Gazéification hydrothermale
La gazéification hydrothermale (gazéification aqueuse à température et pression élevées ; en anglais, hydrothermal gasification ou hydrothermal gasification of biomass) est un procédé physico-chimique de conversion de biomasse humide en gaz naturel.
Elle utilise l’eau contenue dans la biomasse dans son état supercritique comme milieu réactionnel pour produire un gaz de synthèse riche en méthane. Le gaz produit, sous haute pression en sortie du procédé, peut être soit injecté et stocké dans le réseau gazier, soit directement brûlé pour assurer une production de chaleur.
En plus du gaz produit, le procédé permet de récupérer des sels minéraux, de l’azote et de l’eau présents dans l’intrant, qui peuvent être exploités notamment pour produire des engrais.
Principe
modifierLe principe de la gazéification hydrothermale est l'utilisation de l’eau contenue dans la biomasse comme catalyseur sous une pression élevée (entre 210 et 350 bars) et à haute température (entre 360 et 700 °C)[1].
L'intrant utilisé est une biomasse liquide. Ce peut être notamment du lisier, du fumier, un digestat issu d’unités de méthanisation, des boues d'épuration ou bien un effluent organique issu d’activités industrielles[2]. Sous contrainte de température et de pression, les minéraux présents dans la biomasse liquide précipitent et sont extraits pour être réutilisés, notamment sous forme d'engrais. Dans une seconde phase, les molécules organiques sont craquées pour obtenir des gaz. Les gaz issus du procédé sont principalement du méthane, mais également du dihydrogène et du dioxyde de carbone[3],[4]. En outre, cette opération permet la destruction de produits polluants et pathogènes (virus, bactéries, résidus médicamenteux), tout en préservant l’eau et les sels minéraux qui y sont contenus[5],[6].
La gazéification hydrothermale est un procédé endothermique. Les rendements de conversion les plus intéressants sont généralement obtenus à des conditions opératoires de température et de pression élevées, soit environ 600°C et 300 bars. Toutefois, l'introduction de catalyseurs permet d'abaisser la température de réaction entre 400°C et 500°C, et autorise également une sélectivité plus grande des gaz issus de la réaction, notamment de choisir entre un mélange plus riche en dihydrogène ou en méthane[7]. Le procédé permet également de récupérer des coproduits, en l'espèce de l'eau et des sels minéraux, notamment azote, phosphore et potassium, qui peuvent réutilisés en tant que fertilisants[4],[8].
Mise en œuvre
modifierLa gazéification hydrothermale fonctionne en trois étapes. La première est la préparation de l'intrant, c'est-à-dire de la biomasse. La biomasse doit idéalement avoir un taux de matière sèche compris entre cinq et quarante pour cent[1].
La préparation comporte notamment une homogénéisation, un tamisage et un broyage, afin de rendre les réactions physico-chimiques plus efficaces. Après cette préparation, le mélange est peu à peu porté à une pression de 280 à 300 bars. L'état supercritique du fluide entraîne alors une précipitation gravitaire des sels minéraux (phosphore, potassium, calcium, etc.) qui peuvent être évacués à l'aide d'un dispositif approprié[1],[9].
Efficience et bilan énergétique
modifierLe taux de conversion du carbone envisagé est supérieur à 90 % ; la quantité de sous-produits indésirables, cendres et biochar, ainsi que de polluants atmosphériques, est relativement faible. Selon les premiers prototypes, la conversion est assez rapide et dans des modules de taille compacte : les premières estimations montrent qu'un équipement de surface au sol d’environ 250 mètres carrés permet le traitement de trois tonnes par heure d'intrant[10].
Un des effets induits de cette technologie est qu'elle peut permettre la réutilisation des eaux traitées pour l'irrigation agricole ou urbaine sans traitement supplémentaire[11]. Un autre atout très notable qui valorise cette technologie par rapport à la méthanisation est le temps de réaction, d'une trentaine de minutes contre vingt à trente jours pour les procédés utilisant des bactéries[3].
Déploiement
modifierEn Europe, les Pays-Bas sont dotés du programme le plus ambitieux. Un premier prototype de 20 MW est mis en place par SCW Systems en 2022, et permet le traitement de 16 tonnes par heure d'intrant. L'ambition nationale d'arriver en 2030 à une production de 11 TWh par an, soit 57 % de la consommation totale de gaz renouvelables du pays[9],[12],[13],[14].
Quatre autres pays européens sont lancés dans des programmes de création de filière de gazéification hydrothermale : la Suisse qui a mis en œuvre à l'Institut Paul Scherrer un démonstrateur capable de traiter 110 kg/h, l'Espagne et la France. Dans ce dernier pays, le premier démonstrateur, ayant coûté 15 millions d'euros, est attendu pour 2024 ou 2025, et prévu à Saint-Nazaire. Une production annuelle d'1 TWh est initialement attendue dès 2030[9],[12],[13], mais le livre blanc publié par la suite affiche des objectifs plus ambitieux avec 2 TWh en 2030 et 50 TWh en 2050[15].
