ils représentent les bustes d'un vieillard barbu à la spalière en forme de tête de lion, d'une femme portant une robe et un collier, d'un guerrier antique (peut-être Scipion l'Africain, en allusion au prénom de Sardini) vêtu d'une cuirasse figurant une tête d'angelot, et d'une femme au sein nu couronnée d'un diadème.
L'hôtel (galeries, toitures, et façade), qui doit peut-être plus aux transformations commandées par Sardini qu'au projet initial conçu pour Maurice Bullioud, est classé Monument historique depuis 1899 et inscrit à la liste depuis 1969[29].
Sous Henri IV, Sardini habitait également dans la rue Hautefeuille, dans la paroisse Saint-Séverin.
Après la mort du financier, survenue en 1609[30], l'hôtel de la rue de la Barre fut transformé en hospice en 1622, affecté à l'Hôpital-Général en 1656, puis occupé par la boulangerie des hôpitaux de Paris à la fin du XVIIIe siècle[27].
Bibliographie
modifier- Jacqueline Boucher, article "Sardini", in Arlette Jouanna (dir.), Histoire et Dictionnaire des guerres de religion, Robert Laffont, 1998, pp. 1276-1278.
- Jean-François Dubost, La France italienne, XVIe – XVIIe siècle, Aubier, 1997.
- Henry Heller, Anti-Italianism in Sixteenth-Century France, University of Toronto Press, 2003.
- Jacques Hillairet, Connaissance du Vieux Paris, Le Club Français du Livre, 1956, pp. 292-293.
Liens externes
modifierNotes et références
modifier- En août 1554, Bartholomeo Micheli et Scipion Sardini furent les ambassadeurs de la ville de Lucques auprès de Marie Ire d'Angleterre. (Source : 'Mary: August 1554', Calendar of State Papers Foreign, Mary: 1553-1558 (1861), pp. 110-117. URL: [1]. Page consultée le 12 avril 2008.)
- L'article de J. Boucher (cf. bibliographie) signale qu'il négocia des emprunts pour le compte du roi dès 1562. Auparavant, il avait déjà vendu au roi des marchandises de fil d'or et d'argent pour la fête célébrant les mariages des princesses Élisabeth et Marguerite (1559). Henri II ayant été mortellement blessé lors de ces réjouissances, Sardini ne fut payé par l'argentier du roi Charles IX que le 16 juin 1561. (F. Bourquelot, Mémoires de Claude Haton, Paris, 1857, t. II, Appendice 1116).
- La mère de Catherine de Médicis, Madeleine de la Tour d'Auvergne était issue de la branche aînée de la famille de la Tour d'Auvergne, tandis que Gilles de la Tour d'Auvergne, seigneur de Limeuil, était issu de la branche cadette de cette même famille. Descendants de Bertrand de La Tour (1255-1296), le père d'Isabelle et la reine étaient donc cousins au septième degré, mais également au cinquième degré par un autre ancêtre commun, Guy de la Trémoille (1346-1398). Isabelle était également la cousine de François III, vicomte de Turenne, père d'Henri de La Tour d'Auvergne, duc de Bouillon.
- Isabelle de Limeuil fait partie de l'« escadron volant » de Catherine de Médicis, ce groupe de suivantes qui n'hésitent pas à user de leurs charmes pour parvenir à leurs fins auprès des grands seigneurs que la reine cherchait à contrôler. Isabelle est ainsi chargée d'obtenir du prince de Condé la rétrocession du Havre (livré aux Anglais par les Huguenots en 1562). De cette mission naît un enfant naturel du prince (1564), mort en bas âge. Le scandale qu'engendre cette naissance illégitime provoque la disgrâce d'Isabelle, tout d'abord enfermée au couvent d'Auxonne puis mariée à Sardini (1567).
- À ce fief de Buzancy, contenu dans la dot d'Isabelle de Limeuil, sont attachés les titres de vicomte de Crise, de Saint-Crépin, et ceux de seigneur de Jouy, d'Hartennes, de Taux et de Villemontoire. Une habile exploitation de l'héritage de son épouse permet également à Scipion de devenir baron de Chaumont-sur-Loire en 1600.
- Cette nomination se heurte à l'opposition du parlement de Paris et de son président, Christophe de Thou (Cf. Heller, p. 104).
- En association avec Albert de Gondi. (Cf. Heller, p. 103).
- Moyennant un versement unique de deux cent quarante mille écus au roi, la perception de cette taxe lui donnait droit à une rente annuelle de vingt mille livres, qui fut confirmée par Henri IV. (Cf. Heller, p. 225).
- Dès mai 1571, Sardini prêtait, conjointement avec Oratio Rucellai, une somme d'un million deux cent mille livres à Charles IX en échange d'une rente sur l'hôtel de ville. (Cf. Heller, p. 98).
- En 1588, il prêta la somme considérable d'un demi million d'écus au clergé pour permettre à ce dernier de financer la guerre contre les protestants.
- Il s'agit de Jean Danquechin (ou d'Anquechien), seigneur de Verdilly en Brie, mort en 1603. Selon Pierre Thomas Nicolas Hurtaut et L de Magny (Dictionnaire historique de la ville de Paris et de ses environs, Paris, Moutard, 1779, t. IV, p.164), Danquechin aurait eu la charge de cet office de 1573 à 1587, année de l'incident impliquant Sardini.