En France, le potentiel estimé de traitement à l'horizon 2050 est de 100 millions de tonnes d’effluents liquides sur les 340 millions produits annuellement dans le pays, qui produirait à cette date entre 58 et 138 TWh d'énergie, la consommation totale prévue étant alors comprise selon les scénarios entre 280 et 360 TWh[10]. Dans ce cadre, GRTgaz crée en mars 2021, lors du salon Bio360 de Nantes, le Groupe de Travail national Gazéification Hydrothermale (GTGH) associant une cinquantaine d'entreprises, principalement des secteurs du bâtiment, de l'énergie et de l'agro-alimentaire, afin de proposer des solutions techniques permettant une mise en œuvre efficace du procédé[16],[17].
Dans le cadre de l'invasion russe de l'Ukraine, plusieurs entreprises s'investissent dans cette filière afin de devenir moins dépendantes du gaz russe[18].
Notes et références
modifier- Enea Consulting 2019, 1. Présentation de la gazéification hydrothermale — 1.1 Principes et procédés, p. 5 & 6.
- « La gazéification hydrothermale en France », Soclema, (consulté le ).
- (en) Bérénice Robert, « Engie New Ventures investit dans la start-up Treatech, spécialisée dans la gazéification hydrothermale », L'Usine nouvelle, (ISSN 0042-126X, lire en ligne).
- (en) Marine Peyrot, « Produire du gaz vert grâce à la gazéification hydrothermale », Act4gaz, (lire en ligne).
- Adeline Adelski, « Livre Blanc : tout savoir sur la gazéification hydrothermale », Gaz Mobilité, (consulté le ).
- Muhlke, Castaing, Morel & Donat 2023, 1. Généralités et contexte — 1.1. Une technologie de traitement et de valorisation de déchets produisant des gaz renouvelables et bas-carbone — 1.1.4. Une technologie ancrée dans l'économie circulaire, p. 19.
- Hary Demey Cedeno, « Étude de la gazéification hydrothermale catalytique de composés modèles de biomasses et déchets », CEA, (consulté le ).
- (en) A. A., « CEA et GRDF coopèrent pour l'émergence de la gazéification hydrothermale », Environnement Magazine, (lire en ligne).
- « Comprendre la Gazéification Hydrothermale en 5 points », GRTgaz, (consulté le ).
- « Gazéification hydrothermale : une technologie émergente », GRTgaz, (consulté le ).
- Muhlke, Castaing, Morel & Donat 2023, 1. Généralités et contexte — 1.1. Une technologie de traitement et de valorisation de déchets produisant des gaz renouvelables et bas-carbone — 1.1.1. Principe général, p. 22.
- Félix Gouty, « La pyrogazéification, petite sœur de la méthanisation, attend le top départ », Actu-Environnement, (lire en ligne).
- Christine Lairy, « Les promesses de la gazéification hydrothermale », Actu-Environnement, (lire en ligne).
- Bernard Deboyser, « Deux entreprises françaises se lancent dans la gazéification hydrothermale », Révolution énergétique, (lire en ligne).
- Baptiste Cessieux, « La gazéification hydrothermale, une nouvelle technologie en test pour traiter les déchets organiques », La Gazette des communes, (ISSN 0336-1675, lire en ligne).
- « Publication du 1er livre blanc mondial sur la gazéification hydrothermale, une technologie innovante de valorisation des déchets organiques en gaz renouvelable et bas-carbone », GRTgaz, (consulté le ).
- Muhlke, Castaing, Morel & Donat 2023, Résumé exécutif, p. 11.
- « La gazéification hydrothermale devient plus concrète », Construction Cayola, (consulté le ).
Voir aussi
modifierArticles connexes
modifierBibliographie
modifier- [Xu, Matsumura, Stenberg & Antal 1996] (en) Xiaodong Xu, Yukihiko Matsumura, Jonny Stenberg et Michael Jerry Antal, « Carbon-catalyzed gasification of organic feedstocks in supercritical water », Industrial & Engineering Chemistry Research, vol. 35, no 8, , p. 2522-2530 (ISSN 0888-5885, lire en ligne)
- [Yukihiko Matsumura 2015] (en) Yukihiko Matsumura, chap. 9 « Hydrothermal Gasification of Biomass », dans Ashok Pandey, Thallada Bhaskar, Michael Stöcker & Rajeev K. Sukumaran, Recent Advances in Thermochemical Conversion of Biomass, Elsevier, , 491 p. (ISBN 978-0-444-63289-0, DOI 10.1016/B978-0-444-63289-0.00009-0, présentation en ligne), p. 251-267
- [Enea Consulting 2019] Enea Consulting, Potentiel de la Gazéification Hydrothermale en France, GRTgaz, , 18 p. (lire en ligne)
- [Muhlke, Castaing, Morel & Donat 2023] Robert Muhlke, Jean-Baptiste Castaing, Mathieu Morel et Violette Donat, Gazéification hydrothermale : livre blanc, Groupe de travail national gazéification hydrothermale, , 104 p. (lire en ligne [html/pdf])
- (en) Andrea Kruse, « Hydrothermal biomass gasification », The Journal of Supercritical Fluids, vol. 47, no 3, , p. 391-399 (lire en ligne, consulté le ).
- (en) Panagiotis Kladisios et Athina Stegov Sagia, « A Review on Supercritical Water Gasification of Biomass », Bioenergy and Bioresource:Open Access, vol. 3, no 4, (lire en ligne [html/pdf], consulté le ).