- Probablement suspendu de ses fonctions de procureur général de la Cour des aides – au profit de son fils Antoine –, il fut rétabli par Henri IV en 1591 site généalogique consulté le 7 juillet 2008
- Cette anecdote est rapportée par Pierre de L'Estoile dans ses Registres journaux (1587, 20 janvier).
- Ce mot d'esprit, traduit d'un distique latin mentionné par Pierre de L'Estoile (Registres journaux, août 1574) est rapporté par Hillairet (cf. bibliographie). Les armoiries de Sardini, parlantes, était d'ailleurs « d'azur à trois sardines d'argent » (D'après A. Dupré (reprenant Bernier), « Le Château et les Seigneurs de Chaumont-sur-Loire », Mémoires de la Société des Sciences et des Lettres de la ville de Blois, t. 5, Blois, Lecesne, 1856, p. 288).
- Henri Martin, Histoire de France …, t. X, 4e éd., Paris, Furne, 1857, p. 99, n. 1. Ce surnom apparait pour la première fois dans un placard affiché le 23 septembre 1578 et reproduit par L'Estoile dans ses Registres journaux.
- J.-F. Bodin (Recherches historiques sur l'Anjou, 2e éd., Angers, Cosnier et Lachèse, 1847, p. 207) indique quant à lui que Sardini fut arrêté près de Saint-Symphorien en Anjou et que la rançon, assortie de la demande de libération de deux frères Saint-Offange détenus à Angers, ne s'élève qu'à deux mille écus, ce qui sous-estime largement les ressources du financier.
- L'affaire eut un grand retentissement jusqu'en Province. Ainsi, parmi les nouvelles de Paris qui parviennent le samedi 23 avril 1575 à l'avocat Michel Le Riche, il était noté que « le frère de Scipion Sardini y avait été tué, et que s'il y eut été et autres Italiens, on leur en eut fait de même » (A.D. de la Fontenelle de Pandoré (éd.), Journal de Guillaume et de Michel Le Riche (de 1534 à 1586), Saint-Maixent, Reversé, 1846, p. 223).
- Gabriel Vanel, « Manuscrit d'Étienne du Val de Mondrainville (1535-1578) », Mémoires de l'Académie nationale des sciences, arts et belles-lettres de Caen, 1907|6, p. 55. Du Val fut gracié.
- Heller (cf. bibliographie), p. 83.
- Même si Henri IV confirme en 1601 le privilège de Sardini sur la perception de la taxe sur les tavernes (Cf. Heller, p. 225), les rapports entre le nouveau roi et le Lucquois semblent être peu cordiaux, comme le montre une anecdote rapportée par L'Estoile. En août 1602, le financier est en effet « tancé » par le roi pour avoir donné dix écus destinés à faire dire des messes pour le maréchal de Biron, ce dernier ayant été décapité pour avoir trahi son souverain en complotant avec l'ennemi espagnol.
- Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, éd. augmentée de notes, Paris, Desoer, 1820, t. 3, p. 175, note 8.
- Cette acquisition se fait grâce au droit de retrait lignager dont Sardini disposait à la suite de son mariage avec Isabelle de Limeuil, cousine du vicomte de Turenne, ce dernier ayant revendu le château après 1594. (Cf. A. Dupré, op. cit., p. 286.)
- Ces tableaux, ainsi que la détrempe de Mantegna, sont vus à Chaumont au XVIIe siècle par Bernier, qui signale que l'œuvre de Mantegna comporte « une infinité de figures et de personnages différents, rangés d'une manière admirable ». (Cf. A. Dupré, op. cit., p. 289).
- Il est également possible que le tableau de Mantegna ait été commandé par un ancêtre de Scipion, ce dernier l'ayant ensuite reçu en héritage.
- Aldo Manucci, Le attioni di Castruccio Castracane de gli Antelminelli, signore di Lucca. Con la genealogia della famiglia. Estratte dalla Nuoua Discrittione d'Italia, di Aldo Manucci, Rome, héritiers de Giovanni Gigliotti, 1590. C'est Jacques-Auguste de Thou qui rapporte avoir vu un exemplaire de cet ouvrage (qu'il pensait cependant édité à Lucques) entre les mains de Sardini en précisant que le financier « avoit incité Manuce à faire cette Vie ». (Thuana, édition de Pierre Des Maizeaux d'après un manuscrit de Dupuy, contenue dans Scaligerana, Thuana, Perroniana, Pithoeana et Colomesiana …, Amsterdam, Convens & Mortier, 1740, tome 1, page 26).
- Selon Bodin (op. cit., p. 523), Sardini acquit Serrant après 1603.
- Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments de Félix et Louis Lazare, éditions Maisonneuve & Larose, 1855, p.611
- Sophie Barron, Le 5e arrondissement : itinéraires d'histoire et d'architecture, Paris, 2000, p. 79. Cousin de Symphorien Bullioud (1480-1533), évêque de Glandèves, le clerc Maurice Bullioud, prieur de Saint-Samson d'Orléans et doyen de Saint-Marcel de Paris, fut conseiller au Parlement de Paris de 1533 à sa mort, le 27 mai 1541.
- Notice no PA00088437, sur la plateforme ouverte du patrimoine, base Mérimée, ministère français de la Culture
- Selon son testament, rédigé en 1596 et modifié par un codicille en 1599, il voulait se faire inhumer au couvent des Grands-Augustins (détruit en 1797).